LA GAULE ROMAINE


Il est intéressant de noter que dans la Guerre des Gaules, César ne parle pas des rois. A cette époque, il n'existait plus de royauté légitime, le pouvoir étant entre les mains de militaires usurpateurs. 




GOLD, l'OR, en allemand, anglais, et autres langues « germaniques », est un mot GAULOIS. Les philologues le tirent soit de « gèld », jaune, et de « galèn », briller ; soit de « gluhèn », briller.
L'idée est juste en soi, l'OR étant jaune et brillant ; mais les racines sont tirées par les cheveux et fausses.
Voici les racines et radicelles de GOLD en Gaulois :
GAWL, saint, pur, lumière ; et ceci nous donne une seconde étymologie de notre GAULE, que nous avons tiré de GAU-OLL.
GOL, GOLAU, clair, brillant.
LLUD, essentiel ; pur MINERAI ; opulence.
GOL-LUD, GOLUD par crase, « gol-lud », « gol'ud » a formé le mot GOLUD dans le Gallois, dont une seconde crase a laissé « gol'd » GOLD à toutes les langues du Nord.
Et voilà tout l'OR du RHIN rentré dans notre escarcelle ; et Grimhilde, et Siegfried, son fidèle chevalier-servant, et les Nibelongs, et les Bourguignons privés du vil métal, motif de leurs querelles sanglantes.
- Patron, j'aime mieux votre seconde étymologie de la GAULE.
- La racine est donc double, et c'est pour cela que notre GAULE tient si profondément au sol de ses grands Ancêtres.
(Oscar Vignon, Mystifications historiques, philologiques)


Nous avons dit, dans un article précédent, que ceux qui enseignent l'histoire nous montrent la Celtide antérieure à l'occupation romaine comme un pays barbare, n'ayant ni industrie, ni art, ni littérature, ni religion.
Nous venons de voir que c'est tout le contraire de la vérité, et que chez nos ancêtres celtiques régnait la grande civilisation qui partout a été le résultat du régime gynécocratique. Mais les masculinistes ont toujours voulu faire naître la civilisation au moment où commence leur règne, pour faire croire qu'ils en sont les auteurs.
Comme c'est l'invasion romaine dans les Gaules qui apporta définitivement le règne de l'homme, c'est de cette époque qu'on date le commencement de la civilisation gauloise. Et nous allons voir que ce fut au contraire le commencement d'une ère de barbarie qu'importa le grand perturbateur romain, César, le destructeur de l'indépendance nationale de la Gaule.
La civilisation romaine, dont on nous vante tant les brillants résultats, ne fut qu'un régime d'immoralité et de mensonge, de lois iniques et de servitudes, mais développa les arts, l'architecture surtout, fit de grands travaux, des routes, des ponts, des marchés, en un mot tout ce qui concerne la vie matérielle. Quant à la vie morale, Rome la supprima. C'est à partir de César que les germes de la décadence se manifestent dans le monde romain. Cela justifie cette pensée de Montesquieu : « Tout ce qui atteint le faîte de la grandeur (matérielle) est voisin de la décadence. », ainsi que celle, plus contemporaine, de René Guénon lorsqu'il dit : « plus les éléments sociaux qui l’emportent sont d’un ordre inférieur, moins leur domination est durable. »
Pendant que l'architecture atteignait son apogée sous Auguste, les austères et antiques croyances des Pélasges disparaissaient. Or un peuple qui ne vit que pour satisfaire ses passions et ses plaisirs est un peuple tombé. L'immoralité que ce peuple appelle sa civilisation est un venin dont il empoisonne le monde en la propageant par ses conquêtes (après cette « Pax Romana » viendra la « Pax Britannica », puis la « Pax Americana » toujours en cours actuellement au grand dam de l'humanité). C'est pour cela que l'influence romaine a été une des plaies du monde. César introduisit en Gaule des cruautés inouïes, un manque de bonne foi révoltant, des pillages monstrueux. Il était suivi d'innombrables troupes de gens sans aveu, dont il tolérait les brigandages et les crimes pour leur faire oublier les misères auxquelles il les soumettait.
Non seulement les Gaulois n'étaient pas des sauvages incultes, mais ils possédaient un art, une industrie, une science remarquables.
On sait aujourd'hui que les produits des Gaules faisaient le plus bel ornement des riches demeures de Rome et des splendides villas de la campagne romaine.
Mais les auteurs latins étaient vantards et hâbleurs comme tous les peuples dégénérés, et c'est dans leur littérature qui dénigrait les Gaulois (leurs anciens vainqueurs) que nos modernes Français vont chercher leurs documents.
Le temps est venu de rétablir la vérité historique, de rendre justice à la nation celtique, et de démasquer les grands dénigreurs qui n'étaient que des inférieurs et des envieux. Le cycle du mal ouvert par eux doit se fermer maintenant, et, en ouvrant un nouveau cycle, celui du Bien, notre devoir est de porter sur ceux qui ont avili les races un jugement sévère : Les milices romaines ont été des hordes dévastatrices, Le droit romain, un code infâme, Les mœurs romaines, de la boue et du sang, La littérature latine, l'expression de l'erreur et du mensonge.
C'est à nous à apporter les éléments de la revanche du Celte-Gaulois à la longue chevelure sur le César chauve, qu'on a fait aimer à la jeunesse française, alors qu'il ne fut qu'un affreux despote. Donnons à nos enfants d'autres types à admirer, montrons-leur ceux qui ont lutté et souffert pour la défense de la nation gauloise et des anciens principes qui survivaient encore dans les républiques celtiques.
Le Romain a fondé la Patrie en détruisant la Matrie ; c'est là son crime. Cessons donc de considérer l'idée de Patrie comme un idéal supérieur, puisque c'est l'antithèse du droit naturel que représente la Matrie. Ce n'est pas un progrès de fonder une patrie ; c'est une décadence, puisque c'est la substitution du droit factice de la force au droit naturel de l'Esprit qui régnait dans les nations.
La Nation est au-dessus de la Patrie. L'unité des grands Etats sous un chef despote n'est pas un progrès, cela ne crée pas une civilisation, c'est un asservissement général, une décadence. La civilisation est dans le morcellement des Etats, dans les petites républiques confédérées et gouvernées chacune par la plus haute puissance spirituelle qui y fait régner la vérité, la justice, le bien de tous. Une unité fédérative de tous les Etats du monde dans la vérité définitivement acquise, voilà le progrès, voilà la base de la grande civilisation, de la prospérité et du bonheur des Nations.
Mais le pouvoir de la force et de l'audace ou du hasard de l'hérédité centralisée en une seule main, qui peut être despotique ou imbécile, c'est une cause de ruine, de souffrances générales et de guerres perpétuelles.
Toutes les guerres de César ne sont qu'une suite d'attaques continuelles et d'attentats contre la vie et les biens de gens innombrables et inoffensifs, honnêtes et paisibles. Plutarque dit que dans les guerres des Gaules le proconsul prit 800 villes, vainquit 300 peuples, et remporta 40 batailles rangées, dans lesquelles il aurait combattu 3 millions d'hommes, dont un million aurait péri, et un autre million aurait été fait prisonnier. De plus, César imposa au pays soumis un tribut annuel de 40 millions de sesterces, ce qui fait 8 millions 400.000 francs par an (valeur début XXème siècle et 30 400 000 €uros au début du XIXème).
César ne persécuta pas les Druides d'abord, parce qu'ils étaient masculinistes comme lui ; c'était déjà l'alliance du trône et de l'autel, et les Druides ne prêchaient pas la haine de César.
Ils aidèrent plutôt l'envahisseur et lui furent utiles. Mais quand le proconsul put s'en passer, il les traita cruellement.
Les mœurs romaines, la lâcheté, la courtisanerie et l'amour des places et des honneurs, en un mot le bluff, pervertirent les Gaulois ; puis le masculinisme des Romains éveilla en eux l'orgueil, et les détacha des principes de l'ancienne religion maternelle.
Comment cela aurait-il été autrement quand ils voyaient des empereurs qui osaient se dire « Dieu » ?
A Lugdunum (Lyon), on construisit un temple en l'honneur de Rome et d'Auguste. Cela préparait les esprits à accepter toutes les divagations théologiques que Rome allait continuer à jeter sur la Gaule.
Les collèges des Druidesses et les écoles des Bardes qui enseignaient l'ancienne doctrine furent fermés ; on les remplaça par des écoles romaines, enseignant l'orgueil de l'homme et la gloire des conquérants. Dans cet enseignement, on supprimait de l'histoire tous les noms de femmes et on couvrait du plus profond silence la glorieuse civilisation des peuples gynécocratiques.
Puis on abandonna l'usage de la langue maternelle, la vieille langue celtique, et on prit l'usage du latin. La langue celtique disparut presque complètement ; on la retrouve dans le breton, dans le flamand et dans le wallon. La littérature latine vint masculiniser la Gaule ; on n'écrivit plus dans la langue celtique, mais les anciens qui gardaient la langue de leur jeunesse la mêlèrent au latin et il en résulta une langue nouvelle : la langue romane.
La vie intellectuelle qui avait brillé avant cette époque ne nous a pas été conservée, on en a détruit tous les vestiges, comme on avait détruit les manuscrits de la Bibliothèque d'Alexandrie.
Ce fut l'époque de la dévastation. Les Gaules, quand elles étaient libres, avaient leur génie propre ; après la conquête, elles perdirent leurs traditions, parce que les hommes, en imitant et copiant les Romains, firent naître une lutte sourde entre les principes de l'ancien monde et ceux du nouveau régime masculiniste qui allait régner.

ÉTAT DE LA GAULE A L’ÉPOQUE DE CÉSAR
La Gaule formait un ensemble de confédérations rattachées les unes aux autres par un lien social et religieux ; elles étaient théogoniques et matriarcales.
Ces confédérations se subdivisaient en peuplades, en tribus, et celles-ci en clans ou parentés, c'est-à-dire en familles. Le territoire du clan était désigné par les Romains sous le nom de pagus ; ses habitants étaient donc des pagani. C'est ainsi qu'on désignait les partisans de l'ancien régime pour les humilier et les diminuer socialement ; de ce mot on a fait paysan.
Plutarque nous dit qu'il y avait 300 pagi dans toute la Gaule. Ce chiffre est celui des pays qui, sous l'ancienne monarchie, étaient répartis en 39 gouvernements militaires, ce qui ferait supposer que l'ancienne subdivision celtique a existé jusqu'à la Révolution française.
Les clans avaient pour origine la parenté utérine, c'est-à-dire que la parenté n'existait que dans la lignée maternelle.
Mais les confédérations se jalousaient, et chacune voulait dominer les autres.
Chaque confédération avait à sa tête une aristocratie composée d'un petit nombre de familles plus renommées que les autres, et dans ces familles étaient les hommes nobles, les chevaliers qu'on appelait « colliers d'or » parce que le collier était la marque distinctive du haut rang qu'ils occupaient. Ils étaient les mandataires des Déesses-Mères, leur pouvoir exécutif, pourrait-on dire, et les défenseurs de la Matrie. Mais ils étaient combattus par les Druides, ennemis du pouvoir féminin.
Les chevaliers celtes ne reconnaissaient pas le principe de la Patrie romaine, ils ne se rattachaient qu'à la Matrie dont ils dépendaient, c'est-à-dire à la Nation locale où ils étaient nés et avaient été élevés sous l'égide d'une Mère protectrice. Ils se rattachaient à leur clan, à leur tribu, même à la confédération à laquelle ils appartenaient, mais, au-delà, ne s'intéressaient plus aux autres. Chaque confédération envoyait des députés à la réunion qui se tenait une fois par an dans une forêt située sur le territoire des Carnutes.
Quand les Druides eurent pris le pouvoir, l'assemblée fut présidée par l'archi-prêtre, ou le chef de la religion masculine. Les Brenns, qui étaient les chefs militaires chargés de défendre la Matrie, ne défendaient aussi que leur tribu et leur confédération.
Cette organisation nationale était un régime éminemment moral ; elle faisait des hommes vertueux, mais elle n'était pas disposée pour lutter sur les champs de bataille avec des peuples guerriers chez lesquels la force opprimait tout.

