FIN DU 4ÈME SIÈCLE : DU MOYEN ÂGE À LA RÉVOLUTION


Voici un faits sur lequel la légende de sainte Geneviève (422-512) jette une lumière inattendue.
Elle nous dit : « cinq ou six mois après la défaite d'Attila, Mérovée, roi des Francs (Saliens), vint assiéger Paris, encore au pouvoir des Romains. Le siège durait depuis quatre ans quand Mérovée s'en rendit maître. »
Alors, comment se fait-il que Geneviève régnait à Lutèce quand Attila s'en approcha et qu'elle y exerçait une autorité morale suffisante pour intervenir dans les faits de guerre et pour protéger la ville ? Et comment cette ville dans laquelle règne une femme gauloise est-elle assiégée par Mérovée, 3ème roi de France ?
C'est évidemment qu'il y avait séparation des pouvoirs : le spirituel (féminin) et le temporel (masculin).
C'est qu'il y avait deux Frances : celle des Saliens masculinistes, dont Mérovée est le petit roi et qui n'a qu'un tout petit territoire à l'Est, et celle des Ripuaires féministes, qui reconnaît le pouvoir spirituel et qui est allié à ceux qui occupent le reste de la Gaule, y compris Paris.
Voilà ce qui va nous expliquer l'histoire de France, qui ne sera qu'une lutte de sexes : les masculinistes et les féministes : l'une qui veut la Vérité et le Bien, l'autre qui veut l'erreur et le mal ; l'une qui va produire des persécuteurs, et l'autre des persécutés.
Les historiens masculins ne nous parleront jamais que des Francs Saliens (les masculinistes), ils tairont ce qui concerne les peuples féministes de la Gaule. Et toute cette primitive histoire de France ne sera que l'histoire du petit parti des révoltés saliens, affranchis de la morale, de la raison, du devoir et de la soumission au Droit divin de la Déesse-Mère, ce qui nous est révélé par cette phrase : « Qui t'a fait roi ? »
Il y a donc une autre histoire de France à faire, celle des peuples légitimes de la Gaule Celtique, vaincus, après de longues luttes, par les révoltés illégitimes.
Et cette histoire fut si glorieuse que, malgré tous les efforts faits pour la cacher, nous trouvons encore assez de documents pour la reconstituer.


« Le mot Paris signifie Bar-Isis, ou vaisseau d'Isis, le mot égyptien « Bar » ayant le sens d'enceinte, réceptacle, de tout objet capable de contenir en son sein, vaisseau, etc.. Et selon W. von Bûlow, la rune BAR, « ᛒ »,  signifie la montagne qui cache et protège, mais en même temps engendre et manifeste la naissance, le Fils. Nicolas de Damas au 96ème livre de son histoire appelle en effet BARIS la montagne d'Arménie où l'arche de Noah s'était reposée. Bar-Isis est donc la traduction en druidique savant du mot vulgaire Lutèce qui avait exactement la même signification. La racine Lo ou Lu désigne en celtique les EAUX, les Rivières ; et TEC, en celte comme en latin et en grec, signifie abri, cachette, couvert, arche, vaisseau (dans le sens de ce qui contient). « Lutèce, dit Court de Gébelin, était donc mot à mot LIEU DÉFENDU PAR LES EAUX. » C'est-à-dire par Marie. Les Eaux sont en effet la manifestation extèrieur du principe féminin symbolisé encore par ISIS, la femme divine ; donc Lutèce et Bar-Isis désignent le même objet dans deux dialectes différents... et le souvenir en a été conservé par le vaisseau qu'on voit encore aux armes de Paris, et qui « fluctuat nec mergitur ». La figure de la Vierge est souvent associée à l'eau, celle des Poissons, son signe complémentaire. « Presque tous les sanctuaires de Marie, dit Émile-Jules Grillot de Givry (Lourdes, ville initiatique) avaient été précédés, aux mêmes emplacements, d'un sanctuaire dédié au Principe féminin dominateur des Eaux... Nous l'avons déjà constaté pour la Cathédrale de Chartres, qui avait remplacé un sanctuaire d'Isis ; il en fut de même à Metz, à Saragosse, Moutiers en Puisaye, à Nogent sous Coucy ; et Paris nous en offre un des exemples les plus décisifs. » »
(M. Senard, Le Zodiaque clef de l'ontologie appliqué à la psychologie)


« L’eau est la force motrice de la nature… Telle, unie à elle-même, elle tourne en une continuelle révolution. Deçà, delà, en haut, en bas, courant, jamais elle ne connaît la quiétude, pas plus dans sa course que dans sa nature. Elle n’a rien à soi, mais s’empare de tout, empruntant autant de natures diverses que sont divers les endroits traversés. »
(Léonard de Vinci)


« Pour nous le nom d'Alésia évoque tout d'abord le souvenir de la ville qui vit succomber l'indépendance gauloise. César n'ayant point déterminé avec précision la situation géographique de l'Alésia qu'il assiégea, de longues polémiques ont été provoquées par le souci qu'avaient les historiens de compléter sur ce point les « Commentaires ». Il fut constaté qu'un trait essentiel domine la description de César : l'Alésia occupait un tertre presque entièrement entouré par des cours d'eau ; or, toutes les localités qui, parce qu'elles portèrent autrefois le nom d'Alésia, telles Alise-Sainte-Reine (Côte-d'Or), Alaise (Doubs), Aluze (Saône-et-Loire), Alex près d'Izernore (Ain) et même Alais ou Alès (Gard), ont été présentées comme ayant été l'Alésia des « Commentaires », occupent un site semblable. Ces constatations totalement étrangères au débat historique sollicitaient assez vivement l'intérêt pour que les investigations fussent poursuivies hors des régions auxquelles se limitait le débat. Elle furent donc étendues à toutes les localités qui, dans la plus ancienne géographie, tant en Gaule qu'en Grèce ou en Italie, en Espagne ou en Germanie, ont porté le nom de Alésia : Toutes ces Alésias occupent des sites entourés par des cours d'eau plus ou moins important qui les isolent en prequ'îles. »
(Xavier Guichard, Alésia - Eleusis)


« Savoir, c'est déjà se rebeller, enfreindre les limites. Penser s'avère un exercice de liberté et de désobéissance. Les dieux de l'Olympe froncent le sourcil, ils vont perdre leurs privilèges et leur pouvoir si les mortels deviennent intelligents. Après eux et comme eux, tous les tyrans, les inquisiteurs, les fanatiques réprimeront le savoir, brûleront les livres ou tueront les intellectuels parce que ceux-ci sont fauteurs de liberté. Le pouvoir religieux et politique se fonde volontiers sur l'ignorance du peuple et s'accroît d'autant que les esprits sont faibles, les gens incultes.
Le latin et le français offrent ce jeu de mots lumineux entre « livre » et « libre » (liber), et on comprend qu'à la Renaissance où la soif de connaître fut sans bornes le Livre fût un symbole majeur, entre l'Épée du guerrier et la Fleur de l'amour. »
(J. Kelen, L'éternel masculin)


Le Monde Ancien a pris fin avec le triomphe du Catholicisme au Concile de Nicée.
Le Monde Moderne commence.
Entre les deux, une époque de transition : le Moyen Âge, que l'histoire classique fait commencer à la mort de Théodose le Grand (395) et termine à la prise de Constantinople par les Turcs (1453).
Ces divisions n'ont pas de valeur pour nous. Ce qui nous intéresse, c'est de savoir comment à l'ancien gouvernement féminin va succéder le gouvernement masculin. Nous allons en étudier les péripéties. Il s'agit surtout de dévoiler l'histoire de la Femme en lutte avec l'Église, depuis le Concile de Nicée jusqu'à la Révolution française.
Nous l'avons spécialement étudiée en France parce que c'est pour nous l'histoire la plus connue.


« Français divisés, pardonnez-vous de toute votre âme ! »
(Derniers mots de Jehanne d'Arc marchant au supplice)


La Sorcière, sublime Prêtresse qui chantait le cantique de la Nature, l’inspiratrice des hommes, la grande consolatrice, Celle qui était la promesse et la miséricorde, Celle qui était la science et guérissait toutes les blessures, a été chassée du temple. L’ignorance a pris sa place et s’est faite orthodoxie. Alors, que va-t-elle devenir ? Qu’elle le veuille ou non, la voilà destinée à l’œuvre sourde des conspirations et au massacre.
Après ce massacre de la Femme, qu’allait-il rester de la société humaine ?
Il restait la Nature avec ses éternelles lois. Il restait la Femme… Déesse sans autels, Reine sans royaume, qui n’ose avouer sa royauté,… mais la prend quand même ! Mais toutes n’étaient pas des femmes fortes, des sorcières. Il y avait aussi les femmes faibles et amoureuses de l’homme perverti. Celles-là vont au prêtre, et ce sont les riches, les joyeuses, les heureuses, celles qui plaisent aux séducteurs par leurs complaisances.
Mais les femmes fortes allaient à l’homme maudit, à celui que, par un paradoxe fréquent, le prêtre appelait « Satan », c’est-à-dire à l’homme vrai, grand et droit. Elles allaient donc au diable, elles se donnaient au diable, modeste, pauvre, déshérité comme elles. Ce sont eux qu’on appelle les bons hommes, on les prend en pitié parce qu’ils n’ont pas l’astuce et l’hypocrisie des grands seigneurs de l’Église. Ces naïfs sont restés fidèles à l’antique loi morale ; aussi, comme ils sont ridiculisés, avilis, meurtris, les pauvres grands bons hommes, et hués par le peuple abruti ! Mais qu’importe à ces hommes ce qu’on dit d’eux ? il leur reste la vraie femme, la grande, c’est-à-dire tout, et c’est cela qui, finalement, les fera triompher.


« Par ses qualités les plus séduisantes comme par quelques-uns de ses plus dangereux défauts, la France est essentiellement FEMME. Cet éternel féminin, dont parle Goethe et qui fait le fond de notre génie, nous l'admirons élevé à sa plus haute puissance et sous sa forme la plus parfaite dans Jeanne d'Arc. »
(Siméon Luce)



Toutes les religions de l'antiquité ont adoré la Femme. Le Catholicisme l'avait d'abord supprimée pour lui substituer un homme. Mais, comme l'homme n'adore pas un autre homme, il en est résulté que le Catholicisme n'a été qu'une religion pour les femmes faibles, qui ont adoré le Principe mâle dans Jésus. Quant aux hommes qui ont voulu retrouver une satisfaction à donner à leurs aspirations religieuses, ils ont introduit dans leur religion le culte de la Vierge Marie, pour perpétuer l'antique culte de la Femme. 
Lorsque, après la conversion de Constantin, on chercha à introduire la religion nouvelle en Gaule, on comprit qu'il faudrait des siècles pour détruire le culte de la Nature, qui y régnait, et la glorification de Marie, ou plutôt Myriam « Hathor », l'antique Déesse égyptienne.
Le culte de Marie se répandit plus vite que celui de Jésus, parce que Marie représentait une Déesse antique et avait un passé glorieux depuis Myriam, tandis que la légende de Jésus, avec toutes ses invraisemblances, ne pouvait être écoutée que comme une histoire sans valeur.
Puis, dans la Gaule, déjà, on attendait la Vierge qui devait enfanter (Virgini Parituræ) ; on était donc préparé à la recevoir, mais on n'attendait pas un homme, d'autant plus qu'on voyait déjà, dans ce culte renversé des Catholiques, qui adoraient l'homme et n'adoraient pas la Femme, la cause des mauvaises mœurs qui régnaient partout et allaient prospérer.


LE PREMIER CHRISTIANISME EN GAULE
Pendant que ceux qu'on appelait les « barbares » envahissaient le Midi, les Chrétiens envahissaient le Nord.
Déjà ils avaient fondé l'île d'Iona (1), qui fut le berceau du premier Christianisme en Ecosse et le foyer des lumières religieuses du royaume. Le nom donné à cette île indique bien qu'il s'agit de la religion johannite (voir l'article sur les origines et l'histoire du Christianisme).
Les propagateurs de la doctrine vinrent dans les Gaules, alors soumises à la domination romaine, et que commençaient à troubler les infiltrations ou incursions germaniques. Les Chrétiens féministes constituaient des sociétés ayant leurs lois propres, leur morale et leurs mœurs distinctes, leur culte et leur justice.
Ils étaient à la fois les éducateurs moralistes, économes et administrateurs de la Société, veillant non seulement à la conservation du culte caché dans les anciens Mystères, mais encore et surtout à l'observation des obligations de réciprocité entre les associés, qui s'appellent des « frères », et à l'application de la doctrine, dénonçant les infractions et les punissant par des pénitences infligées et au besoin par l'expulsion de la Société sous forme d'interdiction.
Pour donner aux riches l'exemple du désintéressement, ces délégués d'une classe qui ne possédait rien imposaient à ceux qui possédaient la charité et le renoncement à leurs biens.
Telle fut la primitive Église Johannite, dans les conceptions et les pratiques de laquelle on retrouve toutes les traditions féministes des anciens Israélites et des anciens Celtes (2).
Mais ce qui est bien « christien », c'est-à-dire johannite, c'est la conception de l'organisation de la société nouvelle sur une base égalitaire, c'est-à-dire en supprimant les supériorités factices et conventionnelles des hommes, qui prennent toutes les premières places sans avoir aucun mérite, aucune valeur qui y donne droit.
L'Église primitive voulut affranchir le monde de tous les privilèges masculins injustifiés.
Voilà l'idéal chrétien que des rénovateurs modernes, tel Saint-Simon, proposèrent comme un exemple à imiter.
Un peu plus tard, pendant que l'Église Johannite devenait un Ordre de Chevalerie, le peuple resté fidèle aux anciens principes de Justice du régime antérieur matriarcal organisait le mouvement communal, qui ne fut que l'application dans le domaine civil des principes de la doctrine chrétienne. Ce sont ces principes de Justice qui présidèrent à l'organisation ouvrière des Confréries ou Corporations, que les syndicats modernes essayèrent de reconstituer.
Et nous soulignons le mot Confréries pour que l'on comprenne bien leur origine religieuse, mais féministe.
Le mouvement communal, à raison des circonstances dans lesquelles il se produisit, demeura local, comme le régime féministe des tribus fédérées. Il n'a pas été une révolution nationale comme les mouvements masculins toujours plus étendus, mais, tel qu'il est, il demeure encore un modèle d'organisation attestant le génie de ceux qui l'avaient créé, et l'on peut même dire que ce régime social aurait atteint la perfection sans les difficultés qui l'entravèrent.
C'est la philosophie des temps primitifs qui fut mise en institutions par le peuple à côté de l'Église Johannite, et c'est ce qui a pu persister de ces anciens principes qui fit la civilisation, l'art, la science, et le bonheur des peuples à toutes les époques.
Ce n'est donc pas le Catholicisme qui créa l'association, le concours mutuel, en un mot la solidarité restée l'idéal social ; c'est si peu la morale de l'Évangile masculin qui produisit tout cela que, lorsqu'il parut, le peuple déjà (et toujours) se moquait du prêtre et s'insurgeait contre les évêques. Le Catholicisme, que l'on a appelé bien à tort le socialisme chrétien, loin d'organiser, désorganisa le monde, aidé par la royauté que prétendaient exercer les pirates de toutes les nations.
Après le grand désordre moral de la Rome impériale, il fallait pour faire sortir la Gaule de l'avilissement et y reconstituer une civilisation, que tout fût renouvelé, la vie privée et la vie publique.
Il fallait des « Principes » nouveaux, des hommes capables d'héroïsme, pour que l'humanité retrouvât la Justice, basée sur le Droit Naturel, condamné par les révoltés. C'est ce qu'apportait à la Gaule la doctrine des Johannites.
(1) Dans l'île d'Iona, le berceau du Christianisme en Ecosse, le lieu de la sépulture des rois, le foyer des lumières religieuses du royaume, les Protestants renversèrent les abbayes et les églises.
Mais les insulaires gardaient leurs traditions, ils détachaient de petits fragments de marbre des anciens autels et les portaient suspendus à leur cou comme des amulettes. (Johnson, Voyage aux Hébrides)
C'est dans cette Ecosse que se reforma le rite secret de la Maçonnerie moderne (rite écossais)
(2) Il est à remarquer, à propos des parents de Jehanne d'Arc que : « dans tous les actes officiels Jacques d'Arc est désigné sous le nom de Jacob et que son épouse y porte le prénom de Zabillet au lieu d'Isabelle. » (F. André a.k.a. C. Bessonnet-Favre, La vérité sur Jeanne d'Arc, p.70).

LA GAULE ROMAINE
La corruption romaine avait détruit l'œuvre sociale des anciens temps gynécocratiques ; il n'y avait plus que perversion en haut et misère en bas, et, pour les femmes, servitude et désespoir.
C'est au milieu de ce désordre qu'avait surgi la doctrine Christienne de Johana en Judée, et déjà elle s'était répandue dans l'Empire romain, puisque, depuis Tibère et Néron, on la persécutait.
Cette doctrine restituait les anciennes vérités sous une forme nouvelle, elle rétablissait l'ancienne morale, et elle renouvelait toutes les institutions sociales ; elle portait donc en elle les éléments d'une renaissance, elle rouvrait la voie de la Justice et suscitait des vertus nouvelles, des héroïsmes.
Rome avait condamné le Droit Naturel ; le Christianisme de Johana le rétablissait.
Mais ce sont ces lois si sages, ces principes si élevés qui inquiétaient les hommes. La foule ne savait plus rien, mais souffrait de l'injustice que l'ignorance avait engendrée ; elle avait accepté toutes les fables que les Druides ou les Romains avaient enseignées, mais ces vaines croyances, sans morale, avaient fait une société dans laquelle, suivant l'expression d'Henri Martin, « les riches s'étourdissaient dans les orgies, les pauvres s'abrutissaient dans la misère ». Il fallait autre chose : le retour aux lois de la Nature, le retour à la morale scientifique.
C'est ce que tout le monde attendait.
Ce fut alors que la doctrine de Johana fut introduite en Gaule par saint Pothin et saint Irénée, disent les Catholiques ; nous ne savons pas, mais peu importe ; il est certain qu'en 160 on fonda la première Église à Lyon, et on nous dit que la doctrine nouvelle fut accueillie avec transport par les pauvres, par les opprimés. C'était en effet leur salut.
Elle avait pour base la Justice, la Liberté et l'Amour divin (féminin). Aussi nulle part la foi nouvelle, qui rendait sa place à la Femme, ne s'étendit avec autant de rapidité.
Moins d'un siècle après l'apparition des premiers Chrétiens en Gaule, la nation tout entière était convertie.
De nombreuses églises étaient fondées suivant l'architecture et le symbolisme des anciens Mystères que l'on retrouve encore dans ces vieux temples, tel le temple Saint-Jean à Poitiers, fondé par saint Hilaire, que les Catholiques, plus tard, ont consacré à leur culte, et dans lequel la Franc-Maçonnerie pourrait reconnaître le vieux symbolisme des Loges.
Inutile de dire que, dans ce premier Christianisme, il n'était pas question de la légende de Jésus.
La trahison de Paul n'était pas encore connue, et sa doctrine surnaturelle de l’homme-Messie ne se propagea que longtemps après. Nous avons montré comment la fondatrice du premier Christianisme, Johana, est devenue « Saint Jean » dans l'histoire masculinisée.

LE CULTE DE MARIE EN GAULE
L'introduction du Christianisme dans les Gaules y apporta, avec la doctrine de Johana, la glorification de l'antique Myriam, car la Rédemption (mot qui signifie redonner) ne pouvait rendre la science antique sans en faire connaître en même temps l'auteur caché et persécuté.
L'origine végétale avait été connue et enseignée par les Druidesses, et cela avait fait naître la vieille tradition de l'arbre de Noël, ce symbole du recommencement de la vie à l'époque des naissances.
C'est que, avec le temps, les traditions mystérieuses du Druidisme étaient descendues du chant des Bardes aux croyances populaires.
Il fut d'autant plus facile de raviver en Gaule le culte de la Femme que, en réalité, ce culte avait toujours existé. La Madone était depuis longtemps populaire, et le peuple rendait un hommage à la Divinité féminine sous des noms divers, et lui édifiait, de distance en distance, d'humbles chapelles champêtres.
Il y en avait sur toutes les routes, dans les bois, dans les prairies, dans les plaines, sur les monts, partout. Ces petites chapelles étaient couvertes de lierre et de fleurs. Cette dévotion naturelle, naïve, spontanée, si bien appropriée aux instincts profonds de l'homme, aux habitudes primitives, à l'atavisme de l'antique Age d'Or, subsista longtemps avec sa religieuse poésie. La Madone a plusieurs fois changé de nom, mais elle est toujours restée « la Femme », et, près d'elle, il y avait toujours une petite lampe mystérieuse qui ne devait jamais s'éteindre : c'est la lumière de l'Esprit Féminin.
Les images de Myriam, devenue Marie chez les Gaulois, se multiplièrent.
Donc, malgré tout, la Gaule, c'est la Femme, comme Rome, c'est l'Homme. La lutte va s'établir entre ces deux puissances.
Elle durera jusqu'à la Révolution française.

