LA RÉVOLUTION FRANÇAISE C'EST LA RÉSURRECTION DE LA FEMME





L'argument le plus décisif contre la « démocratie » se résume en quelques mots :
Le supérieur ne peut émaner de l'inférieur, parce que le « plus » ne peut pas sortir du « moins » ; cela est d'une rigueur mathématique absolue, contre laquelle rien ne saurait prévaloir.
(René Guénon, La Crise du Monde Moderne, Ch. VI, Le Chaos social)


« Qu'est-ce exactement que cette loi du plus grand nombre qu'invoquent les gouvernants modernes et dont ils prétendent tirer leur seule justification ? C'est tout simplement la loi de la matière et de la force brutale, la loi même en vertu de laquelle une masse entraînée par son poids écrase tout ce qui se rencontre sur son passage ; c'est là que se trouve précisément le point de jonction entre la conception « démocratique » et le « matérialisme ». C'est le renversement complet de l'ordre normal. Dans le monde spirituel, et plus simplement encore dans l'ordre Universel, c'est l'Unité qui est au sommet de la hiérarchie, car c'est Elle qui est le Principe dont sort toute multiplicité. »
(Jean Robin citant René Guénon dans son ouvrage « Le Royaume du Graal »)


Toute élévation du type humain demande un régime aristocratique. La démocratie avilit en abaissant les bons, c'est une tyrannie qui s'exerce par un mouvement de traction morale, de bas en haut ; elle fait descendre, elle empêche les meilleurs de s'élever, elle abat les têtes qui dépassent le niveau des médiocres, empêchant ainsi l'éclosion des types supérieurs, elle supprime le respect et rend les petits insolents.
C'est pourquoi la démocratie est intimement liée à la conception « égalitaire » si chère au monde moderne, c’est-à-dire à la négation de toute hiérarchie : le fond même de l’idée démocratique c’est qu’un individu quelconque en vaut un autre, parce qu’ils sont égaux numériquement, et bien qu’ils ne puissent jamais l’être que numériquement.
Ce n’est donc pas pour rien que « démocratie » s’oppose à « aristocratie », ce dernier mot désignant précisément, du moins lorsqu’il est pris dans son sens étymologique, le pouvoir de l’élite. Une élite véritable ne peut être qu’intellectuelle ; c’est pourquoi la démocratie ne peut s’instaurer que là où la pure intellectualité n’existe plus, ce qui est, effectivement, le cas du monde actuel.









C'est le 17 juin 1789 que le tiers état se constitua en « Assemblée Nationale » sur proposition de l'abbé Sieyès, député de Paris.
Ce jour-là, dit Henri Martin, fut le dernier de l'ancien Régime.


« Le jour de mon admission, M. de Beauharnais, alors président du club (des Jacobins), me donna l'accolade fraternelle, et proclama mon nom. C'était ce même Beauharnais, qui se trouva président de l'Assemblée Constituante, à l'époque de l'évasion du Roi, et qui périt victime des fureurs populaires quelques temps après. Sa veuve, ayant épousé en seconde noces, le général Bonaparte, porta sous le nom de Joséphine, la couronne impériale. Elle ne parut pas étrangère à cette gloire, qui, dit-on, lui avait été promise par la destinée. Elle adoucit souvent par l'aménité de son caractère, la noblesse de ses manières, les grâces irrésistibles de sa personne, l'humeur âpre et les mœurs farouches de son second époux. Elle fut peut-être de toutes les personnes que le torrent révolutionnaire porta au faîte des grandeurs, la seule qui y fut véritablement aimée. »
(A. Fabre d'Olivet, Mes Souvenirs)




Par les révoltes et les massacres, on n’arrive jamais à quoi que ce soit. Très peu de temps après, c’est encore pire. Après chaque révolution, ce sont les mêmes désordres, les mêmes malhonnêtetés, les mêmes gaspillages, les mêmes injustices… Les victimes et les bourreaux ont changé de camp, mais il y a toujours des victimes et des bourreaux. Alors où est le progrès ?
Ce ne sont pas les transformations extérieures qui produiront les véritables améliorations. C’est la mentalité humaine qu’on doit changer, c’est là qu’il faut faire la révolution.



De la Révolution lumineuse et spirituelle à la révolution ténébreuse et marchande



PRÉAMBULE
C'est, de tout temps, l'esprit de la femme qui a guidé le monde. Quand la femme pense et agit, le monde marche ; quand elle tombe dans l'apathie intellectuelle, quand elle se laisse réduire en esclavage et abdique son pouvoir, le monde tombe dans l'obscurité.
Tous les grands mouvements de l'esprit sont dus à l'initiative féminine. La femme donne l'impulsion, l'homme la suit.
Le grand mouvement philosophique qui au XVIIIème siècle a remis tous les problèmes de la Nature en discussion a été, tout entier, fait par des femmes.
La marquise de Lambert, Mme de Tencin, Mme Geoffrin, inspirent Fontenelle et son école. La marquise du Deffand, la baronne de Stael, surtout la marquise du Châtelet, influencent l'esprit de Voltaire. Mlle de Lespinasse fait d'Alembert. Mme d'Épinay, la comtesse d'Houdetot font Rousseau. Mme d'Épinay, cette petite femme que Voltaire appelait « un aigle dans une cage de gaze », fait aussi Grimm.
C'est ce grand réveil de la pensée féminine, se dégageant subitement des entraves du Christianisme, qui prépare la Révolution. Mais cette première révolte de l'esprit de la femme en face des erreurs du vieux monde n'est pas bien comprise par l'homme, elle est défigurée, mal interprétée, mal rendue, elle est traduite en idées masculines.
La femme esclave demandait son affranchissement : l'homme traduit ce cri de révolte par la demande des « Droits de l'Homme ». La femme veut l'affranchissement des entraves mises à la liberté des FONCTIONS de son sexe : l'homme traduit cette aspiration par un nouveau déchaînement dans ses vices à lui et ne continue pas moins à opprimer la femme dans sa sexualité ; ce déchaînement de l'homme amène même une recrudescence de jalousie sexuelle.
Tout ce que la femme demande pour elle, l'homme, dans la traduction qu'il fait des idées de la femme, le demande pour lui.
C'est ainsi que la Révolution préparée par la femme pour être l'avènement de la justice ne fut que l'avènement d'un système bâtard qui vint détruire l'ancien régime, mais ne le remplaça pas par ce que la femme avait rêvé.


Pour avoir refusé la révolution de « Dieu », les institutions traditionnelles sont balayées, en quelques heures, par celle des hommes.


« On sait avec quel acharnement, dès après 1789, la République s'empressa de détruire toutes traces de cet ancien régime si abhorré des « Beaux Esprits » (1). Aussi, l'un de ses premiers soins, fut-il d'abolir l'existense de nos vieilles provinces, entités vivantes, pour leur substituer une création toute artificielle... jusqu'à ce que ce siècle, dit « des Lumières », mais qui fut bien en réalité le début de ces temps de la Ténèbre où nous baignons entièrement aujourd'hui, ait fait disparaître toutes ces notions traditionnelles. En cela d'ailleurs, on peut mesurer, pondérablement nous semble-t-il, la dégradation constante et irréversible qui ne cesse de se manifester dans l'âme d'une société, eu égard à l'« Esprit » qui présida, dès l'origine, à sa manifestation sur le plan visible. »
(G. Béatrice & S. Batfroi, Terre du Dauphin et Grand Œuvre Solaire)
(1) À la suite de la Révolution, l'abbaye de Cluny, devenue « bien national », sera vendue et démontée au profit de marchands de biens. il ne subsiste aujourd'hui que 10 % de l'église abbatiale Cluny III. L'abbaye de Cluny fut fondée en 909 ou 910 par le duc d'Aquitaine et comte d'Auvergne Guillaume Ier. Cluny était alors le symbole du renouveau monastique en Occident.


« Seule la bêtise humaine donne la notion de l'immensité. »
(E. Renan)


« L'Homme il est humain à peu autant que la poule vole. Quand elle prend un coup dur dans le pot, quand une auto la fait valser, elle s'enlève bien jusqu'au toit, mais elle repique tout de suite dans la bourbe, rebecqueter la fiente. C'est sa nature, son ambition. Pour nous, dans la société, c'est exactement de même. On cesse d'être si profond fumier que sur le coup d'une catastrophe. Quand tout se tasse à peu près, le naturel reprend le galop. Pour ça même, une Révolution faut la juger vingt ans plus tard. »
(L.F. Céline, Mea Culpa)


« Panem et circenses » : malbouffe et civilisation ludique, où la prolifération des jeux dans tous les secteurs de la vie sociale transforme progressivement notre univers en une immense cours de récréation… infernale, et où tout semble désormais programmé pour faire de tous des adolescents éternels, c'est-à-dire une société d'adultes infantiles… À l'instar de l'Île enchantée de Pinocchio, Île des plaisirs, en réalité un piège dans lequel les « enfants » finissent par devenir des esclaves, corvéables et taillables à merci, après s'être fait « abêtir »... aboutissement d'une Société totalement immorale, dépourvue de tout espoir, et dans laquelle, suivant une expression d'Henri Martin, les riches s'étourdissent dans les orgies, pendant que les pauvres s'abrutissent dans la misère.
« Un des vices majeurs de notre époque est ce que Montherlant appelait « le jeunisme ». Dans notre société moderne, tout est fait pour prolonger indéfiniment la jeunesse, alors que la jeunesse est un âge transitoire, qui doit être dépassé. C'est une complète inversion des valeurs... La Révolution française est exemplaire à cet égard. Parmi les principaux acteurs, la moyenne d'âge était de 27-28 ans ; Robespierre et Danton avaient à peine dépassé la trentaine. Quelle succession explosive d'excès et d'incohérences... que de fureur criminelle, d'hystérie incendiaire, de convulsions pathologiques ! La jeunesse est l'âge de toutes les sottises et de toutes les exactions ; rien n'est plus étranger à la sagesse que la jeunesse. Elle est le bras séculier de tous les despotes, la matière première de tout militantisme extrême. Dans notre société démocratique et humaniste on encense la jeunesse, alors qu'elle est avant tout grégaire. C'est pourquoi les tyrans ont tant besoin d'elle. »
(Louis Pauwels, Les dernières chaînes)


« Tous les systèmes de gouvernement seraient bons si l'homme était meilleur ou plus intelligent. Mais il faut qu'il soit extrêmement intelligent pour être à peu près bon. La clef de tous les malheurs des peuples, c'est leur stupidité. Toutes les explications politiques ou économiques ne sont que des ornements littéraires autour de cette stupidité foncière, à peu près incurable et qui ne s'est pas sensiblement amendée depuis les temps historiques. L'humanité ne semble pas menée par la raison, ni même par le sentiment, mais par des forces étrangères et inconnues. Peut-être subit-elle l'influence de certains climats cosmiques, de certaines zones éthériques qu'elle traverse au cours de son voyage dans l'espace et le temps ? Elle n'a en propre que sa stupidité collective qui l'empêche toujours de suivre les avertissements de ceux qui, instinctivement ou intelligemment, entrevoient où ces forces la mènent. »
(M. Maeterlinck)


« Les gouvernants ont plutôt tendance à se distinguer par leur impéritie (c'est-à-dire par leur incompétence dans la profession ou plus souvent dans la fonction qu'ils exercent)... C’est le peuple qui s’asservit, qui se coupe la gorge, qui, ayant le choix ou d’être serf ou d’être libre, quitte la franchise et prend le joug, qui consent à son mal... Plus que la peur de la sanction, c’est d’abord l’habitude qu’a le peuple de la servitude qui explique que la domination du maître perdure. Ensuite viennent la religion et les superstitions. Mais ces deux moyens ne permettent de dominer que les ignorants. Vient le « secret de toute domination » : faire participer les dominés à leur domination... Les théâtres, les jeux, les farces, les spectacles, les gladiateurs, les bêtes curieuses, les médailles, les tableaux et autres drogues de cette espèce étaient pour les anciens peuples les appâts de la servitude, la compensation de leur liberté ravie, les instruments de la tyrannie. »
(E. de la Boétie, Discours de la servitude volontaire ou le Contr'un)


Après le siècle des révolutions « spontanées », la Subversion allait avoir la « chance » inouïe de trouver un « allié » puissant qui allait, jusqu'à aujourd'hui, user du droit d'intervention dans les affaires intérieures des autres pays : au nom d'un nouveau principe de solidarité internationale, celui des états nationalistes et démocratiques s'entraidant à secouer le joug des prétendues tyrannies traditionnelles. Jadis les hommes se sacrifiaient pour ce qu'ils aimaient. Aujourd'hui, rendus « libres » à la faveur de la démocratie, ils sont désormais contraints de se faire tuer au besoin pour le diable en personne ou pour l'intérêt du Capitalisme, ce qui revient au même.
Le Marxisme paraît défendre les travailleurs parce qu'il semble vouloir tout remettre au pouvoir de l'Etat afin d'assurer une meilleure répartition des biens et des fortunes, alors qu'en réalité son but est, en conquérant les masses ouvrières par la ruse, de tout accumuler entre les mains des puissances d'argent, dissimulées et camouflées derrière des partis politiques qu'elles contrôlent, qu'ils soient socialiste ou communiste.
La doctrine du Marxisme rejette le principe aristocratique observé par la nature, et le remplace par la domination du nombre, autrement dit, Le Règne de la Quantité... et les Signes des Temps.


Une autre vue beaucoup plus juste est celle qui se rapporte au rôle de la Maçonnerie au XVIIIe siècle : ses recherches l’ont convaincu (Maurice Favone) qu’elle n’a nullement préparé la Révolution, contrairement à la légende propagé d’abord par les antimaçons, puis par certains Maçons eux-mêmes ; seulement, ce n’est point une raison pour conclure que « la Révolution est l’œuvre du peuple », ce qui est de la plus parfaite invraisemblance ; elle ne s’est certes pas faite toute seule, bien que ce qui l’a faite ne soit pas la Maçonnerie, et nous ne comprenons même pas comment il est possible, à qui réfléchit tant soit peu, d’ajouter foi à la duperie « démocratique » des révolutions spontanées…
Les auteurs, qui dénoncent avec raison des erreurs communes comme celle qui consiste à croire que les révolutions sont des « mouvements spontanés », sont de ceux qui pensent que la déviation moderne, dont ils étudient plus spécialement les étapes au cours du XIXe siècle, doit nécessairement répondre à un « plan » bien arrêté, et conscient tout au moins chez ceux qui dirigent cette « guerre occulte » contre tout ce qui présente un caractère traditionnel, intellectuellement ou socialement. Seulement, quand il s’agit de rechercher des « responsabilités », nous avons bien des réserves à faire ; la chose n’est d’ailleurs pas si simple ni si facile, il faut bien le reconnaître, puisque, par définition même, ce dont il s’agit ne se montre pas au dehors, et que les pseudo dirigeants apparents n’en sont que des instruments plus ou moins inconscients. En tout cas, il y a ici une tendance à exagérer considérablement le rôle attribué aux Juifs, jusqu’à supposer que ce sont eux seuls qui en définitive mènent le monde, et sans faire à leur sujet certaines distinctions nécessaires ; comment ne s’aperçoit-on pas, par exemple, que ceux qui prennent une part active à certains événements ne sont que des Juifs entièrement détachés de leur propre tradition. Il y aurait du reste, pensons-nous, une étude bien curieuse à faire sur les raisons pour lesquelles le Juif, quand il est infidèle à sa tradition, devient plus facilement qu’un autre l’instrument des « influences » qui président à la déviation moderne ; ce serait là, en quelque sorte, l’envers de la « mission des Juifs », et cela pourrait peut-être mener assez loin…
(R. Guénon, Études sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage, tome 1 et 2)