RÉVOLTE DES INFÉRIEURS
Mais l'ordre établi par les Femmes ne suffisait pas pour enrayer les instincts batailleurs des hommes inférieurs, et l'on voyait sans cesse se produire des discordes entre tribus, entre confédérations, entre peuples, puis l'instinct de l'agrandissement poussait les ambitieux à sortir des limites de leur nation.
Dans chaque peuplade, deux partis se constituèrent : le parti inférieur populaire qui demandait l'indépendance ; le parti des supérieurs qui suivait les Druidesses, les Bardes et les Chevaliers.
Ceux-ci résistèrent à outrance à ceux qui voulaient se libérer de l'ancien régime moral.

TRAHISON DES DRUIDES
Ce qui détermina l'invasion romaine, ce furent les intrigues des Druides.
Ces hommes vivaient au milieu d'un luxe extrême. L'amour du faste est inné dans toutes les castes sacerdotales qui ne travaillent pas ; il avait pris des proportions exagérées chez les prêtres gaulois, et c'est cet amour du luxe qui rend possible toutes les trahisons.
Les Druides Eduens, dont la capitale était Bibracte (devenue Verdun), étaient en relations suivies avec les Romains. Ces hommes qui avaient abandonné les austères vertus de leurs ancêtres, qui ne suivaient plus la sévère discipline de leur ordre, allaient souvent en Italie, à Rome, la ville des plaisirs. César nous montre le Druide Divitiac guerroyant au mépris de la loi sainte qui enjoignait aux prêtres de ne pas paraître sur les champs de bataille, et de vivre au fond des bois impénétrables, regardés comme les sanctuaires de la Divinité.
Divitiac fut l'hôte de César, son ami fidèle ; il avait les mœurs romaines et n'avait pas plus de religion que César lui-même, qui était cependant prêtre de Jupiter, comme le Druide était prêtre d’Hésus. Ces deux pontifes, aussi impies l'un que l'autre, étaient faits, pour s'entendre.
La Gaule était remplie d'espions romains, et César appréciait beaucoup leurs services. Il en entretenait auprès de Dumnorix, après lui avoir fait grâce de la vie, à la prière de Divitiac. C'est par ces espions que César savait si bien ce qui se passait à Alésia.

KELTIL, CHEF DE PARTI
Cependant, un parti anti-romain s'était formé ; il comprenait des gens qui voulaient bien des réformes, mais faites par eux et selon leurs principes, et non par l'introduction parmi eux des mœurs romaines.
À la tête de ce parti était le Gaulois Keltil (ou Keltillos), qui fut le père de Vercingétorix. Il faisait partie de l'Arvernie (l'Auvergne actuelle). Deux fois déjà, sa confédération avait obtenu la suprématie parmi les confédérations de la Gaule, suprématie que les auteurs latins appelaient principatum (principat ou primauté).
L'Arvernie formait un contraste complet avec le pays des Eduens, livré aux Druides. Elle avait conservé toute la pureté des mœurs antiques, et était restée en dehors de l'influence étrangère. Les marchands romains ne s'aventuraient pas dans cette contrée sauvage.
Les Celtes de l’Arvernie avaient un ardent amour du sol natal, de la Nation, qui s'était encore accentué depuis que les Romains avaient introduit l'idée de Patrie dans la province romaine, la Narbonnaise, dont ils n'étaient pas loin ; mais leurs hautes montagnes étaient pour eux les remparts de leur indépendance gauloise, et leur sentiment national s'exaltait encore en entendant la voix des Bardes qui leur retraçait les grandeurs de la vieille Celtide.
Les Bardes qui étaient restés fidèles à l'enseignement des Druidesses avaient gardé tout le prestige de l'ancienne initiation religieuse, prestige que les Druides avaient perdu par leurs trahisons et leurs divagations surnaturelles. Plus que jamais les Bardes étaient en honneur. C'est par eux, sans doute, que Keltil connut les annales du passé et sut que six siècles avant lui la Celtide avait été défendue par Ambignat, un Arverne. C'est par eux aussi qu'il connut sans doute la tentative plus récente de Bituit, qui en 122 avant notre ère s'était mis à la tête de presque toutes les peuplades des Gaules pour expulser l'étranger du sol Sacré de la Matrie.
Cependant, cette tentative n'avait pas été heureuse ; l'armée romaine, forte de cinq légions commandées par Fabius (1), avait taillé en pièces les tribus confédérées.
Après cette défaite, les Arvernes avaient été déchus de leur ancien prestige, et la suprématie, grâce aux Romains, était passée aux Eduens que les Massiliens (Marseillais) avaient fait de bonne heure reconnaître comme amis de la puissance romaine.
Keltil allait donc reprendre l'œuvre de Bituit, mais il appartenait au parti populaire, à ce parti qui voulait se soustraire à l'autorité morale de la Déesse-Mère. Il voulut donner au peuple un droit plus étendu que celui dont il avait joui jusqu'alors, et fit reconnaître par les chefs qui s'étaient ligués avec lui que la décision des affaires importantes n'appartiendrait plus au Sénat de chaque tribu (les Matrones), mais à tous les hommes qui seraient admis aux délibérations du Concilium publicum. C'était le commencement d'une révolution, presque une démocratie.
Vercingétorix, qui naquit à Gergovie vers 82 avant notre ère, fut élevé dans ces idées révolutionnaires. Il n'est donc pas étonnant qu'il se fît le chef du parti qui voulut les réaliser.
Keltil son père était à la tête d'une des plus puissantes confédérations gauloises, et rêvait de réunir en un seul corps de Nation toutes les tribus qui couvraient le sol de la Gaule. Son projet, s'il avait réussi, aurait porté atteinte au régime des tribus matriarcales autant que l'invasion romaine ; c'était déjà la pensée orgueilleuse d'une Nation se constituant sous l'autorité d'un chef unique, un homme, système funeste que César allait réaliser.
Vercingétorix se posa donc en chef suprême d'un grand peuple, et des monnaies furent frappées à son effigie, qui portaient ce seul mot : « Vercingétorix ».
Son père voulait sans doute faire prévaloir le droit paternel, puisqu'il voulut que son fils portât son nom, Keltil, alors que jusque-là l'enfant ne portait pas le nom de son père, mais le nom de sa mère qui était du reste celui de la tribu, et avait un prénom qui lui était spécial.
Cependant, les chefs des tribus confédérées se lassèrent bientôt de l'hégémonie du chef arverne Keltil (le père), mais son ascendant sur le peuple était si grand qu'une rupture de la ligue n'était pas possible. Keltil employa des procédés de dictateur.
Les Brenns des autres clans se soulevèrent contre lui, entraînés par son propre frère Gabanition, qui accusa Keltil de vouloir rétablir la royauté qui avait été essayée, mais qui n'avait pas duré. Keltil fut cité devant le Concilium publicum et reconnu coupable. Il fut condamné et mourut au milieu des flammes.
Vercingétorix pouvait alors avoir 20 ans.
Ceci nous éclaire sur les agitations politiques de cette époque, sur les intrigues des chefs, l'esprit révolutionnaire du peuple, l'ambition de tous.
A la suite de la condamnation de son père, Vercingétorix fut banni parce qu'il défendait la même cause. Dans les tribus gauloises, on ne punissait pas les fils pour les fautes des pères.
Mais dans ce cas le fils fut trouvé dangereux, non à cause de son père, mais par ce qu'il faisait lui-même.
Une chose nous étonne : la grande renommée qui se fit autour de Vercingétorix qui était Brenn des Arvernes, une position secondaire en somme, alors qu'aucun historien ne cite le nom de la Déesse-Mère qui régnait alors dans cette tribu.
Ces préliminaires étaient nécessaires pour faire comprendre le véritable mobile qui poussa Vercingétorix à combattre l'invasion romaine.
(1) La « Fabian Society », fondée le 4 janvier 1884 à Londres, qui est une organisation globaliste qui a pour but de renverser l’ordre existant et d’établir un gouvernement mondial socialiste contrôlé par ses dirigeants et par les intérêts financiers qui leur sont associés, tient son nom « FABIAN » du nom du général romain Quitus FABIUS Maximus (nom porté par les « Fabii », membres de la gens « Fabia » de la Rome antique). (voir l'Introduction du blog) 