PERSÉCUTION
La Rome des Empereurs avait persécuté les Chrétiens Johannites en Italie, elle allait les persécuter en Gaule. Les philosophes masculinistes et les prétendus savants les combattaient par la parole comme on combat le féminisme moderne, les gouvernements par la persécution.
Les tortures les plus horribles furent employées contre ces femmes et contre les hommes qui défendaient leur cause, et, comme elles voulaient la Vérité et la Justice sociale, on voulut les obliger à rendre les honneurs divins aux dieux mâles. « Les Chrétiens sont accusés d'être des séditieux qui refusent d'adorer l'image de l'empereur et d'offrir des sacrifices aux dieux pour le Père de la Patrie. » (Henri Martin.)
En effet, les Gaulois restaient fidèles à la Matrie. Chateaubriand, dans les Martyrs (Livre XXIV), dit : « Cyrille s'écrie : Fils de la Femme, on vous a donné un front de diamant. »
Mais les empereurs romains voulaient prendre la première place dans la religion. On ne les appelle pas seulement divins, on les appelle éternels (copie de l'éternel féminin), et dieux paternels, pour copier les Déesses-Mères. Chateaubriand dit des Chrétiens, qu'il confond à tort avec les Catholiques : « Poussés à bout par leurs persécuteurs et poursuivis comme des bêtes fauves, ils n'ont pas même fait entendre le plus léger murmure ; neuf fois ils ont été massacrés. » On les déclara ennemis publics et on les fit dévorer vivants par des bêtes féroces.
Les martyrs furent nombreux, et les dignités dont quelques-uns étaient revêtus ne les sauvaient pas.
En 177, saint Pothin, évêque johannite de Lyon, fut envoyé au supplice avec 47 de ses disciples. Une jeune esclave Blandine, fut livrée aux bêtes. A Autun, Symphorien, fils d'un des magistrats municipaux, fut mis à mort. Saint Denis fut décapité à Paris, en 260, sur la butte Montmartre. Toute la Légion thébaine fut passée au fil de l'épée.
Crépin et Crépinien, frères, vinrent de Rome pour prêcher l'Évangile et s'établirent à Soissons ; ils furent décapités en 287.
La persécution redoubla en 303.
Mais tout cela n'empêcha pas la doctrine de se répandre, car nous trouvons l'Église Johannite s'organisant et se perpétuant au milieu des luttes jusqu'à l'époque de l'Inquisition qui la fit sombrer tout à fait.

ORGANISATION DE L’ÉGLISE CHRÉTIENNE JOHANNITE
Les primitives Églises Johannites s'étant perpétuées dans les sociétés secrètes, nous en retrouvons l'organisation dans les Temples maçonniques (1).
La Mère-Vénérable (presbyte), que les masculinistes appellent l’Ancien, l'Oratrice et la Secrétaire (de secretum, secret), sont des fonctions féminines et siègent à l’Orient, partie réservée du Temple.
Tout était symbolique dans cette religion naturelle. Orient signifie soleil qui monte. Ce mot indique l'ascension dans l'évolution féminine.
Les hommes avaient aussi des fonctions dans les Temples. Mais ils siégeaient à l'Occident (mot qui signifie soleil qui descend, symbole de l'involution masculine). Ces fonctions étaient celles des Surveillants, appelés Épiscopes, d'où Évêques. Elles ont pris de l'extension, comme tout ce qui est masculin, au point que, plus tard, ce sont les Épiscopes qui ont accaparé la grande autorité des Mères-Vénérables ; puis ils ont siégé dans la partie réservée des Temples et ont dirigé toute la religion. La femme de l'Évêque s'appelait Episcopa.
Les historiens modernes nous disent que chacune des cités de la Gaule (il y en avait 155) avait son Evêque, élu par les Chrétiens.
Évidemment, il s'agit de l'époque de transition qui sépare le premier Christianisme du Catholicisme, car, à l'époque de la Gaule Romaine, la religion catholique de saint Paul et des Papes n'est pas encore née.
Mais ce sont des auteurs catholiques qui ont écrit l'histoire, et toujours avec l'intention de faire croire que c'était leur religion qui était le premier Christianisme, quand en réalité ils en furent les ennemis et les destructeurs. Mais ces ennemis ne surgirent que plus tard (bien après Constantin). Pour le moment, l'Église Johannite a à se défendre sur un autre terrain.
« L'Empereur prétendait exercer une autorité sur les Églises, et il se qualifiait l’'évêque du dehors, l'évêque laïque, et s'attribuait la présidence des Conciles. » (H. Martin.)
« Le Christianisme, fondé par l'esprit de paix, de persuasion et de liberté, fut de la sorte mis en possession de l'empire par les armes et par l'autorité politique. » (H. Martin.)
(1) À propos de la Franc-Maçonnerie « moderne », Joseph de Maistre, dans « Mémoire au duc de Brunswick » (1782), dit ceci : « Tout annonce que la Franc-Maçonnerie vulgaire est une branche détachée et peut-être corrompue d’une tige ancienne et respectable ». « C’est bien ainsi qu’il faut envisager la question, précise René Guénon : on a trop souvent le tort de ne penser qu’à la Maçonnerie moderne, sans réfléchir que celle-ci est simplement le produit d’une déviation. Les premiers responsables de cette déviation, à ce qu’il semble, ce sont les pasteurs protestants, Anderson et Desaguliers, qui rédigèrent les Constitutions de la Grande Loge d’Angleterre, publiées en 1723, et qui firent disparaître tous les anciens documents sur lesquels ils purent mettre la main, pour qu’on ne s’aperçût pas des innovations qu’ils introduisaient, et aussi parce que ces documents contenaient des formules qu’ils estimaient fort gênante (...) Cependant, ils laissèrent subsister le symbolisme, sans se douter que celui-ci, pour quiconque le comprenait, témoignait contre eux aussi éloquemment que les textes écrits, qu’ils n’étaient d’ailleurs pas parvenus à détruire tous. »

PRISE DE POSSESSION DE LA RELIGION PAR LES EMPEREURS
Nul doute n'est possible. Ce qui est en jeu, au fond de ces luttes, c'est le Droit divin (féminin), le Droit maternel (naturel) que l'homme dispute à la femme ; et, quand il aura triomphé, la Déesse-Mère s'appellera le Saint-Père, les Prêtresses deviendront des prêtres, qui du reste portent le costume de la femme et se rasent pour faire disparaître le caractère principal de la masculinité.
L'État masculin favorisera le développement de la religion, quand la religion, sera masculinisée ; alors il facilitera sa diffusion et persécutera l'ancienne forme religieuse, qui se cachera dans les sociétés secrètes.
Tous les historiens font confusion entre le Christianisme Johannite et le Catholicisme Jésuiste qui l'a remplacé. Les Catholiques, ont tellement dénaturé l'histoire qu'ils ne savent plus se débrouiller eux-mêmes dans ce dédale.
C'est que l'égoïsme tyrannique de l'homme reparaît partout.
Qu'importent les noms donnés, les étiquettes mises sur un régime, si au fond il y a toujours un homme libre et maître, et une femme assujettie et dominée.

LES DERNIERS PAÏENS
Les Israélites appelaient les nations étrangères, qui avaient d'autres croyances que les leurs, Go'im (Psaume 21 ; Isaïe, 41,6) ; et ce mot servit plus tard à désigner les sectateurs des autres cultes.
Dans le Nouveau Testament, ce mot, sous sa forme grecque Ethnè et ethnikoï, désigne les païens.
La Vulgate rend Ethnè par gentes et par gentiles, pluriel de gentilis, « qui appartient à une nation ».
Ce mot gentiles sert presque toujours dans la Vulgate à traduire le mot Hellènes.
Après le triomphe du Jésuisme, sous Constantin, les païens, du latin paganus, paysan, qui sont ceux qui habitent les villages, les pagi, furent les derniers sectateurs de l'ancien culte théogonique, parce que ce culte persistait dans les campagnes, tandis que, dans les villes, où régnait la corruption, il avait cédé la place aux cultes nouveaux.
On trouve le mot païen pour la première fois dans l'édit suivant promulgué par Valentinien 1er en 368 ou 370 :
« Nous ordonnons que la décision rendue par le Divin Constance (305-306) ait force de loi et que, sous aucun prétexte, on n'ait égard aux décrets rendus à l'époque où les esprits des païens étaient soulevés par la méchanceté contre cette loi si sainte » (Codex Theodosianus). C'est que les « païens » s'étaient mêlés aux premiers Chrétiens, dans les villes et dans les maisons, et les défendaient.
Fabre d'Olivet, dans ses Vers dorés (p. 282), fait une remarque très judicieuse au sujet du mot Païen. Il dit : « Le nom de Païen est un terme injurieux et ignoble, dérivé du latin Paganus, qui signifie un rustre, un paysan.
« Quand le néo-christianisme eut entièrement triomphé du polythéisme grec et romain et que, par l'ordre de l'empereur Théodose, on eut abattu dans les villes les derniers temples dédiés aux Dieux des Nations, il se trouva que les peuples de la campagne persistèrent encore assez longtemps dans l'ancien culte, ce qui fit appeler par dérision Pagani tous ceux qui les imitèrent. Cette dénomination, qui pouvait convenir dans le 5e siècle aux Grecs et aux Romains qui refusaient de se soumettre à la religion dominante dans l'Empire, est fausse et ridicule quand on l'étend à d'autres temps et à d'autres peuples. On ne peut point dire, sans choquer à la fois la chronologie et le bon sens, que les Romains et les Grecs des siècles de César, d'Alexandre ou de Périclès, les Persans, les Arabes, les Égyptiens, les Indiens, les Chinois anciens ou modernes soient des Païens, c'est-à-dire des paysans réfractaires aux lois de Théodose. Ce sont des polythéistes, des monothéistes, des mythologues, tout ce qu'on voudra, des idolâtres peut-être, mais non pas des païens. »
Ceux que les masculinistes appellent païens sont ceux que les féministes appellent « les gentils » parce qu'ils les soutenaient.
La haine des Jésuistes contre les Païens (qui étaient pour eux un reproche vivant qui les irritait) se manifestait violemment : ils détruisaient leurs temples, ou les convertissaient en églises catholiques, ils prohibaient leurs spectacles, leurs jeux, ils permettaient de se ruer sur eux, de les piller, de violer leurs femmes et leurs filles, de dévaster leurs sépultures, de saccager tout ce qui rappelait le culte de leurs divinités, le culte des Déesses désormais aboli.
De plus, avides autant que débauchés, ils volaient les richesses des familles païennes qu'ils faisaient injustement condamner ; avec cela, ils fondaient des couvents de prostitution qui s'enrichissaient promptement et étaient le commencement de la richesse ecclésiastique qui devait tant s'accroître en continuant le système de vol qui eut son point de départ du temps de la simonie de Paul.
Rappelons qu'après la prise de Jérusalem les Israélites dispersés s'étaient répandus sur toute l'Europe. On les appelait Juifs, quoique les vrais Juifs eussent presque tous passé au Catholicisme, et fussent devenus les plus ardents adversaires des anciens représentants des tribus d'Israël. Ce sont les Juifs christianisés, par ironie sans doute (Charles Maurras parlait de « convoi de bateleurs et d'agitateurs sans patries »), qui donnaient aux Israélites leur nom de Juifs qui était discrédité et détesté partout.

Pour comprendre l'histoire que nous allons relater maintenant, il faut connaître l'état social du monde à l'époque qui va commencer.
Cet état social ayant toujours été présenté par les historiens modernes comme répondant aux préjugés actuels, l'histoire n'a jamais été impartiale et n'a jamais cherché à l'être ; elle a été une arme dont se sont servis ceux qui ont voulu dominer, et ils l'ont fait servir à leurs fins. L'histoire racontée par l'homme est celle de ses instincts et de ses luttes. Or le règne de l'homme s'occupe des choses matérielles, les guerres, les intrigues pour la domination.
L'histoire racontée par la femme est celle des impulsions de la nature féminine. Le règne de la Femme s'occupe des choses spirituelles. Elle raconte ses craintes de la brutalité de l'homme, ses efforts pour cacher ce qui la blesse, ses souffrances et ses humiliations.
Donc, l'histoire des hommes, c'est la demi-histoire et la demi-humanité.
Nous allons faire l'autre moitié de l'histoire, celle que les hommes ont cachée, parce que, de siècle en siècle, ils ont affirmé leur puissance et supprimé toutes les contingences qui en entravaient la manifestation.

L’ETAT, IMAGE DE LA FAMILLE
La vie sociale, c'est le prolongement de la cause dans les faits.
« L'État, ne venant qu'après la famille et tirant d'elle son origine et ses droits, ne peut évidemment rien entreprendre sur ce qui la constitue essentiellement », dit l'abbé Naudet.
Ce qui est premier ne peut être ni analysé ni critiqué. C'est la source même où puise la tradition, où s'alimente l'esprit.
La forme de l'antique Matriarcat était logiquement basée sur cette considération que la Femme est l'élément économique tant psychique que moral du monde. Elle est le centre de la famille. Où il n'y a pas une Mère, il n'y a pas de famille.
Son nom, Mater, a fait Matri-monial, dont les hommes ont fait patrimoine.
Elle est la vie morale et la vie matérielle, Elle est l'éducatrice et la protectrice, Elle est la Justice.
C'est pour cela que la famille a quelque chose de sacré et d'inviolable, que nous résumons dans le mot foyer et que les Anglais appellent le « Home » (1). C'est le lieu de refuge au milieu des difficultés de la vie, l'endroit où l'on sait qu'on est aimé et protégé et où le mal, l'ennemi, est impuissant et ne peut nous atteindre.
(1) En latin, Mora (demeure). En arabe, Morabit (uni à Dieu, mis pour Déesse). En gaélique, Mor (grand, monumental). Le wallon belge désigne encore la demeure par Mon. Ainsi, pour dire aller chez Fabre d'Olivet, on dira aller à Mon-Fabre d'Olivet.

LE CULTE FAMILIALE
Le culte de la Déesse-Mère a régné partout. Chaque maison a son atrium autour duquel se réunissent, pour la prière aussi bien que pour le repos, les membres de la famille matriarcale.
Ils chantent en commun les hymnes que leurs ancêtres leur ont légués. C'est, avant tout, la religion du Foyer, des aïeules, qui est le lien de la famille antique. La famille maternelle est une organisation religieuse.
Le caractère général des récits de cette époque, c'est la subordination des hommes aux Divinités, qui n'exigent pas seulement la piété, mais la pureté et la Justice.

L’ÉGALITE DES ENFANTS
Le régime maternel, c'est l'égalité des enfants devant la Mère et devant sa loi.
Dans le régime maternel, les hommes ne sont pas divisés en castes, il n'y a ni pauvres ni riches, tous travaillent, mais le travail n'avilit pas, au contraire, c'est une loi générale à laquelle tous se soumettent avec joie. C'est pour cela que l'antiquité nous montre la vie agricole sous un aspect poétique, esthétique et joyeux, que les modernes ne connaissent plus.
Le travailleur n'a pas l'aspect du prolétaire moderne, il ne se distingue pas par des vêtements sordides, par un langage vulgaire, par un manque d'éducation ; tout cela est le résultat des castes masculines. Le travailleur de l'ancien régime, c'est le berger qui chante les vers du poète, c'est la bergère enrubannée, gracieuse et même élégante, les dryades, les hamadryades, les nymphes, etc. La caste pauvre n'existe pas. Le peuple malpropre n'est pas né. Il y a partout beauté, propreté, abondance et joie.
Rappelez-vous les Bucoliques de Virgile. Celui qu'il appelle Tityre et qui chante sous un arbre ne ressemble pas au paysan moderne, malpropre, mal élevé, avare et souvent brutal.

ORGANISATION DU TRAVAIL
Quelques mots sur l'histoire de la propriété foncière, pour montrer que les biens nationaux ne sont légitimes que quand ils appartiennent à la Matrie.
Avant l'organisation matriarcale, les hommes erraient d'un lieu à l'autre, étrangers au sol qu'ils occupaient.
Les Déesses-Mères, en organisant le travail, divisèrent le sol et le délimitèrent pour les travaux agricoles. Elles donnèrent aux hommes la part de terre qu'ils avaient à cultiver. De là vint le mot tenancier, qu'on retrouve dans le vieux mot latin tenere (tenir ; celui qui a).
Mais le tenancier devait donner une part de ses produits à la Mère, à l'organisatrice, dont le rôle moral, maternel, éducateur, n'était pas producteur des biens matériels nécessaires à la vie. Il fallait donc que l'homme travaillât pour elle et pour les enfants de la collectivité. Il faisait cinq parts du produit de sa terre, en gardant quatre et donnant la cinquième à sa Maîtresse. Le travail que représentent ces quatre parts a eu des appellations restées dans les langues. Ainsi, arbé, dans les langues celtiques, veut dire quatre. De là s'est formé arbeit qui, en celtique, signifie travailler (en allemand arbeiten).
Arabe est le nom donné à ceux qui étaient soumis à cette redevance (arba’a : quatre en arabe).
Arabe ne serait pas un nom de peuple, mais un nom générique désignant celui qui travaille la terre. Arare veut dire labourer.
Les Bretons étaient quelquefois appelés arbi (hébreu, heber, arabe), ceux qui travaillent.
Chez les Celtes, où Vyer signifie quatre, la grange dans laquelle se gardaient ces quatre parts fut appelée Vyer heim (vyer, quatre, heim, demeure), d'où nous avons fait ferme.
Le souvenir du cinquième lot payé à la Maîtresse laisse également des traces dans le mot five, qui signifie cinq et dont on fait fief.
Une ferme s'appela quinta chez les Ibères. Le grec pente, cinq, forma le latin penaere, payer l'impôt.
Et, si nous poussons plus loin, nous trouvons que, dans la langue géorgienne, cinq se dit chuth, qui n'est que le schot celtique, tribut. En Corée, cinq se dit tasel, désignant par son nom même la taxe imposée au tenancier.
La personne à qui était payé l'impôt s'appelait Fron (Frau, Dame). La terre de son obédience prit le nom de Fron-terre, dont nous avons fait frontière. L'homme tenancier se fixa sur le sol où il errait auparavant sans s'y intéresser. A partir de ce moment, il contracta des habitudes de permanence, et cela eut un retentissement sur sa vie morale ; ses affections passagères devinrent plus durables quand il demeura dans un même lieu. Mais ce fut aussi le commencement de l'idée de propriété foncière, qui devait avoir un si triste avenir à cause de l'exagération que l'homme met dans tout ce qu'il fait, et à cause aussi de ce manque de jugement qui l'empêche d'apercevoir les causes naturelles des choses, surtout du Droit des Femmes, ce privilège donné à l'autre sexe et dont il ne comprend pas le motif. C'est ainsi qu'avec le temps les hommes commencèrent à trouver bien lourde leur sujétion. Ils travaillaient sur un sol dont ils n'héritaient pas (la fille seule héritait). On vit alors des hommes, plus audacieux que les autres, s'attacher à la Maîtresse et prétendre partager avec elle la redevance des tenanciers.
Alors le cinquième donné fut divisé, et chacune de ses deux moitiés devint un dixième (la Dîme).
C'est ainsi que Joseph, à la cour de Pharaon, régla la taxe du peuple (Genèse, XLI, 24).
Cailleux dit : « Le cinquième se dédoubla dans la suite, par la séparation des pouvoirs (civil et religieux), ce qui produisit la Dîme. »
Par civil, il faut entendre le pouvoir masculin, et par religieux, le pouvoir féminin.
C’est le commencement du partage de l'autorité entre l'Homme et la Femme.
Par toute la terre, nous trouvons la même organisation.
La loi divine de Manou attribuait à la Déesse-Mère le sixième du revenu. Darius instaura en Perse cette redevance, mais dans des conditions de gouvernement masculin qui font de la Maîtresse un Maître. Quelle différence entre le Maître et la Maîtresse, entre la douceur dans l'assujettissement naturel de l'homme à la Femme et l'assujettissement forcé d'un homme sous le joug brutal d'un autre homme !
Le servage est issu de cet esclavage illégal, imposé par l'homme vainqueur à l'homme plus faible qui, ayant été dépossédé de ses droits de propriété par la force, est obligé de se soumettre à un Maître de terre, un Maître terrien, et se trouve forcé de lui consacrer une partie de son travail, comme l'homme des anciens temps gynécocratiques la consacrait à la Mère commune de la Tribu.
C'est encore ici l'imitation d'une loi légitime devenue illégitime par le changement des sexes.
L’homme doit le produit de son travail à la Femme parce qu'elle est d'une autre nature que lui et parce qu'elle est la Mère qui a enfanté l'humanité, il ne doit rien à un autre homme qui peut travailler comme il travaille.
L'obéissance de l'homme à la Femme est une vertu. L'obéissance de l'homme à un autre homme est une bassesse.
Celui qui, dans l'antiquité, cherchait à se libérer de l'autorité maternelle était flétri, et le mot libertin indique le sens de cette flétrissure.
Les principes qu'on inculquait à l'enfant lui donnaient le respect de l'autorité maternelle, il savait que sa soumission l'ennoblissait.
Le jeune homme était encore le dévoué serviteur de la Dame, et il en était récompensé par des marques d'approbation que sa conscience demandait, par des signes de tendresse que son cœur désirait. Cela mettait dans sa vie l'immense satisfaction du Bien réalisé, en même temps que cela le mettait à l'abri des soucis de la vie matérielle, la Dame pourvoyant à tout, et c'est pour cela qu'elle est la « Providence ». L'homme tenait tout de cette sécurité providentielle.
L'ancienne organisation matriarcale régnait partout, elle avait établi une autorité morale, religieuse et législative, invincible comme tout ce qui est basé sur les lois de la Nature.
« Chaque peuplade avait sa Grande Prêtresse, dit Edouard Grimard ; ces femmes jouaient un rôle plus ou moins semblable à la fameuse Voluspa des Scandinaves, qui, avec une autorité que nul n'eut osé lui contester, dirigeait tout un Collège de Druidesses. Et, tandis que l'homme tremblait devant les manifestations d'un monde inconnu, les femmes, plus hardies, exaltées par leur enthousiasme, prophétisaient sous certains arbres centenaires, considérés comme sacrés. » (Cité dans Les Bibles de Leblois.)
« Chez les Celtes, dit Fabre d'Olivet, les Femmes du suprême sacerdoce exercèrent la première Théocratie. Un Collège de Femmes était chargé de tout régler dans le culte et dans le gouvernement. Les lois données par les Femmes étaient toutes reçues comme des inspirations divines.
« A la tête de chaque Collège de Femmes, car il y en avait dans toutes les contrées, était une Druidesse qui présidait le culte et rendait des oracles ; on la consultait dans les affaires particulières, comme on consultait la Voluspa dans les affaires générales. Leur autorité était très étendue. Leur nom vient de Drud, qui veut dire puissance directrice de laquelle dépendent toutes les autres. Les Druides, que l'on voit à côté des Druidesses, ne faisaient rien, sans prendre leurs avis. Le peuple recevait avec le plus grand respect les ordres et l'enseignement de ces prêtresses, qui exerçaient le pouvoir législatif, mais confiaient à l'homme le pouvoir exécutif. C'est ainsi que la Voluspa nommait un Kank (ou Kang ou King), qui signifia plus tard « roi », qu'on regardait comme le délégué de la Déesse institué par Elle, par sa faveur divine (1). Et le peuple se soumettait sans aucune hésitation à ce chef qu'elle avait nommé et qui était, autant pontife que roi. »
A cette époque primitive remonte la formation de la langue ; la création de la poésie et de la musique qui étaient appelées « la langue divine ». On dira plus tard « la langue des Dieux » quand on mettra des Dieux à la place des Déesses, mais, à l'origine, les Dieux ne sont pas nés.
« Tel avait été le décret divin que l'homme recevant ses premières impulsions de la Femme tiendrait de l'amour ses premiers développements », dit encore Fabre d'Olivet.
(1) On sait que dans les hiérarchies antiques le Roi devait toujours être un initié ; lorsque certains monarques assumaient ce rôle sans avoir les qualités nécessaires, il s'ensuivait pour les nations toutes sortes de catastrophes (Voir à ce sujet Saint-Yves d'Alveydres, Missions des souverains)

JUSTICE DIVINE
Les Déesses-Mères rendaient la Justice. C'était dans leurs attributions. Elles avaient, à certaines époques, des cours de Justice, que leurs ennemis appelaient des « cours d'amour » pour s'en moquer.
Celui qui avait offensé une femme était passible d'une amende, plus forte que s'il eût offensé un homme. Le viol était puni de la peine de mort.