La Franc-Maçonnerie est d’origine hébraïque (les Mystères de Jérusalem), tous les mots de passe sont des vocables hébreux, ses légendes sont tirées de l’histoire du peuple d’Israël. Cependant, Joseph de Maistre, dans « Mémoire au duc de Brunswick » (1782), précise ceci : « Tout annonce que la Franc-Maçonnerie vulgaire est une branche détachée et peut-être corrompue d’une tige ancienne et respectable. ». « C’est bien ainsi qu’il faut envisager la question, confirme René Guénon qui ajoute qu'on a trop souvent le tort de ne penser qu’à la Maçonnerie moderne (ou « Maçonnerie spéculative »), sans réfléchir que celle-ci est simplement le produit d’une déviation, et une dégénérescence au sens d’un amoindrissement consistant dans la négligence et l’oubli de tout ce qui est « réalisation » du point de vue initiatique. Les premiers responsables de cette déchéance, à ce qu’il semble, ce sont les pasteurs protestants, Anderson (1) et Desaguliers, qui rédigèrent les Constitutions de la Grande Loge d’Angleterre, publiées en 1723, et qui firent disparaître tous les anciens documents (Old Charges) de l’ancienne « Maçonnerie opérative » sur lesquels ils purent mettre la main, pour qu’on ne s’aperçût pas des innovations qu’ils introduisaient, et aussi parce que ces documents contenaient des formules qu’ils estimaient fort gênante. Ce travail de déformation, les protestants l’avaient préparé en mettant à profit les quinze années qui s’écoulèrent entre la mort de Christophe Wren, dernier Grand-Maître de la Maçonnerie ancienne (1702), et la fondation de la nouvelle Grande Loge d’Angleterre (1717). (...) Cependant, ils laissèrent subsister le symbolisme, sans se douter que celui-ci, pour quiconque le comprenait, témoignait contre eux aussi éloquemment que les textes écrits, qu’ils n’étaient d’ailleurs pas parvenus à détruire tous, puisqu’on connaît une centaine de manuscrits sur lesquels ils n’avaient pu mettre la main et qui ont échappé à la destruction. Voilà, très brièvement résumé, ce que devraient savoir tous ceux qui veulent combattre efficacement les tendances de la Maçonnerie actuelle, bien qu'il y a eu ultérieurement une autre déviation dans les pays latins, celle-ci dans un sens antireligieux, mais c’est sur la « protestantisation » de la Maçonnerie anglo-saxonne qu’il convient d’insister en premier lieu. ». De plus, René Guénon, dans son ouvrage « Initiation féminine et initiations de métier, Études Traditionnelles », nous fait remarquer que dans la Franc-Maçonnerie moderne, nous trouvons l’existence d'une « Maçonnerie mixte », ou « Co-Masonry », comme elle est appelée dans les pays de langue anglaise, qui représente tout simplement une tentative de transporter, dans le domaine initiatique lui-même qui devrait encore plus que tout autre en être exempt, la conception « égalitaire », si chère au monde moderne et tellement indissociable de la démocratie, qui, se refusant à voir les différences de nature qui existent entre les êtres, en arrive à attribuer aux femmes un rôle proprement masculin, et qui est d’ailleurs manifestement à la racine de tout le pseudo « féminisme » contemporain. Et Robert Ambelain d'ajouter : « Ce nouveau rite allait lancer la FM sur une nouvelle voie... qui tendrait à saper certaines valeurs qui font la dignité de l'homme, par l'athéisme, le matérialisme, le laxisme menant à l'amoralisme désagrégateur. » (La Franc-Maçonnerie oubliée).
(1) « Pour en revenir à Anderson, un journal, en annonçant sa mort en 1739, le qualifia de « très facétieux compagnon », ce qui peut se justifier par le rôle suspect qu’il joua dans le schisme spéculatif et par la façon frauduleuse dont il présenta sa rédaction des nouvelles Constitutions comme conforme aux documents « extraits des anciennes archives » ; A. E, Waite a écrit de lui qu’« il était surtout très apte à gâter tout ce qu’il touchait » ; mais sait-on que, à la suite de ces événements, certaines Loges opératives allèrent jusqu’à prendre la décision de n’admettre désormais aucune personne portant le nom d’Anderson ? Quand on songe que c’est là l’homme dont tant de Maçons actuels se plaisent à invoquer constamment l’autorité, le considérant presque comme le véritable fondateur de la Maçonnerie, ou prenant tout au moins pour d’authentiques landmarks tous les articles de ses Constitutions, on ne peut s’empêcher de trouver que cela n’est pas dépourvu d’une certaine ironie… » 
(R. Guénon, Études sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage, tome 2)


« L'action antitraditionnelle devait nécessairement viser à la fois à changer la mentalité générale et à détruire toutes les institutions traditionnelles en occident, puisque c'est là qu'elle s'est exercée tout d'abord et directement, en attendant de pouvoir chercher à s'étendre ensuite au monde entier par le moyen des Occidentaux ainsi préparés à devenir ses instruments. Ce travail, évidemment, ne pouvait être opéré d'un seul coup, quoique ce qu'il y a peut-être de plus étonnant soit la rapidité avec laquelle les Occidentaux ont pu être amenés à oublier tout ce qui, chez eux, avait été lié à l'existence d'une civilisation traditionnelle. »
(René Guénon, Le Règne de la Quantité et les Signes des Temps)


« Nous vivons des années d’obscuration accélérée de tous les principes spirituels qui ont, jusqu’à ce jour, soutenu la substance du monde ; ce monde va bientôt s’écrouler… l’incompréhension des hommes en face de l’expression humaine du sacré est bien le signe le plus marquant de la proximité de la fin des temps. Pourquoi vous en affliger ? Ce qui EST doit être, et toutes choses concourent à leur fin. La décadence apparente de toutes les organisations initiatiques n’est que l’effet de la corruption des hommes, de plus en plus éloignés du Principe. C’est au sein des organisations initiatiques, en dépit de leurs déviations et de leur altération, que se retrouveront les derniers témoins de l’Esprit, ceux par qui la Lettre sera conservée et transmise aux adeptes qui recevront la charge de la faire connaître aux hommes d’un autre cycle. C’est aussi pourquoi nous ne devons pas désespérer. »
(M. Lepage)



« SPERO »



« Les méchants font leur métier en faisant le mal mais les honnêtes gens ont si peu de courage, de tenue qu'ils deviennent souvent aussi dangereux. Ils prêtent le flanc à toutes sortes d'intrigues, ils se laissent pénétrer, ils sont toujours disposés à des concessions qui demain leur en feront arracher d'autres. »
(Extrait de l'une des dernières lettres de Marie-Antoinette, Reine de France)
Pour toi, France, un dauphin doit naître ;
Une princesse vient pour en être témoin.
Lorsque l'on voit une Grâce paraître,
Croyez que l'Amour n'est pas loin.


Chacun des grands moments de l'histoire, quand le monde change de figure, est marqué par un procès et toujours, chose étrange, par un procès truqué, où l'immolation du condamné expie l'indignité des juges et des bourreaux. La Passion du « Christ » en est l'archétype éternel, comme cela le sera plus tard, dans une moindre mesure, pour les Templiers, Jeanne d'Arc, Marie-Antoinette, etc., etc..



ORIGINE DU FÉMINISME EN EUROPE
C'est par les Femmes que l'œuvre de rénovation sociale s'accomplit au XVIIIème siècle ; cette œuvre prit un élan extraordinaire et se manifesta dans tous les pays à la fois.
- En Angleterre, Mary Astell, qui mourut en 1731, fut le véritable pionnier du mouvement féministe anglais. Elle publia un livre intitulé Sérieuses propositions dédiées aux femmes pour l'avancement de leurs vrais et plus grands intérêts.
Elle réclamait des droits égaux à ceux des hommes, comme toutes les Anglaises.
- En Suède, Mme Anna-Charlotte Leffler fut un des écrivains les plus en vue de l'école réaliste suédoise ; elle dit que pour elle « la féministe est une révoltée », comme, du reste, tous les êtres bons, généreux et nobles, hommes ou femmes, sont des révoltés. Ils poursuivent le développement intégral de leur individualité, ils veulent être eux-mêmes, et non des personnages conventionnels, façonnés d'après des formules. Elle développa cette thèse dans des comédies : Vraies femmes, Bonheur de famille, Tante Malvina ; dans toutes le même sujet revient : le combat des révoltés contre la convention et le mensonge du monde, contre la corruption des soutiens de la vieille société.
- En France, une femme extraordinaire, Marie-Pauline de Lezardière, publia un livre qui ouvrit une voie nouvelle aux études historiques. Pour nous expliquer qui elle fut, nous laissons la parole à Mme Marie de Sédière, qui, dans La Chevauchée (Revue mensuelle, 15 décembre 1902, p. 637), dit ceci :
« Les érudits, les fouilleurs d'archives et de grimoires, découvrent à chaque pas des œuvres émanées d'une plume de femme et dont la signature d'homme a rapporté l'honneur à leur sexe. Je cite au hasard cette amie de Malesherbes et de Necker, Marie-Pauline de Lezardière, née au château de Verrie en pays vendéen. Son œuvre considérable, intitulée Législation politique de la Monarchie française, devait compléter l'Esprit des Lois de Montesquieu, y remplir cette lacune déplorée par les lettrés, chercheurs des traditions historiques. C'est-à-dire que cet ouvrage avait pour but de découvrir la véritable loi de la Monarchie française succédant aux périodes gauloise et romaine.
« Les bouleversements révolutionnaires anéantirent la première édition de cette œuvre anonyme ; en 1844, elle reparut dans les lettres françaises sous le titre de Théorie des lois politiques de la Monarchie française. L'honneur en revint à MM. Guizot et Villemain, sous les auspices desquels cette publication en fut faite. Ouvrage profondément pensé, s'appuyant sur des textes originaux, fragments latins accompagnés de versions françaises, de preuves puisées aux meilleures sources législatives. Travail considérable qui ne rapporta aucune gloire à cette femme érudite, qui l'avait conçu et exécuté. Pour accomplir cette œuvre, la jeune Vendéenne dut surmonter l'opposition violente de toute sa famille. Celle-ci ne voyait qu'une bizarrerie presque déshonorante dans ce goût anormal d'études législatives. Pour ménager ces inconcevables susceptibilités, la jeune fille dut abandonner toute revendication de son œuvre. Sous une signature anonyme, elle publia un des plus importants ouvrages historiques qui aient été imprimés. ».



RÉVOLUTION FRANÇAISE - RÉSURRECTION DE LA FEMME
La Révolution française est due à la résurrection de la Femme.
C'est son esprit émancipé qui jeta dans le monde les grandes idées de Liberté et de Justice. C'est elle qui fit un retour vers la Nature, inspira à l'homme l'idée d'en étudier les lois et l'aida dans cette étude. C'est elle qui jeta la première le cri de liberté, l'amour de la liberté étant le plus fort de tous ses instincts : pour elle il renferme tout, il signifie : Bonheur, Justice, Progrès, Lumière, Amour. Dès que les Femmes s'aperçurent qu'une issue était possible pour sortir de leur servitude, elles travaillèrent avec ardeur à conquérir ce bienfait immense. Il y eut des héroïnes et des martyrs.
C'est alors que Condorcet, dans son admirable aperçu des Progrès de l'Esprit humain, déclara nettement l'égalité des deux sexes et affirma que de la reconnaissance de cette égalité dépend le perfectionnement social.
Donc, les femmes entraînaient les hommes. Chaque pas que l'on faisait pour sortir de la domination de l'Église était un pas fait vers l'avènement de la Femme.
Les prêtres eux-mêmes élevaient la Femme symbolique parmi eux, et Clément XI, en 1708, fit de la fête de l'Immaculée Conception une fête obligatoire. Saint Alphonse de Liguori, dans son livre Les Gloires de Marie, chanta la Femme et contribua beaucoup à gagner des partisans à la doctrine de l'Immaculée Conception, doctrine qui semble absurde dans la forme d'exception que lui donnent les Catholiques, et qui a cependant un sens profond caché sous le symbole, et s'appliquant à toutes les femmes.
La Nature reprenait ses droits, et saint François de Sales apprenait à Mme de Chantal que par des amourettes même on peut s'élever jusqu'à la vie dévote. Donc ce prêtre, qui condamnait l'amour, y revenait cependant sans savoir pourquoi et en faisait le fond même de la religion. Le besoin d'adorer le Principe féminin est si fort chez l'homme que les révolutionnaires qui voulaient renverser la Religion n'ont trouvé à lui substituer que la Raison représentée par une Femme. Ce fut Melle Maillard qui joua ce rôle, dans lequel on ne sut pas mettre toute la grandeur que cette idée comportait.
Le mouvement féminin du XVIIIème siècle fut représenté sur les trônes, dans les salons, dans la bourgeoisie, dans le peuple.
La Femme s'éveilla partout à la fois.
Depuis la Renaissance, ne voyons-nous pas la grande Elisabeth d'Angleterre, de qui date la prospérité de l'Angleterre ?
- En Espagne, la Reine Isabelle, qui protégea Christophe Colomb.
- En Autriche, Marie-Thérèse, qui savait entraîner les Margraves de Hongrie.
- L'empire de Russie doit sa civilisation à quatre femmes qui y règnent avec éclat.
La France ne voulut pas de Reine. Elle paya cette impiété par la Révolution qui, elle, ne voulut plus de rois.
Descendant des trônes, le mouvement se propagea dans la haute société, et c'est dans les salons que vont naître les idées d'indépendance et de progrès. Les femmes de cette époque brillent dans les sciences ; à côté des étoiles de première grandeur auxquelles il faut consacrer des pages spéciales, que de satellites oubliés !
C'est la marquise de Fonseca, une naturaliste qui travaillait avec Spallanzani, et qui fut pendue a 30 ans à Naples en 1799.
Elle était du parti français à la suite de la République parthénopéenne, et fut condamnée à mort malgré un traité formel.
C'est Lady Montagu, femme d'un ambassadeur anglais, qui vécut longtemps sur les rives du Bosphore et profita de sa situation privilégiée de femme de diplomate pour étudier les mœurs et nous les décrire dans une relation traduite en 1805.
C'est elle qui rapporta en France le vaccin, dont les hommes firent gloire à Jenner qui sut exploiter à son profit l'Idée d'une femme.
En même temps, un mouvement populaire se produisit. Le 5 octobre 1789, les femmes se massèrent sur la place Louis XV ; elles ne réclamaient ni émancipation, ni droits politiques, elles demandaient du pain. Théroigne de Méricourt, l'illustre Liégeoise, les entraînait, Maillard les conduisait.
Le 25 octobre, les femmes de Paris adressèrent à l'Assemblée Nationale une motion dans laquelle elles demandaient l'égalité des deux sexes, l'accès aux places et emplois qui sont à leur portée.
Une autre, Marie Wollstonecraft, publia, en 1791, un ouvrage intitulé Revendication des droits de la femme.
C'était une réfutation des doctrines de Rousseau, un livre à tendances religieuses, comme le sont souvent les œuvres féminines, c'est-à-dire qu'elle envisageait la question des devoirs et des responsabilités de la vie familiale. Ce n'est pas sur l'homme que l'auteur conseille aux femmes de prendre du pouvoir, c'est sur elles-mêmes ; elle veut qu'elles soient « un pouvoir bienfaisant ». Bravo, Madame, voilà la vraie formule du rôle de la femme.
Dans un autre de ses livres, intitulé : Le Legs du Docteur Gregory à ses filles et le Sermon du docteur James F..., elle donne aux femmes des conseils qui semblent bizarres ; elle dit que la dissimulation est la plus indispensable des vertus féminines. « Si les femmes possèdent quelque intelligence, qu'elles se gardent de la faire paraître, surtout aux yeux des hommes, qui, généralement, n'ont que des regards malveillants et jaloux pour toute femme bien douée et d'esprit cultivé. »
Elle dit encore :
« Un esprit cultivé et un cœur sensible pourront toujours se passer des règles empesées du décorum... Ayez le cœur pur, donnez de la pâture au cerveau, et je me permets d'affirmer qu'il n'y aura rien à reprendre dans votre conduite. »
« Un droit comprend toujours un devoir », telle est sa devise. Elle réclame pour les femmes une plus grande liberté, une plus complète éducation de leurs facultés, afin qu'elles puissent mieux accomplir leurs fonctions naturelles. Elle demande aussi pour les femmes l'exercice de la profession médicale.
Cette dame prit part aux mêmes luttes que Mme Roland, Théroigne de Méricourt, Olympe de Gouges, Rose Lacombe, la comtesse de Lamotte-Valois, Mlle d'Orbe, Sophie Lapierre, la marquise de Fontenoy et la Hollandaise Palm-Aelder, pendant les premières manifestations de la tourmente révolutionnaire.