CÉSAR
Voyons maintenant ce qu'était l'homme qui devait vaincre les Celtes, occuper la Gaule et renverser le régime matriarcal.
César avait une maxime, celle-ci : « S'il faut violer le bon droit, que ce soit pour régner ; pour le reste, observons la justice ».
Quant à ses mœurs, voici ce qu'en dit E. Bosc :
« Le dévergondage le plus effréné, les passions les plus honteuses étaient considérées, par les gens les plus dépravés, comme des faits sans conséquence ; ceux-là étaient seuls à la mode, et sous ce rapport César, ce grand perturbateur romain, était à la hauteur des grands. On peut en juger par des passages de Suétone.
« Cet auteur n'a-t-il pas dit que César s'était honteusement prostitué à Nicomède, le roi de Bithynie ? N'accusait-on pas César, et cela publiquement, d'être le mari de toutes les femmes, et la femme de tous les maris ? Du reste, si le feu du ciel qui brûla Sodome et Gomorrhe n'est pas une fiction poétique, il aurait pu brûler Rome, autrement coupable que les villes infâmes que nous venons de nommer.
« César valait-il mieux que ces sénateurs cupides et vénaux qu'il voulait renverser du pouvoir ? Non certes ! Le chiffre de ses dettes était énorme. Il s'élevait d'après lui à 10 millions de sesterces. Ses prodigalités étaient parfois insensées. Nous savons qu'il aimait beaucoup les pierres précieuses et surtout les perles.
« Il en donna une à Servilie, mère de Brutus, qui lui avait coûté la somme de 1.200.000 francs.
« Il était impie, quoique souverain pontife. De sa fonction il ne considéra que le côté politique. Les pontifes étaient à la fois prêtres et ingénieurs, d'où leur nom (pontes facere : faire des ponts). A ce dernier titre, ils étaient chargés de la construction du pont du Tibre, et de sa rupture en cas d'invasion. César qui, de bonne heure, rêva l'anéantissement de la liberté, crut de son intérêt d'avoir entre les mains les destinées d'un grand ouvrage d'art, dont la conservation ou l'anéantissement pouvaient lui être très utile à un moment donné. Quand il fut arrivé à l'apogée de sa puissance, il se fit recevoir dans tous les collèges de prêtres.
« César était aussi voleur que Verrès. Pendant son premier consulat, il fit prendre au Capitole des lingots d'or qu'il remplaça par des lingots de bronze auxquels il sut donner la même apparence (Suétone, Vie de César, L. IV). Souvent il ne mit le siège devant les villes que pour s'emparer de leurs richesses. Elles grossissaient moins les trésors de l'Etat qu'elles ne servaient à payer ses dettes.
« Il avait en effet besoin de deux choses qui se soutiennent l'une l'autre, c'est-à-dire de l'argent et des soldats. Il ne pouvait conserver l'affection de son armée et s'assurer de son dévouement qu'en lui fournissant tout ce qui lui était nécessaire ; par son armée, il se procurait d'immenses richesses. Il ne reculait d'ailleurs devant aucun moyen. Après la défaite de Pharsale, César comprit que désormais il pourrait tout se permettre. Lorsqu'il fut de retour en Italie, il redoubla les exactions en les déguisant du nom d'« emprunt ». Il tirait aussi de l'argent des villes sans avoir aucune intention de le rendre jamais, et il mettait en œuvre, pour se faire donner, les mêmes procédés que s'il eût exigé le paiement d'une dette.
« On peut dire, à la décharge de César comme à celle de ses compatriotes, qu'il n'avait peut-être pas bien conscience de l'infamie de sa conduite. Le peuple romain avait élevé des temples a « Jupiter Praedator », à Jupiter voleur.
« Cet homme qui, au besoin, savait se contenter de peu, lorsqu'il était à la tête de son armée, était fou de luxe. Mais les plus grosses dépenses provenaient de l'énorme clientèle qu'il avait.
« Il gorgeait de biens tous ses amis et tous ses partisans. Certains de ses affranchis avaient amassé, grâce à lui, des fortunes scandaleuses, tel Lucinius qui, sous Auguste, devint procurateur ou gouverneur des Gaules.
« Cet homme menait un train de roi. Le tombeau qu'il se fit élever était, par sa splendeur, une insulte à la morale publique (Suétone, Vie de César, XLVI). De plus, on peut dire que César avait acheté presque tous les fonctionnaires.
« Nous connaissons surtout ses campagnes par le récit qu'il nous en a laissé. Ses Commentaires sont remplis de mensonges et de réticences (1).
« César, au dire des auteurs latins et grecs, a quelquefois été battu (Suétone, Vie de César, L. XI) ; jamais il n'a avoué, dans la guerre des Gaules par exemple, qu'il eût subi le moindre échec, et pourtant sa campagne contre Vercingétorix n'a été presque jusqu'à la fin qu'un long désastre.
« César trafiquait des mariages. Caton, que cela indignait, s'écriait en pleine séance du Sénat, à propos de ses alliances, que « c'était une chose insupportable de voir le maquignonnage que tous ces gens-là faisaient des plus grandes charges par ces mariages, et comment en trafiquant des femmes ils se donnaient les uns aux autres les premières dignités, les gouvernements et les commandements des armées ».
Le dictateur romain ne fut pas seulement le fléau de son époque ; il fut celui de tous les temps. Les rois, les empereurs de tous les pays l'ont sans cesse pris pour modèle. Jusqu'au 20ème siècle, qu'avons-nous vu en Autriche, en Allemagne, en Russie ?
Des souverains dont le titre officiel dérive du nom même de César : Kaiser et Tsar. Mommsen, pour qui César est peut-être le plus grand des héros, par-dessus toutes les autres qualités qu'il lui reconnaît, exalte surtout son sens pratique. En effet, dans ses actions, tout dénote le calcul. La ligne politique qu'il a choisie est le résultat d'un calcul, sa cruauté est calculée, et aussi sa clémence.
(1) C'est sur l'exemplaire du Vatican que les Commentaires de César ont été traduits.

LA CORRUPTION ROMAINE
Voyons maintenant ce qu'était cette civilisation latine qu'on voulait imposer à la Gaule ; cette culture qu'on prétendait opposer à l'enseignement de haute science et de morale austère donné par les Druidesses ; enfin ce régime paternel qui allait remplacer le régime maternel et substituer la Patrie guerrière à la Matrie pacifique.
M. Duru, dans une lecture faite par lui à l'Institut au mois d'août 1879, disait ceci : « A Rome, la corruption en était arrivée à un tel point qu'on a peine à le comprendre. Les patriciens ne sortaient guère sans être escortés de bandes armées de gladiateurs ou de clients. Un adversaire politique menaçait-il de l'emporter, on le faisait assassiner.
« La promulgation de chaque loi nouvelle occasionnait dans les rues de terribles conflits. Tout s'achetait à Rome ; Gabinus vendit l'Egypte pour 10.000 talents. Caius Memmius osa lire en plein Sénat un marché d'élection passé entre lui et son cornpétiteur Domitius d'un côté et les deux consuls en charge de l'autre. Les clauses de ce honteux contrat sont assez curieuses pour être racontées ici ; il y était dit : « A la condition d'être désignés consuls l'année suivante, Memmius et Domitius s'engageaient, soit à donner aux consuls 400.000 sesterces, soit à procurer trois augures qui jurassent avoir assisté à la promulgation d'une loi curiale dont l'existence était imaginaire, ou deux personnages consulaires qui consentissent à déclarer qu'ils étaient présents à une séance de distribution de provinces consulaires, quand cette séance n'avait pas eu lieu. »
Nous empruntons encore à E. Bosc ceci : « Les sénateurs de la République donnaient l'exemple de tous les vices. Dans son plaidoyer contre Verrès, ce patricien que ses mœurs et sa cupidité avaient rendu odieux à la Sicile dont l'administration lui avait été confiée, Cicéron nous dévoile le degré de corruption et de bassesse auquel étaient arrivées les classes dirigeantes, affranchies de tout contrôle par les lois de Sylla. Ecoutons parler le grand orateur :
« Reconnaissez, Juges, la main des Dieux qui n'ont suscité ce grand procès que pour vous donner l'occasion de détruire à jamais les bruits déshonorants qui se répandent sur vous et la justice romaine. Une opinion funeste à la République prend chaque jour plus de force et pénètre jusque chez les Nations étrangères.
« On dit qu'aujourd'hui, dans les tribunaux, l'homme riche et coupable ne peut jamais être condamné. »
Après cette entrée en matière, Cicéron nous montre Verrès amassant, non pas une fortune, mais des trésors si considérables qu'il en pouvait faire trois parts qu'il destinait, une pour ses juges, l'autre pour Hortensius son défenseur, l'avocat le plus célèbre de Rome, et la dernière enfin pour lui. Cicéron déclare que tout le monde à Rome est las de la vénalité dont les sénateurs font preuve quand ils sont appelés à siéger comme juges, et demande le rétablissement du tribunat. Il dit, avec Pompée, que « les provinces de la République sont mises au pillage et que la justice est mise aux enchères ». Cicéron, dans un plaidoyer écrit qu'il fit paraître contre Verrès, après que ce dernier eut pris la fuite, abandonnant aux Siciliens 45 millions de sesterces, retrace tout ce qu'il avait fait subir aux provinces, toutes ses exactions, toutes ses rapines, tous ses vols, toutes ses cruautés. Les admirables paroles de Cicéron atteignaient tous les membres de l'aristocratie romaine qui se rendaient coupables des mêmes crimes dans l'exercice des fonctions dont le gouvernement de la République les chargeait. Elles s'appliquaient également, et surtout, à César.
Cicéron peut passer pour un type d'honnêteté, au moins relative. Voyons ce qu'il fit en Cilicie, dont il avait obtenu le gouvernement. Il nous apprend lui-même que de ce pays ruiné, abîmé à ne s'en relever jamais, il sut en une seule année, salvis legibus, c'est-à-dire les lois mêmes sauvegardées, tirer la somme de 2.200.000 sesterces.
Le peuple de Rome ne valait pas mieux que les grands. Il était toujours prêt à se vendre pour de l'argent, pour du blé distribué à propos, pour des combats de gladiateurs. Pour cette multitude de gens perdus de dettes et de crimes qui composait la clientèle des opulentes familles, le patriotisme était un mot vide de sens.
Le peuple romain dégénéré ne demandait que deux choses : du pain et des jeux (Panem et circenses).
Ce que nous tenons de Rome, c'est la bureaucratie, l'amour des places et des administrations savantes et compliquées, les monopoles tous les abus enfin, dont se débarrassent peu à peu les Etats modernes.
Et c'est dans les Gaules, ce pays peu connu des Romains, mais sur lequel on racontait des choses mystérieuses, que l'on voulait introduire cette décadence !...