LES DÉESSES-MÈRES
On désigne par le mot Mères les Prêtresses de la Déesse Hemœra. Ce nom a été trouvé dans de nombreuses inscriptions au bord de la Méditerranée.
Oscar Vignon, dans le Rhin français (31 mars 1917), dit :
« Le mot gaulois ma-yr (mair) a donné non seulement le mot latin mater, mais aussi cet autre, ma-yr-a, dont témoignent les vieilles inscriptions : Mairæ.
« Les Romains élevaient des pierres aux trois Mères, qu'ils nommaient indifféremment Maïra, Mater, Matrona ; les trois Marie de Galilée ont continué la tradition.
« Comment se fait-il que les dictionnaires latins les plus récents passent ce Maïra sous silence ? »
Et Oscar Vignon ajoute : « Vous avez donc bien peur de voir éclater la Vérité Celtique, la Vérité Gauloise, que vous dissimulez avec tant de soin tout ce qui peut servir à la faire resplendir ! »
Donc, primitivement, la fonction des rois est d'accomplir la volonté des Déesses-Mères. L'homme, guerrier par sa nature, savait conquérir de vastes pays, mais il ne devait agir que sous la volonté morale d'une Déesse. Il était « duc » (conducteur), mais non législateur. Quand les Catholiques auront pris le pouvoir, ils nous diront que « les rois devaient gouverner les âmes pour la gloire de la Reine des cieux et de la Terre ».
Cependant, des révoltes se produisirent. L'homme fort, devenu roi, brave le pouvoir suprême de la Déesse et va se révolter contre l'ancienne Justice. Les hommes déclarent qu'à l'avenir ils ne veulent plus être jugés par des femmes, ils veulent être jugés par des hommes comme eux ; on dira : jugé par ses pairs.
Et, quand les Francs vont régner, ils vont introduire dans leurs usages cet axiome : « Chaque citoyen ne peut être jugé que par ses pairs. » Et, pour justifier cette prétention, on va mettre, à côté des Maïrs (les Prêtresses), des hommes qu'on appellera Mayer. Les masculinistes feront venir ce mot de mak ou mok (force), mais, en réalité, c'est une altération masculine du mot Maer. D'altération en altération, ce mot deviendra Ma-or (major) et finalement maire (1). C'est un pouvoir qui n'a pas comme excuse une supériorité intellectuelle, comme celui des Lochrs ; il ne vient que de la force brutale, qui, du reste, commence à être partout glorifiée. Hercule, qui la symbolise, va s'appeler Hérold chez les Celtes, d'où on fera Roll, Raoul, Rolland, nom qui, décomposé, Roll-land, signifie « l'homme fort dominant sur une étendue de terre ».
Puis nous voyons naître une royauté représentée par des hommes qui gouvernent par droit divin, c'est-à-dire droit concédé par la Déesse. Ceux-là prennent le titre de Kank. On attache à ce mot Kank ou Konk (qui deviendra King) une idée de force morale, tandis que le mot Mayer ne représente que la force brutale. Aussi une violente rivalité s'éleva entre le Konk et le Mayer, et l'on a vu souvent les Mayer (les Maires) dépouiller les rois de leur autorité.
Depuis que les Celtes avaient abandonné la paisible gynécocratie, qui avait duré tant de siècles, ils ne marchaient plus que de division en division. Cependant, au milieu des guerres, une sorte de vénération pour les femmes, que les hommes justes et éclairés continuaient à regarder comme divines, adoucissait l'âpreté des mœurs. Mais cette vénération ne devait pas rester longtemps générale ; la raison s'obscurcissant, l'homme n'aima plus la Femme, mais une femme. Alors le mot « aimer » changea de signification.
D'après les Latins, les Germains avaient gardé l'esprit des tribus matriarcales. Chez eux, la famille comptait plus que l'individu ; la tribu se rangeait sous une gynécocratie souveraine qui la guidait et la protégeait, à qui elle remettait le soin de sa destinée. Ces hommes avaient le respect des grandes Déesses et se soumettaient à leurs ordres : c'était l'esprit de vasselage.
Ceux que les Latins appellent les Germains, ce sont surtout les Hollandais et les Flamands. Leur nom primitif est teuch ou teuton. C'est chez eux qu'apparaît la Chevalerie, qui est la pratique de l'équité, la Justice Divine. Équitable (d'où équestre) a plus tard été remplacé par Chevalerie, parce que Marc'h signifie cheval dans l'ancien celte. De ce mot, on fera Marc (monnaie), mais on fera aussi Marquis, l'homme de marque.
Le Mark allemand, c'est le Marc'h dont l'effigie était sur les monnaies gauloises.
Le féal chevalier sera le vassal de la Dame-Fée (d'où Féal). Il sera Féal, ce qui indique la Foi et l'hommage que le vassal doit à sa suzeraine.
L'homme-lige, celui qui est lié par un lien moral (légal), promet à sa Dame toute fidélité contre qui que ce soit sans restriction.
(1) Le comte Maurice de Périgny, archéologue français, a découvert au Guatemala, dans le district de Peten, les vestiges d'une immense cité de l'époque des Mayas, c'est-à-dire des Maïrs.

LES FRANCS
Après le départ des Romains, la Gaule fut envahie par des étrangers qui y apportèrent un nouveau ferment de révolte masculine.
C'est ainsi que, vers l'an 241, on trouve tout à coup des peuples du Nord appelés Francs.
Ce mot n'appartenait à aucune langue du pays. Il venait de frei et signifiait les fracasseurs, ceux que rien n'arrête.
Mais les Francs comprennent deux peuples et deux partis : les Francs-Saliens (masculinistes), ainsi nommés parce qu'ils viennent de l'Yssel ou Sala, et les Francs-Ripuaires (féministes), qui viennent des bords du Rhin, de Cologne et d'une partie de la Belgique.
Leurs chefs avaient un Roi suprême, ou roi inamovible, qui n'était autre qu'une Reine.
Leurs prêtres étaient supérieurs aux chefs (petits rois), mais ils obéissaient au Roi des Rois (la Reine), appelé « si-nist ».
Voyons ce qu'était ce Roi des Rois.
Le mot gone signifie femme (Théogonie, Divinité féminine). C'est chez les Celtes que nous allons trouver l'origine de ce mot « gone » et de ses dérivés.
L'histoire des Celtes nous dit que ce « Roi des Rois », le Roi permanent, inamovible (c'est-à-dire la Reine), s'appelait « ist », continu (qui avance, supérieur). C'est la supériorité naturelle que donne le sexe, l'avance dans l'évolution de la fille sur le garçon.
En même temps, les petits rois qui étaient révocables portaient le nom de Cunic (Cun-ic.) ; ce sont ceux-là qui étaient des hommes.
La terminaison « ic » servait à former des diminutifs. On prononçait aussi Conic ou Konig, et c'est de là que sont sortis les noms Konig, King, Koning, Kong.
C'est donc un diminutif de cun, con ou gone, qui désignait la Femme. Ce qui prouve que c'est bien d'elle qu'il s'agit, c'est qu'on nous dira que cun signifie l'aimable, l'élue (le vase d'élection).
Le mot latin cuniculus (lapin) vient de cun-ic-ulus (mon petit lapin), petit mignon. Cun-ic a fait en espagnol con-ejo. Ce mot est connu comme étant celtibère et se retrouve dans la symbolique de l'Ibérie.
L'histoire nous dira que Gondioc, le Roi des Rois, le sinist, qu'il faut écrire cyn-ist, franchit le Rhin à la tête de 80.000 burgondes (Francs-Ripuaires). Or Gondioc n'est pas un nom, c'est un titre comme Brenn. Ce mot, formé de gone et dioc, signifie surveillant, inspecteur, conducteur (de là doge et duc).
Gondioc est donc l'intendant de gone, celui qui agit sous les ordres de gone (Dioc, duc, c'est le lieutenant de la Reine, le gérant, le ménager de gone, et de gonic on fait gérance).
Gondioc se retrouve en breton dans Goni-dec.
Dans le Cornouailles, c'est Gonidoc, qui devient tioc, dioc. Et de tioc les Anglais font till, cultiver, parce que la culture de l'esprit se confond avec la culture de la terre, et alors gones signifiera cultiver et gôn plaine arable (gonys, cultiver la terre).
Toutes les mythologies des hommes ont confondu la Femme et la terre ; de là la façon dont le symbolisme avait représenté les sexes, montrant le féminin comme ce qui est plat (d'où plaine) et le masculin comme ce qui est saillant (d'où l'idée de colline, montagne), et ce mot saillant se retrouve dans salien, le parti masculiniste, alors que le parti féministe (plat) sera appelé ripuaire.
Donc, gone, pour les symbolistes, devient la plaine cultivable, et, si nous ne connaissions cette interprétation donnée par ceux qui ont voulu cacher l'histoire réelle, nous ne comprendrions rien à leurs explications.
Ainsi, M. Oscar Vignon nous dit que Gondimar vient de gone et moor ou mawr et que oic signifie le major de la plaine. Donc, cela veut dire « le major de la Femme ». En effet, dans Gondyn-maor, nous trouvons gon, femme, dyn, homme, et maor, major.
Dans Con-ty, major de la maison, majordome (ti signifie demeure). Le major-dome, c'est le major de la Dame (la Domina latine).
Des noms qui ont une étymologie féministe sont restés comme Con-dillac, Con-dorcet, Gon-dinet (dinet, petit homme) (1).
Les Burgondes, qui sont les primitifs Bourguignons, se disaient Bor-gon-dyn (bor, gras, gone, femme, dyn, homme) (2).
Bor-gogne a fait Bourgogne. Et gogne (de gone) a fait gonia (chez les Grecs gunè). Les Latins en feront cognât (parenté par les femmes).
Le mot allemand Kunst, art, est mis pour Kun-ist (Kun, c'est Cun), mot qui signifie agrément suprême ou suprêmement agréable.
Donc, l'allemand vient du celte en grande partie.
Les petits roitelets sont appelés Al-ber (Al-bert), et aussi Beral et Ber-ic (l'article après), ce qui signifie le petitot, le petitpetit.
De Ber-ber, les Latins ont fait bar-bar.
Autre preuve que l'allemand dérive du celte : Wall-halla, assemblée de tous les Gaulois, est resté en allemand l'assemblée des dieux.
Toutes les Déesses portent des noms celtiques comme dans le panthéon Scandinave.
(1) Dans les antiques ballades des 2 Bretagnes, on chante le monarque des temps primitifs, qu'on appelle Cone, Conan ou Codon. La ville saxonne de Caen s'appelle de son nom primitif Cathom ; de là sont venus Cathare, Catherine. Conan Mériadec, c'est l'affidé de Mériam ou Myriam (auteure de la loi d'Israël, Ha-Thora).
(2) Dans « Le matin des magiciens », Louis Pauwels et Jacques Bergier nous rappellent ces étonnantes paroles tenu par H. Himmler : « À la conférence de la paix, en mars 1943, le monde apprendra que la vieille Bourgogne va ressusciter, ce pays qui fut autrefois la terre des sciences et des arts et que la France a ravalé au rang d’appendice conservé dans la vinasse. L’État souverain de Bourgogne, avec son armée, ses lois, sa monnaie, ses postes, sera l’État modèle S.S. Il comprendra la Suisse romande, la Picardie, la Champagne, la Franche-Comté, le Hainaut et le Luxembourg. La langue officielle sera l’allemand, bien entendu. Le parti national-socialiste n’y aura aucune autorité. Seule la S.S. gouvernera, et le monde sera à la fois stupéfait et émerveillé par cet État où les conceptions du monde S.S. se trouveront appliquées. » Et ces deux auteurs de préciser : « C’est Himmler qui est chargé de l’organisation de la S.S. non comme une compagnie policière, mais comme un véritable ordre religieux, hiérarchisé, des frères lais aux supérieurs. Dans les hautes sphères se trouvent les responsables conscients d’un Ordre Noir, dont l’existence ne fut d’ailleurs jamais officiellement reconnue par le gouvernement national-socialiste. Le véritable S.S. de formation « initiatique » se situe, à ses propres yeux, au-delà du bien et du mal. L’organisation de Himmler ne compte pas sur l’aide fanatique de sadiques qui recherchent la volonté du meurtre : elle compte sur des hommes nouveaux. ». Précisons néanmoins que Herman Wirth (1885-1981) co-fondateur de l'Ahnenerbe, disait des SS, qu'ils étaient une incarnation moderne des Männerbünde (associations masculines) qui avaient éradiqué, par le truchement du wotanisme puis du christianisme, les cultes des mères, propres à la culture matricielle atlanto-arctique et à son matriarcat apaisant.
L’« Ordre noir », la « Allgemeine-SS » ou « SS générale » dont Otto Rahn (1904-1939), l'auteur de « La Cour de Lucifer, voyage au cœur de la plus haute spiritualité européenne » ou « Croisade contre le Graal » faisait partie, ne doit pas être confondu avec la « Waffen-SS», la SS combattante.
Peut-être, la Vérité sur cette période de l'histoire, aussi dramatique qu'elle soit, arrivera t-elle un jour à se libérer totalement des entraves dans lesquelles elle est tenue depuis « Nuremberg » jusque l'inique loi « Gayssot » ?
On dit, généralement, qu'on impose que l'erreur et que la vérité se laisse toujours discuter. Cependant, sur ce seul « point de détail » de toute l'histoire de l'humanité, il n'y a même plus de discussion possible. 
N'est-ce pas la marque de l'« Inquisition », plus subtile aujourd'hui, mais toujours autant active ?

ORIGINE DU MOT CONGRÉGATION
Le mot Con-grégation dérive du mot gaeren, anciennement réunir, qui désignait des associations de personnes qui s'appelaient des frères (herman ou german, d'où Germains pour les Latins qui ne comprennent pas les langues du Nord, mais qui constatent que ces peuples manifestent un grand respect pour la Femme).
Ils sont frères par la loi, c'est-à-dire par la croyance qui les relie à l'autorité féminine, d'où Con-grégation.
Les Con-grégations, ce sont les anciennes tribus matriarcales.
Le mot Germain semble désigner tous les peuples du Nord pour les Romains, car Tacite dit ceci : « Les Germains sentaient dans les femmes quelque chose de divin et de divinatoire. »
Il ne faut pas confondre les Germains avec les all-mands qui occupaient la rive droite du Rhin.

LES DEUX RACES
Voici donc, dans la Gaule Franque, deux races venant occuper le pays après le départ des Romains :
L'une, continuant la vieille tradition celtique, représentera la raison calme, la réflexion, la Justice : ce sont les Ripuaires.
L'autre, turbulente, et en lutte avec la vieille tradition féministe, impose ses idées et sa domination masculiniste, en même temps qu'elle supprime la Justice : ce sont les Saliens.

TRAHISON DES SALIENS
Les Francs-Saliens sont des renégats. Ils ont abandonné l'ancienne religion, antérieure à l'occupation romaine en Gaule, et sont devenus masculinistes avec les Latins.
C'est pour cela que nous les retrouvons appelés les Prêtres de Mars. Mais ils gardaient le titre de Saliens qui avait un grand prestige, tout en pratiquant une religion profane en opposition avec celle des anciens Germains (Flamands).
Comme tous les mots sur lesquels on ne veut pas faire trop de lumière, on donne à celui-ci des étymologies variées et disparates.
Si nous les demandons aux savants modernes, ils nous répondent, en remontant au latin, que ce mot vient de salire qui veut dire sauter, que c'est l'acte du mâle qui prend possession de la femelle : saillir, mouvement qui se fait par saut, par élan ; mais aussi qui est en dehors, en relief, angle saillant opposé à angle rentrant dans les anciens symboles des Mystères.
Safaris : nom des prêtres saliens.
Saliatus : dignité de prêtre salien.
Salii : prêtres de Mars et d'Hercule.
Salio : danser, sauter, bondir.
Saltatio : danse.
Saltator : danseur, mime, pantomime.
Saltatus : réciter en dansant.
Les Italiens en ont fait saltarelle (de sauter) et saltimbanque.
Pourquoi le mot Salien est-il une trahison ?
Parce que primitivement le mot Sala signifiait « lieu où se tiennent les réunions des fidèles de la science sacrée ».
Voici ce que de Grave dit de cette origine :
« Borsela, une des îles de la Zélande (Bor, d'où Boréens ; sele, en latin sala ou salia), veut dire salle des Boréens, (Sala comitum), lieu d'assemblée.
« En traitant de l'étymologie de Franci Salii, que quelques-uns font dériver du fleuve Sala, Alting tire ce mot sala de comitii loco, salle étant le nom du sanctuaire où les chefs du peuple tenaient leurs assemblées pour régler les affaires publiques ; le mot sale a la même racine que salig, beatus, saligheid, salus. On regardait comme sacrés (salig) les lieux où les gouvernants tenaient leurs séances. C'était là que l’on statuait sur le salut (salig-heid) de l'État. On donnait aux lois qui en émanaient l'épithète de Saliques (Salige Wetten) lois sâlutaires ou sacrées. »
Les modernes, pour cacher cette étymologie féminine, nous diront que Sala était le nom d'un affluent de la Marne et que c'est sur les rives de cette rivière que s'établirent les Francs.
D'autres nous diront que le mot sala signifiait chez les Francs, « maison », parce que dans l'ancien haut-allemand salle veut dire maison.

LES DEUX PARTIS
Les adhérents de ces deux partis, Salien et Ripuaire, se vouèrent une haine implacable.
Ils vont représenter dans l'histoire deux races qui dirigeront tour à tour les destinées du pays, mais chacune en y apportant sa psychologie spéciale.
Nous ferons comprendre aux modernes cette différence en disant que les Ripuaires furent et restèrent les hommes de salon (sala), les Saliens les hommes du dehors, de la rue.
Les hommes de la rue sont arrivés à former des associations masculinistes très importantes, mais dont les femmes ont toujours été exclues ou bien où elles ont eu un rôle très secondaire, effacé, toujours subordonné à l'autorité de l'homme.
Les hommes des salons, quelles que soient les doctrines que les fluctuations sociales aient introduites dans le monde, sont restés des êtres policés, obligés au respect, parce qu'ils sont chez la Femme, dans son domaine, sous sa loi. Et ce sont eux qui ont toujours sauvé la civilisation.