LE MOUVEMENT EN ITALIE
Marie Agnesi (1718 - 1799)
C'est à Milan, d'une famille noble, que naquit Marie-Gaétane Agnesi. Son père aimait les sciences, il était riche et intelligent. Il se maria trois fois et eut 23 enfants, parmi lesquels deux filles qui s'illustrèrent ; la sœur de celle dont nous allons parler, Marie-Thérèse Agnesi, fut une musicienne qui composa trois opéras.
Marie Agnesi commença par étudier les langues, elle apprit le latin, l'hébreu, l'allemand, l'espagnol, le grec, le français ; c'est ce qui lui valut d'être appelée l'oracle des sept langues. Elle récitait tous les soirs l'office de la Vierge en grec, et, à l'âge de cinq ans, un Français lui fit ce compliment : « Une nymphe ne parle pas sur les bords de la Seine d'une manière plus douce. »
Nous empruntons ces détails à M. Rebière (Les Femmes dans la science)
A dix-neuf ans, Marie Agnesi avait soutenu dans son salon 191 thèses philosophiques. Le recueil en a été imprimé à Milan chez Malatesta et réimprimé à Padoue.
Un misogyne du temps, le comte Robbio de Saint-Raphaël, publia sous le couvert de l'anonyme un pamphlet contre les femmes intitulé Disgrâce d'Uranie. Mais, faisant exception pour Marie Agnesi, il lui adresse un magnifique éloge.
De Brosses, dans ses Lettres d'Italie, parle aussi d'elle et nous donne des détails sur son salon. Il dit :
« Je veux vous faire part, mon cher Président, d'une espèce de phénomène littéraire dont je viens d'être témoin et qui m'a paru una cosa più stupenda que le dôme de Milan, et en même temps j'ai manqué d'être pris sans vert. Je reviens de chez la Signora Agnesi, où je vous avais dit hier que je devais aller. On m'a fait entrer dans un grand et bel appartement où j'ai trouvé trente personnes de toutes les nations de l'Europe, rangées en cercle, et Mlle Agnesi assise seule avec sa petite sœur, sur un canapé. C'est une fille de 18 à 20 ans, ni laide ni jolie, qui a l'air fort simple et fort doux. On a d'abord apporté force eau glacée, ce qui m'a paru de bon augure. Je m'attendais, allant là, que ce n'était que pour converser tout ordinairement avec cette demoiselle ; au lieu de cela, le comte Belloni, qui m'y amenait, a voulu faire une espèce d'action publique ; il a débuté par adresser à cette jeune fille une belle harangue en latin, pour être compris par tout le monde. Elle lui a répondu fort bien ; après quoi, ils se sont mis à disputer dans la même langue sur l'origine des fontaines et sur les causes du flux et reflux que quelques-unes ont comme la mer. Elle a parlé comme un ange sur cette matière ; je n'ai rien ouï là-dessus qui m'ait plus satisfait. Cela fait, le comte Belloni m'a prié de disserter de même avec elle sur quelque sujet qui me plairait, pourvu que ce fût sur un sujet philosophique ou mathématique. J'ai été fort stupéfait de voir qu'il me fallait haranguer impromptu et parler dans une langue dont j'ai si peu l'usage. Cependant, vaille que vaille, je lui ai fait un beau compliment ; puis nous avons d'abord disputé sur la manière dont l'âme peut être frappée des objets corporels et les communiquer aux organes du cerveau ; et ensuite sur l'émanation de la lumière et sur les couleurs primitives. Loppin a disserté avec elle sur la transparence des corps et sur les propriétés de certaines courbes géométriques, où je n'ai rien entendu... »
Voilà donc une jeune fille qui reprend le rôle de la Femme primitive, le rôle divin, et dont la parole vivifiante étonne et charme les hommes comme le Logos antique, cette parole de la Femme primitive, que rien alors n'entravait dans sa libre expression.
Voilà le commencement de la résurrection du Logos.


LE MOUVEMENT EN RUSSIE
CATHERINE II (1729 - 1796)
La Russie était tombée dans un état lamentable quand apparut la grande Catherine II, qui fut pour son pays une sorte de Providence vivante, une rénovatrice de la vie intellectuelle, morale, matérielle.
A ce moment, le pays était livré à l'ignorance, au luxe, à la grossièreté. Cela faisait une société où le désordre allait de pair avec le pouvoir.
Il fallut une femme pour arranger tout cela.
Catherine fut d'abord une femme malheureuse ; c'est cela qui la grandit et lui donna la connaissance de la nature humaine. « Mes deux maîtres, disait-elle, furent l'isolement et l'adversité. » Pendant 18 ans, elle vécut ainsi, isolée et désolée. Abandonnée de son époux Pierre III, qui passait ses journées à jouer avec des poupées et des soldats, et ses nuits dans des orgies immondes, Catherine fut à bonne école pour étudier l'homme. N'étant encore que fiancé, ce prince absurde et cynique se plaisait à entretenir la jeune fille qui allait devenir sa femme, de ses maîtresses et de ses intrigues amoureuses.
C'est pendant que son mari s'amusait, que Catherine employait son temps à étudier la Russie, cette nouvelle patrie sur laquelle elle, princesse allemande, allait régner. Elle lisait, étudiait, cherchait, se rendait compte de toutes choses ; c'était le temps des idées nouvelles, elle connaissait les œuvres de Montesquieu, de Bayle, de Voltaire, de Rousseau, et s'assimilait l'esprit du siècle, qui du reste était le sien. Elle s'appliqua très sérieusement à devenir une grande souveraine, et ses efforts furent couronnés par l'attachement profond que le peuple russe lui témoigna pendant les 34 années de son règne. La Russie tout entière l'appelait sa « Mère ». Ce fut une véritable restauration du régime féminin.
Dans des notes qu'elle laissa et qu'elle écrivait dans sa solitude, on trouve ces phrases :
« Dieu m'est témoin que je ne souhaite que le bien du pays où sa volonté m'a appelée à régner. La gloire de la Russie est ma gloire. C'est mon principe. Je veux ce but général ; rendre tout le monde heureux.
« La liberté est l'âme de tout ; sans elle, tout est mort. La liberté politique anime tout.
« Pour un souverain qui veut être aimé et veut régner avec gloire, un pouvoir dépouillé de la confiance de son peuple ne signifie rien. Cette confiance est facilement atteinte par le vouloir du bien public et par la justice.
« La paix est indispensable pour un grand empire comme la Russie. Nous avons besoin d'accroître la population, non pas de la diminuer. Ceci pour la politique intérieure ; pour l'extérieur, la paix nous assure plus de grandeur que les hasards d'une guerre toujours ruineuse.
« Réunir la mer Caspienne à la mer Noire et la mer Baltique à la mer du Nord, et diriger par là tout le commerce indo-chinois, aurait pour résultat d'élever la Russie à un degré de puissance supérieur à celui des autres puissances.
« Qu'est-ce qui pourrait s'opposer au pouvoir sans limite d'un souverain gouvernant un peuple de guerriers ? » (Bilfacoff, Catherine II, p. 246).
Catherine II estimait que le gouvernement des peuples est soumis comme celui des individus à des règles fixes, et c'est l'évolution sociale qu'elle s'efforçait d'étudier, cherchant à réaliser dans les limites de son pouvoir les rêves de justice et de progrès des philosophes de son temps.
C'est dans le but de faire des réformes qu'elle convoqua à Moscou, en 1767, des députés de toutes les parties de la Russie ; ils furent 545, à qui elle proposa l'examen d'un projet grandiose de réformes sociales. Elle se faisait l'illusion de croire que tous ces hommes allaient d'emblée comprendre ses idées généreuses. C'est dans son célèbre Nakaze, qu'elle leur présenta, que l'esprit de Catherine II se révéla surtout.
Ce travail comprenait 655 paragraphes, entièrement composés par l'Impératrice qui y mit toute sa sagesse, toute la force de sa pensée, se faisant législatrice sans consulter aucun homme, ne voulant même pas connaître leur opinion pendant qu'elle travaillait, de peur d'en être impressionnée. Elle disait : « Il s'agit de passer un seul fil et de s'y tenir fermement. »
Naturellement, son entourage la critiquait, les députés devant elle furent confus et indécis, mais elle eut le courage de persévérer dans sa grande entreprise, elle ordonna aux députés d'examiner ce Nakaze et leur demanda de lui faire connaître les besoins du peuple dans chaque province qu'ils représentaient. Le Nakaze fut appelé « le Grand Édit ». Leurs exposés furent appelés « Petit Édit ».
Les travaux commencèrent par la lecture du « Grand Édit ». Les députés furent littéralement transportés, d'enthousiasme par le clair bon sens de l'Impératrice. Habitués à l'assujettissement servile, attachés eux-mêmes à l'ancien ordre de choses, ils recevaient du pouvoir suprême un exemple unique dans l'histoire de la Russie. Contrairement à tous les anciens usages, on les appelait « citoyens ». On les engageait à rendre compte de toutes choses cachées sous des apparences trompeuses et mensongères. Ainsi, le pouvoir suprême proposait à l'examen la conception d'un principe souverain de justice ordonnatrice ! Cette conception, offerte à des hommes ignorants, demeura obscure dans la plupart des esprits, qui ne comprirent pas les principes du Nakaze, tels que ceux-ci :
« L'égalité de droit est dans l'égalité de lois pour tous les citoyens indistinctement.
« Faites que les gens craignent les lois et ne craignent personne, excepté elles.
« La liberté consiste dans la possibilité pour chacun d'agir selon ses facultés, sans se voir obligé à faire ce qui leur est contraire.
« Nul ne doit porter condamnation pour ses paroles. Les paroles ne sont pas des actes qui souffrent châtiment. Parfois le silence exprime plus que la parole.
« La défense ou la poursuite de certain culte est un mal pour la paix et le repos des citoyens.
« C'est un grand malheur de ne pouvoir dire librement son opinion sous certains gouvernements. »
Ces idées nouvelles étaient trop élevées pour être appréciées de l'esprit public qui régnait alors en Russie, et qui instinctivement les repoussait. Cependant, les députés furent vivement impressionnés en entendant les dernières phrases du Nakaze :
« Tout cela n'est pas fait pour plaire aux flatteurs qui, possesseurs des biens terrestres, croient que le peuple est fait pour eux, alors que nous croyons et mettons notre gloire à croire que c'est nous qui sommes faits pour notre peuple ; en raison de quoi nous sommes obligés de dire les choses comme elles devraient être. Que Dieu nous préserve, après les travaux de ce Code, qu'il y ait un peuple plus équitable, et par conséquent plus heureux : l'intention de nos lois ne serait pas accomplie. Je souhaite de ne pas voir ce malheur. »
Ces idées réformatrices étaient l'expression de la pensée féminine, enfin libre de se manifester ; c'était une brillante résurrection de la Justice et du Droit planant par-dessus les institutions existantes, reniant implicitement le despotisme des mœurs de la Russie moscovite, reniant les édits tyranniques de Pierre le Grand, et entrant d'emblée dans une période humanitaire jusque là inconnue dans les États masculins.
Catherine, en femme supérieure, comprenait la raison d'être du Pouvoir, et le représentait comme une autorité morale exerçant une action providentielle pour le bien de tous.
« Où est la raison du gouvernement autocratique ? Non celle d'ôter aux hommes leur liberté naturelle, mais celle de diriger leurs actes vers la plus grande part du bien. Par conséquent, le meilleur des gouvernements est celui qui est le plus en rapport avec la raison qu'on doit supposer aux êtres pensants pour la fin que tout gouvernement doit poursuivre sans relâche. La raison et la fin de l'autocratie, c'est la gloire des citoyens, du pays et du souverain. De cette gloire découlent pour les peuples l'unité de pouvoir, la liberté raisonnable pouvant produire pour les peuples, par le gouvernement autocratique, autant de bien que la liberté. »
Elle comprenait le rôle des souverains autrement que les hommes. « Si chacun remplissait son devoir, disait-elle, on n'aurait eu besoin ni de souverain, ni de gouvernants. »
Ces idées sont celles des théoriciens de l'anarchie ; son Nakaze, écrit depuis plus de 250 ans, ne serait pas renié par eux ; ses principes, appelés les Lois de la Justice, sont de tous les temps, parce qu'ils ont toujours été l'expression de la pensée féminine, mais il fallait qu'une Femme, par sa haute situation, fût à même de les proclamer et de les faire écouter. Catherine II eut cette gloire ; elle ne fut pas un souverain ordinaire, occupant un trône, elle gouverna réellement la Russie. Et ce gouvernement supérieur sembla aux hommes politiques de ce temps un événement presque miraculeux. Le comte Minich, un des personnages les plus considérables du XVIIIème siècle, disait en 1765 : « Le gouvernement russe a cette supériorité sur tous les autres, il est régi par Dieu lui-même ; autrement, on ne saurait s'expliquer comment il se soutient. »
Voilà la puissance féminine rendue à sa première forme : la Divinité, la Dêva régnant sur les hommes.
Le prince Souvaroff, admirant ce résultat, disait à ce propos : « De la chance une fois, deux fois, à la fin il faut du savoir. »
La Russie n'eut jamais de jours plus glorieux que ceux pendant lesquels elle fut régie par une femme. Et, si ses grands projets n'aboutirent pas à une réforme complète dans la forme du gouvernement, c'est parce que les hommes qui l'entouraient, sur lesquels forcément elle devait s'appuyer, avaient des opinions contradictoires qui entravaient ses vues ; les 545 députés réunis à Moscou apportèrent à cette mémorable réunion leur scepticisme autant que leur bon vouloir. Elle les appelait pour fonder le « Bien » de l'Empire, elle leur disait : « Instruisez-moi de vos nécessités. Communiquez-moi vos sujets de plainte. Quels sont vos maux ? Je n'ai nul système préconçu, je ne veux que le bien général, qui est du même coup le mien propre. Travaillez, réunissez les matériaux, édictez des lois, sachez ce que vous voulez. » Et, successivement, les opinions se manifestaient, chacun exposant ses idées, ses méthodes, ses principes. De tout cela sortirent, cependant, des réformes importantes. Les députés ouvrirent le débat sur les conséquences du Nakase. Leurs vues étaient étroites, alors que l'idéal politique de l'Édit était d'une ampleur qui dépassait leur portée et se rapprochait des principes de la Convention. La théorie de l'équilibre économique de l'Impératrice se rapprochait de celle des socialistes au point de vue du sacrifice de l'individu à l'État.
Les réformes proposées furent diversement acceptées par les députés, et, si quelques-unes n'aboutirent pas, c'est à eux qu'il faut s'en prendre et non à elle.
Cependant, le Comité législatif des députés s'occupa de rédiger de nouvelles ordonnances (Oulogénie, prolongement du Nakase), en vertu de cette tendance qu'ont les hommes d'imiter ce que font les femmes après les avoir critiquées, et de prétendre faire mieux. Ils y travaillèrent pendant deux ans sans aboutir, et furent interrompus, du reste, par ce cri jeté sur les frontières de la Turquie : « La Patrie est en danger ». On était en 1768 et la guerre se faisait menaçante. Les députés, presque tous militaires, se rangèrent sous les drapeaux, et le Comité fut provisoirement dissous. Une sous-commission continua ses travaux et prépara la mise en œuvre de quelques-unes des mesures juridiques et administratives de l'Impératrice, celles par exemple qui concernaient l'administration des gouvernements (des provinces), le faire-part à toutes les villes de Russie, les lois sur le sel, sur la navigation, la transformation de l'usine d'armement de Toula, l'amélioration des voies de communication, etc., etc.
Catherine II fut une novatrice qui voulait équilibrer ses réformes et les mettre en rapport avec les nécessités du pays. Son décret fut appelé la « Bulle d'or » de la Russie. C'est que l'esprit du Nakaze était la justice raisonnée pour résoudre le problème social d'une manière directe. Quel but immense ! Et quelle résolution, quelle audace ! Seule des souverains russes, elle arriva au pouvoir avec un programme précis qui représentait la pensée des plus grands esprits du siècle. La valeur de cet acte apparaît comme un trait de génie à ses contemporains, comme à la postérité. Il ne dépendit pas d'elle de réaliser les idées émises dans le décret, mais des représentants des classes privilégiées, peu préparés à comprendre les idées d'égalité et de justice.
L'Impératrice adapta son outillage gouvernemental aux conditions de son siècle. Sa pensée exerça une influence immense sur une génération qui produisit des grands hommes faits à son image. En faisant appel à la raison, à la solidarité des forces sociales, elle lia sa politique au progrès, aux intérêts de tous, tout en affirmant le principe d'autorité qu'elle représentait, le pouvoir absolu, qu'elle incarnait et qui n'avait de limite que dans l'action entravante de ses auxiliaires, elle reconnut un pouvoir propre à une assemblée de délégués, et sut ainsi imposer le respect pour l'opinion des autres.
C'est pour respecter elle-même l'opinion des autres qu'elle sacrifia ses idées sur l'émancipation des serfs et l'abolition de l'esclavage.
Dans la première rédaction du Nakaze se trouvait un paragraphe « sur la nécessité de libérer les serfs ». L'opinion générale y fut si défavorable que l'Impératrice se vit forcée de le supprimer de la rédaction définitive de son décret, sacrifiant son opinion personnelle qu'elle avait soutenue déjà n'étant encore que Grande-Duchesse.
Voici comment elle avait d'abord formulé ce paragraphe : « Il aurait fallu établir, disait-elle, que dorénavant, après l'achat d'une propriété par un nouveau possesseur, tous les serfs soient libérés à partir de ce moment. Comme, dans le courant d'une centaine d'années, les terres changent de propriétaire, cent ans suffiraient pour la libération de tous les paysans. » Plus tard, quand l'expérience lui fit constater ce que les formes d'État renferment de survivances, de rétrogradation, elle se préoccupa surtout des relations de justice entre le maître et le serf. Ayant ainsi appris que le Sénat avait ordonné l'extermination de tout un village pour cause de meurtre d'un propriétaire, l'Impératrice écrivit au-gouverneur général : « Une mesure comme le massacre de tout un village pour venger la mort d'un propriétaire, prophétise des désordres plus grands encore. La situation des serfs est critique, des mesures de paix et d'humanité peuvent seules assurer le repos. »
Le Nakaze fut, selon ses propres paroles, changé, transformé, dans le but d'unifier les lois avec les faits dus à l'expérience. L'Impératrice avait écrit son Décret dans le but de le faire lire au plus grand nombre possible de personnes. Le Sénat en jugea autrement ; ces hommes eurent peur des idées libérales de leur souveraine, ils limitèrent le nombre d'exemplaires à expédier dans toute la Russie à 57, envoyés aux établissements les plus importants, pour être consultés à titre de renseignements, mais avec défense absolue de les donner en main aux fonctionnaires, non seulement pour être copiés, mais même pour être lus. Et voilà comment l'action, bienfaisante de la Femme est toujours entravée par la volonté réactionnaire de l'homme, même quand cette femme est une souveraine. Quelle leçon !
Malgré tout, le Nakaze eut un résultat considérable, et, si le règne de Catherine sembla finir moins libéralement qu'il n'avait commencé, c'est qu'elle se vit forcée de sacrifier ses impulsions féminines au courant du despotisme masculin qui régnait malgré elle par la force de l'habitude et des traditions. C'est pour cela que les évolutions sont lentes ; chaque effort de la Femme est suivi d'une réaction de l'homme, et c'est toujours à recommencer.
Cependant, elle accomplit de grandes choses. En voici un exemple :
En 1778, quand les États-Unis s'armaient contre la métropole, sous prétexte de guerre, les bateaux marchands d'Arkangelsk étaient poursuivis par les croiseurs américains et anglais. L'Impératrice s'en plaignit vertement à l'ambassadeur d'Angleterre, qui essayait de la tranquilliser : « Vous paralysez notre commerce, vous arrêtez notre navigation ; je donne à cela une grande importance. Le commerce est né de mes soins, et vous ne comprenez pas que je me fâche ! » D'autre part, l'Impératrice écrivait : « Savez-vous le mal que me font ces croiseurs ? Ils se saisissent des bateaux de commerce partant d'Arkangelsk. Ils se livrent à ce beau métier en juillet et en août, mais, ma parole, le premier qui touchera au commerce d'Arkangelsk aura à s'en repentir cruellement. Je ne suis pas Georges III, et on ne peut pas me mener par le nez comme on l'entend ».
Tout ceci se passait en 1779, et, le 28 février 1780, la célèbre « Déclaration des lois de neutralité pour le commerce » était signée.
Le Danemark, la Suède, l'Autriche, la Prusse, le Portugal, le royaume des Deux-Siciles, approuvèrent ce traité de Justice supérieure imposé à l'Europe par la conscience droite d'une Femme, et l'Angleterre dut céder et retirer les instructions secrètes par lesquelles elle soutenait le brigandage des mers.
Cette « Déclaration de la neutralité du commerce », ce « miracle », selon l'expression de Frédéric II, est entièrement l'œuvre de la grande Catherine. Elle représente le « régime du Droit » fondé sur la Justice, qui émane spontanément de l'esprit féminin, et qui est le secret du bonheur social. Ce principe de droit, est en opposition absolue avec le régime injuste basé sur l'arbitraire de l'homme.
L'esprit de reconnaissance qui anima le peuple russe prouve combien les victimes du despotisme avaient fondé d'espoir sur le gouvernement d'une Femme, et, s'ils ne furent pas entièrement soulagés par elle, c'est que cela ne fut pas en son pouvoir. Elle voulut plus de bien pour la Russie qu'elle ne put lui en faire. Catherine mettait les réformes intérieures au-dessus des succès extérieurs.
Ce tableau, fait en 1781 par le célèbre Bezky, le prouve.
Dans le cours de ces derniers dix-neuf ans :
23 gouvernements organisés d'après les nouvelles ordonnances.
144 villes fondées et réorganisées.
30 conventions et armistices.
78 lois et édits publiés.
88 lois et mesures prises pour l'allégement du peuple.
Cela fait un total de 384 affaires intérieures.
On ne compte dans le même temps que 108 affaires extérieures.
Les conclusions à tirer de ce glorieux règne d'une femme, c'est que, quand la femme peut exercer son autorité, elle le fait dans l'intérêt des autres, dans l'intérêt général, c'est qu'elle cherche à faire régner la Justice, à faire respecter le droit, à augmenter le bien-être, à supprimer les charges. Avec ces grandes femmes ainsi que celles plus contemporaines, nous voyons renaître la Justice féminine qui régna dans les premiers temps de l'histoire, et fut la base du matriarcat ; c'est l'impulsion donnée par ces grandes femmes d'État qui créa le courant nouveau des idées que des hommes arrivent enfin à comprendre et à accepter, se croyant une avant-garde quand ils ne font que suivre une pensée féminine émise depuis plus de deux siècles. Mais peu importe si l'idée fait son chemin, puisque du reste la femme ne peut rien sans le concours de l'homme. Mais combien il est lent dans l'œuvre du progrès !...
Catherine II mourut en 1796. C'est elle qui démembra la Pologne trois fois, qui acheta la Crimée, développa la civilisation en Russie, et introduisit dans le code russe des lois libérales pour les femmes.
Catherine II continua les desseins de Pierre le Grand, possédant aussi bien que cet empereur le sens des intérêts slaves imposant ses propres vues à tous ses ministres, joutant avec une aisance incomparable contre les plus rusés diplomates de l'Angleterre, justifiant enfin ce mot de Frédéric II : « La Russie, avant la fin du siècle, fera trembler l'Europe. ».