LES TROIS PARTIS
Ce qu'aucun auteur ne dit, c'est que la Gaule était divisée en trois partis : le parti romain, le parti révolutionnaire de Vercingétorix, et le parti national qui voulait repousser l'ennemi, mais conserver l'ancien régime.
Si les auteurs ne mentionnent pas d'une façon claire ce dernier parti, c'est parce que c'est de l'ancien régime gynécocratique qu'il s'agit, et c'est une convention tacite entre eux de ne pas en parler.
Les Belges étaient en dehors de ces partis, et s'alliaient entre eux. César avoue que c'était dans un but purement défensif. Le proconsul marcha contre eux avec l'aide des Eduens.
Dans cette campagne contre les Belges, qui certes avaient de leur côté le bon droit et la justice, nous voyons le Druide Divitiac, ce singulier ami de César, commander un corps de troupes chargé d'opérer une diversion en faisant une irruption chez les Bellovaques.
Cette guerre des Gaules fut épouvantable, et, si nous n'avions vu dans les temps modernes des horreurs du même genre, nous pourrions douter que tant de sauvagerie ait existé.
Plutarque nous dit que « les Romains passaient les rivières et les étangs sur les corps morts dont ils étaient remplis ». Les chefs, dont le crédit sur le peuple pouvait être la cause d'un danger pour les Romains, étaient poursuivis et condamnés à mort par César, tels Dumnorix, Induciomar et Accon ; ce dernier était Sénonais (partie des départements actuels de l'Yonne et de la Seine-et-Marne), et s'était mis à la tête d'une révolte contre les Romains. Il fut livré au proconsul, et César, qui se croyait un homme civilisé, et qui traitait si volontiers les autres de barbares, fit supplicier Accon avec une rigueur qui n'était plus usitée alors, mais qui avait été dans les anciens usages des Druides.
Les Gaulois qui s'étaient le plus compromis dans la révolte du Sénonais prirent la fuite. César leur interdit l'eau et le feu. Toutes ces cruautés, toutes ces exactions indignèrent les populations gauloises. Plusieurs fois on songea à organiser un soulèvement général. Ce plan fut presque toujours aussi vite abandonné que formé. On sentait qu'il fallait opposer à César quelqu'un qui prît la responsabilité du commandement suprême ; pendant ce temps-là, Vercingétorix multipliait ses visites chez les chefs militaires.
Des conciliabules eurent lieu au fond des forêts les plus impénétrables, mais il ne semble pas qu'il y jouât un rôle ; c'est qu'il était banni de Gergovie, sa ville natale, parce qu'il avait pris une attitude révolutionnaire contre l'ancien régime des tribus matriarcales ; donc il ne pouvait compter que sur le clan de son père, révolutionnaire comme lui... Ce n'était donc pas lui, par conséquent, qui pouvait donner le signal de la grande révolte. Il vint sans doute à ces réunions des Carnutes dans lesquelles on s'engageait à braver tous les dangers pour le salut commun et à prendre les armes les premiers.
On fixa un jour et on mit à la tête du mouvement Cotuat et Conetodun. Ils s'emparèrent de Gennabum (Orléans). Les Romains s'étaient fixés dans cette cité sans doute à cause des opérations de leur commerce. Ils furent massacrés par les Gaulois.
La nouvelle de ces graves événements fut bien vite connue de toutes les tribus de la Gaule ; César nous dit comment : « Toutes les fois qu'il arrive quelque événement remarquable, les Gaulois l'annoncent aux campagnes et aux contrées voisines par des cris qui se transmettent de proche en proche » (de Bello Gall.,VH.III).
César nous dit que, grâce à cette télégraphie, la prise de Gennabum, qui avait eu lieu au lever du soleil, fut connue des Arvernes avant la fin du jour. La distance qui séparait cette ville de Gergovie était de 55 lieues (environ 265 km).
Vercingétorix n'attendait que ce signal pour commencer son mouvement. Il se mit à la tête du clan de son père et marcha sur Gergovie. Le mot traduit par clan est dans le texte latin clientes. D'où nous concluons que le clan, c'est-à-dire les clients du chef militaire, semble être en opposition avec les tribus maternelles.
Gabanition et les principaux Arvernes coururent aux armes pour combattre Vercingétorix qui avait pénétré dans la ville.
Il en fut chassé, mais il ne se rebuta pas de cet échec. « Ils parcoururent la campagne, enrôlant une troupe d'hommes perdus et de vagabonds », dit César dans ses Commentaires. Cette première troupe grossit rapidement, et Vercingétorix se sentit bientôt assez fort pour s'emparer de Gergovie.
Alors, ô inconstance humaine ! ses compatriotes lui décernèrent le titre de chef suprême, chef-tête, en gaulois Pen-Tiern.
N'oublions pas que Vercingétorix luttait à la fois contre l'ancien régime des tribus celtiques et contre les Romains. C'est ce double but, cet esprit duplex qui explique sa défaite.
Une fois investi du pouvoir souverain, il alla dans une grande assemblée qui était le Concilium de toutes les Gaules insurgées.
Il exigea des otages et ordonna que chaque tribu lui fournît un nombre déterminé de soldats ; il fixa également la quantité d'armes que chacune d'elles devait fabriquer dans un temps qu'il détermina.
Il sut habilement profiter de l'enthousiasme des premiers jours pour faire régner dans son camp une sévère discipline ; « Il contient ceux qui hésitent, dit César, par la rigueur des châtiments. Une faute-grave est punie par le feu ou la torture ; pour d'autres plus légères, il fait couper les oreilles et crever les yeux, et renvoie alors les coupables afin que la grandeur du supplice avertisse et effraie les autres » (de Bello Gall., VII, IV).
C'est grâce à ces mesures rigoureuses, nous dit César, que Vercingétorix eut bientôt une armée.
Donc, c'était, un guerrier aussi barbare que les Romains qu'il allait combattre, et ce fut la première fois en Gaule qu'on vit fonctionner le régime militaire.
Cela devait alarmer les femmes, qui avaient jusque-là régné par la raison et la persuasion, par la justice et la bonté. Mais l'instinct de l'homme est autre, et, comme tous les hommes l'ont en eux, tous doivent tendre vers le même but dans la vie. C'est sans doute pour cela que tous les hommes de cette armée gauloise s'enthousiasmèrent pour la lutte qui se préparait, et que tous, heureux d'être des guerriers, entonnèrent le chant de guerre du vieux bardit en s'accompagnant de coups frappés sur leur bouclier :
« Chant du glaive bleu qui aime le meurtre, chant du glaive bleu, bataille où le glaive sauvage est roi, bataille du glaive sauvage, ô feu ! ô feu ! ô acier ! ô acier ! ô feu ! ô feu ! ô acier et feu ! ô chêne ! ô chêne ! ô terre ! ô flots ! ô flots ! ô terre ! ô terre et chêne ! »
Voilà bien les instincts masculins ! Le feu, l'acier des glaives, tout ce qui donne la mort ! et en même temps le chêne, symbole du sexe mâle dans sa force, la terre opposée symboliquement au ciel et le flot qui éteint la lumière.
Quel contraste avec les instincts féminins qui avaient dirigé la vie vers les hauteurs de l'Esprit, vers le ciel qui éclaire ! Mais la guerre était rendue nécessaire par les horreurs de la domination romaine, par les souffrances du peuple. Les peuplades gauloises vaincues étaient soumises aux dîmes forcées, à des droits sur les entrées et sur les sorties, aux impôts sur les mines et sur les salines. On frappait des taxes sur les voyageurs et jusque sur les funérailles !
Les provinciaux devaient donner de grosses sommes d'argent pour l'entretien des routes, qu'on ne réparait guère. La perception des impôts se faisait avec la dernière rigueur, et, bien souvent, les malheureux contribuables devaient, pour l'acquitter, se procurer de l'argent à un taux ruineux et scandaleusement usuraire.
Dans la Narbonnaise romaine, de par droit de conquête, le tiers des terres avait été donné aux premiers colons romains, qui seuls jouissaient des droits de véritables propriétaires. Les deux autres tiers, laissés aux habitants, payaient comme impôts des sommes souvent égales et même quelquefois supérieures à leur valeur vénale. Ces deux tiers du sol ne leur appartenaient même qu'à titre précaire. Ils faisaient partie du domaine public du peuple romain, qui était imprescriptible. On pouvait donc les leur enlever à toute heure.
Dans leur propre pays, les Gaulois étaient moins bien partagés que les étrangers, qui pouvaient posséder à titre définitif, mais dont les droits étaient soumis à toutes les variations des pactes et des traités qui unissaient les parties contractantes avec la grande république de Rome. Et voilà le régime qu'on voulait substituer à celui des tribus matriarcales, où la vie était si douce et si heureuse.
La politique masculiniste de Rome forçait les gens à briguer le titre de latins pour pouvoir acquérir des droits civiques à défaut de droits politiques ; et c'est ce système qui a donné du prestige à ce mot de latin.
Comme César ne voyait pas de terme à la guerre des Gaules, il résolut d'épouvanter les peuples par un exemple. Il fit couper la main droite à tous ceux qu'il venait de vaincre, et leur laissa la vie pour que la mutilation rappelât longtemps leur rébellion et leur châtiment. Le féroce et froid politique avait bien jugé cette fois ; il acheva son œuvre sans obstacles et put parcourir ses conquêtes désormais soumises et silencieuses. La Gaule n'existait plus comme nation, ce ne fut plus qu'une province romaine.
Quand on lit la description des abominations commises dans cette guerre, on est épouvanté. Ainsi, César pille les villes, les brûle ; ensuite, il abandonne le butin à la soldatesque effrénée, et, pour dépeindre le carnage fait des habitants, qu'il ordonne ou qu'il laisse faire avec sa cruauté habituelle, il écrit une de ces phrases qui peignent leur auteur. Il veut exprimer l'idée que peu de Gaulois lui ont échappé, et il dit : Perpaucis ex hostium numéro desideratis (On eut à en regretter fort peu).
Les colonnes romaines étaient suivies de trafiquants qui, après chaque victoire, achetaient, à bon compte la part de butin de chaque soldat. C'est entre les mains de cette bande noire que tombait le triste bétail humain, qu'elle conduisait, afin de le revendre, sur les marchés de l'Italie.
Les guerriers gaulois devenaient des gladiateurs, et leurs nobles femmes étaient astreintes aux plus durs travaux. « Il faut que César, cet odieux despote, ne soit plus un objet d'admiration ; il faut qu'il soit cloué au pilori de l'histoire comme un des plus grands malfaiteurs de l'humanité », dit E. Bosc.
Si tuer un homme est un crime, massacrer et tuer une Nation tout entière ne peut être une action glorieuse !...O Gaule! Notre noble patrie, ne devons-nous pas t'élever bien au-dessus de Rome, bien au-dessus de la Germanie que César appela à son aide ? C'est que ce n'est pas seulement une nation qui fut détruite, c'est un régime, un cycle historique. La victoire d'Alésia mit fin à la Gaule gynécocratique. Mommsen dit : Finis Galliae.