CE QUE DISENT LES MODERNES
Les Ripuaires, qu'on accusait d'être efféminés parce qu'ils représentaient le parti féministe, étaient appelés grenouilles ; on les ridiculisait.
Les Saliens, leurs ennemis, étaient considérés comme des gens rustiques, manquant d'esprit. On les appelait grues, oies, pour représenter par une figure l'organe qui était l'origine de leur bêtise.
C'est cette oie symbolique que nous retrouvons au Capitole dans le temple de Jupiter.
Fabre d'Olivet dit : « Les Ripuaires étaient ainsi appelés du mot ripa ou riba, qui signifiait rivage, et les Saliens, à cause du mot sal ou saul, qui exprimait une éminence. C'est de ce dernier mot que sortent les expressions sault, seuil, saillant, et l'ancien verbe saillir.
« A l'époque de la domination des Étrusques, les Celtes Saliens, prêtres de Mars, avaient la coutume de sauter en chantant des hymnes à leur dieu. Leur enseigne, qui était une grue, s'ennoblit assez, par la suite, pour devenir l'aigle romaine. Il en arriva autant aux grenouilles des Ripuaires, qui, comme on le sait assez, sont devenues les fleurs de lys des Francs. » (L'État social, t. I, p. 249.)
Les Saliens avaient pour emblème un taureau portant une grue sur le dos, les Ripuaires une grenouille, mais le taureau fut abandonné et la grue resta seule.
Certains auteurs diront par ironie que les Saliens étaient les prêtres de Vénus, alors qu'ils étaient les ennemis des Vénètes (initiés du culte féministe. Vénètes viens de Vénus).
Ils ont toujours eu une mauvaise réputation. Dans les temps modernes, on dit encore de ceux qui font parodie d'autorité ou de sainteté : « Ce sont des sauteurs. »

CINQUIÈME SIÈCLE
LUTTE DU NORD CONTRE LE SUD - ALARIC (401)
Pendant que les Romains, les Grecs, les Africains se disputaient, sur leurs dogmes absurdes, les Wisigoths et les Saxons soutenaient d'autres superstitions.
Les Goths, en général, sont les sectateurs d'Odin.
Les Sicambres (1) , les Francs, les Vandales, les All-mands, etc., sont des surnoms donnés à ces mêmes Goths, relativement à leurs caractères ou à leurs mœurs, comme ceux d'Ostro-goths et de Wisi-goths le sont relativement à leur position géographique.
Les Goths (Gothans ou Gothins) étaient les défenseurs d'Odin, comme les Catholiques sont les défenseurs de Jésus.
La lutte du Nord contre le Sud, c'est la lutte des sectateurs d'Odin contre les sectateurs de Jésus. Leur dieu avait un nom différent, mais leur dogme ne valait guère mieux.
Cependant, les hommes du Nord, n'ayant pas hérité de la corruption latine, étaient restés plus près de la primitive religion de la Nature ; ils avaient gardé des principes plus élevés, avaient encore au fond les mœurs et les lois des Celtes primitifs.
Les Goths avaient un profond mépris pour les Romains, et, dans leur haine pour eux, ils rendaient odieux tout ce qui venait de leur nation. Le nom romain était pour eux l'expression de tout ce qu'on peut imaginer de bas, de lâche, d'avare, de vicieux.
Ils attribuaient à la philosophie et aux lettres cultivées par les Romains l’état d'avilissement dans lequel ceux-ci étaient tombés. Et il faut bien reconnaître que c'est cette littérature dépravante (Devenue classique) qui corrompt la jeunesse par la fausseté des idées qui y sont exposées.
Quant à l'opinion des Romains sur les Goths, elle était celle qu'ont les inférieurs sur les supérieurs, une envie haineuse manifestée par le dénigrement et la calomnie. Procope dit que c'est par un sentiment d'humanité qu'il ne veut pas transmettre à la postérité le détail des cruautés exercées par les Goths, pour ne pas l'effrayer par ces monuments de barbarie. Il oublie la barbarie des empereurs romains. Idace qui se dit témoin des désolations qui suivirent l'irruption des Vandales en Espagne, dit que, lorsque ces barbares eurent tout ravagé avec férocité, la peste vint encore ajouter ses horreurs à cette calamité.
A côté de ces accusations, ils prétendaient que les Goths ne savaient pas écrire et n'avaient pas de littérature. Mais ce qu'ils ne nous disent pas, c'est que, quand les Romains furent vainqueurs du monde, et après eux les Catholiques, ils détruisirent les annales des peuples du Nord. Ils oublient aussi qu'on leur doit une renaissance architecturale et artistique. Si leurs historiens Jornandès, Paul Warnefinde, Grégoire de Tours, ne donnent sur leur origine, leurs lois, leurs mœurs, que des lumières confuses et peu satisfaisantes, c'est parce que ces auteurs ne voulaient pas glorifier leurs adversaires, les partisans d'une religion que les Catholiques venaient détruire ; ils ne voulaient pas non plus faire connaître les principes de l'Ancien Régime gynécocratique qui s'étaient conservés chez les Celtes jusqu'à l'invasion romaine. Les femmes du Nord, avaient encore à l'époque d'Alaric (vers 400) une prépondérance que les Romaines avaient depuis longtemps perdue.
Quand les Germains descendirent vers le Sud, des femmes les accompagnaient ; elles exerçaient la médecine, soignaient les blessés, pansaient et guérissaient les plaies, « mettaient-emplâtre et donnaient des simples en infusions », disent les vieilles chroniques.
Ce sont elles qui, avec le concours des Germains venus en conquérants en Italie, fondèrent la célèbre école de médecine de Pavie.
La grandeur du monde barbare, que Montalembert appelle « une mêlée de scélérats », était faite de caractères sincères et énergiques se mettant résolument à la besogne pour empêcher le règne du mensonge latin ; déjà alors la lumière venait du Nord.
Les Germains et les Scandinaves, qui vinrent s'établir en Gaule, en Espagne et en Italie, y apportèrent un mépris dédaigneux pour la religion de ces peuples qu'ils allaient dominer.
Si les barbares, sous Alaric, parurent aux portes de Rome, ce fut pour venger la conscience outragée, la femme vaincue...
Alors il y eut un retour sur soi-même, dans le monde romain, et l'on vit ces hommes insoumis se repentir : « A bout de ressources, dit l'historien Zozène, le Sénat monta au Capitole et y observa, aussi bien que dans les places et les marchés, les cérémonies selon l'ancienne coutume. »
L'invasion des barbares, dont les chefs de guerre prenaient eux-mêmes le titre de Fléaux de Dieu, montre bien que c'est contre le dieu surnaturel, qui règne depuis Socrate, et contre le Catholicisme naissant qui le magnifie, que ce grand mouvement fut déchaîné.
Ce fut un temps d'arrêt dans la propagation de l'effroyable erreur.
Quand le bruit de ce grand passage d'hommes eut cessé, et que l'on put distinguer quelque chose à travers la fumée des conflagrations et la poussière des champs de bataille, on vit que l'Europe avait changé de face.
Les Saxons occupaient l'Angleterre, les Francs s'étaient emparés de la Gaule, les Goths de l'Espagne et les Lombards de l'Italie. Il ne restait plus le moindre vestige des institutions civiles et politiques du puissant peuple romain. La barbarie avait tout envahi et tout balayé devant elle. Partout on remarquait de nouvelles formes de gouvernement, de nouvelles lois, de nouvelles coutumes ; c'était un nouveau masculinisme contre l'ancien. Valait-il mieux ? Il ne pouvait pas être plus mauvais que le masculinisme romain, qui reprend, du reste, dans l'Église de Rome. Car c'est au milieu de cette transformation générale que le Catholicisme s'affermit et se propagea, parce qu'il était comme les barbares le fléau, non de Dieu, mais des Déesses.
(1) Le nom de Sicambres vient de Sig-Kembers et signifie Cimbres victorieux.

QUELQUES DATES
Alaric 1er, roi des Wisigoths, ravagea l'Orient, puis se jeta sur l'Italie (401) où il fut arrêté par Stilicon. Plus tard (410), il prit Rome, et il se disposait à passer en Sicile lorsqu'il mourut à Cosenza (411).
Déjà, du temps de saint Augustin, Hippone avait été assiégée et les 400 Églises d'Afrique ravagées par les Vandales.
Ces barbares ne voulaient pas permettre le « massacre des idées » et détruisaient les temples catholiques parce que les Catholiques voulaient détruire le passé.

ORIGINE DU MOT BARBARE
Chez les anciens Germains, Wer signifie homme. En latin Vir, en anglo-saxon Were, en gallois (vieux français) Ber.
Quand les hommes du Nord vinrent en Italie, on les appela Ber (hommes), puis, comme les Romains se rasaient tandis que les envahisseurs portaient la moustache, on appela les étrangers ber-ber (bar-bar), c'est-à-dire deux fois homme. Donc, les bar-bar étaient les hommes à barbe, les poilus de cette époque, et le mot barbe vient de bar-bar.
On appelle leur langue, qui est pour les Latins un jargon barbare, baragouin.

LES ROIS DE FRANCE
L'histoire de France ne sera, à ses débuts, qu'une lutte entre les Francs-Saliens et les Francs-Ripuaires, c'est-à-dire entre les masculinistes et les féministes. Ces derniers devaient faire cause commune avec les Celtes Gaulois restés fidèles aux anciennes traditions.
Les historiens nous ont caché la part prise dans cette lutte par les féministes et n'ont enregistré que les succès des masculinistes.
C'est à nous à rétablir la vérité en cherchant le rôle caché de la femme dans cette histoire lointaine.
Nous voyons, tout d'abord, qu'on mentionne comme premier Roi de France un nom sur lequel on ne nous dit rien, on ne sait rien. On va même jusqu'à mettre en doute son existence.
Or, étant donné ce que nous avons dit plus haut du Roi des Rois chez les Francs, il est bien certain que Pharamond est le terme générique sous lequel on désigne ces Rois suprêmes. C'est du reste le nom d'une Fée, qui joua un grand rôle, la Fée Faramonde.
En cherchant l'origine des langues égyptienne et hébraïque, nous y avons trouvé des origines, des racines celtiques, et d'abord le mot Reine Faée. Ce mot, devenu pharaï (parler), désignait l'inspirée qui parle. Ce terme rapproche singulièrement les Déesses du Nord des Pharaons de l'ancienne Egypte, qui étaient aussi des Puissances morales et sacerdotales exercées par des femmes.
Les mots Pharao Pharaonis, resteront dans la langue grecque, mais qui les rapprochera de l'ancienne Fata ? Qui saura que le nom de Phasias, donné à Médée, en vient aussi ?
Les Phara-mund, comme les Phara-on étaient donc les grandes Cheffesses du Gouvernement théocratique, et ce qui le prouve, c'est qu'entre la Meuse et le Rhin se trouvait leur centre appelé Mèdiomatrice. C'est de là que partit la civilisation celtique. Ce centre était près de la ville de Divodurum (aujourd'hui Metz), à l'orée de la forêt des Ardennes, à laquelle la Déesse Arduina donna son nom.
Nous verrons bientôt les Pères de l'Église, qui copiaient tout, se faire appeler Patrices pour imiter le centre féminin, la Matrice, comme nous verrons les rois prendre l'appellation de la grande déesse Cybèle (Mater Magna) et se faire aussi appeler Magne (Charlemagne).
Le roi Pharamond, que l'on fait monter sur le trône de France en 420 (quoique son existence soit niée), serait mort en 428.
Dans ce règne, qui serait venu remplacer la domination romaine qui finissait, nous voyons l'indication déguisée d'une restauration du pouvoir féminin quelque temps éclipsé, mais venant reprendre ses droits, en même temps que l'influence de la doctrine johannite rendait à la femme la place qu'elle avait occupée dans l'ancien gouvernement celtique.

DEUXIÈME ROI DE FRANCE
CLODION (Monté sur le trône en 427, par droit d'élection, mort en 448 à Amiens.)
On ne sait guère de lui qu'une chose, c'est qu'il avait beaucoup de cheveux, puisqu'il est appelé le Chevelu. Mais ce qui est certain, c'est que, pendant tout le temps de son règne, une femme gouverne le pays. C'est celle que les Catholiques ont appelée « sainte Geneviève » (422-512). Elle vécut sous quatre rois :
Clodion, qui régna de 427 à 448 ; Mérovée, de 448 à 458 ; Childéric, de 456 à 481 ; Clovis, de 481 à 511, et mourut sous Childebert, monté sur le trône en 511.
Inutile de rappeler l'histoire ridicule que l'Église a faite ; Geneviève a été légendée comme toutes les femmes qui ont fait quelque chose. Ce qui est certain, c'est qu'elle a existé et qu'elle a joué un grand rôle dans les événements de son temps, puisqu'on en a fait la patronne de Paris et que longtemps on lui a rendu un culte.
Elle devait s'appeler Junièvre, ou Genovefa ; elle était probablement la grande cheffesse de la vie morale et sacerdotale, la Matrice, et c'est pour cela qu'on en a fait une Pastoure.
Sans doute elle résidait sur le mont Valérien où l'on sait qu'il existait un temple à Isis, qui devait être une métropole. On sait qu'elle était la fille d'un noble gallo-romain, qui avait une villa à Nanterre, où elle naquit. Donc, elle n'était pas une bergère ; mais, pour diminuer socialement les grandes femmes, l'Église les classe toujours dans les rangs inférieurs de la société.
Rappelons que le nom de païens qu'elle donne aux partisans de l'ancienne doctrine féministe vient de pagus, nom du territoire du clan matriarcal, dont les habitants sont appelés pagani, d'où païens, que l'on fait synonyme de paysans.

GENEVIÈVE ET ATTILA
Tous les historiens, même les plus masculinistes, nous disent que, lors de l'invasion de la Gaule par Attila, Paris fut défendu par sainte Geneviève.
On nous dit aussi que le siège de Paris dura dix ans, comme celui de Troyes, et que Geneviève alla chercher des vivres à Troyes ; et on raconte une entrevue qu'elle eut avec ce chef guerrier qui détruisait tout entre la Seine et la Loire.
Cette femme avait donc une grande puissance morale et sociale et une grande autorité sur le peuple, qui la suivait, puisque sa parole suffit à éloigner l'envahisseur.
Ce n'est donc pas Clodion qui régnait, c'était elle, car nous ne voyons pas Clodion intervenir en cette affaire.
Les libres-penseurs masculinistes modernes ont voulu supprimer le rôle de cette femme vis-à-vis d'Attila, sous prétexte que l'évêque Grégoire de Tours n'en parle pas. Quelle naïveté !
Jamais un évêque catholique ne mentionnera ce qui est à la gloire d'une femme ! Ils ont revendiqué Geneviève pour leur Église, mais en faisant d'elle une humble paysanne, soumise au prêtre et faisant des miracles pour la plus grande gloire du Catholicisme.
On dit que la légende de sainte Geneviève, en contradiction manifeste avec l'histoire, fut fabriquée au milieu du 7ème siècle, ce qui veut dire que c'est alors qu'on cacha son véritable rôle et inventa la légende catholique.
L'Église fait gloire de la victoire de Geneviève sur Attila à des évêques.
Mais, en 450, les évêques qui pouvaient exister en Gaule n'étaient pas catholiques, ils étaient encore johannites. Donc, l'Église n'y était pour rien et tous ces saints qu'elle nous cite n'ont existé que dans son imagination, à moins que ce soient des noms pris à l'histoire antérieure qu'elle ait catholicisés, suivant son habitude, tel le diacre Mémorius, dont elle fait saint Menier ou saint Mesmin.
Il y a plus. Suivant un autre système de l'Église, ce qui fut fait par une femme est attribué à un homme, et nous voyons, au siège de Troyes, un évêque, saint Loup, refaisant la scène classique et se présentant à Attila du haut des remparts comme Geneviève se serait présentée à lui aux portes de Paris.

LA LÉGENDE CATHOLIQUE DE SAINTE GENEVIÈVE
Si nous reprenons les faits principaux enregistrés au fond de la légende de sainte Geneviève, nous trouvons ceci :
(La légende que nous citons est celle qui a été publiée par les Causeries du Dimanche, publication catholique. Nous mettons en italique les phrases qui en sont empruntées.)
Une femme, sur le mont Valérien, ravie en extase et qui fut tenue pour morte pendant trois jours que dura la crise. Pendant ce temps, son âme contemplait au Ciel la joie des bienheureux et en enfer le tourment des damnés.
Ce sont là les circonstances qui accompagnent la grande intuition, qu'on a toujours considérées comme surnaturelles. Ce qui veut dire qu'elle trouva, par une lumière de l'esprit, le principe du Bien et le principe du Mal. C'est pourquoi cela lui permit de puiser dans le trésor des grâces, ce qui lui donna particulièrement le discernement des esprits. Rien n'était caché pour elle.
Donc, elle connaissait les hommes et faisait un enseignement, ce qui explique le Temple du mont Valérien et le titre de Bergère (Pastoure, qui enseigne) et les petits moutons dont on l'entoure (ses disciples).
Mais le loup rôdait autour du troupeau, dit un auteur de sa vie, le loup infernal qui ne cherche qu'à nous dévorer. C'est l'homme de mensonge, l'homme de proie, d'astuce et de haine envieuse.
Elle était initiée à la Science secrète des Esséniens, devenus les Johannites. C'est pour cela qu'on nous dit qu'elle prit le voile des vierges, ce qui veut dire qu'elle n'accepte pas le mariage des masculinistes, que les premiers Chrétiens rejetaient.
Elle portait leur signe, le chi-ro, ce qui ressort de cette phrase : Or il se trouva à terre un nummus d'airain, qui portait sur l'une de ses faces le signe sacré de la croix. C'était le signe des Johannites. Les Catholiques avaient comme signe trois phallus enlacés, ils n'adoptèrent le signe de la croix qu'après le 6ème siècle.
Comme les Esséniens et les premiers Chrétiens, elle était végétarienne, et la légende nous, dit que sa nourriture se composait d'un peu de pain d'orge et de quelques légumes". Jamais elle ne voulut manger de viande.
Plus loin, voici ceci : L'évêque la nomma supérieure des Vierges et des Veuves de Paris, qui étaient en grand nombre. A Meaux, elle conquit à la virginité, c'est-à-dire contre le mariage, suivant la doctrine des Manichéens, une jeune personne nommée Céline, dont l'Église a fait une sainte.
D'abord, il n'y avait pas encore d'évêques catholiques à cette époque en Gaule, il n'y avait que des évêques johannites. Puis, dans ce titre de supérieure des veuves et des vierges de Paris, c'est-à-dire des femmes chrétiennes féministes, qui n'admettent pas le mariage, il faut voir la preuve qu'elle est l'autorité suprême de la Religion, la Vénérable Mère qui la dirige. Et ce qui va le prouver, c'est la persécution qu'elle va subir. Le diable éteignit leur flambeau et elles furent plongées dans l'obscurité. Mais sainte Geneviève le ralluma et le diable s'épuisa en vains efforts pour l'éteindre.
On cherche aussi à l'isoler, suivant l'habitude des persécuteurs. La sainte passait des journées et des semaines entières dans la solitude. Depuis la fête des Rois jusqu'au jeudi saint, elle demeurait enfermée dans sa chambre sans nul entretien.
Ceci arrive à toutes les grandes persécutées.
Le diable, furieux du bien qu'elle accomplissait, cherchait par tous les moyens à lui nuire. Poussées par des instigations secrètes, des personnes plus remplies d'orgueil que de jugement se mirent à répéter à qui voulait l’entendre que Geneviève était une hypocrite et que, sous des dehors austères, elle cachait les crimes les plus affreux. Ces bruits, semés avec tout l'artifice de l'esprit malin, trouvèrent de nombreux échos ; les gens de bien finirent par avoir la Vierge de Nanterre en mauvaise estime.
Voilà qui prouve que la calomnie est éternelle, qu'elle régnait alors comme elle règne aujourd'hui, et qu'elle n'a même pas changé de forme à travers les siècles.
On disait aussi d'elle que par ses rêveries stupides elle empêchait ses concitoyens de sauver leur vie et allait tout livrer aux barbares et à la ruine. La populace ameutée parlait déjà de la massacrer. Mais l’archidiacre Germain apaisa le peuple, Geneviève fut acclamée, et les Parisiens restèrent dans leur ville.
C'est ici qu'il faut placer son intervention pour empêcher Attila de pénétrer dans Paris. Mais, si nous n'avons aucun document historique, écrit par des hommes, pour nous en rendre compte, nous avons un genre de document qui ne manque jamais : c'est la parodie que font les hommes de ce qu'ont fait les femmes. Ainsi, voici dans le récit des Catholiques, ce dialogue : Un saint, qu'on appelle Loup, pour rappeler celui que la légende a mis près des brebis sur le mont Valérien vient au-devant d'Attila et lui dit :
Qui es-tu, toi qui troubles le monde du bruit de tes armes ?
Je suis Attila, roi des Huns, et je ravage tout par où je passe.
Et qui t'a fait roi ?
C'est que la royauté de l'homme n'était légitime que lorsqu'elle avait été conférée par le Roi des rois (la Reine).
Après ce dialogue, on nous dit que l'intrépide douceur de ce moine évêque (Loup) (mis à la place de la Femme) désarma le féroce envahisseur et qu'il lui promit d'épargner la ville. Il (c'est-à-dire elle) prit à ses yeux des proportions surhumaines, et il lui sembla que sa présence serait un talisman précieux pour son armée et il lui demanda de l'accompagner jusqu'au Rhin (cela se passe en 450 ; elle est née en 422, donc elle a 28 ans), lui promettant de lui laisser toute liberté de s'en retourner dans son pays (1).
De cette légende ainsi arrangée il est resté un dicton : lupus et leo, un loup et un lion.
Le lion (le sphinx), c'est la femme. C'est pour justifier ce dicton que l'Église a inventé saint Loup.
Dans l'histoire écrite par les Catholiques, on nous dit qu'Attila, roi des Huns, ravagea l'empire d'Orient, puis la Gaule, et qu'il fut surnommé le fléau de Dieu. Or, sachant ce qu'est à cette époque le Dieu de l'Église, celui de saint Paul, nous ne pouvons que l'admirer, s'il en a été l'adversaire. Mais il fut vaincu en 450, par Aétius, et le Dieu qu'il combattait triompha (2).
(1) C'est à cette occasion qu'on donna comme emblème à Paris la barque d'Isis et la devise fluctuât nec mergitur (elle flotte, mais ne sombre pas).
Marcelle Senard, dans son ouvrage Le Zodiaque clef de l'ontologie appliqué à la psychologie, dit : « Le mot Paris signifie Bar-Isis, ou vaisseau d'Isis, le mot égyptien Bar ayant le sens d'enceinte, réceptacle, de tout objet capable de contenir en son sein, vaisseau, etc. ». Et selon W. von Bûlow, la rune BAR signifie la montagne qui cache et protège, mais en même temps engendre et manifeste la naissance, le Fils.
(2) 5 novembre 462, mort du pape Léon le Grand ; ce fut lui qui, en l'année 452, se présenta devant Attila arrêté aux portes de Rome et parvint à l'empêcher d'y entrer. Ceci est la copie de l'épisode de Geneviève.