LES FEMMES DE LA RÉVOLUTION
C'est dans les salons philosophiques que commença, le mouvement, qui ne fut, en somme, que l'écho des idées émises par les Femmes. Elles jettent le grand cri de liberté, voulant la libération de leur sexe, asservi depuis le Christianisme ; les hommes répètent leurs mots, leurs phrases, leurs formules, sans en comprendre le sens profond ; elles réclament leurs droits, les hommes alors les réclament aussi, et, chose étrange, dans cette société où l’homme est tout et la Femme rien, nous voyons des révolutionnaires, appliquant à leur sexe les aspirations féminines, demander « les Droits de l'homme », parce qu'ils ont entendu dans les salons des dames demander les droits de la Femme !
Les hommes demandent leurs droits alors qu'ils les ont tous, alors que, pendant tout le Moyen Age et même la Renaissance, ils ont vécu en despotes, dépassant de beaucoup leurs « droits ».
Les Femmes initiatrices de l'idée furent : la princesse d'Hénin, la maréchale de Luxembourg, Mme de Bouillon, Mme Geoffrin, Mme Helvetius, la marquise de Condorcet, Mme Necker, Mme Roland, Mme Tallien, Mme Simon, Mme Candeilh, Mme de Tencin, Mme d'Houdetot, Mme d'Épinay, Mme du Châtelet, Melle de Lespinasse, Théroigne de Méricourt, et tant d'autres qui furent les amies des philosophes, véritables hétaïres modernes, qui continuèrent l'œuvre des « sorcières » et jetèrent dans le cerveau des hommes toutes les idées qui firent éclore la Révolution.
Les unes étaient érudites et lisaient le grec à livre ouvert, d'autres furent des savantes qui élargissaient le champ des connaissances humaines, il y eut des philosophes et des psychologues, des physiciennes et des naturalistes, toutes étaient charmantes et, par le charme de leur conversation, stimulaient l'esprit masculin.