LA GAULE APRES CÉSAR
César n'avait fait que soumettre la Gaule, il n'avait touché ni à ses lois, ni à ses mœurs. Mais ses successeurs firent tout pour effacer les souvenirs du temps passé. Auguste, son successeur immédiat, rompit toutes les associations existantes dans les nations gauloises. Le rang de capitale fut enlevé aux villes qui avaient énergiquement résisté, et transféré à des villes nouvelles ou obscures.
La Gaule fut partagée en quatre provinces, sans tenir compte des rapports d'origine, de coutumes, de mœurs, de façon à ce que les Gaulois ne reconnussent plus la Gaule. Ces provinces furent :
- La Narbonnaise, comprenant le Languedoc et la vallée du Rhône ;
- L'Aquitaine, comprenant tous les pays entre les Pyrénées et la Loire ;
- La Lyonnaise, du nom de Lyon, ville récemment fondée, comprenant tous les pays qui s'étendent de la Suisse aux embouchures de la Seine et de la Loire ;
- La Belgique, comprenant toutes les provinces du Nord, jusqu'au Rhin.
« Le nombre des peuples gaulois, qui était de 3 à 400, fut réduit à 60 ; ces 60 furent qualifiés de cités, parce que sous l'empire romain les campagnes et les petites villes dépendirent chez chaque peuple de la principale ville ou cité, qui dépendait à son tour de la province et du gouvernement militaire » (H. Martin).
Les cités furent gouvernées par un envoyé de Rome, assisté des notables du pays, formant ce qu'on appelle la Curie, auxquels on adjoignit un magistrat nommé défenseur de la Cité !
Cette organisation reproduisait celle du régime gynécocratique en la modifiant ; c'est l'autorité morale de la Déesse-Mère qui va résider dans la Curie, tandis que le défenseur de la Cité continuera le Brenn qui était le chef militaire dans chaque tribu.
Par la suite, on retrouvera toujours ces deux pouvoirs associés, qui à l'origine représentaient les deux sexes, mais on arriva à supprimer complètement l'autorité féminine et à mettre l'homme partout ; Pour empêcher les nobles familles gauloises de retarder cette transformation, on les attira vers Rome, qui les traita comme les nobles familles romaines, leur accordant les mêmes honneurs, et leur rendit accessibles tous les emplois publics.
Rome comprit que, si la Gaule restait fidèle à ses anciennes croyances, elle ne deviendrait jamais romaine.
Le Druidisme fut persécuté. En 47, il fut interdit dans la Gaule ; le polythéisme romain lui fut substitué. Les cérémonies de l'ancien culte des Druidesses furent proscrites, en même temps que des temples étaient élevés en l'honneur des Dieux de Rome et d'Athènes.
Les Druides expulsés se réfugièrent en Grande-Bretagne ; les Druidesses allèrent s'établir dans l'île de Sein.
Les Romains avaient compris que c'est par la religion qu'on dirige les peuples, que tout s'y rattache : la science, l'art, la vie intime. Ils savaient que, chez les peuples qu'ils considéraient comme des barbares parce qu'ils étaient plus près du droit naturel qu'eux, l'éducation appartenait exclusivement à la femme ; elle était régie par les collèges de Druidesses. C'est cela qu'on s'acharna à détruire sans y réussir, car, malgré la persécution, ils persistèrent jusqu'au temps de Clodion.
La religion romaine, qu'on voulait substituer à la science des Druidesses, est caractérisée par ce fait : Domitien, qui régna de 81 à 96 et se signala par tous les excès (c'est lui qui fendait le ventre des esclaves pour en faire ses femmes), voulait être appelé « Dieu ». Dans une lettre dictée par lui : « notre maître et notre Dieu veut... », l'ordre fut donné que désormais on l'appellerait ainsi.
Faut-il s'étonner que de pareilles mœurs exaspèrent les femmes et que les Gauloises se révoltent contre la domination de ces monstres ? C'est sous le règne de cet empereur que Velléda, prêtresse et prophétesse gauloise, excita la révolte des Gaules contre les Romains. Mais elle fut prise et menée en triomphe à Rome (en 85). La femme est toujours vaincue quand elle a contre elle la force brutale. Cette grande figure féminine, que l'histoire n'a pas pu effacer, fut regardée par les hommes de son temps comme la suprême puissance morale. Même l'exagération morale s'en mêla et cette réelle Déesse vivante fut considérée comme douée d'une puissance surnaturelle. On disait d'elle : « Elle soulève ou apaise les flots. » C'est que réellement elle soulevait les enthousiasmes, elle apaisait les colères.
A l'enseignement donné par les Druidesses, on substitua un enseignement donné par des maîtres romains, qui apprirent aux Gaulois leur langue et leurs arts, en même temps que toutes les erreurs qui avaient été introduites dans le monde depuis l'époque de la décadence grecque, quatre ou cinq siècles avant notre ère.
On sait que c'est pendant ces quatre ou cinq siècles que toute l'histoire de l'antiquité fut remaniée pour en effacer le nom des femmes et donner à leurs œuvres des auteurs masculins.
Quand on parle de la science, de la littérature grecque ou romaine, c'est à cette science de mensonge qu'on fait allusion, et cet enseignement funeste était complété par l'étude de la législation romaine, de cet abominable droit romain qui avait détruit le droit naturel. C'est cela que les auteurs modernes appellent la civilisation latine. C'est cela qui est pour eux l'ordre, la discipline, le sens pratique et la juste mesure des choses.
Nous retrouvons là, comme nous l'avons vu partout où les Romains ont pénétré, la grande lutte contre les institutions gynécocratiques.
On a beaucoup vanté les grands travaux faits par les Romains.
En effet, ils élevèrent des temples à leurs Dieux ; ils construisirent des basiliques où se tenaient les assemblées, et où ils tenaient leur justice. Ils édifièrent aussi des amphithéâtres, des théâtres et des cirques pour les jeux, c'est-à-dire tout ce qui pervertit le peuple. Il est vrai qu'à côté de cela ils élevèrent des arcs de triomphe en souvenir des grands faits de guerre, tels que ceux qui illustrèrent César ! Quelle civilisation ! Et l'on s'étonne que cet état de choses n'ait pas duré, que cette organisation que l'on croyait très forte n'ait été qu'une cause de décadence et de servitude. Mais ce genre de civilisation ne peut produire que cela.
Les Romains, en étouffant la vie de l'Esprit, comprimèrent la liberté et l'indépendance et apportèrent avec eux la disposition à régler la société comme une machine plutôt que comme un corps vivant. C'est d'eux que vient la propension des individus à tout attendre du pouvoir et à demander qu'il fasse pour eux ce qu'ils devraient faire eux-mêmes, et aussi cette habitude de sacrifier sans scrupule le droit des faibles.
Henri Martin fait à ce sujet les réflexions suivantes : « Lorsque les Romains firent la conquête de la Gaule, leurs beaux jours étaient passés ; notre Gaule ne les a pas connus au temps de leurs vertus civiques et de leur liberté ! »
Les Romains d'autrefois avaient été un peuple de petits propriétaires soldats ; mais maintenant la grande propriété avait, chez eux, dévoré la petite ; l'esclavage l'envahissait de plus en plus ; le travail des esclaves remplaçait le travail des hommes libres. Les Romains propagèrent l'esclavage en Gaule.
Avant les Romains, il y avait peu d'esclaves chez les Gaulois : des colons cultivaient la terre pour les patrons, pour les nobles ; ils étaient subordonnés et assujettis, mais ils n'étaient pas esclaves.
Sous les Romains, ils tombèrent peu à peu en esclavage.
Avant les Romains, dans les tribus gauloises, tous les hommes libres se regardaient comme des parents, et, dans les associations guerrières, le chef traitait ses compagnons en frères d'adoption.
Sous les Romains, les tribus, ainsi que les associations guerrières, furent dissoutes, et ainsi rien n'arrêta plus le progrès de l'inégalité (le privilège social).
Le peuple fut désarmé, l'esprit des anciens héros se renferma dans le fond des cœurs pour y sommeiller, mais non pour s'éteindre.

LITTÉRATURE LATINE - LES HOMMES DU SIÈCLE
OVIDE
Ovide, né dans les Abruzzes en 43 avant notre ère, écrivit dans sa jeunesse des poésies érotiques qui peignent le libertinage de cette époque : les Amours, l'Art d'aimer, les Héroïdes, les Cosmétiques. Vers sa 40éme année, il composa une tragédie, Médée, puis les Métamorphoses qui sont considérées comme son chef-d’œuvre. C'est l'exposé fidèle des croyances mythologiques de son époque. Il avait puisé, pour les composer, dans les auteurs anciens, puisqu'on a pu dire : « Ovide est l'écho d'Hésiode. » Seulement, Hésiode expose la vérité simple et Ovide montre sa caricature surnaturelle. C'est dans l'étude des anciens qu'il avait trouvé l'histoire des quatre âges de l'humanité qu'il exposa sommairement au début de son livre. Cela porta ombrage à Auguste, qui ne voulait pas qu'on parlât de l'Age d'Or que le régime de l'homme était venu renverser ; aussi il déporta Ovide en Scythie, à Tomes, sur le Pont-Euxin, dans le pays des Gètes. Le climat de cette région était glacial, la campagne nue et déserte. Ovide chercha une consolation dans la culture des lettres ; il écrivit les Fastes, les Tristes, les Pontiques.
Il mourut consumé par le chagrin, l'an 16 de notre ère.
La lecture des Métamorphoses est instructive, elle montre jusqu'où peut aller l'égarement de l'imagination des hommes quand ils se livrent aux écarts de leurs propres pensées sans être guidés par l'inspiration féminine. C'est de la religion pornographique, c'est-à-dire le récit des amours des Dieux qui représentent une humanité vulgaire et sans morale. Dans son poème des Fastes, il célèbre les croyances et le culte de la religion et y mêle des prières. Dans l'« Art d'aimer », il enseigne qu'il faut se soumettre à la foi et désavoue les hommes qui se jettent dans la philosophie qui leur tient lieu de religion. Les femmes ne les y suivent pas, le monde moral se divise, les hommes créent une vertu masculine qui n'est pas la vraie vertu, puisqu'ils en excluent leurs devoirs envers les femmes ; ils parlent de justice et ils sont injustes, de tempérance et ils sont intempérants, de respect et ils ne respectent pas la Femme ; ils font de la conscience l'autorité suprême.

HORACE (65-8)
Horace chercha à réaliser la poésie rationnelle et, s'érigeant en législateur du Parnasse, dicta des lois aux poètes ou fronda les ridicules des hommes. Cette poésie de la raison était depuis longtemps hors d'usage ; les idées fausses qui avaient régné en Grèce avaient tout troublé. « Les philosophes, dédaignant une science qui, de leur aveu même, était fondée sur le mensonge, l'avaient chassée de leurs écrits. Autant ils la recherchaient quand ils la croyaient une émanation de la Divinité, autant ils la fuyaient depuis qu'ils étaient parvenus à ne voir en elle que la vaine production d'un délire insensé. »
Cependant, Horace met dans une grande partie de son œuvre des chants religieux, des hymnes à Jupiter et à tous les Dieux. C'est lui qui composa le cantique qui fut chanté en l'honneur d'Apollon Palatin un jour de grande célébration. Il évolua donc de la raison vers la déraison. Il n'était pas dévot dans sa jeunesse ; « adorateur peu assidu et peu prodigue », il ne croyait pas aux manifestations des Dieux, la jeunesse à l'esprit droit, mais, il devint crédule en vieillissant, comme Épicure. Dans un âge mûr, il honorait la religion romaine, c'est-à-dire le polythéisme. En lisant ce que les hommes disent des femmes, nous comprenons leur état mental. Ils les avaient tant fait souffrir qu'ils avaient une terreur constante de leur vengeance, « la vengeance des Dieux », et, d'avance, ils se justifiaient en accusant leurs accusatrices de tous les crimes qu'ils avaient commis eux-mêmes.
La Canidie d'Horace est une création malsaine de l'homme qui nous en donne la preuve. Avec ses compagnes Sagana et Veia, pour préparer un philtre amoureux, elle fait mourir de faim un enfant, enterré jusqu'au menton, entouré de mets qu'il ne peut toucher, qu'on renouvelle sans cesse pour le consumer par la fureur du désir ; les dernières paroles de l'enfant sont une malédiction qu'il jette à la tête des femmes. C'est avec de pareilles histoires qu'on fait triompher le droit paternel.
Canidie sait animer des figures de cire, décrocher la lune qu'elle fait descendre écumante dans les herbes. Elle ressuscite les morts dont le bûcher a fait des cendres. Il n'y a dans toutes ces chimères que des terreurs sacrées, des craintes nées dans l'esprit troublé de celui qui se sent coupable. Aucune femme n'a jamais réalisé ce type créé par la perversion masculine. Nous retrouvons ce rôle extravagant et odieux donné à la Femme, dans le grand drame qui aura pour victime les sorcières du moyen âge.

TIBULLE (54-19)
Tibulle se plaît à étaler tous les devoirs qu'il rend sans cesse aux Dieux ; mais, quand il pense au bonheur de vivre aux champs avec Délie, il l'associe, dans son esprit, aux Divinités qu'il adore ; la Nature renaît, la vérité revient quand il rend un culte à son amie, alors le voilà vraiment religieux. Toutes ses élégies sont religieuses ; ce sont des prières, des expiations.
Dans Properce (51-15), on retrouve tout cela.