MÉROVÉE ASSIÈGE PARIS
Voici maintenant un autre ordre de faits sur lequel la légende jette une lumière inattendue. Elle nous dit : « cinq ou six mois après la défaite d'Attila, Mérovée, roi des Francs (Saliens), vint assiéger Paris, encore au pouvoir des Romains. Le siège durait depuis quatre ans quand Mérovée s'en rendit maître. » Alors, comment se fait-il que Geneviève régnait à Lutèce quand Attila s'en approcha et qu'elle y exerçait une autorité morale suffisante pour intervenir dans les faits de guerre et pour protéger la ville ? Et comment cette ville dans laquelle règne une femme gauloise est-elle assiégée par Mérovée, 3ème roi de France ?
C'est évidemment qu'il y avait séparation des pouvoirs : le spirituel (féminin) et le temporel (masculin).
C'est qu'il y avait deux Frances : celle des Saliens masculinistes, dont Mérovée est le petit roi et qui n'a qu'un tout petit territoire à l'Est, et celle des Ripuaires féministes, qui reconnaît le pouvoir spirituel et qui est allié à ceux qui occupent le reste de la Gaule, y compris Paris.
Voilà ce qui va nous expliquer l'histoire de France, qui ne sera qu'une lutte de sexes : les masculinistes et les féministes : l'une qui veut la Vérité et le Bien, l'autre qui veut l'erreur et le mal ; l'une qui va produire des persécuteurs, et l'autre des persécutés.
Les historiens masculins ne nous parleront jamais que des Francs Saliens (les masculinistes), ils tairont ce qui concerne les peuples féministes de la Gaule. Et toute cette primitive histoire de France ne sera que l'histoire du petit parti des révoltés saliens, affranchis de la morale, de la raison, du devoir et de la soumission au Droit divin de la Déesse-Mère, ce qui nous est révélé par cette phrase : « Qui t'a fait roi ? »
Il y a donc une autre histoire de France à faire, celle des peuples légitimes de la Gaule Celtique, vaincus, après de longues luttes, par les révoltés illégitimes.
Et cette histoire fut si glorieuse que, malgré tous les efforts faits pour la cacher, nous trouvons encore assez de documents pour la reconstituer.
Donc, Mérovée vint attaquer Paris, ce qui causa une grande famine. Et c'est encore Geneviève qui se dévoua pour nourrir ces hommes, qui l'avaient attaquée, appelée sorcière et démoniaque.
Elle équipa onze grands vaisseaux et, se dirigeant vers la Champagne, elle recueillait de ville en ville le grain que lui procurait la charité des habitants. Revenue à Paris, elle se mit à cuire elle-même le pain et à le distribuer aux pauvres.
Pendant que ces événements se passent, l'histoire place trois rois : Clodion, qui ne fait rien, Mérovée, qui attaque Paris et Geneviève, et Childéric, qui n'est connu que parce qu'il a épousé la reine Basine.
On nous dit, de cette reine Basine, qu'elle était la femme d'un chef des Thuringiens et qu'elle quitta son mari pour venir habiter avec Childéric. Ceci est dit en style moderne, selon les mœurs modernes, qui n'ont aucun rapport avec les mœurs et les usages de cette époque.
On nous dit aussi de Childéric que, exilé à cause de ses désordres, en Thuringe ou à Constantinople, il fut rétabli sur le trône de France au bout de huit ans. Voilà qui n'est pas glorieux pour les Francs Saliens.
Mais revenons à Geneviève.
La légende nous dit que Mérovée et Childéric ne pouvaient s'empêcher d'admirer ses vertus. Ils l'appelaient une demi-Déesse.
Ce demi est mis là pour imiter le demi-dieu. Les Catholiques ne donnent plus la divinité entière à la femme, mais, sous prétexte d'égalité, la donnent tout entière à l'homme.
Geneviève avait 59 ans quand Clovis monta sur le trône en 481. Elle était encore pleine de vie et d'activité, et la légende catholique va nous dire que « sainte Clotilde, la noble épouse de Clovis, regardait comme un grand bonheur de recevoir les visites de Geneviève ; elle eut avec elle de longs entretiens, et les deux saintes, s'ouvrant l'intime de leur cœur, s'entretenaient familièrement d'assurer leur salut. Geneviève avait été le conseil et le soutien de Clotilde pendant ses premières années. »
Or tout ceci nous fait comprendre que c'est la cause des femmes qui est en jeu et dont elles s'entretiennent, et nullement celle de l'Église, qui ne règne pas encore en Gaule.
Geneviève mourut à 90 ans. Son corps fut inhumé dans l'église de Saint-Pierre et Saint-Paul, que Clovis avait bâtie par le conseil de Geneviève, et qui, dès lors, porta son nom, dit-on hypocritement.
Or ceci est impossible, car aucune femme, alors, n'aurait glorifié Paul.
Cette église, détruite à la fin du 18ème siècle, était à la droite de Saint-Étienne-du-Mont dans la rue Clovis. Elle avait toujours été desservie par les chanoines réguliers de saint Augustin, appelés Génovéfains.
Depuis que l'Église a fait de Geneviève une sainte catholique, on lui a rendu de grands honneurs. Tant qu'elle n'était qu'une savante, on la regardait comme démoniaque. Tel est le sort des femmes.
L'ancienne église de Sainte-Geneviève, située sur la colline et gardienne des reliques de la sainte, menaçait ruine au 18ème siècle. Le roi Louis XV en fit construire une nouvelle près de l'ancienne ; mais survint la Révolution, qui changea l'église de la patronne de Paris en Panthéon, destiné aux grands hommes (1).
La Révolution supprime toutes les femmes. L'Église avait laissé les siennes ; le régime laïque masculin ne reconnut plus que la masculinité : il dédia l'église Sainte-Geneviève « aux Grands Hommes ».
(1) Le peuple de Paris, « né badaud », dit Rabelais, a toujours eu un culte profond pour sainte Geneviève ; dans les grandes calamités, on descendait la châsse et on la promenait dans Paris avec la plus grande pompe. C'était le clergé de Notre-Dame, portant les reliques de saint Marcel, cet autre patron de Paris, qui venait chercher la sainte et allait de même la reconduire après la cérémonie.
Voici ce que dit Guy Patin de la procession de 1652 : « Je ne vis jamais tant d'affluence de peuple par les rues qu'à cette procession. Je ne sais s'il s'y est fait quelque miracle, mais je tiens que c'en est un, s'il n'y a eu plusieurs personnes d'étouffées. Si vous aviez vu tout cela, vous auriez appelé notre ville de Paris l'Abrégé de la Dévotion. »
Et Madame de Sévigné : « C'étaient les orfèvres qui portaient la châsse de saint Marcel ; la sainte allait après, portée par ses enfants nu-pieds. Arrivés près de Notre-Dame, ils font, l'un à l'autre, une douce inclination et s'en vont chacun chez soi. »
La dévotion à sainte Geneviève était si ardente chez le peuple parisien, et surtout chez les femmes, qu'elle dégénérait en idolâtrie ; on n'abordait les reliques de la sainte qu'avec des pleurs, des soupirs, des sanglots, des transports de passion enthousiastes ; on lui demandait, par billets écrits des remèdes pour tous les maux, des consolations pour tous les chagrins ; on faisait toucher à la châsse des draps, des chemises, des vêtements. En 1793, la châsse fut envoyée à la Monnaie.

CLOVIS
Clovis est le premier roi de France que l'Église Catholique revendique et dont elle parle longuement.
Il monte sur le trône en 481.
Ce roi s'appelait en réalité Lodoïx, nom devenu Ludovicus, puis Louis ; mais, devant ce nom, il mettait le titre Kaï (conquérant mâle, ennemi des femmes) que nous avons déjà rencontré et expliqué.
Rappelons que Kaï a fait Caïn et que, chez les Latins, en mettant le K devant Esar (le mâle), on avait fait César, ce que les Allemands écrivent K-aiser.
Donc, Kaï-Lodoïx, devenu pour les modernes Clovis, était un roi qui affirmait par son titre ses convictions masculinistes et sa haine de la féminité et du régime qui avait consacré son autorité.
Voyons ce que valait cet homme.
Voici ce que dit saint Grégoire de Tours, historien du 6ème siècle, de ce Clovis que l'Église de France invoque :
« Il envoya secrètement dire au fils du roi de Cologne, Sigebert le Boiteux : « Ton père vieillit et boite de son pied malade. S'il mourait, je te rendrais son royaume avec mon amitié. ».
Chlodéric envoya des assassins contre son père et le fit tuer, espérant obtenir son royaume... Et Clovis lui fit dire : « Je rends grâce à ta bonne volonté, et je te prie de montrer tes trésors à mes envoyés, après quoi tu les posséderas tous. ».
Chlodéric leur dit : « C'est dans ce coffre que mon père amassait des pièces d'or. »
Ils lui dirent : « Plonge ta main jusqu'au fond, pour trouver tout. » Lui l'ayant fait et s'étant tout à fait baissé, un des envoyés leva sa hache et lui brisa le crâne. Clovis, ayant appris la mort de Sigebert et de son fils, vint en cette ville, convoqua le peuple et dit : « Je ne suis nullement complice de ces choses, car je ne puis répandre le sang de mes parents, cela est défendu ; mais, puisque tout cela est arrivé, je vous donnerai un conseil : venez à moi et mettez-vous sous ma protection.
Le peuple applaudit avec grand bruit de voix et de boucliers, l'éleva sur le pavois et le prit pour roi. »
Cela faisait deux têtes de moins et un royaume de plus pour Clovis.
« Il marcha ensuite contre Chararic, le fit prisonnier avec son fils et les fit tondre tous les deux. Comme Chararic pleurait, son fils lui dit : « C'est sur une tige verte que ce feuillage a été coupé, il repoussera et reverdira bien vite. Plût à Dieu que pérît aussi vite celui qui a fait tout cela ! »
Ce mot vint à l'oreille de Clovis ; il leur fit à tous deux couper la tête. Eux morts, il acquit leur royaume, leurs trésors et leur peuple. »
Cela faisait encore deux têtes de moins et un royaume de plus pour Clovis.
Ragnacaire était alors roi à Cambrai. Clovis, ayant fait faire des bracelets et des baudriers de faux or, car ce n'était que du cuivre doré, les donna aux leudes de Ragnacaire pour les exciter contre lui. Ragnacaire fut battu et fait prisonnier avec son fils Richaire. Clovis lui dit : « Pourquoi as-tu fait honte à notre famille en te laissant enchaîner ? Mieux valait mourir. » Et, levant sa hache, il la lui planta dans la tête. Puis, se tournant vers Richaire, il lui dit : « Si tu avais secouru ton père, il n'eût pas été enchaîné. » Et il le tua de même d'un coup de hache. »
Cela faisait encore deux têtes de moins et un royaume de plus pour Clovis.
« Rigomer fut tué par son ordre, dans la ville du Mans. »
Cette fois-ci, ce n'était qu'une seule tête pour un royaume, mais le bon saint Grégoire de Tours continue : « Ayant tué de même beaucoup d'autres rois et ses proches parents, il étendit son royaume sur toutes les Gaules. Enfin, ayant un jour assemblé les siens, il parla ainsi de ses parents qu'il avait lui-même fait périr : « Malheureux que je suis, resté comme un voyageur parmi des étrangers, et qui n'ai plus de parents pour me secourir si l'adversité venait ! » Mais ce n'était pas qu'il s'affligeât de leur mort ; il ne parlait ainsi que par ruse et pour découvrir s'il avait encore quelque parent afin de le tuer. »
Le bon évêque de Tours trouve sans doute que ces horreurs n'étaient que de saintes ruses, puisque c'est un Catholique qui les pratiquait pour la plus grande gloire de l'Église, car il conclut en disant : « Tout lui réussissait, car il marchait le cœur droit devant Dieu. »
C'est à la bataille de Tolbiac, livrée près de Cologne en 496, que Clovis promit à Dieu de se faire chrétien, s'il était victorieux.
Voilà un marché peu glorieux pour Dieu et un motif de conversion peu recommandable pour une religion. Cela peint bien ce qu'était l'esprit néo-chrétien.
Clovis fut baptisé avec 3.000 soldats, subitement convertis, dans la basilique de Reims en 496, le jour de Noël.
On sait comment ce saint roi s'y prenait pour convaincre ses hommes de l'excellence de la doctrine des néo-chrétiens.
L'histoire du vase de Soissons, cette lâcheté criminelle, nous le montre : croire ou mourir.
Et ce sont ces abominations que l'on enseigne à nos enfants.
C'est par des forbans comme Clovis que la royauté et le Catholicisme furent introduits et soutenus dans la Gaule.
Ce chef de pirates germains, dont saint Rémi fit un Chrétien et dont l'Église romaine se servit pour combattre les gouvernements des Wisigoths et des Burgondes, qui étaient ariens et féministes, fut appelé par les évêques du 5ème siècle, dans le seul intérêt de leur autorité pontificale, à ravager la France et à s'enrichir des dépouilles des Gaulois.
Et cet assassin de toute sa famille fut traité par l'Eglise presque comme un saint. Il fut le Constantin du Nord.
Les historiens officiels, comme Henri Martin, disent de Clovis qu'il était « actif, rusé, ambitieux, doué de qualités supérieures, pieux, vaillant, glorieux, mais cruel et perfide ».
Quand on est criminel, cruel et perfide, comment peut-on être doué de qualités supérieures ?
C'est à Clovis que l'on fait remonter la promulgation de la loi Salique, à tort, car cette promulgation n'eut jamais lieu.
C'est lui qui commença à prendre le nom de Franc et à appeler la Gaule France. Par franc, il entendait affranchi des principes, des lois, de la morale du régime antérieur à lui. C'est de son temps qu'on remplaça l'ancienne justice par les épreuves judiciaires par l'eau bouillante et le fer rougi.

LA CONVERSION DE CLOVIS
Le premier Christianisme régnait dans la Gaule depuis longtemps, puisqu'il avait eu ses martyrs.
Quant au second (le Catholicisme), il n'y avait pas encore pénétré.
On savait que le premier avait pour fondateur Pierre et le second Paul. C'est peu à peu que le second s'infiltra dans le premier, lui prit ses doctrines (en partie), copia et dénatura ses Évangiles, et substitua un clergé masculin au premier sacerdoce des Prêtresses, appelées alors diaconesses.
Or voilà que la légende de sainte Geneviève nous dit que Clovis éleva une église consacrée à Pierre et Paul. Et cela, sur le conseil de Clotilde, qui était chrétienne et catholique, disent les historiens de France. Ce n'était donc pas la même chose.
Nous voyons dans ce fait un indice révélant l'état des esprits de ce temps.
Les gens ignorants ne savent pas qui a raison de Pierre ou de Paul. On a tant glorifié Paul qu'on a fini par croire à son mérite. Alors, exploitant le doute, l'Église, pour se faire accepter, crée une opinion neutre, qui s'appuie sur les deux apôtres dont on réunit les noms.
Mais les féministes johannites ne s'y trompent pas. Elles rejettent Paul et n'acceptent que Johana et son fils Pierre.
Mais, à toutes les époques, il y eut des esprits timorés, qui firent des concessions. L'Église naissante arriva à convaincre certaines femmes que, pour faire cesser les luttes, il fallait accepter les deux Christianismes fondus en un seul, et c'est ce système d'union sacrée, au profit du Catholicisme naissant, que nous voyons imposé par le pape et accepté par Clovis.
L'Église s'en glorifie comme d'une conquête pour son dogme, et y ajoute ses commentaires et ses maladresses, telle l'histoire du vase de Soissons, qui n'est ni à la gloire de l'homme, ni à celle de l'Église.
La basilique romaine de Reims, où Clovis reçut le baptême des mains de saint Rémi (25 décembre 496), ne pouvait être alors qu'une église johannite ; il n'y en avait pas encore d'autres dans la Gaule. Mais on s'emparait de ces églises et on les transformait. Elle fut bâtie en 401 et dédiée à Marie, avant l'introduction du Catholicisme en Gaule.
La basilique romaine de Reims fut détruite par un incendie au 11ème siècle, puis reconstruite avec les aumônes de dix diocèses. Reims était la métropole de la province de Gaule Belgique ; elle avait remplacé le centre théosophique appelé « Médiomatrice ». Par la suite, cette cathédrale s'est appelée Notre-Dame. C'est que, depuis le Concile d'Éphèse (431), dans lequel on avait déclaré que Marie devait être appelée Mère de Dieu, les masculinistes mettaient partout des Notre-Dame pour amener à leur cause, par cette confusion, les partisans de l'ancienne Marie, si longtemps vénérée.
C'est ainsi que Clovis bâtit à Paris une église métropolitaine à Notre-Dame, à la pointe de la Cité. Il en posa la première pierre ; son petit-fils Chilpéric l'acheva. Cette église était bâtie sur l'emplacement d'un temple druidique. Les autres princes mérovingiens dédièrent à Marie des chapelles et des abbayes.
Sainte Bathilde fonda Notre-Dame de Chelles.
On se réfugiait dans ce culte à Marie, si peu défini, pour faire accepter la légende de Jésus, devenue « légende chrétienne », alors que, cependant, dans cette légende, telle qu'elle nous est relatée dans les Évangiles, Marie a un rôle bien effacé et bien humiliant même.
Après l'invasion du Catholicisme, le régime qui devait durer (le régime actuel) commença par deux anomalies : l'anarchie sacerdotale, l'anarchie royale. Non seulement ces deux autorités ne se connaissaient pas, dans la première Église, mais les divers membres dont elles étaient composées ne les reconnaissaient pas eux-mêmes. Ces deux pouvoirs naissants tendaient chacun à dominer exclusivement.
Comment les chefs gaulois devinrent-ils catholiques ?
On nous dit que ce fut à l'instigation des femmes qu'ils adoptèrent cette religion nouvelle, sans doute de celles qui, assez faibles pour écouter les insinuations perfides des moines hypocrites, courbaient la tête pour recevoir d'eux l'eau du baptême.
On se servit d'elles pour faire plier le front du fier Sicambre.
On sait assez le rôle donné à Clotilde, femme de Clovis, qui aurait exigé que son mari se convertît au Catholicisme.
Mais c'est l'histoire écrite par les prêtres qui nous raconte cela, rien n'est moins prouvé.
On nous raconte aussi qu'une sœur des empereurs Basile et Constantin, mariée à un grand Kniaz de Russie, nommé Vladimir, obtint de son mari qu'il se fit baptiser. Dans le même temps, Miécislas, duc de Pologne, fut converti par sa femme, sœur du duc de Bohême. Les Bulgares reçurent ce culte de la même manière. Gisèle, sœur de l'empereur Henri, fit encore catholique son mari, roi de Hongrie. La même chose fut dite en Angleterre de l'influence des femmes, mise à profit par les moines pour faire des conversions. Tout cela est faux, c'est une façon d'expliquer le mouvement chrétien, en le confondant avec le mouvement catholique pour le mettre à l'avoir de l'Église masculine.
Il ne faut pas oublier que ce ne fut que l'an 325 que la secte catholique, qui avait complètement dénaturé le Christianisme depuis Paul, s'installa en maîtresse à Rome.
Ce n'est qu'au 5ème siècle qu'elle pénétra en Gaule ; elle ne conquit la Suède qu'au 9ème siècle et il lui fallut mille ans pour envahir la Russie. Donc, toutes les histoires de conversion de rois sous l'influence de leurs femmes sont fausses. Les femmes étaient les ennemies des prêtres et non leurs auxiliaires.