Madame Manon ROLAND (1754 - 1793)
C'est cette grande femme qui a joué dans la Révolution le rôle le plus important.
Mme Roland (Marie-Jeanne Philipon) était sortie du peuple.
Fille d'un graveur, elle vécut d'abord dans un milieu pauvre et étroit, mais où, cependant, sa nature franche et ouverte trouva à se manifester.
Éprise de liberté et de justice, elle s'émancipa avant l'heure, devançant son époque comme tous les grands esprits. Nourrie des livres de Voltaire, de Rousseau, des Encyclopédistes, surtout de Plutarque, elle se passionna pour les idées nouvelles et leur donna elle-même une grande impulsion ; donnant libre carrière à sa raison droite, à ses sentiments élevés, elle fut une vraie femme, et osa le montrer, un esprit juste qui s'affirme, un caractère qui ne subit aucune oppression, n'admet aucune tutelle.
Cependant, elle resta femme, elle resta bonne et n'eut rien de viril, quoi qu'en aient dit ses biographes ; elle fut inspirée et inspiratrice, c'est pourquoi, dès les premiers jours de trouble, elle fut l'âme de la Révolution.
En juin 1793, arrestation de Mme Roland, l'émotion est grande, elle est enfermée à l'abbaye. Le Père Duchêne raconte « comment a été découverte la grande conspiration des Brissotins, Girondins, Buzotins, Pétionistes mitonnant la contre-révolution, d'accord avec les brigands de la Vendée et surtout avec le Quibus d'Angleterre ».
Dès l'âge de 18 ans, nous la voyons s'affirmer. Elle écrit des lettres à ses amies d'Amiens, les demoiselles Cannet, dans lesquelles on trouve une science étonnante, des études profondes, en même temps que des saillies les plus spirituelles. Elle a la gaîté robuste d'un esprit droit, d'une belle nature, ce qui ne l'empêche pas d'aimer les hommes, c'est-à-dire de se laisser entraîner (sans dangers et sans suites, bien entendu) par des sympathies, et c'est là ce qui la complète. La femme la plus élevée par l'esprit est toujours la plus aimante. Mais elle rêvait dans l'homme les grands sentiments et les grandes idées qui l'animaient. Elle crut les trouver dans M. Roland de la Platière, que ses amies d'Amiens lui firent connaître.
Cependant, M. Roland de la Platière avait 20 ans de plus qu'elle et un caractère despotique ; elle l'accepta quand même ; après des vicissitudes de famille, elle l'épousa et vécut d'abord avec lui à Amiens, puis à Lyon et dans un petit domaine près de Lyon. Là, elle devient mère et s'occupe de sa maison comme le font toutes les femmes intelligentes, qui savent allier les soins de la vie matérielle au travail de l'esprit. En même temps, elle étudiait avec son mari toutes les questions sociales. Cependant, cette solitude lui pèse, elle se sent née pour les grandes missions, et une sorte de langueur l'avertit qu'elle n'est pas dans le milieu pour lequel elle a été créée.
Dans cette solitude, elle se livrait à une charité active ; adorée des paysans, elle se fit leur Providence. Elle appliquait au soulagement de leur misère le peu de superflu qu'elle avait. Elle avait étudié la médecine et se servait de ses connaissances pour soulager les malades. On venait la chercher de trois et quatre lieues, ayant plus de confiance en elle que dans les médecins. Le dimanche, les marches du perron de sa cour étaient couvertes d'infirmes qui venaient lui demander de les soulager. Elle était heureuse au milieu de ces gens qui l'adoraient.
En 1789, nous la trouvons dans l'action. On vient de prendre la Bastille ; elle est, dès ce moment, dans la plénitude de son rôle d'héroïne. Le 20 février 1791, elle vint habiter, avec son mari, un petit appartement de la rue de la Harpe. Brissot les mit en rapport avec Pétion, Buzot et Robespierre, qui bientôt amenèrent leurs amis, et ce fut chez Mme Roland qu'ils se donnèrent rendez-vous. Quatre fois par semaine, ils venaient, le soir.
Roland entra au ministère en 1792. C'était un homme estimable, mais médiocre, qui n'était quelqu'un que par sa femme.
C'est elle qui rédigea les circulaires de son mari et la fameuse Lettre au Roi ; c'est elle qui est le vrai ministre ; c'est chez elle que se décident les affaires de la France ; elle donne des dîners à ceux qu'elle groupe autour d'elle, surtout les Girondins. Elle sait se faire écouter et se faire aimer, et appelle ses habitués « les amis », nom que les Girondins continueront à se donner entre eux. Elle est la Déesse d'une nouvelle religion dont la Gironde est l'expression.
Ce petit cortège qui l'entourait était composé de grandes âmes, élevées au foyer rayonnant de son esprit, de beaux caractères qu'elle sut stimuler, de grands talents qu'elle encouragea.
Tous furent, à son contact, animés d'une sincère ardeur républicaine qui aurait dû triompher si les grandes causes n'étaient pas toujours dénaturées et dévoyées par des esprits médiocres, par des agitateurs ambitieux qui se jettent à la traverse des grandes idées pour les dévier à leur profit. C'est ce que Mme Roland vit se produire autour d'elle. A côté des hommes de valeur qui l'entouraient et qu'on appelait des rêveurs parce qu'ils voulaient réaliser le rêve idéal de la France, l'homme parfait, le peuple soulevé étalait toutes les brutalités, demandait des chefs qui le comprissent, c'est-à-dire qui le suivent dans le déchaînement révolutionnaire qui veut des actes violents, non des idées.
Les Girondins étaient des hommes de raison ; l'instinct populaire demandait des hommes d'instinct, des impulsifs, il s'en présenta, et le premier fut Danton, cet homme rude et brutal qui réalisait le type du forban révolutionnaire. Mais, sentant sa médiocrité, il voulut s'appuyer sur les Girondins pour monter par eux, puis sur eux, ce qui arrive toujours. Il offrit son concours à Mme Roland, que son instinct de femme avertit de ce qu'était Danton ; elle refusa. Dès lors, il devint son ennemi.
Lamartine a publié un « Portrait » de Mme Roland. Nous lui empruntons ces lignes :
« Depuis la retraite de son mari, Mme Roland désespérait de la liberté. Les froides théories de Robespierre glaçaient son cœur. Les haillons de Marat offensaient ses yeux. Renfermée dans la solitude, elle se demandait déjà si l'idéal de la Révolution qu'elle avait rêvé n'était pas un de ces mirages de l'âme qui trompent par des perspectives séduisantes les imaginations altérées de bien, et qui se convertissent en aridité et en soif quand on en approche. Il lui eût été doux de mourir avant son désenchantement. L'ardeur de la lutte et la grandeur de son courage avaient soutenu son âme pendant que son mari était au pouvoir. Maintenant, l'activité de sa pensée se retournait contre elle-même et la dévorait. L'ingratitude du peuple venait avant la gloire. De toutes les promesses de la République, Mme Roland n'avait vu se réaliser que des ruines et des crimes. La calomnie, qui s'acharnait sur elle et sur son mari, l'effrayait plus que l’échafaud. Elle avait conservé ses amis Barbaroux, Pétion, Louvet, Brissot, Buzot. Elle se préparait à quitter Paris et à se retirer avec son mari et son enfant dans sa maison du Beaujolais.
« Mais l'agitation du moment, les comptes que Roland avait à rendre de sa gestion, les dangers toujours croissants suspendaient ce départ de semaine en semaine ; elle subissait à la fois les angoisses de l'épouse, de la mère et du chef de parti. Elle connaissait à son tour l'amertume de la haine du peuple, les poisons de la calomnie, les alarmes nocturnes sur la vie d'un époux et d'un enfant.
« Le 31 mai 1793, pendant la séance qui décida la défaite des Girondins, le comité révolutionnaire de la commune envoya des hommes armés arrêter Roland dans sa maison.
« C'est alors que son admirable femme fait tout ce qu'il est possible de faire pour éloigner de lui le danger. Elle rédige une lettre à la Convention, elle écrit un billet au Président, court aux Tuileries, se fait ouvrir la salle des pétitionnaires ; là, elle entend le sourd retentissement des bruits de la salle et le tumulte des tribunes ; après mille angoisses, elle rentre chez elle et apprend que son mari a pu prendre la fuite. Elle retourne chercher des nouvelles et apprend que son parti est condamné. Elle se sent perdue et rentre chez elle embrasser sa fille, attendant qu'on vienne elle aussi l'arrêter ; cela ne tarda pas ; elle fut réveillée en sursaut au milieu de la nuit, les membres de la section avaient forcé sa demeure et l'attendaient dans son salon. On l'emmena au lever du jour. Le peuple et les femmes de la rue ameutés depuis le matin la suivirent en criant : « A la guillotine ! »
Elle ne voulut pas qu'on ferme les glaces de la voiture, disant que l'innocence ne doit pas prendre l'attitude du crime et de la honte. « Je ne crains pas les regards des hommes de bien et je brave ceux de mes ennemis. »
« Vous avez plus de courage que beaucoup d'hommes, lui dit le commissaire, vous attendez paisiblement la justice.
« Justice ! répondit-elle ; s'il y en avait, je ne serais pas ici ! J'irai à l'échafaud comme je me rends à la prison. Je méprise la vie. »
« C'est dans sa captivité qu'elle écrivit ses Mémoires.
« On la transporta à la Conciergerie. Là, elle trouva encore le moyen de se faire apôtre, de prêcher aux autres détenus, qui l'écoutaient à travers une grille, les grands principes pour lesquels elle allait mourir. On l'écoutait des heures entières et on se séparait aux cris de « Vive la République ! ». On l'adorait jusque dans les cachots. Elle ignorait le supplice de ses amis, les Girondins, tombés déjà sous le couteau de la guillotine.
« Son procès fut illusoire, elle était condamnée d'avance ; ses juges purent l'accuser, mais ses réponses furent étouffées sous la clameur publique. Le peuple était soulevé contre elle, toutes les jalousies s'étaient accumulées sur son génie.
« Cependant, elle put dire cette phrase à ses juges : « Je vous remercie de m'avoir trouvée digne de partager le sort des grands hommes que vous avez assassinés.
« Dans la charrette qui la conduisit à l'échafaud, elle eut l'attitude d'une héroïne, heureuse de marcher à la mort, de quitter un monde qui ne la comprenait pas, des hommes qui la trahissaient.
Sa physionomie rayonnait de gloire pendant que la foule l'insultait, lui lançant des injures grossières : « A la guillotine ! A la guillotine ! », lui criaient les femmes. « J'y vais, leur dit-elle. J'y serai dans un moment, mais ceux qui m'y envoient ne tarderont pas à m'y suivre. J'y vais innocente, ils y viendront souillés de sang »
« Une statue colossale de la Liberté s'élevait au milieu de la place, à l'endroit où se trouve aujourd'hui l'Obélisque. Arrivée sur l'échafaud, s'adressant à cette image ironique, elle dit :
« O Liberté ! que de crimes on commet en ton nom ! » Et sa noble tête roula dans le panier. »
Quand son mari apprit le supplice de sa femme, il quitta la maison où il recevait l'hospitalité depuis six mois, erra pendant un jour et, dans une forêt, se perça le cœur d'un coup de poignard.
Un papier attaché à son habit portait ces mots : « Qui que tu sois, respecte ces restes, ce sont ceux d'un homme vertueux. En apprenant la mort de ma femme, je n'ai pas voulu rester un jour de plus sur une terre souillée de crimes. »
Buzot, qu'elle avait aimé secrètement sans le lui avoir jamais laissé voir, apprenant sa mort, il tomba comme frappé de la foudre, et resta plusieurs jours en démence.
Cette femme fut une véritable rédemptrice, elle venait sauver le genre humain, qui ne l'a pas comprise.
Combien le drame réel de sa mort est sublime, comparé à la légende grotesque du crucifié de Judée ! Et cependant, c'est lui qui est adoré dans des temples, elle n'est rien dans le souvenir de la postérité qu'une héroïne entre d'autres. Et cependant, combien ses grandes idées de Liberté et de Justice sont supérieures aux récits miraculeux du Nouveau Testament !
Sa grande conception de la « République » fut reprise et réalisée après elle, mais combien rapetissée par les hommes qui la réduisirent au niveau de leur médiocrité.



Madame Émilie DU CHÂTELET (1706 - 1749)
Celle-ci fut l'amie de Voltaire.
Elle naquit en 1706 et s'appelait Gabrielle-Émilie Le Tonnelier de Breteuil ; elle était fille d'un introducteur des ambassadeurs.
Sa première instruction fut soignée ; elle apprit le latin, l'anglais, l'italien et toutes les sciences connues à son époque, dont les premières leçons lui furent données par son grand-père, M. de Mézières.
On raconte qu'étant enfant, on lui donna un grand compas de bois à grosse tête qu'on habilla comme une poupée, elle l'examina, le dégarnit des chiffons qui l'entouraient, et, s'en faisant un jeu, elle en comprit l'usage et d'instinct traça un cercle.
On sait qu'elle étudia passionnément la géométrie depuis, ce qui peut faire supposer que l'histoire du compas a été trouvée pour agrémenter ses biographies. A 19 ans elle épousa le marquis du Châtelet-Laumont. Elle habitait le château de Cirey, près Chaumont en Champagne. C'est là qu'elle offrit l'hospitalité à Voltaire.
Ses principaux travaux sont :
1° Un Mémoire, sur le feu fait pour un concours proposé par l'Académie. Mme du Châtelet y soutient que la chaleur et la lumière ont la même cause. Elle eut pour concurrent Euler à qui on donna le prix ; mais on dit d'elle, dans le rapport : « Le n° 6 est d'une Dame du plus haut rang, il est rempli de vues et de faits. » Arago disait de ce mémoire : « Le travail d'Emilie n'est pas seulement un élégant tableau de toutes les propriétés connues alors des physiciens, on y remarquait encore divers projets d'expériences, une entre autres qu'Herschell a fécondée. »
Le mémoire de Mme du Châtelet a été imprimé dans les Collections de l'Académie.
Son second ouvrage est intitulé Institution de Physique.
Elle dédia ce livre à son fils. Voici cette dédicace :
« J'ai toujours pensé que le devoir le plus sacré des hommes était de donner à leurs enfants une éducation qui les empêchât dans un âge plus avancé de regretter leur jeunesse, qui est le seul temps où l'on puisse véritablement s'instruire ; vous êtes, mon cher fils, dans cet âge heureux où l'esprit commence à percer et dans lequel le cœur n'a pas encore des passions assez vives pour le troubler. »
Dans ce livre, la marquise dissertait sur le temps, l'espace, la force. Une grande discussion divisait les esprits sur ces questions, on se demandait s'il faut mesurer la force par le produit de la masse par la vitesse ou par le carré de la vitesse ; d'un côté se trouvaient Descartes, Newton et Voltaire ; de l'autre, Leibnitz et Mme du Châtelet, à qui l'avenir devait donner raison en prouvant que, dans le monde physique, la quantité de matière et la quantité de force sont permanentes et ne font que se transformer.
Le troisième grand ouvrage de Mme du Châtelet est sa traduction du latin du célèbre ouvrage de Newton : Principes de la philosophie naturelle, que pour abréger on appelle les Principes.
C'est dans ce livre que Newton expose sa grande erreur : l'attraction universelle, qui devait, pendant deux siècles, entraver les progrès des sciences physiques. Cette traduction n'a paru qu'en 1759, après la mort de la marquise du Châtelet.
Elle y a joint un commentaire intitulé Solution analytique des principaux problèmes du monde.
Cette œuvre, que nous trouvons malsaine parce qu'elle servit à propager une erreur, n'était pas acceptée sans contestation quand elle parut. Mlle Delaunoy, aussi savante que Mme du Châtelet, la raillait spirituellement sur ce chapitre ; elle dit d'elle dans ses Mémoires : « Elle fait actuellement la revue de ses Principes : c'est un exercice qu'elle réitère chaque année, sans quoi ils pourraient s'échapper et même s'en aller si loin qu'elle n'en retrouverait pas un seul. Je crois bien que sa tête est pour eux une maison de force et non pas le lieu de leur naissance. »
Mme du Châtelet a laissé aussi un Traité du bonheur, dans lequel nous lisons ceci à propos des femmes : « Quand par hasard il s'en trouve quelqu'une née avec une âme assez élevée, il ne lui reste que l'étude pour la consoler de toutes les exclusions et de toutes les dépendances auxquelles elle se trouve condamnée par état. »
Emilie du Châtelet, dans son Traité du bonheur, dit : « Nous n'avons rien à faire en ce monde, qu'à nous procurer des sensations agréables. » Sensualiste et épicurienne, disent les hommes qui ne comprennent pas que c'est l'expression la plus haute du vrai spiritualisme.
Nous avons aussi d'elle des Lettres dans lesquelles nous la voyons en relations avec tous les savants de son époque.
Ses manuscrits sont presque tous à la Bibliothèque Nationale.
Mme du Châtelet a été différemment jugée.
Voltaire dit d'elle : « Une femme qui a traduit et éclairé Newton, en un mot un très grand homme. » Voilà bien l'orgueil masculin qui, pour glorifier une femme, la compare à un homme.
Ampère dit d'elle : « Mme du Châtelet est un génie en géométrie. »
Quant aux gens superficiels, leur opinion est résumée dans ces deux vers :
De l'esprit, des appas,
L'éventail et le compas.
Mme du Châtelet mourut en 1749 au Palais de Lunéville, en donnant naissance à une fille.
Il y a aux Estampes de la Bibliothèque Nationale une vingtaine de gravures et de dessins représentant Mme du Châtelet.
Ils sont faits pour la plupart d'après un pastel de Latour ou le portrait peint par Marianne Loir.
Mme Louise Colet nous la dépeint : « Mme du Châtelet était grande, svelte et brune. Nous avons vu un fort beau portrait qui la représente à vingt ans. Le jour où l'artiste a tracé pour la postérité cette vivante image, la marquise portait une agaçante robe bleue, pomponnée de blanc ; des cheveux légèrement poudrés faisaient paraître plus éclatant encore son grand œil noir qui rayonnait sous un épais sourcil ; sa bouche expressive souriait ; sa taille souple et fine s'épanouissait dans un corsage de soie. Sa beauté consistait surtout dans une vive physionomie, mélangée de force et de grâce. »
M. Rebière, un de ses biographes, dit d'elle : « Au moral, Mme du Châtelet était pleine de naturel, de simplicité et de franchise, son caractère était résolu et logique. Elle aimait la vérité et la justice. Elle refusa de lire un libelle publié contre elle et ne voulut pas qu'on punît le coupable. »
Nul doute que cette femme de génie a exercé sur les hommes de son époque une grande influence. Elle avait une cour de savants qu'elle appelait les Émiliens, et elle se proposait d'écrire ses mémoires qu'elle aurait intitulés Emiliana.
Le Prince royal de Prusse lui envoya un encrier d'ambre, en l'adressant à Vénus-Newton, et lui promettant d'étudier la physique.
L'Italien Algarotti, l’un des habitués du château de la marquise, écrivit un livre intitulé Newtonisme pour les Dames.
Maupertuis et Clairaut, mathématiciens de valeur, travaillaient avec elle, et s'inspiraient de son génie. Il faut citer aussi parmi ses fidèles Jean Bernoulli, Koenig et le Père Jacquier.
Mais c'est Voltaire qui subit, sans conteste, le plus profondément l'inspiration de la « Divine Emilie ». Au château de Cirey, il vivait près d'elle dans l'intimité de la famille. La pièce principale de l'appartement était une longue galerie servant de laboratoire de physique. L'abbé de Moussinot y recevait et y rangeait les ballots d'instruments ; on avait déjà des machines pneumatiques et des télescopes. Un jeune nomme appelé Cousin faisait à Paris des expériences pour le compte de la marquise.
C'est dans cette galerie que travaillait la marquise pendant que Voltaire écrivait, ce qui fait dire à Hénault : « L'un fait des vers, et l'autre des triangles »
Le soir était consacré à la conversation, et Voltaire, immortalisant le souvenir de ces jours heureux, nous dit :
Mais je vois venir le soir,
Du plus haut de son aphélie,
Notre astronomique Emilie
Avec un vieux tablier noir,
Et la main d'encre encore salie ;
Elle a laissé là son compas
Et ses calculs et sa lunette...
Combien cette vie d'un homme d'esprit et d'une femme de génie devait être douce et heureuse ! Quel charme pour l'existence d'un homme que la présence d'une femme qui élève son esprit et réjouit son cœur ! Et nous sommes pris de pitié en pensant que ce plaisir si noble et si légitime est sacrifié par les hommes envieux qui éloignent d'eux la Femme par basse jalousie, au lieu de venir près d'elle se réchauffer au foyer de son génie !...
Avec les grandes Femmes du XVIIIème siècle revenait la Religion naturelle, c'est-à-dire le lien moral qui unit l'homme à la Femme.
C'est pour cela que nous insistons sur le rôle joué par elles dans l'évolution de la pensée humaine ; elles furent les véritables auteurs du mouvement d'indépendance de l'esprit et du retour à la vie normale.
Emilie du Châtelet était déiste. Elle écrivit un petit mémoire sur les Preuves de l'existence de Dieu.
C'est par reflet de sa pensée que Voltaire écrivit : Si Dieu n'existait pas, il faudrait l'inventer.