VIRGILE (70-19)
Virgile est le poète religieux entre tous. L'Enéide est un poème sacré, sanctifiant le divin masculin, c'est déjà la déification de l'homme. Le héros, pius Aeneas, c'est déjà le Roi-Pontife, occupé de fonctions saintes ; c'est déjà la flatterie des grands, puisque dans Enée il montre Auguste. Puis il nous raconte les rancunes d'une Déesse irritée et s'étonne : « Quoi ! de telles colères dans une âme divine ? » Il y avait cependant de quoi.
Enfin, il revient à la Femme. C'est la Sibylle qui promène Enée à travers les mystères de l'autre vie. C'est la Sibylle qu'il prend à témoin quand il veut donner de la force à ses affirmations (dans ses Eglogues). Il reconnaît donc, malgré lui, que c'est la Femme qui est véridique, non l'homme. Dans la 10ème Eglogue, il dit : « Quel bonheur ! Elle est tout, je ne suis rien chez moi ! »
Virgile admire Lucrèce, mais il trouve audacieux de tant oser.

CICÉRON (106-43)
Cicéron met à la place des Dieux un Dieu unique et universel qui gouverne le monde, et ce Dieu, c'est Jupiter, c'est-à-dire l'homme déifié. Il cite ces vers de Valérius de Sora : « Jupiter tout-puissant, maître des rois, du monde et des Dieux mêmes, « Père et Mère des Dieux, Dieu unique et tous les Dieux ensemble, Deus unus et omnes. »
Donc plus de Déesses ! Plus de Mère ! C'est Jupiter qui est la Mère !
Hésitant d'ailleurs dans sa formule entre le monothéisme et le polythéisme, il emploie le singulier Dieu et le pluriel les Dieux. On les rencontre partout dans ses livres, quelquefois dans la même page. On devine les timidités de l'homme d'Etat n'osant pas proclamer l'unité divine en face de la majesté officielle des douze grands Dieux, mais l'idée de les fondre en un seul est dans son esprit.
Cicéron a écrit deux dialogues sur les Dieux. Dans l'un, il se montre franchement impie, dans l'autre, à peu près. L'esprit catholique est déjà en lui. Il est vrai qu'il a écrit ses livres de philosophie à 60 ans, alors que la mentalité de l'homme n'a plus toute sa lucidité. Ce qui le prouve, c'est qu'il ne croit à rien et, cependant, fait intervenir les Dieux dans toutes ses affaires, leur faisant dire, du reste, ce qui lui convient. Une émeute de Claudius ayant troublé les jeux de Cybèle, il s'écrie : « Eh quoi ! La voix même des Dieux ne remuera-t-elle pas tous les esprits ? Car c'est la voix des Dieux que nous entendons, c'est une communication qu'ils nous adressent quand le monde lui-même vient à trembler et qu'ils nous avertissent par des bruits inaccoutumés. »
Les spirites pourront voir dans ceci l'origine de leur doctrine. La croyance à des esprits se manifestant était, du reste, très répandue à cette époque. Mais ces esprits n'étaient autres que le symbole voilé de l'Esprit féminin que l'homme sentait planer au-dessus de lui et qu'il mettait dans l'espace, au lieu de le mettre ou plutôt de le laisser dans le cerveau de la vraie Femme.
Cicéron nie les Dieux dans De Natura Deorum, et il écrit à sa femme Terentia « de remercier les Dieux de l'avoir guéri d'une maladie ». Il avait donc deux pensées, une pour ses lecteurs qu'il suppose des hommes, et une pour les femmes. N'y a-t-il pas là un commencement de casuistique ?
Cicéron appelle la loi de la conscience « la loi de Dieu ». Cependant, comme il vient de nier Dieu, il faut en conclure que, à son insu, il voit dans ce Dieu qui dicte une loi à l'homme l'éternelle Déesse. D'autre part, dans la République, livre perdu mais cité, il dit : « Le monde est la cité commune des hommes et des Dieux. » Voilà les hommes avant les Dieux. Ce n'est pas étonnant, puisqu’au fond, Dieu c'est toujours la Déesse et maintenant l'homme se met avant la Femme.
Et, continuant à parler du monde, il ajoute : « Il crée l'union des hommes avec les hommes ; la plus haute association, c'est celle qui unit les hommes. » Evidemment, ceci est une réponse aux femmes qui réclamaient « le lien moral qui unit l'homme à la Femme », l'antique alliance, que maintenant on appelle religare. Les hommes, en affirmant une alliance entre eux (qui ne fut jamais réelle), brisent tous liens avec la Femme, exclue de cette association. Cependant, Cicéron célèbre le lien conjugal et toute espèce de pureté et d'honnêteté, et il élève un fanum (sanctuaire) à sa Tullie, alors que, cependant, il a nié les Déesses en niant tous les Dieux. Et, après avoir supprimé ces Dieux, il les met pourtant dans ses discours populaires. C'est lui qui dit : « Je l'avoue, Sénateurs, la grandeur de cette manifestation divine, la solennité de l'interprétation, la décision des aruspices me causent une émotion extraordinaire. »
Ailleurs, il dit encore: « En entrant dans les temples, nous prenons les sentiments et la démarche qui conviennent, les yeux baissés et la toge ramenée sur la poitrine, tout dans notre maintien témoigne de notre respect et de notre vénération pour la Divinité. »
Après cela, le grand orateur romain, qui avait appartenu lui- même au corps sacerdotal, ne craint pas d'accabler les Prêtres et les Pontifes de ses sanglantes railleries ; il rappelle ce trait satirique de Caton : « Je m'étonne que deux aruspices puissent se rencontrer sans sourire. »
Ce n'est donc pas la religion des hommes qui éveille en lui des sentiments de vénération, c'est celle des Femmes. Du reste, voici encore une contradiction qui le prouve : pendant qu'il nie les Dieux et se détache entièrement de la religion, il dit : « Comment ne pas croire aux Dieux ? Qui ne sait que toute vérité est déposée dans les Livres sibyllins et dans l'admirable science de l’Étrurie ? »
N'est-il pas curieux de voir cet homme qui veut supprimer la Femme du Temple et de l'Etat, reconnaître cependant que c'est dans les livres de femmes que la vérité est déposée et affirmer, comme conclusion, « qu'il faut croire aux Dieux » ? Du reste, dans les cataclysmes, les troubles profonds, on avait recours aux Livres sibyllins pour y chercher les idées qu'on ne trouvait, plus dans le cerveau des hommes. Et cependant nous trouvons dans Cicéron quelques grandes idées, telle celle-ci : « Si un homme ne sent pas qu'il agit contre la Nature quand il attente contre son semblable, comment raisonner avec celui qui anéantit dans l'homme l'humanité ? La nature veut qu'un homme prenne intérêt à un autre homme, quel qu'il soit, par cette seule raison qu'il est homme. »
Puis, ailleurs, il nous dit : « Quelques-uns estiment que le spectacle des gladiateurs est une chose cruelle et contraire à l'humanité, et peut-être en est-il ainsi. » Nous soulignons ce peut-être qui met en doute la sincérité de toutes les belles maximes citées plus haut.
Pour moi, nul doute ; ce sont les femmes qui trouvaient le spectacle des gladiateurs cruel, la pitié est un sentiment féminin, c'est pourquoi les hommes ne l'adoptent qu'avec hésitation, puisque leur instinct masculin leur fait aimer la lutte, et le spectacle des luttes.
Un éloge pour finir. Cicéron désavoue les licences d'Athènes et de la Grèce ; il dit que l'Ecole d’Épicure n'a pas le droit d'avoir une morale : « Ce n'est pas une philosophie qu'il faut pour réfuter ce langage, c'est un censeur pour le condamner. » Citons encore un mot du grand orateur romain qui a peut- être plus de profondeur qu'on ne croit, car c'est peut-être de là qu'est sortie l'idée de l'Eucharistie des Catholiques. Il dit : « Il n'y a qu'une seule idée qui ne soit pas encore venue aux dévots, c'est celle de manger leur Dieu. »

AUGUSTE (63 avant notre ère — 14 après)
Le siècle d'Auguste fut un siècle dévot. On se soumettait à l'homme-Dieu sur la terre et on le cherchait dans le ciel. L'Empereur Auguste se montra religieux. Il fit relever les édifices sacrés, rétablit les fêtes et en institua de nouvelles, il augmenta le nombre des prêtres, ajouta à leurs dignités et fit des présents magnifiques au trésor des Temples. Il regrettait même de n'avoir pas, dans sa famille, une fille d'un âge convenable pour la consacrer comme Vestale. Par reconnaissance pour tous ses bien- faits, il fut ordonné aux prêtres et aux prêtresses d'ajouter aux prières qu'ils adressaient aux Dieux pour le Sénat, des prières pour l'Empereur. Ce dernier fut même déclaré sacrosanctus et son nom fut placé dans le chant des prêtres Saliens.
C'est Auguste qui attacha le titre de Prince au nom du Souverain Pontife. Le mot latin Augustus vient d'Augur, qui signifie l'action de lever les yeux au ciel pour implorer ses secours ou recevoir ses inspirations. Dion a exprimé dans le discours qu'il fait tenir à Agrippa, au Conseil d'Auguste, l'esprit intolérant des Césars condamnant ce qui n'est pas officiel, en disant : « Tu ne souffriras ni athéisme ni magie. » Par Magie on sous-entendait les religions secrètes et indépendantes. On retrouve bien là l'esprit dominateur de l'homme qui condamne tout ce qui ne tombe pas sous son contrôle.
Auguste fut féministe à sa manière. Il se vante, dans ses mémoires, d'avoir protégé par deux fois le temple de la Grande Artémise d’Éphèse. Puis il organise un grand Jubilé, le Carmen Saeculare, dans lequel on fait chanter, par des jeunes filles, un cantique à un Dieu masculin, et Horace veut même qu'elles s'en glorifient : « Plus tard, quand tu seras mariée, tu pourras dire : C'est moi qui, au jour où revenait la fête du siècle, ai fait entendre le cantique aimé des Dieux, docile au mètre du poète Horace. »
Et avec cela les femmes n'étaient pas contentes.
Que ces grands hommes étaient petits !...
Auguste voua aux Dieux une célébration extraordinaire des grands jeux, parce qu'une femme, qui s'était gravé des signes mystérieux sur le bras, s'était mise à prophétiser et à menacer Rome de la colère des Dieux. Il crut devoir obéir à l'émotion que ce spectacle avait excité dans la foule. Les esprits étaient avides de merveilleux. La Mère d'Auguste déclare qu'elle eut les faveurs du serpent, « que le gluant reptile mit dans son sein les Césars », dit Michelet. Mais ces fables sont inventées par les hommes pour jeter de l'horreur sur les femmes. Aucune d'elles n'aurait la pensée de s'outrager elle-même.
Nous avons des renseignements sur le physique de cet auteur. On a de lui plusieurs bustes, sur lesquels on a observé, comme trait particulier, l'irrégularité entre les deux moitiés de la tête, le côté gauche étant plus développé que le côté droit. Sur un de ces bustes, la tête est couronnée de myrte, allusion à la divine descendance de la gens Julia. Il ne subsiste aucun écrit philosophique du siècle d'Auguste, dit Michelet.