LA VIE MORALE CHEZ LES FRANCS
Nous avons vu ce que valait Clovis.
Clotaire, son fils, fut un autre forban couronné, tout aussi dangereux. L'adultère et l'assassinat étaient dans les mœurs de ces chefs. Et, comme l'exemple vient d'en haut, ces pratiques devaient se propager dans toutes les classes de la société. Ce roi de France eut six femmes :
1° Lundioque, veuve de son frère ;
2° Chemsème, mère de Chramne ;
3° Radegonde, fille d'un roi des Thuringiens ;
4° Wultrade, fille du roi des Lombards ;
5° Singonde ;
6° Aregonde, sœur de la précédente.
Le règne de ce roi fut un tissu d'adultères, d'incestes, de cruautés, de meurtres et de toutes sortes d'horreurs. Nous voulons citer ici un extrait de cette histoire de France, qui sert à former le cœur et l'esprit de nos enfants.
L'égalité des partages entre les enfants étant la règle des successions chez les Francs, les quatre fils de Clovis se divisèrent toutes ses conquêtes, comme un simple butin. Et, de même que Clovis, en vrai barbare, avait dépouillé ses parents, de même ses fils cherchèrent à se dépouiller les uns les autres. Le roi d'Orléans, Clodomir, ayant péri dans une expédition contre les Burgondes, Clotaire et Childebert, ses frères, résolurent de s'emparer de son héritage.
Mais la reine Clotilde, la veuve de Clovis, gardait les trois jeunes enfants de Clodomir. Clotaire et Childebert envoyèrent chercher les enfants, prétendant qu'ils voulaient déjà les élever à la royauté. Clotilde, sans défiance, les livra. Clotaire saisit l'aîné par le bras, le jeta à terre et le tua ; un des autres enfants, effrayé, courut se réfugier auprès de Childebert, qui, ému, demandait grâce pour lui. Mais Clotaire, l'accablant d'injures, lui dit : « Repousse-le loin de toi, ou tu vas mourir à sa place ! C'est toi qui m'as mis dans cette affaire, et voilà que tu me manques de parole. » Childebert eut peur. Il se débarrassa de l'enfant et le poussa vers Clotaire, qui le perça de son couteau. A ce moment, des seigneurs francs, suivis d'une troupe de braves, forcèrent les portes, enlevèrent le plus jeune des enfants, Clodoald, et le mirent en sûreté hors du palais. Le jeune Clodoald passa sa vie dans un monastère, près d'un village auquel on donna son nom, Saint-Cloud (526).
Le roi Clotaire, qui s'était montré si impitoyable, survécut à ses frères et réunit de 558 à 561 tout le royaume des Francs sous sa domination.
Les frères avaient été sans cesse en lutte contre leurs frères : de tels exemples portèrent leur fruit, et Clotaire vit se soulever contre lui son propre fils Chramne. Celui-ci alla réclamer l'appui de Chonobre, comte de Bretagne, avec une armée, et Chramne ne craignit pas, de son côté, de marcher contre son père. La bataille demeura indécise et la nuit suspendit le combat. Cette même nuit, Chonobre, comte des Bretons, dit à Chramne : « Combattre contre ton père est, selon moi, une iniquité : laisse-moi tomber cette nuit sur lui et le défaire avec toute son armée. » Chramne n'y consentit pas, et, le matin arrivé, les deux armées se mirent en mouvement. On combattit des deux côtés avec une égale ardeur ; le comte des Bretons tourna le dos et fut tué. Alors Chramne se mit à fuir vers les vaisseaux qu'il avait préparés sur la mer ; mais, tandis qu'il s'occupait à sauver sa femme et ses filles, on les enferma dans la cabane d'un pauvre homme, où Chramne fut étranglé ; ensuite on mit le feu à la cabane, ses filles et sa femme périrent avec lui.
Telles étaient les violences de ces temps barbares, et Clotaire 1er se signala surtout par ses cruautés. Mais un jour, tandis qu'il chassait dans la forêt de Guise, il fut saisi de la fièvre, et on le ramena à Compiègne ; là, cruellement tourmenté de son mal, il disait : « Hélas ! que pensez-vous que soit ce Roi du Ciel qui fait ainsi mourir de si puissants rois ? »
Et il mourut ainsi, plein de tristesse, on pourrait dire de remords, si un tel homme pouvait être sensible à autre chose qu'à la perte de la vie. (G. Ducoudray.)
Sur un cahier de classe, qui était donné dans les écoles communales de Paris, on montrait, sur la couverture, les bandits de Clotaire poursuivant la femme et les filles de son fils, qui vont être brûlées dans une cabane. Et ce sont là les rois régnants, les dépositaires de l'autorité suprême, qui accomplissent ces forfaits que les temps modernes considèrent comme des mœurs de voyous.
Caribert, roi de Paris, qui vint ensuite, a aussi plusieurs femmes : une d'abord, qu'il répudie et dont l'histoire ne nous a pas gardé le nom ; puis Maroflède et Marcovelde, deux sœurs qu'il eut ensemble et dont l'une était religieuse ; enfin, Théodechésilde, fille d'un pâtre.
Son fils, Chilpéric 1er, est aussi cruel que lui. Il est roi de Soissons et fut le mari de Frédégonde et d'Audovère. La première le fit assassiner à Chelles, ce qui ne doit pas nous étonner, car les crimes passionnels furent de toutes les époques, et des rois qui pratiquent si facilement l'adultère devaient s'attendre à subir les effets de la vengeance des femmes qu'ils trompaient. Du reste, nous ne savons rien des motifs et des causes qui faisaient agir ces femmes.

GOUVERNEMENT ET INSTITUTIONS DES FRANCS
Le roi, élu par des hommes, n'est plus consacré par la Reine suprême. Au lieu de cela, il est porté sur un bouclier, à travers les camps. C'est un soldat qui se fait consacrer par la soldatesque.
Clovis, pour favoriser ses enfants, déclare la couronne héréditaire, loi abominable, qui livre la direction des peuples au hasard des naissances ; mais c'est l'enfant mâle seulement qui héritera.
Il est lâche et s'entoure de complices qu'on appelle des Leudes ou fidèles (imitant les affidés de la Déesse) pour le soutenir et le défendre. Il achète leurs services en leur distribuant les terres du pays, qui ne lui appartiennent pas, mais sont encore la propriété des anciennes Matries (communes maternelles).
Les rois lèvent des impôts, pressurent le peuple, pour subvenir à leurs débauches et à leur luxe. Ils divisent la société en jouisseurs et en travailleurs, comme les Romains :
1° Les Harimans ou Hermans (hommes de guerre), possesseurs de terres, petits souverains.
2° Les Leudes, les complices favoris.
3° Les Lides, les travailleurs.
Les Leudes deviennent possesseurs de terres appelées « bénéfices », à condition de suivre le roi dans toutes ses expéditions, de remplir certains offices auprès de sa personne et de lui fournir les ressources nécessaires.
Ils tiennent la place des anciennes « Dames ». Les hommes des deux premières castes ne cultivent pas le sol, ils en confient la peine à des lides venus avec eux de Germanie.
Les Nobles sont les anciens fidèles du régime celtique (légitimité, maternelle). Les Francs les méprisent et les relèguent au 3e rang, après les hommes de guerre et les Leudes. Les propriétés qu'ils ont consentes (celles des Mères) sont soumises au tribut (terres censives).

LA LOI SALIQUE
Ces rois barbares rédigent une loi, un code d'injustice cruelle pour le colon et le serf, douce pour l'homme libre et vendu au roi.
Les crimes se paient. Il y a un tarif de ce que vaut la vie humaine suivant la caste de la victime : c'est le Wergeld.
La procédure, c'est l'ordalie, le hasard : cela s'appelle le jugement de Dieu (de leur Dieu). Comment auraient-ils mis de la justice dans leur code, puisqu'eux-mêmes ne sont au pouvoir que par le succès de leurs crimes ?
La loi Salique a comme préambule cette phrase : « Vive le Christ qui aime les Francs... », ce qui prouve que, quand elle fut écrite, les Francs avaient fait alliance avec les Catholiques. Elle fut rédigée par quatre personnages connus dans les assemblées appelées malls des Francs ; mais elle fut remaniée par Clovis, dans le sens catholique. C'est pour cela qu'il sera appelé le Fils aîné de l'Église.
La loi Salique n'est qu'un recueil confus de coutumes relatives à la procédure civile et criminelle et à la police rurale ; la plupart des articles roulent sur les cas de violence envers les personnes, sur les ordalies et les peines à infliger aux voleurs de porcs, de chevaux, etc..
L'article le plus célèbre de cette loi est celui qui déclare que la Terre Salique, c'est-à-dire le domaine sur lequel est située la maison paternelle, ne sera point recueillie par les femmes, et que l'héritage passera en entier aux mâles. Voici l'article :
« Aucune portion de la Terre Salique ne passera aux femelles, mais elle appartiendra aux mâles. » Les enfants mâles succéderont à leur Roi, dit Montesquieu, qui traduit.
C'est le renversement de l'ancien Droit, qui donnait l'héritage à la fille et le domaine à la Mère (la Dame). Ce Droit a toujours continué à exister, du reste.
C'est sur cette disposition du droit civil dans un code barbare que l'on se basera, au XIVème siècle, pour priver les femmes de la couronne de France.
Il y avait bien aussi une loi des Ripuaires, dont on ne parle pas, parce qu'elle était, comme eux, féministe. Puis la loi des Burgondes ou loi Gombette, rédigée par Gondebaud et son fils Sigismond, qui se rapproche de la législation romaine, surtout dans les questions des contrats et des mariages. Il ne pouvait en être autrement, tous les hommes se copiaient. Les Saliens, ennemis des Ripuaires, sont considérés comme des gens de peu d'intelligence et appelés oies ou grues. Ce sont les Francs Ripuaires que Rabelais appelle « la noble race celtique, souche de la glorieuse nation française » (1).
(1) A ceux qui nient le matriarcat, M. Georges Beauchamp répond : « L'homme, dans une heure de victoire, lui opposa la loi Salique. Si le matriarcat n'eût pas été prépondérant, à l'heure où les Francs passaient le Rhin, le déchet en quenouille n'eût pas été voté ; on ne peut dépouiller d'un droit que celui qui le possède. »

LA LOI DES WISIGOTHS
La loi des Wisigoths, au contraire, admet les filles à succéder aux terres avec leurs frères ; les femmes furent capables de succéder à la couronne. Chez ces peuples, la disposition de la loi civile força la loi politique.

LE WERGELD
Le mot wergeld signifie : le prix que vaut l'homme, ou le tarif de la vie humaine (1).
Chez les Germains, d'après Tacite, celui qui avait commis un homicide pouvait se racheter de la peine de mort, en donnant aux parents de la victime un certain nombre de têtes de bétail. C'est ce qui se pratique dans beaucoup de tribus sauvages.
On retrouve cet usage chez les Gaulois, après la terrible invasion des races du Nord, qui, comme un immense torrent, emporta, en grande partie, la civilisation romaine, sans cependant en arracher, soit en Gaule, soit en Italie, tous les fondements.
La loi Salique et les lois ripuaires autorisaient formellement les coupables à se racheter du châtiment, qu'ils avaient mérité en indemnisant la victime. Cette manière d'échapper à toute pénalité s'appelait entrer en arrangement ou en composition. La « composition » était le traité, pour ainsi dire, le contrat passé avec la famille ; le wergeld n'était pas même une pénalité, ce n'était pas une amende ; c'était simplement le prix, tel que l'avaient fixé les lois ou l'usage, indépendamment de toute idée de pénalité.
Tout homme était supposé valoir une certaine somme, qui était déterminée selon sa condition sociale, selon la classe à laquelle il appartenait.
On lit dans la loi Salique :
« Si l'homme tué était un homme libre franc, la composition sera de 200 sous d'or ; et si l'homme était antrustion ou comte du roi, elle sera de 600 pièces d'or. Si l'homme tué était un homme romain, elle sera de 100 sous. »
La loi des Wisigoths évalue la vie de l'homme libre à 300 pièces d'or. Pour l'affranchi, le wergeld ou prix n'est que de moitié.
Chez les Alamans, le prix de l'homme libre est de 160 sous ; celui de l'affranchi est de 80, celui de l'esclave est de 40.
Dans la loi des Frisons, l'homme libre est estimé 53 pièces d'or, le lite, qui est une sorte d'affranchi, 27.
Cette dernière loi contient une longue série de wergeld ou tarif de ce que vaut chaque sorte de coup, et se termine ainsi :
« Ces chiffres s'appliquent aux hommes libres ; pour les nobles, il faut les multiplier par 3 ; pour les lites, il faut en prendre la moitié. »
La loi des Ripuaires veut que, si un clerc a été tué, la composition soit fixée selon sa naissance, c'est-à-dire selon qu'il était ou serf, ou lite, ou homme libre.
Cette loi divise, en effet, dans tous ses articles, les hommes en trois classes : les esclaves, les affranchis et les hommes libres. Parmi les affranchis ou lites sont les hommes qui ont été affranchis par le roi ou par l'Église et qui restent soumis au patronage de l'un et de l'autre.
(1) Wer, homme (en latin vir, en anglo-saxon were, en vieux français ber) ; geld, argent, prix.

LA JUSTICE SOUS CLOVIS
C'est le temps où Les hommes pratiquent la justice bizarre qu'on appelle l'ordalie ; c'est le hasard qui décide. On applique l'ordalie à celui qui est accusé, et qui nie, et, si le fleuve l'innocente, l'accusateur perd la vie et sa maison.
Les auteurs modernes, pour discréditer le régime celtique, osent écrire ceci :
« La femme gauloise était à la merci de l'époux, qui avait droit de vie et de mort sur elle. Quant à l'enfant, le père, pour être sûr de sa légitimité, le plaçait, dès sa naissance, sur une planche et le laissait aller au fil de l'eau. Si la planche s'enfonçait, le père ne regardait pas l'enfant comme sien. » (Henriot.)
Peut-être y a-t-il eu des hommes assez fous pour demander au fleuve des renseignements sur leur paternité ; mais il n'est pas vrai que la femme gauloise ait été à la merci du mari.
L'ordalie existait encore en France au IXème siècle.

LES FRANCS SALIENS CONTINUATEURS DES ROMAINS
Par la loi Salique, les Francs Saliens s'approprièrent les biens territoriaux des femmes. Ce qui leur en donna l'idée, c'est le précédent établi en Gaule par César.
Sous l'empire romain, la terre était mesurée géométriquement et toutes les propriétés assujetties à l'impôt territorial. Elles étaient inscrites sur des registres nommés polyptiques, confiés aux magistrats des villes. Chaque cité avait son polyptique, et on connaissait tous les fonds qui, dans l'étendue de son territoire, devaient contribuer aux sommes demandées par le gouvernement.
Lorsque les Francs firent la conquête des Gaules, ils y trouvèrent ce régime établi, et les rois de la première race le conservèrent. Childéric même le fit renouveler. Mais les troubles auxquels la France fut livrée détruisirent les registres polyptiques et l'impôt ne fut plus réparti qu'arbitrairement.

LA GAULE « DAME DES TERRES »
C'est la loi Salique qui a donné la terre aux mâles en disant : « Celui seul a la terre qui a l'épée. » C'est une justification de l'usurpation de la propriété naturelle qui était sacrée, si sacrée que la Gaule était appelée la « Dame des Terres ».
Les Francs Saliens, pour attirer à eux les Gaulois, prétendaient que c'était un honneur d'être avec eux. En effet, être tenu pour Franc et se soumettre à la loi des Francs semblait donner un avantage aux hommes, mais un avantage décevant ; c'est le système employé par tous les masculinistes : cela attira un grand nombre de Gaulois et les fit disparaître sous l'orgueil des Francs.
Cependant, les Ripuaires méprisaient ceux qui reniaient l'ancien Droit et la vraie Justice. A ceux qui les appellent grenouilles, ils répondent en les appelant crapauds (1).
Court de Gébelin, parlant des anciennes armoiries, dit : « Celle des Belges (Ripuaires) était un lion et celle des Francs un crapaud. » (Le Monde primitif, t. VIII, p. 181.)
De Grave, qui cite cette phrase sans la comprendre, ajoute : « Le lion désigne un pays agricole ; le crapaud, les marais d'où sortirent les Francs. » (Les Champs Élysées, t. Ier, p. 258.)
Puis on met le mot au féminin, et crapaud devient crapule.
L'homme qui prend la place des Fées est appelé Féo ; celui qui confère le fief au lieu de s'y soumettre et en prend le bénéfice pour lui est dit un fieffé coquin (coquin, de coq).
Ce sont cependant les Francs qui donnèrent leur nom au pays, et le mot Gaule disparut. Cailleux dit :
« Quand les peuples, longtemps avant César, s'étaient affranchis de la tyrannie héréditaire (maternelle), on les avait appelés frei, Francs ; quand il fallut de nouveau se débarrasser des Romains, ils reprirent cet ancien nom, ce qui fit appeler France le pays des Gaulois. » (Origines celtiques, p. 320.)
La loi Salique est spéciale à la France, mais la Gaule reste la Dame des Terres.
Le règne des rois barbares, c'est la négation du Droit, comme c'est la négation du Gouvernement. Ils sont des envahisseurs, qui ont pris possession par la force d'un territoire qui était soumis, avant eux, au régime du Droit.
Comme les Latins, ils sont issus d'un déchet de population régulière, et tous les envahisseurs auront la même origine : la violence contre le Droit.
(1) « dans les tapisseries du XVème siècle de la cathédrale de Reims, l’étendard de Clovis porte trois crapauds. Il est d’ailleurs fort possible que, primitivement, ce crapaud ait été en réalité une grenouille, antique symbole de résurrection. » (R. Guénon, Le Christ et le Cœur dans les anciennes marques corporatives)

LA PAPAUTÉ - LÉON LE GRAND (440-462)
C'est ici que les Catholiques s'écartent des institutions primitives.
Dans les anciennes religions théogoniques, il n'y avait pas « un chef », mais un conseil, ce qu'on appela chez les Israélites le « conseil des anciens ».
Les Juifs imitèrent d'abord ce système, que nous retrouvons dans le Sanhédrin, mais la nature de l'homme n'est pas faite pour lui conseiller de s'effacer dans les rangs, il veut dominer, c'est donc le plus ambitieux et le plus audacieux qui arrive au sommet. Il en résulte, dans les institutions masculines, une lutte incessante pour le pouvoir. C'est ce qui arriva dans l'Église. Habitués à escalader les degrés de la hiérarchie sociale, les plus ambitieux voulurent une suprématie ; de là un chef unique, non une assemblée consultative (ce qui suppose de la raison, et rien n'est gênant comme la raison des autres).
Cependant, avant d'en arriver à se donner un chef suprême, l'Église de Rome fut longtemps gouvernée par un « conseil des anciens ». Dans une lettre d'Irénée, il désigne les prédécesseurs de Soter, mort en 175, sous le nom d'anciens (presbyteroï, de presbus, ancien, qui voit loin, nom donné à la femme âgée ; c'est de ce mot qu'on fait presbytère).
Mais un homme ambitieux apparut, Léon le Grand, qui visait la place de chef suprême et fut très probablement l'auteur de la légende de saint Pierre dont on fit le chef de la papauté, pour créer un précédent. Ce qui le fait supposer, c'est que c'est lui qui prononça cette parole hypocrite : « Le privilège de saint Pierre subsistera tant que subsistera sa justice. » Or saint Pierre ne vint jamais à Rome. Quant à sa justice, nous ne l'apercevons pas dans la religion catholique. En réalité, il n'exista pas de pape avant Léon le Grand, et c'est lui qui fonda la papauté. C'est ce même pape qui combattit Attila.

LES ICONOCLASTES
C'est par l'image que l'homme glorifie ses idoles, qu'il se glorifie soi-même. Pour beaucoup, la pensée ne compte pas, l'image est tout.
L'ancienne iconographie polythéiste avait engendré l'art grec, qui avait prévalu depuis les temps les plus reculés. L'Homme et la Femme étaient représentés dans toute leur beauté.
Rome avait fait toutes les concessions possibles aux goûts artistiques qu'elle avait reçus des Grecs, en acceptant toutes les divinités de l'ancien Panthéon. Les Romains se donnaient ainsi l'air connaisseur en un art qui était plutôt en décadence chez eux, car Rome atrophiait tout.
Quand le Catholicisme triompha, il apporta un idéal masculiniste qui ne toléra plus la beauté féminine. Les icônes vont seulement représenter l'Homme (1). Et, quand il admettra des femmes dans son culte, elles ne seront que des auxiliaires de son adoration du principe mâle. On y verra une Mère du Dieu Mâle, des saintes devenues telles parce qu'elles ont adoré le mâle.
Tout cela put créer un art nouveau, un idéal de laideur physique et morale, qui remplira le moyen âge : des saintes laides, expression d'un mensonge religieux, vont remplacer les anciens cultes dans lesquels il y avait de la beauté et de la Vérité.
Cela commence au Vème siècle.
Les fanatiques du masculinisme vont détruire l'art antique, pour supprimer l'image de la femme. Ils vont mettre en pièces les œuvres de Phidias et de Praxitèle, qui avaient le tort de représenter les Déesses Vénérées. Le Musée de sculpture du Vatican, le plus riche du monde, en possède cependant encore quelques-unes, car les passions destructives finissent par s'apaiser et laissent ainsi subsister quelques exemplaires des œuvres dévastées.
On détruisit aussi des statues d'hommes. Le Marc-Aurèle équestre de la place du Capitole a été sauvé par erreur, on l'a pris pour un Constantin.
Ces hommes étaient donc des ignorants, même de leur époque, de vulgaires imbéciles, animés d'un masculinisme brutal, incapables de rien comprendre à la beauté artistique ou morale.
L'acte infâme d'un vandale n'atteint pas seulement l'auteur du chef-d'œuvre, mais toutes les générations postérieures qui seront privées d'un enseignement historique par la destruction d'un témoignage de l'admiration d'une époque. Crime de lèse-Vérité, crime contre l'Esprit, pour lequel il n'y a point de pardon d'après les Evangiles féministes.
(1) Ce n'était pas seulement par des statues, mais aussi par des médailles que l'homme avait été représenté. On a trouvé des pierres de petites dimensions portant sur les deux faces, et parfois sur la tranche, de courtes inscriptions, des signes mystérieux ou des représentations de personnages symboliques. On les appelle Abraxas (ou Abrasax, fruit d'une erreur de copiste dit-on, mais peu importe). Une des figures que l'on a trouvées le plus fréquemment, sur ces médailles grossières, est une représentation de l'homme, qui dut être prise en mauvaise part d'abord : on y voit un être ayant la tête d'un coq, le corps revêtu d'une cuirasse, tenant d'une main un fouet, de l'autre un bouclier, et dont les jambes sont remplacées par deux serpents ; c'est là une réunion des symboles de l'orgueil (le coq), de la domination (le fouet, le bouclier et la cuirasse), de la lâcheté et de la ruse (les deux serpents).
Beaucoup d'inscriptions trouvées sur des médailles analogues sont en langue grecque, d'un style souvent barbare, plusieurs en copte, et quelques autres en diverses langues orientales.