Madame Anne-Catherine HELVÉTIUS (1722 - 1800)
Cette femme, dont on a peu parlé, tient cependant une grande place dans le mouvement révolutionnaire. Son salon était de ceux où se faisait une sourde fermentation des esprits.
Là se réunissaient des femmes d'élite et des hommes d'action ; Mme Cabanis, la marquise de Condorcet, Chénier, Vomey, Mirabeau, Condorcet, Ginguené, et tant d'autres qui venaient échanger leurs idées, et s'exciter mutuellement à l'action.
Helvétius y jouait un rôle effacé, sa femme l'éclipsait ; c'est peut-être pour cela qu'il a si bien peint l'intelligence féminine dans son livre « De l’esprit », dont Diderot disait : « Il y a dans cet ouvrage des vérités qui contristent l'homme, annoncées trop crûment. Les femmes y paraissent partout comme des idoles de l'auteur. C'est le plaidoyer des subordonnés contre leurs supérieurs. »
Mme Helvétius, née de Graffigny, resta veuve à l'âge où la femme est dans la plénitude de son esprit. Elle maria ses filles et acheta une propriété à Auteuil où elle tint salon ouvert. Là, elle recevait Franklin, un peu amoureux d'elle, Chamfort, l'abbé Morellet, l'ennemi de Voltaire, et surtout Cabanis qui venait près d'elle oublier les déboires d'une jeunesse agitée.
En 1789, les idées avancées prennent tout à fait corps dans le cénacle d'Auteuil ; Cabanis entre dans le mouvement, accepte une fonction, préside aux fêtes naïves et attendrissantes que l'on célébrait chaque jour, souscrit pour les guerres de la Vendée et assiste Mirabeau à son lit de mort.
Ce sont les fidèles du salon de Mme Helvétius que nous retrouvons dans l'action après la tourmente révolutionnaire. Ces hommes nourris d'idées féminines essayent de gouverner la société par la réflexion et l'analyse, par la raison substituée à la force, à l'égoïsme, à la routine, idée généreuse chez l'homme, mais imparfaitement conduite quand elle passe du cerveau féminin au cerveau masculin ; c'est pour cela qu'elle avorta.
Ces hommes furent les précurseurs des socialistes. Ils voulaient donner à l'individu tous les moyens d'expansion et ne laisser à l'État que le strict pouvoir indispensable. Ils ne furent pas compris de leurs contemporains ; on les appelait des poètes et des rêveurs, parce qu'ils voulaient la Vérité et la Justice et ne se pliaient pas aux petites roueries de la politique, aux honteuses compromissions de la diplomatie. Ils furent considérés comme des idéologues, et le mot resta dans la langue pour désigner les grands illuminés qui croient au bien et au progrès.
Mais, s'ils ne surent pas gouverner, ils firent un immense mouvement littéraire qui modifia toutes les idées alors régnantes, qui ouvrit un horizon nouveau sur la Nature et sur l'homme.
Le livre d'Helvétius en fut un des premiers jalons.
M. Guillois a écrit « Le salon de Mme Helvétius » et nous a restitué cette personnalité féminine dont l'influence a dû être très grande sur les hommes de son entourage.




Mademoiselle Jeanne Julie Éléonore DE LESPINASSE (1732 - 1776)
Délicieuse figure de femme du XVIIIème siècle, l'amie des philosophes, elle écrivit son histoire dans des lettres d'un intérêt profond. C'était un esprit d'élite. Son salon fut un rendez-vous charmant d'esprits élevés.
Cette femme, vraiment femme, se débarrassa de toutes les hypocrisies ; elle osa penser, elle osa aimer. Et c'est pour cela que les hommes d'esprit lui vouèrent un culte. Elle fut assez grande pour « haïr la prudence », comme elle disait, c'est-à-dire l'hypocrisie que tant de femmes, sinon toutes, acceptent comme le seul moyen de vivre en paix parmi les hommes.
Elle était incapable d'artifices et de restrictions, et, par-là, elle subissait pleinement le supplice de ses scrupules. « Si vous saviez dans quel trouble, dans quelles alarmes, je consume ma vie... Mon âme ne peut pas suffire à ce qu'elle sent, et à ce qu'elle souffre. »
L'amour en son temps était un jeu d'esprit. Elle le prit au sérieux, voulut le réhabiliter en le proclamant bien haut ; sans connaître le malentendu que ces sortes d'aveux font naître dans l'esprit des hommes toujours prêts à s'attribuer les privilèges de l'amour féminin, elle dit sans détours : « Je ne fais qu'aimer, je ne sais qu'aimer... je n'ai qu'un besoin, qu'une volonté, c'est d'aimer ! » Mais les hommes ne savent pas que cette tendresse infinie est la conséquence d'un esprit supérieur.
Elle fut une âme ardente, sensible, vibrante, en même temps qu'une claire lucidité d'esprit. Elle est la femme dans son essence même et ne craint pas de l'exprimer, et ce qui semble prodigieux aux gens médiocres, c'est que c'est justement cette audace qui enthousiasme les hommes.
Ses lettres à M. de Guibert sont remarquables.
Tout être qui aime retrouve dans ce bréviaire merveilleux d'amour ses propres sensations, avec tous les emportements, tous les troubles, toutes les faiblesses, toutes les contradictions de la passion. Dans ce domaine mystérieux de l'amour, Melle de Lespinasse n'a rien laissé d'inexploré. Elle fut coupable et touchante, effrayée des anomalies sentimentales dont elle subissait la torture, bouleversée de remords, tout en se livrant aux véhémences de sa nature, dont elle sentait les abîmes avec des fièvres et des sanglots, tantôt exaltée de joie, tantôt se pouvant comparer à une naufragée. Elle ignora toujours les tempéraments, quelquefois épouvantée de ses courts instants de bonheur, plus souvent écrasée d'un dégoût immense de la vie.
Pour la comprendre, il faut se débarrasser de la morale conventionnelle et remonter à la Nature, à la vraie morale. C'est parce qu'elle voulut affirmer par sa conduite la Vérité morale qu'elle eut tant à souffrir ; « elle eut des souffrances quasi divines », dit M. Ginisty dans un article qu'il lui consacra.
Donc, la souffrance divine, c'est celle qui résulte de la violation de la nature féminine et de la lutte qu'il faut soutenir contre les hommes pour oser être soi, être vraie, pour oser s'élever par l'amour.
Ce que les hommes ne lui pardonnent pas, c'est qu'elle eut plusieurs amours : le marquis de Mora, un jeune et chevaleresque espagnol, qu'elle adora, mais qui cependant ne l'empêcha pas d'aimer le comte de Guibert.
Enfin, elle fut pendant seize ans l'amie de d'Alembert, l’ami « que lui tolérait le monde », et qui ne semblait pas connaître les amours que sa correspondance révèle.
Dans la dernière lettre écrite le matin de sa mort, à d'Alembert, lettre émouvante dans laquelle elle dit adieu à ce compagnon de son existence, elle lui révèle ses liaisons qu’il ignorait, et le charge de suprêmes missions qu'elle ne voulait confier qu'à lui, l’amour de la Vérité, le besoin de le dire l'empêcha d'apercevoir l'effet qu'elle produisit sur le cœur d'un homme qui s'était cru aimé et aimé seul. Tout en obéissant à son dernier désir, d’Alembert fut stupéfait de ses révélations ; il ne pouvait s'empêcher de s'écrier : « Le plus grand malheur n'est pas de pleurer ce qu'on aimait, mais de pleurer ce qui ne nous aimait plus. »
Mlle de Lespinasse a aussi laissé des lettres écrites à Condorcet, des lettres d'amitié dans lesquelles elle le grondait doucement de ses mauvaises habitudes, le priant de ne plus ronger ses ongles ou lui recommandant de ne pas poudrer ses oreilles et de ne pas se tenir le corps courbé en deux. Mlle de Lespinasse avait été une amie incomparable pour lui.
Ces lettres restées inédites se trouvaient entre les mains de Mme Laugier, la nièce d'Arago. Elle les offrit à l'Académie des Sciences.



Jean-Paul Marat : « Pour attacher un peuple, il faut d'abord l'endormir »
Charlotte Corday lui offrira un sommeil éternel, lui qui encourageait à couper toutes les têtes qui dépassaient.