SÉNÈQUE (2-66 de notre ère)
La valeur morale des hommes de ce temps nous est révélée par la vie de Sénèque. Voici un homme qui, par ses écrits, semble avoir un beau caractère ; il brave la violence des puissants, comme le ferait une femme, et semble dire à l'homme brutal : « Tu ne m'atteindras pas. »
« Ma faiblesse superbe insulte à leur puissance. » (DELILLE.)
Sénèque nous apparaît comme l'orateur de l'humanité humiliée. Vivant dans une terreur armée de toutes les forces de l'Empire romain, dans un monde sans espoir, il dit :
« Il ne nous restait plus qu'une seule chose à apprendre, c'est à mourir. »
« Vous les appelez des esclaves, dites des compagnons d'esclavage. »
« Tu te plains que la liberté soit morte dans la République, toi qui l'as tuée dans ta maison. »
« Tous sont esclaves, celui-ci de la débauche, celui-là de l'intérêt, cet autre de l'ambition, tous de la peur. »
On lit, dans Sénèque le père, une invective contre les insultes à la dignité humaine, qu'on se permettait alors contre les Femmes et les eunuques qui remplissaient les grandes maisons. Ces belles idées nous séduisent, nous croyons voir, dans Sénèque, un grand caractère. Il n'en est rien. Ce sont des mots, des phrases, qui contrastent singulièrement avec sa conduite.
Ainsi, ce sévère moraliste adresse les plus basses flatteries à Claude, ce monstre grotesque ; cela lui vaut d'être exilé par Messaline, la victime de cet immonde mari, qui attribue tous ses vices à sa femme. Il est rappelé par Agrippine et, alors, il se moque de Claude, qui est mort. Quand Agrippine et son horrible fils Néron se brouillent, Sénèque se met du côté du fils, et, bien plus, c'est lui qui lui conseille le meurtre de sa mère. Ce fut lui qui écrivit le message officiel par lequel Néron annonçait au Sénat qu'Agrippine avait conspiré la perte de l'empereur et de l'Empire et que, ses complots ayant échoué, elle s'était tuée, que l'Empire était sauvé, mais que l'empereur était affligé.
Voilà ce que faisait cet homme qui offrait de belles paroles de consolation aux esclaves et qui possédait 60 millions. Mais, juste retour des choses, Néron se retourne contre lui ; il était devenu un témoin gênant, l'empereur ne le supportait plus. Puis il ne descendait pas aussi bas que Néron dans le vice et dans le crime, il lui restait une supériorité, c'était un philosophe, on le fit mourir.
Les idées de Sénèque sur les femmes sont un curieux document psychologique qui nous montre les idées évoluant vers la morale actuelle. Il dit :
« Rien de plus honteux que d'aimer sa femme comme sa maîtresse. »
« Il est d'un malhonnête homme d'exiger de ta femme qu'elle soit chaste tandis que tu vas corrompre les femmes des autres. »
« Il ne t'est pas plus permis d'avoir une maîtresse qu'à elle d'avoir un amant. »
« Tu sais ton devoir et tu ne le fais pas. »
Sa philosophie enseigne à honorer les Dieux et aimer les hommes. N'est-ce pas l'antique idée d'honneur accordé à la Femme qui revient dans son esprit ? A propos de la constance des idées divines, il dit : « Les lois que Dieu s'est prescrites à lui-même, il ne saurait les révoquer, parce qu'elles ont été dictées par ses propres perfections et que le même plan, le même dessein lui ayant plu une fois doit lui plaire éternellement. »
Sénèque appelle les femmes à la philosophie, ce qui n'est, de la part d'un homme, ni une faveur ni une justice, mais un acte d'orgueil, puisque la philosophie, c'est l'étalage des idées fausses de ceux qui ont rejeté la science des Déesses. C'est à cause de cela, sans doute, que les hommes de l'époque n'aimaient pas à voir les femmes philosophes. Le père des Sénèque, fidèle aux vieilles mœurs romaines, n'avait pas voulu que leur mère philosophât ; son fils le désavoue là-dessus, avec respect, dans un écrit adressé à cette mère elle-même.
Un autre de ses livres est adressé à une autre femme ; il tenait donc le sexe féminin en une certaine considération, à moins qu'il n'y ait eu un intérêt ou un caprice en jeu. Et cependant Sénèque, dans les conseils de Néron, était contraire aux affranchis, à l'influence des femmes et, en particulier, à celle de Poppée. Il était aussi contraire à tout ce qui pouvait judaïser. Il dit des judaïsants :
« Et cependant cette nation abominable a si bien fait que ses pratiques sont maintenant établies par toute la Terre ; les vaincus ont fait la loi aux vainqueurs. »
Sénèque ne connaît pas les Chrétiens ou du moins les confond avec les judaïsants. A propos de la longévité, il dit :
« Quand tu me nommerais les Sibylles et quelques hommes d'une vieillesse fameuse, reporte- toi à l'ensemble des temps, etc. »
Ceci semblerait indiquer que les Sibylles avaient vécu plus longtemps que les autres humains. Parmi ses belles pensées, en voici une que nous avons retrouvée dans Victor Hugo et dans Lamartine :
« L'âme ici-bas, étouffée par le corps, obscurcie, infectée, écartée de la vérité, qui est son domaine, et plongée dans l'erreur, ne fait que se débattre contre cette chair qui pèse sur elle, elle fait effort vers les hauteurs dont elle est descendue. »
Il y avait donc dans cet homme un singulier mélange de vérité et d'erreur, de grandeur et de bassesse.
Sénèque et Quintilien trouvent tout naturel qu'on tue les enfants qui déplaisent, qu'on les jette dans les bois. Après avoir consolé une mère à qui son mari avait arraché un enfant pour l'exposer dans une forêt aux bêtes et aux oiseaux de proie, Quintilien la félicite d'avoir obéi à son époux (Déclamation, 306).
Sénèque traite avec mépris les quatre cent mille volumes de la grande Bibliothèque d'Alexandrie ; il ne voit là qu'un reflet de la vanité royale (Lettres à Lucilius, 2 et 27).

CITONS AUSSI :
Lucain (39-65 de notre ère), qui fut un écho de Sénèque. Son Caton est l'idéal du saint suivant les Stoïciens, il porte le deuil du genre humain, il voudrait pouvoir mourir pour tout racheter de son sang, tous les crimes, il est chaste, désintéressé, il s'interdit toute joie, il ne vit pas pour lui, mais pour l'humanité. Voilà le type de l'homme Christ créé, il n'y a plus qu'à lui donner un corps, ou lui inventer une personnalité.

Perse (34 à 62 de notre ère). Cet auteur qui mourut à 28 ans se rallia au Stoïcisme, cette vertu qui consiste à vaincre les entraînements de la Nature et à suivre une morale conventionnelle. Il avait un ami qu'il aimait d'une amitié aussi chaude que si c'eût été une amie. Il met dans l’amitié d'un homme ce qu'il devrait mettre dans celle d'une femme, et il fait une morale avec ces sentiments faux et forcés que la vraie morale réprouve.

Pétrone (qui mourut en 66 de notre ère). Bel esprit, libertin, fut un des disciples d'Epicure. Auteur d'un Satyricon dans lequel il a dépeint la société corrompue de son temps.

Salluste, qui dit que l'âme nous est commune avec les Dieux, le corps avec les bêtes.

LUCRÈCE (95-51 avant notre ère)
Si la science des hommes que nous avons mentionnée plus haut était enfantine, voici un auteur qui fait une science grandiose. Son poème De Natura rerum est une restitution de la science antique (six livres).
Un mystère plane sur la vie de ce poète. Les classiques nous diront qu'on ne sait rien, ou à peu près rien, de son existence ; on croit Vaguement qu'il se mêla aux luttes sociales, à la politique de son temps, mais que, dégoûté de ce qu'il voyait, il se plongea dans la philosophie et la poésie, mais on ajoute une chose qui nous révèle un mystère : on le disait fou et on dit qu'il s'est suicidé dans un accès de folie. En lisant le résumé de sa doctrine, nous avons constaté que c'est la science féminine que cet auteur expose. En lisant le peu qu'on dit de sa vie privée, nous voyons tout de suite que cet auteur est une femme qui a été persécutée, et cela explique pourquoi on la dit folle, et pourquoi elle s'est suicidée. Cela explique aussi pourquoi sa vie a été cachée, quoique son nom soit resté un nom de femme.
Voici un résumé de sa doctrine : Les hommes ne comprennent pas la Nature parce qu'ils rapportent tout aux dieux. Les phénomènes viennent de la Nature que la science explique, et les hommes ne devraient pas croire aux dieux. La matière est éternelle, ses éléments premiers sont les atomes ; la réunion des atomes est le commencement d'une vie, c'est-à-dire d'un corps qui va vivre. Des lois stables président à l'évolution des corps, en changement perpétuel dans leur constitution chimique qui évolue. Rien ne se crée, rien ne se perd. Certains corps disparaissent, mais les éléments dont ils sont formés en reforment d'autres. (Dans l'eau, dans la vapeur, entre le Principe qui nous animait, l'Oxygène.) Le monde est sujet à des changements perpétuels. Les espèces sont adaptées au milieu dans lequel elles vivent et dont elles subissent les lois. Mais les familles naturelles évoluent dans la fixité de leur genre, qui se modifie incessamment. (L'ordre de la succession des animaux sur la Terre est le même dans tous les livres de femmes, toutes ont aperçu la succession des êtres vivants créés par des soleils différents qui ont, chacun, régi la vie d'une époque.)
Puis elle décrit la vie primitive de l'humanité commençant à évoluer sous une forme végétale dont le corps dur, la charpente et les muscles solides, sont faits du tissu ligneux de l'arbre, qui, avec le temps, changera de nature, se ramollira. Ces premiers hommes-plantes sont inaccessibles aux maladies. Les hommes sortent de la Terre, puis vivent dans des grottes, des antres, boivent de l'eau, mangent des herbes et des fruits. Dans le VIème Livre, elle explique, par la physique, les phénomènes naturels, et tout cela aboutit au régime moral qui doit rendre le bonheur aux hommes en les débarrassant des superstitions.
Elle montre que la religion de son époque est un calcul politique pour les grands et un amas de superstitions pour les petits. Elle voit dans la piété un abaissement de l'intelligence. Elle dit que le corps et l'âme de l'homme doivent se dissoudre, étant un composé d'atomes, et elle donne vingt-huit preuves de la mortalité de l'âme, opposée aux doctrines masculinistes qui ont enseigné une survie pour consoler les femmes du mal qu'on leur fait dans ce monde. Il faut donc, d'après Lucrèce, organiser sa vie pour l'existence actuelle, et elle dit aux hommes : « Réfugiez-vous dans la philosophie, et vous prendrez pitié de ceux qui s'agitent inutilement. Quand, on est en sûreté, on voit le bonheur dans la stabilité, on est entré dans le Temple de la Sagesse, il faut tâcher d'y faire entrer les autres. »
Lucrèce est un apôtre qui cherche à faire partager sa croyance aux autres. Dans son Livre, il y a de nombreuses réflexions morales et une grande poésie qui vient éclore à chaque instant, et d'une façon imprévue, dans les démonstrations même les plus arides ; puis on y trouve une abondance d'images. Elle chante l'amour de la Nature qu'elle aime avec une terreur religieuse ; puis elle fait de petits tableaux enchanteurs sur les prairies, les moutons, l'ivresse du printemps. On est étonné de la variété du génie de Lucrèce. Cette grande femme a dû être très persécutée par ses contemporains. Pour lui enlever le mérite de son œuvre, on prétendit qu'elle s'était inspirée de Démocrite, lequel n'a rien laissé. On la montre comme disciple d’Épicure, ce qui peut être vrai. Du reste, le mal qu'on a dit d’Épicure prouve la valeur de sa doctrine.