Sous Léon l'Isaurique, un fanatique qui avait une haine furieuse contre tout ce qui rappelait le culte féminin, on vit les premiers Chrétiens jetés en tas dans le Bosphore de Thrace ou battus de verges jusqu'à la mort, pour avoir allumé des lampes devant une Madone domestique.
Car les premiers Chrétiens (les Johannites) continuaient à rendre un culte au Principe féminin, et à dire Notre-Dame le Saint-Esprit, ce qui exaspère les Nestoriens.
Nestorius, patriarche de Constantinople (mort en 439), ne veut plus de Divinité féminine. Pour lui, c'est dans Jésus que s'est incarné Dieu.
Et Marie, qui devient Mère de Dieu, est-elle la mère du corps humain de l'homme ou de son Esprit divin ?
Le Concile d'Éphèse, en 431, décida qu'en Jésus il n'y avait qu'une seule personne, mais deux natures, l'une humaine et l'autre divine, de sorte qu'il était à la fois homme et Dieu, homme et femme.

L'histoire ecclésiastique nous apprend que Léon l'Isaurique était très cruel : « N'ayant pu faire partager sa fureur contre les images aux gens de lettres, chargés du soin de la Bibliothèque publique, il les fit enfermer dans cette Bibliothèque, entourée de bois et de matières combustibles, et y fit mettre le feu. Des médailles, des tableaux sans nombre et plus de 3.000 manuscrits, dont la perte est irréparable, périrent dans cet incendie. »

LE CULTE DES SAINTS INSTITUÉ EN 372
Nous disions plus haut que, pendant la grande invasion du Nord, on se disputait pour des dogmes absurdes.
Dans l'Ancien Testament, le Saint (Kadosh), c'est le Juste ; le « Saint d'Israël » mentionné dans les Psaumes, c'est la Femme sans faute, mais souffrant par l'homme, malheureuse et persécutée par lui. Et l'idée de sainteté reste unie à l'idée de malheur. Le « Saint » est en même temps le « martyr ».
Dans Daniel, le Saint est appelé un « Veillant ». C'est là que se trouvent pour la première fois les noms de Gabriel et de Michaël. Raphaël est dans Tobie.
Dans Daniel, ces êtres divins sont des génies protecteurs, des Veillants, qui veillent sur les autres, sur les enfants, sur les hommes. De là l'idée d'un « ange gardien », « messager de bonnes nouvelles ».
Ce ne sont nullement des êtres surnaturels. Ces « anges » vivent, agissent, ont des noms, ont une personnalité, ils jouent un rôle dans les récits.
Ces beaux types de femmes, le Juste, le Saint, devaient tenter les hommes. En effet, nous voyons d'abord les Stoïciens les prendre pour modèle à suivre. Et nous devons reconnaître que c'est l'effort fait par l'homme pour imiter la femme dans sa sainteté qui le fait progresser moralement.
Nous allons retrouver les Anges et les Saints dans le néochristianisme (nous y retrouvons tout), mais combien défigurés !
Les Jésuistes, qui se débarrassaient des personnalités qui les gênaient sur la Terre en les reléguant dans un monde surnaturel, vont envoyer les Anges planer dans les régions éthérées (1). Quant à la Femme, qui est devenue l'esprit du mal, c'est à elle qu'on va donner un « ange gardien » pour veiller sur elle. On ne parle pas beaucoup de celui de l'homme, il n'a plus besoin de guide depuis qu'il est maître du monde, c'est lui qui dirige les autres, il a oublié le vieux dicton : « qui fait l'ange fait la bête ». C'est bon pour les femmes et pour les enfants d'être guidés, d'avoir un « ange directeur ». Le néo-chrétien honore la Providence parce qu'elle est devenue un mystère, mais il a pour Elle un souverain mépris quand il La rencontre dans la vie sous sa forme réelle, la Femme, la Mère.
L'Église créa donc des Saints pour imiter ceux des religions antérieures ; c'est en 372 qu'elle commença à établir leur culte.
Mais elle va canoniser les personnes qui lui rendront des services et non celles qui auront des mérites réels. C'est ainsi que les Saints, loin d'être des persécutés, vont être pris parmi les persécuteurs.
Et, comme cela ne suffit pas pour peupler le Ciel, on va prendre, dans les siècles passés, des noms de personnages célèbres et leur créer une légende catholique, pensant ainsi donner du prestige à la nouvelle religion. Les uns seront présentés comme des précurseurs du Jésuisme, ayant deviné ou annoncé Jésus ; les autres, transportés dans les premiers siècles de l'Église, deviendront des païens repentis, des pénitents, des martyrs de la foi ; cela au mépris de toute chronologie.
Le plus souvent, le nom des personnages anciens sera changé : Esculape (ou Priape) devient saint Côme ; Sérapis devient saint Damien. Il en est qui ont des noms bizarres et des attributions singulières. Ainsi, saint Foutin, saint Gréluchon et saint Guignolet étaient préposés à ce qui concerne la génération. Ces saints étaient l'objet de la dévotion des femmes qui voulaient avoir des enfants. Ils avaient des statues très suggestives.
On béatifia les grandes femmes, que l'on avait tant calomniées, telle Myriam qui était devenue d'abord Marie-Magda (Magdeleine), puis Marie mère de Jésus.
Une autre, Thaïs, apparaît tout à la fois comme une courtisane et comme une sainte, parce qu'elle fut d'abord calomniée comme païenne, puis béatifiée lorsqu'on en fit une Chrétienne. La réputation des femmes reflète toujours les sentiments qu'elles inspirent : quand on les jalouse, elles sont montrées comme perverses ; quand on a besoin d'elles, elles deviennent des saintes.
(1) C'est la corruption de l'idée d'ange qui a passé dans les esprits extra-terrestres, croyance qui s'est perpétuée dans le spiritisme moderne.

LA LÉGENDE DE SAINT DENIS
Pour montrer comment les personnages antiques deviennent des Saints catholiques, prenons comme exemple la vie de saint Denis, patron de Paris et apôtre des Gaules, que l'on fait martyriser sous la persécution de Valérien en 272.
La légende primitive, qui est d'Hilduin, et sur laquelle repose tout ce qu'on sait de ce Saint, nous dit qu'il était originaire d'Athènes, disciple de Hiérothée (Dieu Saint), personnage inconnu, et de saint Paul qui le sacra évêque d'Athènes. Ayant été visiter la Vierge à Jérusalem, il la trouva si belle qu'il fut tenté de l'adorer. Il eut ensuite des conférences à Éphèse avec Jean l'Evangéliste, s'entretint à Rome, avec le pape Clément, et vint à Paris qui, malheureusement pour la légende, n'existait pas du temps de la Vierge et de saint Paul. Mais Hilduin n'en est pas à un anachronisme près, puisqu'il fait mourir en 272 ce saint qui a connu la Vierge ! Pour justifier le voyage à Paris de ce personnage, il dit naïvement : « Il savait que c'était une ville riche et peuplée, capitale des autres cités des Gaules. Voilà pourquoi il vint y planter une citadelle d'où il pourrait battre en brèche l'enfer et l'infidélité. » C'est là qu'on l'exposa aux bêtes. Mais il les força à se courber à ses pieds par un seul signe de croix. Loin de convertir les Parisiens, un tel miracle ne fait que renouveler leur rage païenne. Ils le jettent dans une fournaise embrasée dont il sort sain et sauf. Mais, comme rien n'est plus naturel que de voir un peuple s'acharner contre ceux qui font de tels prodiges, ces féroces Parisiens (qui n'existaient pas encore, c'est leur excuse), le crucifièrent et... nouveau miracle !... le virent prêcher du haut de la croix ! Ils sont donc forcés de l'en détacher, puisque ce genre de supplice ne le fait pas mourir ; on le ramène en prison avec ses compagnons Rustique et Éleuthère, qui, en leur qualité de diacre et de sous-diacre, l'aidèrent à célébrer la messe. Les trois captifs eurent enfin la tête tranchée sur la montagne qui, depuis lors, reçut le nom de Mont des Martyrs (Montmartre) (1). Hilduin ajoute que le corps de Denis se releva, prit son ex-tête entre ses mains, et que, accompagné d'une troupe d'anges qui chantaient « alléluia », il la porta jusqu'à l'endroit où se trouve actuellement la basilique de Saint-Denis.
Comme on le voit, la légende n'est pas riche encore, et bien du chemin lui reste à faire pour arriver jusqu'aux grandes créations épiques des âges suivants. D'un autre côté, la supercherie du faussaire est tellement évidente que l'opinion la moins défavorable qui ait été exprimée à son sujet, c'est que le culte de Dionysos s'était établi à Paris après les agrandissements de Julien, qu'il se conserva en se transformant dans l'imagination populaire, et qu'Hilduin ne fit que recueillir ce récit. Nous savons, en effet, que le Dionysos des Grecs était surnommé Eleuthère, en qualité de premier fondateur des Mystères masculins ; qu'on célébrait deux fêtes en son honneur, l'une dans la ville ou urbaine, l'autre dans les champs ou rustique ; qu'on consacrait un jour de ces fêtes à Démétrius, roi de Macédoine, qui tenait sa cour à Pella, près du golfe de Thessalonique, et à qui on donnait pour épouse Aurora Placida. De tout cela, les Jésuistes ont fait sept saints auxquels ils ont consacré quatre jours de fête dans leur calendrier : 5 octobre, fête de sainte Aure et sainte Placide ; 7 octobre, fête de saint Démétrius, martyr de Thessalonique ; 8 octobre, fête de saint Bacchus (c'est le nom latin de Dionysos) ; 9 octobre, fête de saints Denis, Éleuthère et Rustique.
Remarquons que les fêtes de Bacchus, vendangeur, étaient encore célébrées à Paris au XVIIIème siècle, les 8 et 9 octobre, et que la tête coupée de saint Denis n'est que le symbole des égarements de l'ivresse qui fait perdre la tête, quoique le buveur l'emporte, cependant, avec lui, et nous comprendrons comment les légendes des saints se greffent sur les mythes antiques.
(1) Ce nom paraît plutôt venir de Mons Martis, mont de Mars, et devrait s'écrire Montmarte.

SAINT MARTIN DE TOURS AU COMMENCEMENT DU Vème SIÈCLE
Benoît XIV raconte que, du temps de saint Martin, un tombeau, dans les environs de Tours, était devenu l'objet d'une dévotion populaire, et quelqu'un même des anciens évêques l'avait accrédité par la consécration d'un autel.
Ce saint sembla suspect à saint Martin, qui devait être saint plus tard ; il fit une enquête et finit par découvrir que ce sépulcre révéré renfermait le corps d'un brigand fameux, mis à mort pour ses crimes (ce sont toujours ceux-là qu'on adore).
Alexandre III passe pour le premier pape qui se soit réservé de prononcer sur les canonisations et sur les béatifications.
La mort grandit encore celui qui, de son vivant, recevait déjà un culte, et, pour peu que l'on ait affaire à un peuple un peu exalté et facile à enthousiasmer, voilà un saint, quelquefois un Dieu, dont l'authenticité n'est même pas mise en doute par la génération suivante, qui n'a rien vu, mais qui, justement pour cela, a encore augmenté l'enthousiasme des premiers et commence à mêler le merveilleux à la légende qui lui est transmise.

Le Vème siècle qui vient de finir nous a montré l’agonie de la société antique, se débattant pour ne pas mourir, et les hommes cherchant « ailleurs » que sur terre le « Principe de vie » que le nouveau régime (catholicisme) s’efforçait de tuer. Et, dans le chaos qui en résultait, on agitait toutes les questions : la politique pour refaire les nations, sans la femme ; la philosophie pour retrouver la Vérité, sans elle ; la religion pour refaire une vie morale, sans son alliance.
Tel est le problème qui se pose : faire une société viable sans la femme, sans son concours, sans son action, sans ses lumières !
L’homme avait dissous toute l’antique organisation féminine, il avait Subtilisé, sophistiqué toutes les anciennes vérités, qu’il ne voulait plus admettre, et cherchait dans le chaos des idées masculines des éléments nouveaux pour refaire un monde. Recherche fiévreuse, envieuse, disputes sans fin, poursuite d’un rêve chimérique pour remplacer un idéal qui avait jusque-là élevé l’homme.
Tout cela ne devait aboutir qu’à une décomposition du corps social.

FIN DE LA RACE MÉROVINGIENNE
Au VIème siècle finit cette première race des rois Francs-Saliens. Qu’étaient-ils, en résumé, et que vinrent-ils faire en Gaule ?
Les Francs (fracasseurs, libres, braves, qui bravent) étaient les révoltés de la Germanie (Flandre, Hollande). Ils cherchaient à se répandre chez leurs voisins, parce qu’on ne les voulait plus chez eux. Ils étaient sortis de la loi comme les révoltés qui, au 8ème siècle avant notre ère, avaient fondé Rome.
Les envahisseurs sont toujours des fils rebelles chassés de leur pays. Les Francs s’étaient massés sur la rive droite du Rhin. Ils sortaient des anciennes tribus régulières et matriarcales des Sicambres, des Bructères et d’autres.
Sous Aurélien, ils voulurent franchir le fleuve, mais ils furent repoussés. Cependant, un peu plus tard, quelques-unes de leurs bandes purent se promener à l’aise dans l’Empire et ravager la Gaule, l’Espagne, et même l’Orient. Constance Chlore établit des colonies de Francs à Langres, à Amiens. Mais Constantin, irrité des ravages qu’ils faisaient, en jeta un grand nombre dans l’amphithéâtre de Trêves (Jeux francisques). Néanmoins, les Francs se glissèrent peu à peu dans l’Empire et arrivèrent à occuper les premiers emplois. C’est le père de Clovis qui va masculiniser la Gaule. Clovis, roi barbare, nommé Patrice (caricature des Matrices), porte la chlamyde et la tunique de pourpre comme les femmes, il garde ses mœurs barbares et fait tuer ses parents et tous les chefs francs, il meurt jeune comme tous les débauchés (à 43 ans). Ses fils se signalent par leurs crimes.
Clodomir battit le roi des Burgondes à Saint-Maurice en Valois et le jeta avec sa femme et ses enfants au fond d’un puit.
Clotaire fit assassiner son fils Chramne qui périt avec toute sa famille dans une chaumière de Bretagne.
Chilpéric, qu’on appelle le bourreau de la Gaule, avait trois femmes à la fois : Galswinthe, Audovère et Frédégonde. Il était cruel comme Néron.
Sigebert, malgré sa grande femme Brunehaut, garde les traditions barbares et conduit ses Leudes (compagnons) au pillage comme une bande de voleurs.
Dagobert (628-638), surnommé le Salomon des Francs à cause de ses débauches, fit de sa résidence de Clichy le séjour de la plus honteuse volupté. Il mourut le 15 février 645.

LES ROIS FÉNÉANTS
Les descendants de Dagobert n’eurent que le nom de rois. Enfermés dans leur palais, ils furent dans la dépendance complète des Maires ; ceux-ci les sortaient quelquefois pour les montrer au peuple, qui tenait encore à avoir un roi de la race de Clovis. Ces princes, énervés par les plaisirs que les Maires leur fournirent à dessein, moururent tous jeunes et avant d’être capables de concevoir et d’exécuter quoi que ce soit.
Cette période fut, comme la précédente, remplie par la lutte de l’Austrasie (Franc-Ripuaires/féministes) et de la Neustrie (Francs-saliens/masculinistes). Elle vit les mêmes horreurs, et l’assassinat ne cessa pas d’être le moyen préféré pour trancher les situations.
La conclusion qui s’impose de tout ceci, c’est que les Francs-Saliens n’apportèrent dans le monde qu’un code inique et imbécile, et que des rois qui furent des bandits ou des incapables.
Mais les femmes, qui ne participent pas à la loi du sexe masculin et ne subissent pas la déchéance sexuelle, devaient, dans ce monde barbare, relever la vie sociale par leur règne long et brillant. Le peu de civilisation qui se produisit alors leur est dû, ce qui prouve que la nature reprend toujours ses droits et que tous les codes des hommes n’empêcheront pas les lois immuables de la Nature de dominer les lois des hommes.

LA GRANDE REINE BRUNEHAUT
Clotaire 1er laisse quatre fils (561-613) :
Caribert, roi de Paris, qui meurt sans héritier, grand jurisconsulte, à son sens, mais surtout prince débauché.
Chilpéric, roi de Soissons, son royaume s’appellera la Neustrie (Normandie).
Sigebert, roi de Reims, son royaume, l’Austrasie, est la Gaule de l’Est entre la Meuse et le Rhin.
Contran, roi d’Orléans, royaume des Burgondes (Bourguignons), qui s’étend de la Marne à la Méditerranée.

CHILPÉRIC
Ce roi fut le bourreau de la Gaule Romaine ou Neustrie. Il était aussi cruel que Néron, et pédant « comme un empereur du Bas-Empire », dit un historien.
Il eut plusieurs femmes successivement et simultanément. D’abord Audovère, puis Galswinthe ; puis en même temps sa servante Frédégonde qui le domina.
Galswinthe est la fille du roi des Wisigoths d’Espagne, elle est douce et triste. Elle a une sœur cadette, Brunehaut, qui étale à sa cour des qualités brillantes, et qui épouse Sigebert, roi d’Austrasie.
Frédégonde pousse Chilpéric à faire périr Galswinthe, qui est étranglée dans son lit.
Frédégonde multiplia ses crimes. Elle fit raser la chevelure de Mérovée, un fils que Chilpéric avait eu d’Audovère (la chevelure, ornement et signe de royauté). Elle enferma Audovère dans un cloître, et fit assassiner Prétextât, l’évêque de Rouen, qui avait béni le mariage de Galswinthe avec Chilpéric. Chilpéric avait plusieurs enfants de sa première femme Audovère. Frédégonde les fit périr, et lui-même mourut assassiné par ses ordres.

SIGEBERT
Sigebert, roi de Metz et de Reims, capitales du royaume d’Austrasie, n’est pas non plus un modèle de vertu ; plusieurs fois, il conduit ses Leudes (fidèles) au pillage, suivant la coutume des rois barbares.
Une lutte terrible s’éleva entre lui et son frère Chilpéric, lutte dans laquelle, dit-on, le poignard et le poison jouèrent le principal rôle.
La femme de Chilpéric, Frédégonde, voua une haine mortelle à Brunehaut, femme de Sigebert et reine d’Austrasie.
L’assassinat de Galswinthe, la sœur aînée de Brunehaut, par l’odieuse Frédégonde, fut le signal de la lutte entre les deux royaumes de Neustrie (Normandie) et d’Austrasie (Champagne, Belgique).
Les Austrasiens, pour venger la mort de la sœur de leur reine, attaquèrent les Neustriens.
Sigebert allait s’emparer de Chilpéric et de Frédégonde quand celle-ci le fit assassiner à Tournai (575). Brunehaut, d’abord prisonnière de Chilpéric, ensuite, relâchée, retourna en Austrasie où elle prit la tutelle de son fils Childebert II et régna sous son nom.

LES DEUX REINES
Les deux maris sont morts, tous les deux assassinés par Frédégonde.
Ces deux femmes ennemies vont gouverner, Brunehaut en Austrasie, Frédégonde en Neustrie, au nom de leurs enfants.
Donc, les femmes régnent chez les Francs-Saliens sous prétexte de minorité de leurs enfants.
Le règne de Brunehaut fut glorieux. M. Léon Bernardin dit : « Les chaussées de Brunehaut furent le symbole du renouveau sur un sol défoncé par les barbares. » Childebert II, le fils de Brunehaut, est l’héritier de son oncle Gontran qui lui laisse le royaume des Burgondes (la Bourgogne), sur lequel Brunehaut va donc régner aussi.
Childebert II combattit Frédégonde à Droisy, en 595 ; il fut vaincu et mourut l’année suivante, laissant ses deux fils, Théodebert, roi d’Austrasie, et Thierry, roi de Bourgogne, sous la tutelle de Brunehaut, leur grand-mère.
Frédégonde, par la victoire de Droisy et par ses crimes, avait affermi le trône de son fils Clotaire. Elle mourut en 597, glorieuse et tranquille.