CHARLOTTE CORDAY (1768 - 17 juillet 1793)
Charlotte Corday d'Armont, petite-fille du grand tragique Pierre Corneille, naquit au village de Lignerie près d'Argenton, d'une famille noble, mais ruinée. Son père, gentilhomme de province, vivait dans un petit domaine qui était toute sa fortune et qu'il cultivait lui-même avec cinq enfants. Il avait des goûts littéraires, et partageait l'inquiétude politique de l'époque. Il pressentait une révolution prochaine et la désirait. Il avait écrit des ouvrages contre le despotisme et le droit d'aînesse. Sa seconde fille, Charlotte, était donc à bonne école pour être impressionnée, dès l'enfance, par les grandes injustices sociales.
A 13 ans, le manque de ressources de sa famille l'obligea à entrer dans un monastère de Caen où les filles nobles étaient recueillies. Là, cette enfant de la Nature essaya de devenir religieuse, elle goûta la vie calme du cloître, embellie par les illusions de la jeunesse, mais les dogmes religieux la captivèrent moins que les dogmes nouveaux de la philosophie qui pénétraient partout et franchissaient les murs des cloîtres ; elle voyait dans les idées nouvelles le triomphe de la raison, et la liberté reconquise. La vie, du reste, n'était pas austère dans cette abbaye de femmes nobles, qui recevaient leurs amis comme les femmes du monde.
Au moment de la suppression des monastères, Charlotte avait 19 ans. Elle fut recueillie alors par une vieille tante, Mme de Bretteville, qui habitait un vieux manoir à Caen. Cette tante, quoique appartenant à l'ancienne aristocratie, laissait à sa nièce toute liberté de donner à son esprit telle direction qu'elle voulait. Séduite elle-même par les idées nouvelles, elle les aurait plutôt partagées que combattues. Charlotte vécut près d'elle, dans cette solitude de la vie de province où les distractions sont rares. Sa gaîté douce rayonnait sur la vieille maison de sa tante qu'elle animait de son exubérante vie. La nature de son esprit la portait vers les choses sérieuses, elle connaissait les opinions, les journaux, les livres de son temps, elle dévorait les ouvrages de philosophie, les livres d'histoire. Jean-Jacques Rousseau l'avait passionnée, et, comme Mme Roland, elle lisait Plutarque. Les idées de liberté et de justice qui remplissaient son esprit n'y laissaient pas de place pour le roman.
C'était le temps où les Girondins luttaient avec un courage et une éloquence que toutes les femmes sérieuses admiraient. Ces députés proscrits et fugitifs vinrent se réfugier à Caen, y faisant une active propagande contre les crimes de Marat, qu'ils vouaient à l'exécration, et dont le nom faisait horreur. La province, qui n'a pas les engouements de Paris, s'indignait de voir cet homme, la lie et la lèpre du peuple, triompher des lois par la sédition, jouir de l'impunité, et, porté par les faubourgs à la tribune, prendre la dictature de l'anarchie, de la spoliation, de l'assassinat, menaçant la propriété, la liberté, la vie de tous pour satisfaire ses instincts de cruelle et abjecte tyrannie.
C'est la haine et la terreur qu'inspirait Marat, qui causait l'enthousiasme que l'on manifestait aux Girondins et l'espérance que l'on nourrissait de les voir triompher.
Charlotte Corday partagea cet enthousiasme, et crut qu'avec eux périrait la liberté en France ; elle fut effrayée de l'avenir qui se préparait si les crimes projetés par Marat se consommaient, Marat, l'homme dont l'ardeur vindicative et sanguinaire était la clef de voûte du drame infâme qui souillait la Révolution.
Elle fut hantée par l'idée de jouer un rôle actif dans ce drame, de hâter les dénouements, de sauver la France que les démagogues allaient perdre. Mais cette idée, d'abord vague, ne se dessina que peu à peu dans son esprit ; son désir était immense, les moyens de le satisfaire semblaient irréalisables. Elle attendit. Dans les assemblées tenues par les Girondins, elle avait vu Pétion, Buzot, Louvet, Barbaroux ; ces orateurs qui avaient renversé la monarchie, soulevé le peuple de Paris, rempli la tribune et la nation de leur voix, étaient l'objet de l'enthousiasme et de la curiosité publique. Ces apôtres, presque tous jeunes et beaux, l'avaient intéressée au plus haut degré ; elle épousait leur cause, mais allait plus loin qu'eux dans le dévouement.
Le dimanche 7 juillet, Charlotte assista du haut de son balcon au départ des volontaires. L'enthousiasme des jeunes gens qui partaient sous la conduite du général Wimpfen, pour rétablir l'intégrité de la représentation nationale, l'électrisa. Elle eût voulu comme eux partir, aller à Paris, et délivrer avant eux la France du monstre qui répandait la terreur sur le pays. L'échafaud était dressé à Paris, on parlait de le promener bientôt dans toute la république. La puissance de la Montagne et de Marat, si elle triomphait, allait faire tomber des milliers de têtes. Cet homme sanguinaire avait déjà, disait-on, dressé la liste de ses futures victimes : 2.500 étaient désignées à Lyon, 3.000 à Marseille, 28.000 à Paris, 300.000 dans la Bretagne et dans le Calvados. C'était pis que l'Inquisition. Le nom de Marat faisait frissonner d'horreur. En 1789, il avait demandé 800 échafauds pour les 800 députés.
Charlotte voulut savoir ce qu'était l'état de Paris avant d'agir. Elle eut l'idée de s'adresser aux Girondins sans leur révéler ses projets. Elle vit Buzot, Pétion, Louvet, elle s'entretint deux fois avec Barbaroux, ce qui étonna un peu : pourquoi cette belle jeune fille allait-elle au palais de l'Intendance s'entretenir avec les jeunes orateurs ? Il y eut des sourires, peut-être des calomnies ; elle n'y prit pas garde et suivit son dessein. Pétion la railla un jour en passant près d'elle dans la salle commune de l'Intendance où elle attendait Barbaroux : « Voilà donc, lui dit-il la belle aristocrate qui vient voir les républicains. »
« Citoyen Pétion, répondit-elle, vous me jugez aujourd'hui sans me connaître ; un jour vous saurez qui je suis. »
Dix jours plus tard, elle devait monter sur l'échafaud.
Elle partit pour Paris le 8 juillet, trompant sa famille sur le motif de son départ, et, dans la voiture, sa grande beauté troubla un jeune voyageur, qui, avant la fin du voyage, la demanda en mariage. Les autres voyageurs étaient des Montagnards exaltés qui se répandaient en imprécations contre les Girondins et en adoration pour Marat.
Elle entra dans Paris le 11 juillet. Là, seule, sans personne pour exalter son courage, pour la soutenir dans son projet, elle se réveilla le lendemain dans une chambre d'hôtel, retrouvant sa pensée audacieuse présente devant son esprit, sans trouble, sans hésitation, sans avoir la pensée d'échapper au supplice qu'elle se préparait volontairement.
Elle fit une visite chez Lauze de Perret, acheta au Palais-Royal un couteau-poignard de trois francs, puis chercha le moyen de voir Marat. Mais ce n'était pas facile, cet homme terrible avait peur des vengeances, il se faisait garder. Elle dut recourir à la ruse, et confesse combien ce moyen lui répugnait ; elle lui écrivit : « J'arrive de Caen, votre amour pour la patrie me fait présumer que vous connaîtrez avec plaisir les malheureux événements de cette partie de la République. Je me présenterai chez vous vers une heure, ayez la bonté de me recevoir et de m'accorder un moment d'entretien. »
Son billet resta sans réponse. Elle en écrivit un second, et, cette fois, sans attendre la réponse, elle se rendit au domicile de Marat, qui vivait, rue des Cordeliers, 18 (aujourd'hui rue de l'École de Médecine). On a souvent décrit sa toilette, son attitude, sa beauté. Mais on ne pénétrait pas facilement chez Marat. Sans cesse occupé d'envoyer les autres à l'échafaud, il vivait dans la crainte perpétuelle d'être assassiné lui-même. Elle eut une altercation avec la maîtresse de ce monstre (il en avait une!...), et Marat, entendant ces bruits de voix et se doutant que c'était la personne qui lui avait écrit deux lettres, ordonna qu'on la laissât pénétrer. Elle entra dans la petite chambre où elle le trouva dans sa baignoire, occupé à écrire sur une mauvaise planche placée au travers, il était hideux et dégoûtant dans son drap sale et taché d'encre, les cheveux gras entouré d'un mouchoir sale, la bouche immense et ricaneuse, le front fuyant, la peau livide, un déséquilibré. Il lui demanda les noms des députés réfugiés à Caen. Elle les lui dicta : « C'est bien, dit-il, avant huit jours, ils iront à la guillotine. »
Ces mots tombèrent sur l'âme de Charlotte comme un nouveau forfait. Cela l'exalta, et en une minute elle tira son couteau et le lui plongea dans le cœur. Il mourut sur le coup. Il s'ensuivit un tumulte indescriptible, l'arrivée de la maîtresse, des employés de son journal, du public, car les nouvelles se répandent en une minute. Charlotte fut jetée par terre, piétinée, insultée, ses bras furent liés en croix ; menacée par la foule, les soldats durent la protéger ; un fanatique fit un discours sur le cadavre de Marat, avec des gestes vengeurs ; le peuple gémissait sur la perte de son idole. « Pauvres gens, osa-t-elle dire, vous voulez ma mort et vous me devriez un autel pour vous avoir délivré d'un monstre. » Cela souleva de plus furieuses imprécations et des gestes plus menaçants. Après un premier interrogatoire, Charlotte fut conduite à l'Abbaye. Mais tout Paris connaissait déjà l'événement. De toutes parts on venait voir la femme qui avait eu cette audace. Les députés Maure, Chabot, Drouet et Legendre vinrent sur le lieu du crime. Ils furent stupéfaits de l'audace et de la beauté de cette femme, autant que de son calme et de la fermeté avec laquelle elle répondait au commissaire. Jamais le crime ne s'était présenté à l'esprit des hommes sous cet aspect, ils y voyaient une sorte de justice divine et, s'attendrissaient sur l'assassin au lieu de plaindre la victime.
Cependant, les vociférations de la foule, les hurlements qu'elle entendait, l'excès de rage dont elle était l'objet lui firent croire que ses membres allaient être déchirés, et elle s'évanouit.
Dans sa prison, elle subit un second interrogatoire, et là encore fut un objet de curiosité et d'étonnement. Les hommes qui l'interrogeaient ne voulaient pas croire qu'une femme jeune, jolie, avait pu arriver seule à cette exaltation sublime contre le mal, et ils lui cherchaient des complices en même temps qu'ils la dévoraient du regard. Profondément impressionnés de cette inspiration et de cette intrépidité dans un être si frêle, ils étaient des admirateurs plutôt que des juges, et, quand Charlotte demanda en suppliant qu'on lui laissât mettre des gants pour que les cordes qui attachaient ses bras ne meurtrissent pas tant ses mains, Hamond ému ne put retenir ses larmes et s'éloigna pour les cacher.
Charlotte, dans sa prison, avait une grande sérénité, une grande joie de ce qu'elle avait fait ; racontant dans une longue lettre qu'elle écrivit à Barbaroux ses impressions, elle dit : « Qui sauve la patrie ne s'aperçoit pas de ce qu'il en coûte. Il n'est pas de dévouement dont on ne tire plus de jouissance que ce qu'il en coûte à se décider. Je prie ceux qui me regrettent de le considérer et de se réjouir. Chez les modernes, il y a peu de patriotes qui sachent s'immoler pour leur pays. Presque tout est égoïsme. Quel triste peuple pour former une République ! » Charlotte dès lors était déjà entrée, par la pensée, dans l'immortalité ; elle ne pensait plus à sa personne, mais à son acte, elle pressentait l'apothéose.
Dans sa lettre d'adieu à son père, elle cite ce vers du grand Corneille son ancêtre :
« Le crime fait la honte, et non pas l'échafaud. »
L'heure du jugement était connue dans Paris, depuis la veille ; une foule immense voulut y assister.
Nous laissons la parole à Lamartine, qui a décrit cette heure solennelle dans l'histoire :
« Quand l'accusée approcha, un bruit sourd s'éleva comme une malédiction sur son nom, du sein de cette multitude. Mais à peine eut-elle fendu la foule et fait rayonner sa beauté surnaturelle dans tous les regards, que ce murmure de colère se changea en un frémissement d'intérêt et d'admiration. Toutes les physionomies passèrent de l'horreur à l'attendrissement ; ses traits exaltés par la solennité du moment, colorés par l'émotion, troublés par la confusion de la jeune fille sous tant de regards, raffermis et ennoblis par la grandeur même du crime qu'elle portait dans l'âme et sur le front comme une vertu, enfin, la fierté et la modestie rassemblées et confondues dans son attitude, donnaient à sa figure un charme mêlé d'effroi qui troublait toutes les âmes et tous les yeux ; ses juges mêmes paraissaient des accusés devant elle : on croyait voir la justice divine ou la Némésis antique, substituant la conscience aux lois, et venant demander à la justice humaine, non de l'absoudre, mais de la reconnaître et de trembler ! » (Lamartine, Portraits et Biographies, p. 336).
Elle fut défendue par le jeune Chauveau-Lagarde, homme d'un grand courage.
Quand le président lui demanda : « Qui vous a inspiré tant de haine pour Marat ? » elle répondit : « Je n'avais pas besoin de la haine des autres, j'avais assez de la mienne.
- Que haïssiez-vous en lui ?
- Ses crimes.
- En lui donnant la mort, qu'espériez-vous ?
- Rendre la paix à mon pays.
- Croyez-vous donc avoir assassiné tous les Marat ?
- Celui-là mort, les autres trembleront peut-être. J'ai tué un homme pour en sauver cent mille. J'étais républicaine avant la Révolution. »
Voici la défense de Chauveau-Lagarde :
« L'accusée, avoue son crime ; elle avoue la longue préméditation ; elle en avoue les circonstances les plus accablantes. Citoyens, voilà sa défense tout entière : ce calme imperturbable et cette complète abnégation de soi-même, qui ne révèle aucun remords en présence de la mort ; ce calme et cette abnégation, sublimes sous un aspect, ne sont pas dans la nature ; ils ne peuvent s'expliquer que par l'exaltation du fanatisme politique qui lui a mis le poignard à la main. C'est à vous de juger de quel poids un fanatisme si inébranlable doit peser dans la balance de la justice. Je m'en rapporte à vos consciences. »
Les jurés prononcèrent, à l'unanimité, la peine de mort. Leur conscience était absente ce jour là.
Elle entendit l'arrêt sans pâlir.
Pendant qu'on l'interrogeait, un peintre, dans l'auditoire, faisait son portrait. Derrière lui, un jeune homme blond tenait les yeux attachés sur elle, ses réponses le faisaient frissonner, il semblait s'associer par les yeux, par le geste, par l'attitude, aux sentiments de l'accusée, et avait de la peine à contenir son émotion. Il eut un mouvement d'horreur quand il entendit prononcer la peine de mort, et Charlotte le vit, il fut récompensé d'un regard d'elle. Il s'appelait Adam Lux et était Allemand.
Elle rentra à la Conciergerie, où le jeune peintre la suivit et continua son œuvre. Mais l'arrivée du bourreau vint l'interrompre. Son portrait commencé resta inachevé ; le peintre qui le faisait s'appelait Hauer, sa famille le possède encore.
Au moment où elle monta sur la charrette pour aller à la mort, un orage éclata sur Paris. Malgré la pluie, une foule immense encombrait la place. Des hordes de femmes la poursuivaient de leurs malédictions, elle promenait un regard rayonnant de sérénité et de pitié sur tout ce peuple. Sa chemise rouge donnait à son visage, une splendeur dont tous les yeux étaient éblouis.
« Le soleil couchant éclairait son front de rayons semblables à une auréole, dit Lamartine. On ne savait si c'était l'apothéose ou le supplice de la beauté que suivait ce tumultueux cortège. Robespierre, Danton, Camille Desmoulins s'étaient placés sur son passage pour l'apercevoir. Elle ressemblait à la vengeance céleste satisfaite et transfigurée. Adam Lux attendait la charrette à l'entrée de la rue Saint-Honoré ; il suivit pieusement les roues jusqu'à l'échafaud.
« Il gravait dans son cœur, dit-il lui-même, cette inaltérable douceur au milieu des hurlements barbares de la foule, ce regard si doux et si pénétrant, ces étincelles vives qui s'échappaient comme des pensées enflammées de ses beaux yeux dans lesquels parlait une âme aussi intrépide que tendre : yeux charmants qui auraient dû émouvoir un rocher ! s'écrie-t-il. Souvenirs uniques et immortels qui brisèrent mon cœur et le remplirent d'émotions jusqu'alors inconnues ! Émotions dont la douceur égale l'amertume et qui ne mourront qu'avec moi. Qu'on sanctifie le lieu de son supplice et qu'on y élève sa statue avec ces mots : Plus grande que Brutus ! Mourir pour elle, être souffleté comme elle par la main du bourreau ; sentir en mourant le froid du même couteau qui trancha la tête angélique de Charlotte ; être uni à elle, dans l'héroïsme, dans la liberté, dans l'amour, dans la mort, voilà désormais mes seuls vœux. Je n'atteindrai jamais cette vertu sublime ; mais n'est-il pas juste que l'objet soit au-dessus de l'adorateur ? »
La charrette s'arrêta. Charlotte monta d'un pas ferme les marches de l'échafaud et mit elle-même sa belle tête sous le couteau. Sa tête roula et rebondit. Un des valets du bourreau, nommé Legros, prit d'une main la tête et de l'autre la souffleta, croyant flatter le peuple dans sa haine. Il se trompait, il y eut un murmure d'indignation et d'horreur.
Tel est le résumé de l'acte héroïque de cette apôtre de l'idée moderne. Quel homme eut un pareil courage, une pareille volonté, une pareille abnégation ? Elle donna sa vie pour sauver celle des autres, qui étaient pour elle des inconnus. Et sa statue n'est pas encore élevée à la place où elle subit le martyr.

« Au milieu de cette maison de fous, je suis ma propre voie intérieure. Au milieu de ce chaos, de cette détresse, je vis selon mon rythme et puis m'absorber à tout instant dans ce qui m'importe vraiment. Ce n'est pas que je me ferme à la souffrance qui m'entoure ou que je m'endurcisse. Je supporte tout très bien et conserve tout en moi, mais je vais imperturbablement mon chemin. »
(Etty Hillesum, Une vie bouleversée)



LES HOMMES DE LA RÉVOLUTION
DANTON (1759 - 1794)
Voyons ce qu'était cet homme que le peuple a glorifié.
M. Taine a fait son portrait. Voici ce qu'il en dit :
« Sans naissance, sans protection, sans fortune, trouvant les places prises et le barreau de Paris inabordable, reçu avocat après des efforts, il a longtemps vagué et attendu sur le pavé ou dans les cafés, comme aujourd'hui ses pareils dans les brasseries. Au café de l'École, le patron, bonhomme en petite perruque ronde, en habit gris, la serviette sous le bras, circulait autour des tables avec un sourire, et sa fille siégeait au fond, comme demoiselle de comptoir. Danton a causé avec elle et l'a demandée en mariage ; pour l'obtenir, il a dû se ranger, acheter une charge d'avocat au Conseil du roi, trouver dans sa petite ville natale des répondants et des bailleurs de fonds. Une fois marié, logé dans le triste passage du Commerce, chargé de dettes plus que de causes, confiné dans une profession sédentaire où l'assiduité, la correction, le ton modéré, le style décent et la tenue irréprochable étaient de rigueur, confiné dans un ménage étroit qui, sans le secours d'un louis avancé chaque semaine par le beau-père limonadier, n'aurait pu joindre les deux bouts, ses goûts larges, ses besoins alternatifs de fougue et d'indolence, ses appétits de jouissance et de domination, ses rudes et violents instincts d'expansion, d'initiative et d'action se sont révoltés ; il est impropre à la routine paisible de nos carrières civiles ; ce qui lui convient, ce n'est pas la discipline régulière d'une vieille société qui dure, mais la brutalité tumultueuse d'une société qui se défait ou d'une société qui se fait...
«... Avec de telles dispositions pour jouer un rôle, on est bien tenté de jouer sitôt que le théâtre s'ouvre, quel que soit le théâtre, interlope ou fangeux, quels que soient les acteurs, polissons, chenapans et filles perdues, quel que soit le rôle, ignoble, meurtrier et finalement mortel pour celui qui le prendra. Pour résister à la tentation, il faudrait les répugnances que la culture fine ou profonde développe dans les sens ou dans l'âme ; et, chez Danton, ces répugnances manquent. Ni au physique, ni au moral, il n'a de dégoûts...
« Supprimez la Révolution, et il y avait des chances pour que Danton devînt un flibustier du barreau, malandrin ou brave dans quelque affaire interlope, finalement égorgé et peut-être pendu. »
Cependant, Danton a trouvé des défenseurs et des admirateurs qui lui ont fait une biographie embellie, qui ont arrangé les faits de manière à les montrer sous un autre jour ; ils en font un avocat ayant reçu une forte éducation classique (à Troyes), font de son beau-père un contrôleur des fermes, quoiqu'ils soient bien obligés de le laisser tenancier d'un café, présentent sa femme comme une fille apportant une dot de 20.000 livres, et le montrent comme un avocat gagnant de 20 à 25.000 livres par an ; enfin, s'il est dans la misère, c'est parce que c'est un excellent cœur qui donne tout ce qu'il a.
Cette façon d'écrire l'histoire est connue et a toujours été pratiquée par ceux qui, de parti pris, veulent glorifier les mauvais instincts de la nature humaine. Et, malheureusement, c'est presque toujours le mensonge qui reste.
Danton avait tous les défauts des politiciens. C'était un agité, un arriviste, se jetant dans toutes les aventures pour faire parler de lui, faisant de beaux discours avec les idées des autres, donnant au peuple de belles phrases et de belles promesses, attaquant ceux qui étaient tombés, flattant la force, fomentant la plus terrible des révolutions tout en disant dans un fameux discours en latin : Malheur à ceux qui provoquent les révolutions, malheur à ceux qui les font. C'étaient des mots entendus et répétés, et qui étaient en complet désaccord avec ses actes. Il n'avait du reste aucun courage réel, car, lorsque éclata la Révolution, il se montra modéré par prudence, s'absenta lors de la pétition au Champ de Mars pour ne pas la signer, et ne se manifesta que quand il crut pouvoir le faire avec sécurité, prêchant la défense nationale, poussant les autres, préparant les luttes, les laissant réaliser aux autres. Les hommes de ce genre arrivent toujours à gagner une grande popularité. Ce sont des acteurs jouant les héros, et les naïfs s'y laissent prendre.
Danton était un homme sans idées, ne comprenant pas le grand mouvement de la pensée qui se faisait, mais cherchant cependant à s'en attribuer la gloire. Il ne comprenait pas le grand souffle de liberté qui animait les Girondins ; d'un caractère despotique, comme tous les inférieurs arrivés à des positions supérieures, il flattait les passions du peuple plutôt qu'il ne les dirigeait. C'était un vrai politique, tout le contraire d'un philosophe ; sa liberté, c'est la révolte d'en bas, non l'émancipation de l'Esprit ; c'est pour cela qu'il l'aime à sa manière et se trouve en contradiction avec les Girondins qui la veulent autrement.
Il n'est pas étonnant, après cela, que Mme Roland ait refusé le concours de cet homme. Elle repoussa la main qu'il lui tendait, disant : « Cette main est tachée des massacres de Septembre... », ces massacres qu'il n'a pas inspirés, dit-on pour le défendre, mais qu'il n'a pas empêchés, alors qu'il pouvait le faire, étant ministre.
Garat écrivait en 1794 : « Danton a été accusé de participation aux massacres de Septembre. J'ignore s'il a fermé les yeux et ceux de la justice quand on égorgeait ; on m'a assuré qu'il avait approuvé, comme ministre, ce qu'il détestait sûrement comme homme ; mais je sais que, tandis que les hommes de sang auxquels il se trouvait associé par cette victoire de la liberté exterminaient leurs ennemis, Danton, couvrant sa pitié sous des rugissements, dérobait à droite et à gauche autant de victimes qu'il lui était possible, et que ces actes ont été relatés comme des crimes envers la Révolution dans l'acte d'accusation qui l'a conduit à la mort. »
« Danton, écrira Lamartine, on l'achetait tous les jours et le lendemain, il était encore à vendre. »
Mme Roland avait une antipathie instinctive pour cet homme « d'une laideur repoussante » et dont tout le physique annonce une âme basse et un caractère despotique ; du reste, elle avait été la victime de ses calomnies, car il était, comme tous les médiocres, un envieux, et c'est toujours en avilissant les autres que les inférieurs se vengent de leur infériorité ; il avait, faisant allusion, à la tribune, à l'influence de Mme Roland, insinué qu'elle la devait à son sexe, non à son esprit. Calomnie grossière qui peint l'homme dégénéré.
Mme Roland ne pardonna pas l'outrage, elle préféra la ruine de son parti au sacrifice de sa dignité. Du reste, les Girondins étaient destinés a être vaincus dans la lutte des partis à cause même de cette aristocratie de l'Esprit qu'ils représentaient. Ils avaient, comme tous les supérieurs, une grande répugnance pour les rudesses de la rue, pour les violences populaires, pour les intempérances de langage, « la nausée de la rue », a-t-on dit, alors que Danton en était l'âme. C'était un parti animé de l'Esprit féminin.
La Gironde et la liberté furent perdues parce que l'homme brutal qui voulait s'en faire un marchepied fut repoussé. Hypocritement, il disait : « Vingt fois, je leur ai offert la paix : ils refusaient de me croire, pour conserver le droit de me perdre. » A l'entrevue de Sceaux, nous le voyons adresser un sanglant reproche à l'imprudent Guadet, qui se montra intransigeant : « Guadet, Guadet, tu ne sais pas faire le sacrifice de ton opinion à ta patrie, tu ne sais pas pardonner ; tu seras victime de ton opiniâtreté. »
Garât, qui défendait Danton, a voulu lui prêter de beaux sentiments quand les Girondins furent mis en accusation. Il dit :
« J'allai chez Danton, il était malade ; je ne fus pas deux minutes avec lui sans voir que sa maladie était surtout une profonde douleur et une grande consternation de tout ce qui se préparait ; je ne pourrai pas les sauver, furent les premiers mots qui sortirent de sa bouche, et, en les prononçant, toutes les forces de cet homme, qu'on a comparé à un athlète, étaient abattues ; de grosses larmes tombaient le long de son visage dont les formes auraient pu servir à représenter celui d'un Tartare ; il lui restait pourtant encore quelque espérance pour Vergniaud et Ducos... »
Donc, Danton ne sauva pas les Girondins.., et avec eux c'en fut fait de la République et de la liberté. Les Girondins, suivant le grand exemple de Mme Roland, eurent jusqu'à leur dernière heure une fermeté admirable et un courage héroïque. Précurseurs des grandes idées que nous cherchons à réaliser, ils en furent les premiers martyrs. Danton assista à leur mort. Eut-il le pressentiment que son tour allait venir ?
En relisant cette terrible histoire, on est frappé de deux choses :
- L'erreur des masses qui glorifient le traître, car Danton trahit l'idée révolutionnaire.
- L'ingratitude des hommes pour la grande femme qui fit la Révolution.
Les hommes du XIXème siècle tombés dans la décadence morale et intellectuelle ont statufié Danton, ont perpétué l'horrible masque de l'homme pervers, et ont élevé son image près de l'Abbaye où Mme Roland fut enfermée, alors qu'elle, la grande citoyenne, la plus belle figure de notre histoire moderne, n'a pas sa statue sur cette place où elle souffrit pour la liberté. C'est là une des ironies de l'esprit masculin.
Donc, ce sont toujours les monstres qui renversent une idée qui sont glorifiés pour l'idée qu'ils ont massacrée. Danton est debout, les générations nouvelles le regardent comme un héros. Mme Roland n'est pas représentée, elle qui fut le plus beau caractère de la Révolution.