LES GRANDES FEMMES DE L’ÉPOQUE ROMAINE
Quelques mots, pour finir l'histoire de ce siècle (ou plutôt de ce cycle, car nous allons entrer dans un monde nouveau), sur les grandes femmes qui avaient brillé à l'époque romaine. Nous trouvons, parmi les plus célèbres, Zénobie, Reine de Palmyre, veuve d'Odenath, qui, en 266, soumit toute l'Asie Mineure et s'empara de l'Egypte. En 273, Aurélien la vainquit ; il la fit prisonnière et la fit marcher devant son char de triomphe à Rome.
Cette Reine oubliait ses malheurs dans de profondes discussions avec le philosophe Longus. Une autre souveraine avait brillé alors, c'est Julia Domna, fille d'un prêtre syrien et femme de l'empereur Septime Sévère.
Au temps de César, il se trouvait encore à Rome des Dames qui présidaient des réunions littéraires. Les cinq filles de Diodore de Sicile s'étaient toutes consacrées à la poésie. On a déterré dans les fouilles des inscriptions dédiées à des femmes ; deux d'entre elles méritent d'être citées : la première à la louange d'Euphrasine « savante dans les neuf Muses et dans la philosophie » ; la seconde est posée par Vénustus à la mémoire de Sulpicia et de Galbilla, « ses professeurs ». Sur les urnes sépulcrales, on lit souvent la qualification de médecin donnée à des femmes et de « lectrice » (conférencière) de poésie et d'histoire. Les anciens auteurs nous ont transmis le nom de Carnificia, qui a composé des églogues latines ; d'Hortensia, célèbre oratrice qui plaida devant le tribunal dans un procès qu'elle gagna ; de Sulpicia, qui écrivit des poésies latines et qui a été louée par Martial et par Sidonius Apollinarius.
Dans la famille du poète Ausone, né à Bordeaux dans les Gaules, il y avait des doctoresses : c'étaient Tania, sa mère, et les sœurs de celle-ci, Driades et Hilaire, filles du Druide Arbor. La femme d'Ausone, Sabine, composait des poésies ; elle mourut à 28 ans après avoir initié sa fille dans les études scolaires, ce qui prouve bien qu'à cette époque la science primitive se propageait encore par les femmes. Dans les Actes (chap. XXI, 9), on nous dit que Philippe l'évangéliste avait quatre filles vierges qui prophétisaient.
L'androcratie établie partout, et qui ne laissait plus que rarement le trône à des femmes, va établir entre tous les hommes, tacitement conjurés, le système de justification employé par tous les usurpateurs, le dénigrement de la victime dont on a violé les droits. C'est ainsi que le régime gynécocratique fut partout déprécié, la valeur des femmes diminuée, leur caractère avili ; tous les moyens que la ruse invente furent employés pour cacher à la postérité les œuvres géniales des grandes femmes du passé. Et combien cela était facile dans un temps où les victimes de ce système n'avaient pas le moyen de réagir et où les puissants seuls faisaient entendre leur voix !
Que l'on songe que, même de nos jours, où les moyens d'information semblent si répandus et si sûrs, où le Féminisme a partout des sociétés et des publications, les œuvres les plus remarquables des femmes sont ignorées, systématiquement entourées de silence et d'ombre par les hommes qui entraînent avec eux, dans ce système, les femmes faibles dont ils font leurs complices pour étouffer le génie féminin. Et, du reste, les faits que les partisans religieux, politiques ou sociaux ont intérêt à dénaturer en les magnifiant ou en les ravalant, sont extrêmement difficiles à bien établir dans leur réalité. A plus forte raison ceux qui concernent la femme. Il en était déjà ainsi au début de l'ère chrétienne, à propos et dans les pays des évangélistes où les légendes se créaient, s'empilaient et se propageaient avec la précocité et la rapidité que l'absence d'esprit critique et de moyens de contrôle, l'existence de luttes politiques, la faiblesse mentale des masses, leur déchéance nationale, ont partout et toujours déterminées.
C'est pour empêcher que l'antiquité soit connue que, après avoir brûlé les bibliothèques, on a empêché la publication des livres nouveaux ; et, pour atteindre plus sûrement ce but, on entrava la propagation d'un art déjà connu : l'imprimerie (1).
Les auteurs modernes continuent la tradition. M. Dottin nous dit : « Ce sont les témoignages des anciens qui constituent le fond même de notre science.
« Si nous ne voulons errer au hasard, il faudra nous résoudre à ne nous servir de la linguistique, de l'archéologie et de l'anthropologie que comme de sciences auxiliaires de l'histoire, et à ne faire intervenir les renseignements qu'elles nous fournissent que pour commenter et vérifier les textes historiques. »
Ce qui veut dire : le mensonge historique des anciens d'abord, la science après si elle peut être interprétée en sa faveur. Comme la grande préoccupation a été de cacher les noms des femmes, il ajoute : « Les noms propres sont souvent altérés, et on ne saurait être trop prudent quand on essaie d'en restituer la forme primitive ».
(1) L'imprimerie est connue de temps immémorial en Chine. Des témoignages incontestables établissent que les Chinois avaient des imprimeries au 3ème siècle de l'ère chrétienne, et même, suivant quelques auteurs, plus de 300 ans avant J-C. Ils commencèrent par graver des blocs de pierre ; une fois ces blocs gravés, ils les noircissaient avec une encre très grasse et y appliquaient une feuille de papier. Par cette méthode, ils obtenaient des caractères blancs sur un fond noir. De ces premiers essais à la gravure en relief, il n'y avait qu'un pas. Ils le franchirent et employèrent des planches d'un bois tres dur, sur lesquelles ils découpèrent autant de caractères que le format de leur papier en pouvait contenir : ils obtinrent ainsi des épreuves stéréotypées. Ce genre d'impression tabellaire est désigné chez eux sous le nom de mon-pas.
Disraeli prétend, dans ses Curiosities of literature, que les grands hommes, chez les Romains, ont eu connaissance de l'imprimerie, mais que, par crainte des idées de liberté que cette invention eût inévitablement données au peuple, ils l'avaient cachée à celui-ci. Un Roumain, M. Adrian Diaconu, croit pouvoir attribuer la découverte de l'imprimerie aux Romains, et en particulier à la quatrième légion Flavia Félix, qui stationnait, dans la Dacie. Quoi qu'il en soit, un passage du traité de la Nature des Dieux fait conjecturer que Cicéron avait entrevu le procédé de l'imprimerie. En outre, on trouve la recette complète de l’encre d'imprimerie dans le Traité des matières médicales de Dioscoride, écrit au premier siècle. Les Grecs et les Romains connaissaient d'ailleurs les sig ou types mobiles, et leurs potiers employaient des lettres placées dans un composteur.

LES LIVRES SIBYLLINS
Cependant, Rome conservait les « Livres sibyllins », dépositaires de la science antique, mais on ne les lisait pas, et on les enveloppait d'un voile épais de légendes extraordinaires. On racontait que Trajan les avait reçus de la main même des Sibylles. Au premier siècle, un sénatusconsulte ordonna que trois députés soient envoyés en Ionie pour y recueillir les oracles de la Sibylle d'Erythrée. Ils rapportèrent un millier de vers, dont le Temple reçut le dépôt. Un collège de quinze membres présidait à la garde et à l'interprétation de ces textes sacrés : les Quindécemvirs.
Le fameux Clodius était prêtre sibyllin (Lactance, I, 6). Le prestige des Sibylles était si grand que l'on mettait sous leur nom ce qu'on voulait faire accepter par les esprits. Dans toutes les circonstances on faisait parler les Sibylles, elles étaient accréditées et populaires. Lorsque les Juifs créèrent une littérature grecque, ils composèrent, en grec, des vers sibyllins, dans lesquels ils faisaient parler la Sibylle pour faire la louange de leur Dieu.
Les Catholiques continuèrent ce système commencé par les Juifs. Ils formèrent un recueil d'Oracles sibyllins comprenant quatorze livres qui sont arrivés jusqu'à nous, ce qui est bien étonnant, car les Catholiques ont détruit tout ce qui pouvait glorifier la Femme. Aussi on se demande si ce recueil n'est pas un ouvrage écrit pour soutenir leur cause, à l'ombre du prestige du nom féminin. C'est à peu près certain, car dans le recueil conservé, toutes les idées sont chrétiennes. Les véritables Livres des Sibylles, les Sibyllina, ont disparu. Il en reste cependant qui, sans être reçus officiellement dans l'Eglise, à titre de Livres sacrés, étaient acceptés comme faisant autorité.
Les prêtres chrétiens regardaient les Sibylles comme inspirées de Dieu même. « Elles figurent encore, peintes par Michel-Ange et par Raphaël, sur les plafonds et les murs des temples, et le premier verset de la prose des morts (Dies irae) proclame, tous les jours, que le monde sera réduit en cendres suivant la parole de David et de la Sibylle : Teste David cum Sibylla » (Havet, Origines du Christianisme).
Ce derniers vers a été retranché en France et remplacé par un autre au 17ème siècle, sous l'influence de la critique masculine. Ce rapprochement de David et de la Sibylle ne nous étonne pas. David (Daud) fut la grande Reine, en même temps que la grande Prophétesse de Jérusalem, la Savante que les Juifs ont dépouillée de son sexe (devenue le Roi David) et de sa gloire, pour faire honneur aux hommes de ses œuvres qui ont jeté un éclat extraordinaire sur son nom pendant de longs siècles.
Les Sibylles furent des autorités pour l'Empire romain (elles le sont encore pour l'Eglise). Celle qu'on appelait la Sibylle de Cumes était particulièrement remarquable. Virgile avait confessé sa doctrine. Alexandrie avait aussi des Livres sibyllins (1).
(1) Nous lisons dans les Champs Elysées de de Grave : « On a conservé l'oracle de la Sibylle sur la fin du monde, dans la première strophe d'un cantique religieux connu : Dies irae, dies illa, solvet saectum in favilla, teste David cum Sibylla.
« Le Dies irae est notre Dag van toorn, ou jour de colère ; et de ce mot toorn, (ira), on a fait Thor, nom d'un dieu, chargé de la vengeance céleste, qui présidait aux mystères célébrés le jeudi, Thor-dag, dans lequel on donnait le spectacle de la punition divine des méchants. »
Et de ce Dieu on a fait Jupiter.

À suivre : FIN DU 4ÈME SIÈCLE : DU MOYEN-ÂGE À LA RÉVOLUTION