ROBESPIERRE (1758 - 1794)
Présenté à Mme Roland par Brissot, longtemps il fréquenta son salon, s'inspirant de ses grandes idées, mais avec la pensée secrète d'en faire sa gloire personnelle, un marchepied pour arriver au pouvoir, et nul pressentiment ne semble avertir Mme Roland qu'elle recueille un traître, qu'elle réchauffe un ennemi dans son sein, un homme qui, après avoir conspiré avec elle, conspirera contre elle, renversera la puissance de son parti et prendra sa place, et l'enverra elle-même à l'échafaud. Le contraste est frappant entre la bonté de la femme et la perfidie de l'homme.
Le 10 août, Mme Roland se livra à un mouvement de générosité pour sauver Robespierre.
Après la journée du Champ de Mars, il fut accusé d'avoir conspiré avec les rédacteurs de la pétition de déchéance, et, menacé comme factieux de la vengeance de la garde nationale, il fut obligé de se cacher. Mme Roland, accompagnée de son mari, se fit conduire à onze heures du soir dans sa retraite pour lui offrir un asile plus sûr, dans sa propre maison ; il avait déjà fui ce domicile ; elle supplia Buzot d'aller aux Feuillants disculper Robespierre, pour elle, pour la liberté qu'ils défendaient ensemble ; il y alla, après avoir hésité un moment.
Ces trois amis dévoués devaient tomber victimes de l'homme qu'ils s'efforçaient de sauver.
Quand Mme Roland fut arrêtée et enfermée à Sainte-Pélagie, elle eut l'idée d'écrire à Robespierre, se rappelant l'ancienne amitié qui avait existé entre elle et lui ; elle était malade à l'infirmerie de la prison, pensait à sa fille, à son mari, eut un moment de faiblesse ; un médecin qui se disait ami de Robespierre était venu la voir, il lui parla de lui, peut-être pour lui rapporter les propos qu'il entendrait.
Elle lui répondit : « Robespierre, je l'ai beaucoup connu et beaucoup estimé. Je l'ai cru un sincère et ardent ami de la liberté. Je crains aujourd'hui qu'il n'aime la domination et peut-être la vengeance. Je le crois susceptible de prévention, facile à passionner, lent à revenir de ses jugements, jugeant trop vite coupables ceux qui ne partagent pas ses opinions. Je l'ai vu beaucoup : demandez-lui de mettre sa main sur sa conscience et de vous dire s'il pense mal de moi. »
Et cette noble femme, qui ignorait la nature perverse de l'homme, faisait appel à des bons sentiments qu'il n'avait pas, à une conscience droite comme la sienne...
Elle eut jusqu'à la naïveté de lui écrire, mais elle déchira sa lettre et ne l'envoya pas, mais elle en garda les morceaux ; sa dignité de femme l'avertit à temps qu'on n'implore pas un traître.
« Robespierre, homme de volonté, sans lumière, ayant toute sa force dans l'instinct, doit être regardé comme l'expression d'une tyrannie populaire dont l'action se réfléchissait dans les moindres comités révolutionnaires ; il n'existait pas d'opinion publique hors de lui, ceux qui avaient le malheur de s'y confier étaient perdus. Tyran subalterne... » (Fabre d'Olivet, De l'étal social de l'homme, p. 334).


La démocratie : est une erreur, un leurre, une illusion
René Guénon, au sujet de la démocratie (La crise du monde moderne), précise ceci :
« Si l’on définit la « démocratie » comme le gouvernement du peuple par lui-même, c’est là une véritable impossibilité, une chose qui ne peut pas même avoir une simple existence de fait, pas plus à notre époque qu’à n’importe quelle autre ; il ne faut pas se laisser duper par les mots, et il est contradictoire d’admettre que les mêmes hommes puissent être à la fois gouvernants et gouvernés, parce que, pour employer le langage aristotélicien, un même être ne peut être « en acte » et « en puissance » en même temps et sous le même rapport. Il y a là une relation qui suppose nécessairement deux termes en présence : il ne pourrait y avoir de gouvernés s’il n’y avait aussi des gouvernants, fussent-ils illégitimes et sans autre droit au pouvoir que celui qu’ils se sont attribué eux-mêmes ; mais la grande habileté des dirigeants, dans le monde moderne, est de faire croire au peuple qu’il se gouverne lui-même ; et le peuple se laisse persuader d’autant plus volontiers qu’il en est flatté et que d’ailleurs il est incapable de réfléchir assez pour voir ce qu’il y a là d’impossible. C’est pour créer cette illusion qu’on a inventé le « suffrage universel » : c’est l’opinion de la majorité qui est supposée faire la loi ; mais ce dont on ne s’aperçoit pas, c’est que l’opinion est quelque chose que l’on peut très facilement diriger et modifier ; on peut toujours, à l’aide de suggestions appropriées (sondages, attentats « terroristes », (pseudo) pandémies, etc.), y provoquer des courants allant dans tel ou tel sens déterminé. »
(La presse, tous les médias, depuis longtemps appartiennent aux puissances d'argent et ne servent qu'à manœuvrer l'opinion publique : pourquoi croyez-vous que toutes les marionnettes gouvernementales qui se succèdent à la tête de l'Etat, depuis des années, les financent, les « subventionnent » autant ?)
C’est pour cela qu’on a pu dire que « l’opinion, c’est l’erreur du plus grand nombre ».
« Ce n’est pas le nombre qui compte, dit Gandhi, mais la qualité... Je ne conçois pas le nombre, ajoute-t-il, comme une force nécessaire dans une cause juste. »
Et René Guénon de confirmer : « L’avis de la majorité ne peut être que l’expression de l’incompétence. »
Ceci permet de comprendre pourquoi le pouvoir politique (comme le pouvoir religieux du reste) se fonde volontiers sur l’ignorance du peuple et s’accroît d’autant que les esprits sont faibles, les gens incultes.
Toute élévation du type humain demande un régime aristocratique. La démocratie avilit en abaissant les bons, c’est une tyrannie qui s’exerce par un mouvement de traction morale, de bas en haut ; elle fait descendre, elle empêche les meilleurs de s’élever, elle abat les têtes qui dépassent le niveau des médiocres, empêchant ainsi l’éclosion des types supérieurs, elle supprime le respect et rend les petits insolents.
« Il nous faut encore insister sur une conséquence immédiate de l’idée « démocratique » qui est la négation de l’élite entendue dans sa seule acception légitime, dit encore René Guénon ; ce n’est donc pas pour rien que « démocratie » s’oppose à « aristocratie », ce dernier mot désignant précisément, du moins lorsqu’il est pris dans son sens étymologique, le pouvoir de l’élite. Celle-ci, par définition, ne peut être que le petit nombre, et son pouvoir, son autorité plutôt, qui ne vient que de sa supériorité intellectuelle, n’a rien de commun avec la force numérique sur laquelle repose la « démocratie », dont le caractère essentiel est de sacrifier la minorité à la majorité, et aussi, par là même, la qualité à la quantité, donc l’élite à la masse. Ainsi, le rôle directeur d’une véritable élite et son existence même, car elle joue forcément ce rôle dès lors qu’elle existe, sont radicalement incompatibles avec la « démocratie », qui est intimement liée à la conception « égalitaire », c’est-à-dire à la négation de toute hiérarchie : le fond même de l’idée « démocratique » c’est qu’un individu quelconque en vaut un autre, parce qu’ils sont égaux numériquement, et bien qu’ils ne puissent jamais l’être que numériquement. Une élite véritable ne peut être qu’intellectuelle, et c’est pourquoi la « démocratie » ne peut s’instaurer que là où la pure intellectualité n’existe plus, ce qui est effectivement le cas du monde moderne. Seulement, comme l’égalité est impossible en fait, et comme on ne peut supprimer pratiquement toute différence entre les hommes, en dépit de tous les efforts de nivellement, on en arrive, par un curieux illogisme, à inventer de fausses élites, d’ailleurs multiples, qui prétendent se substituer à la seule élite réelle ; et ces fausses élites sont basées sur la considération de supériorités quelconques, éminemment relatives et contingentes, et toujours d’ordre purement matériel. On peut s’en apercevoir aisément en remarquant que la distinction sociale qui compte le plus, dans le présent état de choses, est celle qui se fonde sur la fortune, c’est-à-dire sur une supériorité tout extérieure et d’ordre exclusivement quantitatif, la seule en somme qui soit conciliable avec la « démocratie », parce qu’elle procède du même point de vue. »
René Guénon nous fait remarquer également que dans la Franc-Maçonnerie moderne, nous trouvons l’existence d'une « Maçonnerie mixte », ou « Co-Masonry », comme elle est appelée dans les pays de langue anglaise, qui représente tout simplement une tentative de transporter, dans le domaine initiatique lui-même qui devrait encore plus que tout autre en être exempt, la conception « égalitaire » qui, se refusant à voir les différences de nature qui existent entre les êtres, en arrive à attribuer aux femmes un rôle proprement masculin, et qui est d’ailleurs manifestement à la racine de tout le (Faux) « féminisme » contemporain.
De l’égalité à l’uniformité et de « l'homme-robot » au transhumanisme.
« L’uniformité, pour être possible, dit René Guénon, supposerait des êtres dépourvus de toutes qualités et réduits à n’être que de simples « unités » numériques ; et c’est aussi qu’une telle uniformité n’est jamais réalisable en fait, mais que tous les efforts faits pour la réaliser, notamment dans le domaine humain, ne peuvent avoir pour résultat que de dépouiller plus ou moins complètement les êtres de leurs qualités propres, et ainsi de faire d’eux quelque chose qui ressemble autant qu’il est possible à de simples machines, car la machine, le robot, produit typique du monde moderne, est bien ce qui représente, au plus haut degré qu’on ait encore pu atteindre, la prédominance de la quantité sur la qualité. C’est bien à cela que tendent, au point de vue proprement social, les conceptions « démocratiques » et « égalitaires », pour lesquelles tous les individus sont équivalents entre eux, ce qui entraîne cette supposition absurde que tous doivent être également aptes à n’importe quoi ; cette « égalité » est une chose dont la nature n’offre aucun exemple, puisqu’elle ne serait rien d’autre qu’une complète similitude entre les individus ; mais il est évident que, au nom de cette prétendue « égalité » qui est un des « idéaux » à rebours les plus chers au monde moderne, on rend effectivement les individus aussi semblables entre eux que la nature le permet, et cela tout d’abord en prétendant imposer à tous une éducation uniforme. Il va de soi que, comme malgré tout on ne peut pas supprimer entièrement la différence des aptitudes, cette éducation ne donnera pas pour tous exactement les mêmes résultats ; mais il n’est pourtant que trop vrai que, si elle est incapable de donner à certains individus des qualités qu’ils n’ont pas, elle est, par contre, très susceptible d’étouffer chez les autres toutes les possibilités qui dépassent le niveau commun ; c’est ainsi que le « nivellement » s’opère toujours par en bas. »
Politique de droite ou de gauche, « C'est toujours la même vieille tentation, ajoute Louis Pauwels : convaincre les hommes de renoncer à leur autonomie, à leur singularité, à leur différence. À l'ère des machines et de l'informatique, beaucoup se prennent pour des robots. Or, les robots ne vivent pas. Ils n'ont pas d'intériorité. Ils ne connaissent qu'une loi, celle des tyrans qui les manipulent. » (Les dernières chaînes)
L’égalité c’est la fin d’une race, « tous dégénérés », « tous fous », tous égaux dans la bêtise ou dans la bassesse.


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« Je reste convaincu qu'un peuple, eût-il été historiquement le plus grand porteur de liberté qui soit au monde, ne peut aucunement se reposer dans l'attente que les autres peuples parviennent à son niveau, sous peine d'y perdre son génie et de voir se corrompre les idées dont il ne fait plus que rétrospectivement sa substance. »
(André Breton)





À suivre : L'AMOUR
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