MORT DE BRUNEHAUT
Cette femme d’une haute intelligence, cette grande Reine, fille d’un grand roi, ayant de hautes idées, voulut appliquer ses vues élevées dans un pays encore barbare.
Les grands masculinistes d’Austrasie, parmi lesquels Arnolf et Pépin de Landen étaient les plus puissants, se soulevèrent contre elle et organisèrent un complot pour la faire mourir, et pour cela s’unirent avec Clotaire II, roi de Neustrie.
Brunehaut fut livrée à son ennemi avec ses quatre petits enfants.
Clotaire, après avoir fait égorger ses quatre cousins sous les yeux de leur grand mère, reprocha à celle-ci tous les crimes qui avaient été commis pendant ces 40 années de luttes odieuses, alors qu’elle n’y était pour rien. Il la fit attacher à la queue d’un cheval indompté.
Ainsi finit cette femme remarquable qui n’avait cessé de montrer les plus fortes qualités.
Après sa mort, ceux qui l’avait trahie tinrent un concile, dans lequel on rédigea un Édit perpétuel, qui reconnaissait la juridiction des évêques catholiques. C’est donc pour aboutir à ce résultat, la domination du clergé, que fut commis ce crime abominable. Le supplice de Brunehaut eut lieu le 28 février 613.
L’histoire officielle, écrite par la réaction masculiniste, innocente Frédégonde et accuse Brunehaut ; voici ce qui est dit :
« Frédégonde régna après son mari, au nom de Clotaire II, un enfant de 5 à 6 mois.
« Quand ce prince, élevée par une mère puissante, arriva à l’âge d’homme, il fut un roi affable et libéral, populaire et habile dans l’art de gouverner. Il avait l’esprit orné pour le temps, aimait les sciences et se piquait de politesse et de galanterie.
« Mais il laissa les Maires du Palais prendre une trop grande influence dans les affaires. C’est ainsi que commença leur toute-puissance, et l’on vit sous Pépin de Landen, Maire du Palais, un crime horrible se produire : on fit attacher Brunehaut, âgée de 70 ans, à la queue d’un cheval indompté. » Puis, pour justifier ces bourreaux, l’histoire des hommes dira que ce fut en punition de ses crimes !
Les modernes ont réhabilité cette grande Reine. Nous lisons les lignes suivantes dans le Magasin Pittoresque de 1833, sous le titre Supplice d’une Reine :
« Clotaire l’accusa, dans une assemblée de Français, de crimes infâmes et d’avoir fait mourir dix rois. Plusieurs histoires présentent ces accusations comme entièrement fausses et proclament la vertu et l’innocence de Brunehaut. Sa mort fut terrible ; après l’avoir torturée pendant trois jours et l’avoir promenée au milieu des soldats sur un chameau, on l’attacha aux crins d’un cheval sauvage qui l’entraîna à travers les cailloux et les ronces. Les lambeaux de son corps furent ensuite rassemblés et réduits en cendres. » Tout le mal qui se faisait lui était attribué, parce qu’on la détestait à cause de sa supériorité. Son nom était Brunehaut ou Brunehilde.

FIN DU RÉGIME FÉMINISTE
Pour clore cette époque matriarcale, rappelons quelques noms des grandes femmes qui l’ont illustrée.
Posthumius l’invincible fonde l’empire transalpin (261-271), que gouverne après lui Victoria, la Mère des camps.
Valentinien III avait poignardé Aétius ; il fut poignardé à son tour, et sa veuve Eudoxie appela le Vandale Genséric à Rome, pour se soustraire au pouvoir de Maxime Pétrone, assassin de son mari.
Sainte Geneviève règne pendant 40 ans sur Paris.
Basine, reine des Thuringiens, épouse Childéric et lui donne son royaume.
Clotilde, d’une famille burgonde (légitime), gouverne sous Clovis, qui ne fait que se battre.
Radegonde, femme de Clotaire, règne aussi.
Les trois femmes de Chilpéric : Audovère, Galswinthe et Frédégonde, exercent leur influence sur le roi, et la dernière règne après lui.
Brunehaut règne en Austrasie durant 40 ans, pendant la minorité de son fils et de ses petits-fils.
Plectrude (714) fut gérante du royaume de Neustrie et d’Austrasie pendant la minorité de son fils Théodoald, petit-fils de Pépin d’Héristal.
Sainte Bathilde gouverna pendant la minorité de son fils Clotaire III, de 656 à 665 ; on la dit femme de Clovis II.

ÉTAT DE L'ESPRIT HUMAIN
Pendant cette période, l'esprit humain subit une éclipse profonde. Les belles écoles que les Druidesses avaient fondées disparurent et l'ignorance s'étendit. L'Église Johannite elle-même, seul foyer de lumière qui ne s'éteignit pas absolument, ne jeta plus aucun éclat.
« Au VIème siècle, Grégoire de Tours et les autres évêques furent encore des lettrés dont les œuvres ont un vrai mérite. Au VIIème siècle, on ne distingue plus que Frédégaire, bien inférieur à Grégoire de Tours. Puis ce fut la nuit complète, et cette nuit alla grandissant et dura plusieurs siècles. Il ne resta rien de ce qui constitue une civilisation ; poésie, arts, science, philosophie, tout fut anéanti par le monde barbare. » (Vincent, Hist. de France)

GRÉGOIRE LE GRAND (560)
C'est de lui qu'il faut dater la suprématie papale. Toutes les luttes éparses, toutes les petites révoltes, toutes les tentatives d'insoumission se condensèrent sous sa puissante volonté.
Il résumait en lui l'état mental de son époque : caractère énergique et concentré, comme tous ceux qui ont peur de leurs propres actes, peur de l'immensité du mal qu'ils font ; imagination violente comme tous les candidats à la folie, sombre comme tous les hommes tourmentés et tourmentants, sans instruction aucune, ennemi déclaré de tout ce qui est intellectuel, de toute recherche, de toute science, il chassa de Rome les savants, ces gêneurs, il brûla les bibliothèques et fit détruire les derniers vestiges de l'art antique.
Ses traits étaient durs et noirs, comme ceux des hommes méchants. Déjà fou, il conversait avec des anges, la nuit, disait-il ; il se prosternait devant des châsses de saints pour glorifier la sainteté de son sexe en ces hommes, il avait toutes les superstitions, attachait à la moindre relique des vertus miraculeuses, s'agenouillait devant les grossières images qui remplaçaient les belles statues qu'il avait fait détruire.
Il devint maître de Rome (la pourrie) qui tremblait sous son autorité farouche ; riche du reste, comme tous ceux qui savent prendre ce qu'on ne leur donne pas. Il défendait d'étudier quelque livre que ce fût, disant que le démon est dans tous les livres ; il voulut anéantir toute manifestation de l'Esprit.
Tel est l'homme qui posa les lignes fondamentales du nouveau culte. On lui fait gloire de l'invention du chant grégorien, à tort, il ne fit que lui donner son nom. Ce sont les Bénédictins qui le trouvèrent. Il régla la liturgie romaine, les processions, les vêtements sacerdotaux ; c'est lui qui donna une forme à une religion qui n'avait pas de fond ; il traça le cercle dans lequel le Catholicisme, désormais, devait rester enfermé ; il fit de cette religion niaise un culte grandiose dans la forme, culte dans lequel on supprime toutes les réalités religieuses, pour ne laisser à leur place que le rêve... ou la terreur.
C'est ainsi qu'il fonda la puissance du prêtre.
Désormais il n'y avait plus à s'adresser à la raison, ou à la conscience ; les prêtres, les hommes fanatiques, ignorants ou rebelles, ne connaissaient plus cela ; ils étaient livrés au vertige moral que donne l'autorité factice, et ils allaient chanceler dans leur puissance comme l'ivrogne, qui, lui aussi, a toutes les audaces. Ils avaient la puissance que donne la force, et qui est le contraire de la puissance que donne l'ascendant (ce qui est au-dessus).
Plus d'idées, plus de concepts, la logique est morte, la science abstraite de la femme honnie, bannie, punie ! On remplace tout cela par des homélies qui prétendent être des instructions religieuses sur l'Évangile, mais qui ne sont que des discours ennuyeux, pleins d'une morale affectée. Et c'est avec cela que l'on va instruire le troupeau bêlant des Chrétiens, dont on va faire en réalité des abrutis ou des ahuris.
Quelques hommes essayèrent bien de reconstituer la primitive science divine, mais quels piètres résultats ! Des phénomènes isolés, sans liens entre eux, le rapport des choses ignoré, la série des enchaînements de faits embrouillée, rompue, renversée. Plus de ces grandes synthèses qu'avait faites l'antiquité féminine. Le miracle partout, la folie triomphante, le charlatanisme officiel remplaçant la raison vaincue ; un gâchis divin, l'anarchie dans le Ciel comme sur la Terre.
La relativité des faits moraux échappait à ces hommes qui ne pouvaient plus comprendre les différences sexuelles et dotaient la Femme de leurs péchés et de toutes leurs folies, la punissaient de ce qu'ils faisaient ! Incohérence des consciences, récompenses et châtiments disproportionnés avec les actes, appliqués à  rebours, le bien était devenu le mal et le mal le bien.
Puis l'exagération, les outrances, la surenchère du mensonge ; dépasser le but, pour mieux terroriser, est le système employé ; mettre partout l'absolu, et s'en faire maître ; disposer de la vie des autres, envoyer les gens dans un ciel fictif ou dans un enfer imaginaire, pour un mot, une intention, exagérant chaque détail de la vie, mettant des miracles partout, pour que le prêtre-sorcier pût les produire et les utiliser. Tout ce que l'homme répudiait considéré comme la perdition même, dans la Femme surtout ; c'était lui qui jugeait, décrétait, condamnait, lui le pur ; Elle, l'impure, était jugée, et comment !... Elle ne trouvait de rémission que dans le renoncement d'elle-même, dans l'anéantissement de toutes ses supériorités et même de sa beauté ! Rien ne lui était permis sans l'intervention de l'homme ! Elle n'était plus dans ce monde que pour lui. Et c'est contre Elle qu'on utilise la colère divine (Dies iræ) si elle veut secouer ses chaînes, se révolter !

L'ÈRE CHRÉTIENNE
L'ère chrétienne n'a pas été imaginée il y a vingt siècles et ne date pas pratiquement de la naissance de Jésus et encore moins de sa conception, malgré l'ancienne formule ab incarnatione Christi. Cette ère fut proposée pour la première fois, au VIème siècle, par un moine du nom de Denys, surnommé le Petit, qui vivait à Rome, vers l'an 580. Ce moine, d'origine scythe, avait fait des calculs qui l'avaient conduit à admettre pour l'incarnation de Jésus l'an de Rome 753, et cette base est le fondement de l'ère chrétienne.
Mais le calcul de Denys le Petit est en erreur de quatre ans, attendu que, d'après la tradition même, Jésus est né sous le règne d'Hérode, lequel est mort l'an de Rome 750. Des calculs indiquent pour la naissance de Jésus la fin de l'année 749 de la fondation de Rome, et pour sa mort la 36e année après cette date.
L'ère chrétienne adoptée, qui fait mourir Jésus à trente-trois ans, est trop courte de quatre ans.
Le 1er janvier de l'an 1 est le 1er janvier de l'an 750 et non de l'an 754.
Ce moine mourut sans avoir vu son ère adoptée. Elle ne l'a été qu'un demi-siècle plus tard.
L'exemple fut donné par l'Église anglo-saxonne, et le premier document connu où apparaît « l'ère chrétienne » est daté de l'an 605.
Au VIIIème siècle seulement, cet usage fut partout introduit par ordre de Charlemagne après son couronnement.

LE POUVOIR DES ÉVÊQUES SUBSTITUÉ À L'ANCIENNE ÉGLISE
Les anciennes Églises du premier Christianisme étaient dirigées par des Prêtresses (diaconesses), qui portaient différents noms. La Vénérable (mot qui vient de Vénus) était appelée presbyte (ancienne).
De presbyte, on a fait prêtre.
Les liturgies étaient appelées offices diaconaux ; qui soupçonnerait que ces mots désignaient primitivement des femmes ?
Les seconds, dans les ordres sacrés, étaient les surveillants. On les appela d'abord époptes, puis épiscopes. Ce sont des hommes chargés de faire le service, c'est-à-dire la surveillance du temple. L'épiscope est devenu l'évêque.
Nous lisons dans les Actes (XXI,3) que « Philippe l'Évangéliste » était un des sept diacres de son Église (rappelons qu'il avait quatre filles vierges, qui prophétisaient).
Rappelons aussi qu'épopte (devenu pape) est l'origine du mot époux, esposo, qui s'altéra en passant par le latin (sponsus, participe passé de spondere, promettre).
Les épiscopes promettaient la fidélité et faisaient des serments solennels.
Mais ces anciens usages se perdirent. Les évêques trahirent la sainte cause de la Vérité et arrivèrent à prendre une autorité souveraine, alors que, dans la vraie Religion chrétienne, ils n'étaient que des surveillants, des épiscopes.
Donc, ils sont les transfuges du premier Christianisme. L'histoire écrite par l'Église nous parle d'eux comme s'ils étaient investis d'un pouvoir légitime. C'est pour légitimer ce pouvoir qu'ils font alliance avec les Rois Saliens, masculinistes comme eux.
Ainsi, en 615, une ordonnance dite Constitution perpétuelle fut signée par 70 évêques réunis en Concile pour confirmer la victoire des grands et des clercs (les grands, ce sont les masculinistes qui ont fait assassiner Brunehaut ; les clercs, ce sont ceux qui les ont poussés à accomplir ce crime).
Voici quelques articles de cette Constitution :
2° Tous les biens ou bénéfices enlevés aux Leudes et aux Églises leur sont restitués ; toutes les concessions qui leur ont été faites leur sont irrévocablement confirmées.
3° L'élection des évêques est réservée au Concile provincial, au clergé et au peuple des cités, le Roi n'ayant que le droit de confirmation.
4° Les clercs sont soustraits à la domination des officiers royaux, et la connaissance d'une foule de crimes publics et privés est attribuée aux tribunaux ecclésiastiques.
Voilà donc le pouvoir ecclésiastique établi par les évêques. Au rapport des païens Lucain (Phars.,V,3), Stace (Théo., VIII, 196), Juvénal (Sat. VI, 554), Strabon (VII de Espir.), les oracles des Prêtresses cessèrent subitement au temps des premiers jours du Catholicisme masculin.
Les Pères le constatent comme un triomphe de Jésus.

ORIGINE DE LA PAPAUTÉ
A cette époque, l'autorité suprême appartient aux Conciles. Ceux que l'Église moderne appelle des papes n'étaient alors que les évêques de Rome.
Nous avons vu, par la Constitution que nous venons de citer, que les Conciles prévalent sur leur autorité.
Les évêques des autres régions n'acceptent pas pour chefs les évêques de Rome.
Ce fut en 607 que, sous Boniface III, l'évêque de Rome fut reconnu comme suzerain spirituel de toute la Chrétienté.
Les Catholiques ont complètement pris l'appellation de Chrétiens, ce qui est traduit par leurs ennemis par le mot Crétins.
De 680 à 684 eut lieu le Concile de Constantinople contre les Monothélites. C'est à ce moment qu'il fut ordonné parle 6e Synode de Constantinople que désormais le Christianisme aurait pour symbole un homme attaché à une croix, ce qui fut confirmé par le pape Adrien Ier.
On sait que jusque-là le Catholicisme avait été symbolisé par une croix formée de trois phallus (représentant la Trinité). Le latin avait cessé d'être la langue parlée en Italie au VIème siècle.
Au VIIème siècle, l'Église établit le culte en langue latine.

LES MAIRES DU PALAIS
Les rois n'existent plus que de nom, ce sont les Maires du Palais qui agissent pour eux, comme ils agissaient auprès des Reines. Ils sont l'action ; les rois, qui ont pris le rôle des femmes, sont devenus fainéants (mais peut-être aussi « faits néants »), par suite de la psychologie des sexes, qui veut que la femme pense et que l'homme agisse. Mais, comme ces rois fainéants ne pensent pas en femmes, il n'y aurait personne pour diriger les hommes si, dans les familles royales mêmes, ou aristocratiques, des femmes remarquables ne reprenaient le rôle que leur nature leur assigne. C'est ainsi que Begga, femme de Pépin de Landen et mère de Pépin d'Héristal, semble être l'inspiratrice du mouvement qui va renverser les rois francs.
Pépin de Landen, qui gouverne l'Austrasie, écrase les Neustriens à Leucofao en 680 (ancienne localité située en Soissonnais, entre Soissons et Laon).
La famille de Begga possédait de grands domaines entre la Meuse et le Rhin.
Les hommes de cette famille étaient des Ducs (conducteurs), mais ne possédaient pas l'autorité morale d'une Mère.
La reine Begga fonda des asiles pour les femmes malheureuses, qu'on appela des béguinages. Ces femmes prendront son nom ; elles seront appelées des béguines.
Après la mort de Pépin de Landen, son fils Pépin d'Héristal prend sa place. Pendant qu'il est Maire d'Austrasie, il anéantit le pouvoir royal des Mérovingiens et établit définitivement celui de l'aristocratie, c'est-à-dire des meilleurs.
Il gouverna tout le royaume sous l'inspiration de sa mère, avec le titre de Duc des Francs. Il mourut en 714, après avoir tenté de relever l'empire franc qui s'écroulait.
Pépin d'Héristal avait eu deux fils qu'il avait perdus ; c'est son petit-fils Théodoald qui va lui succéder, sous la régence de sa mère Plectrude (714-715).
Voilà donc encore une femme qui gouverne. Quant aux hommes, ils ne font que se battre et on ne les mentionne qu'à propos de leurs batailles.
Mais les Neustriens (masculinistes) vont se révolter et des intrigues vont se tramer pour mettre un homme à la première place. Ils attaquèrent les Austrasiens. Ceux-ci, alors, pensèrent à un fils que Pépin d'Héristal avait eu d'une autre femme que la sienne et qu'il tenait en prison pour des raisons morales. Ils le tirèrent de captivité et le mirent à leur tête. C'était Charles Martel (715-743), « un vrai barbare et un rude soldat », disent les chroniqueurs.
Il laissa aux Neustriens le roi fainéant qu'ils avaient et gouverna sous son nom. Il se bat contre les Sarrasins, qui voulaient envahir la France, sous la conduite d'Abdérame, qu'il refoule (732), ce qui lui vaut, comme récompense, le titre de Patrice, qui lui est donné par le pape, et les Clefs de saint Pierre, c'est-à-dire les honneurs spirituels des antiques Déesses-Mères. Dès lors, il se crut tout permis. Il était homme et femme à la fois. Il distribua des évêchés et des abbayes à ses compagnons d'armes. Et voilà la direction morale du pays donnée à la soldatesque. Cela introduisit dans l'Église les mœurs dissolues des camps, disent les histoires de France de nos écoles.
C'est parce qu'il frappait fort qu'on lui a donné le surnom de Martel ; mais ce n'était vraiment pas un motif suffisant pour l'investir d'une autorité spirituelle.
Charles Martel mourut en 741. Il était le père de Pépin le Bref.
Voici le jugement porté sur lui par un historien, M. Vincent : « Charles Martel n'avait guère été l'ami de l'Église ; s'il favorisait les missionnaires qui tentaient d'évangéliser l'Allemagne, il n'hésitait pas à spolier les églises et les monastères de Neustrie et d'Austrasie, pour faire des bénéfices à ses leudes (complices). »
Voilà l'homme moral que son père tenait enfermé. Il n'avait aucun des caractères de l'aristocratie dont il hérita.

PÉPIN LE BREF, MAIRE DU PALAIS, DUC DES FRANCS (741 ou 752 à 768)
Pépin le Bref, fils de Charles Martel, devint le maître du Royaume. Il avait cependant deux autres frères : un qu'on passe sous silence, l'autre, Carloman, qui se retira dans un monastère.
Pépin se fit élire par une sorte de plébiscite appuyé par le pape. Ce fut un règne clérical.
Le pape Zacharie, consulté pour savoir qui devait garder le gouvernement des Francs, avait déclaré que l'autorité devait appartenir à qui l'exerçait réellement.
Du consentement du pape, Pépin prit la couronne. Cela mettait fin à la dynastie des Mérovingiens.
Chilpéric III, dernier fantôme de roi mérovingien, fut déposé, tondu et relégué dans le monastère de Saint-Omer.
Et alors Pépin le Bref, par l'élection de toute la France, fut élevé roi du royaume avec la Reine Bertrade ; car on n'oubliait pas tout à fait les femmes ; il eut, dit-on, la consécration des évêques et la soumission des grands (752).
Il se fit sacrer par saint Boniface, alors évèque de Mayence. Ce saint n'était autre que le Saxon Winfried, qui, à la tête des moines anglo-saxons, accomplit l'inauguration de l'armée, la Germanie (hommes de guerre).
A cette époque, il y avait des archevêques et des évêques qui se ruaient au milieu des plus ardentes mêlées et qui ne commettaient pas de péché en abattant au passage de nombreux ennemis. Ils ne versaient pas le sang, n'avaient pas d'épée ; ils se contentaient d'assommer avec des massues.
Nous pouvons citer comme exemple l'archevêque Turpin, l'ami de Charlemagne, un des héros de la journée de Roncevaux.
Avec Pépin le Bref, c'est le règne de l'Église qui commence. L'aristocratie féministe est vaincue en même temps que la royauté des Francs barbares.
Les nouveaux rois, qui commençaient une dynastie, voudront être seuls maîtres, mais cela ne durera pas toujours, ils seront vaincus aussi un jour.
Pépin s'allia étroitement avec l'Église et fut l'ami et le protecteur du pape. Déjà son frère Carloman, avec lui et saint Boniface, avait imposé des réformes en sa faveur. Il lui avait restitué les biens que leur père Charles Martel lui avait enlevés ; ils avaient défendu la polygamie, interdit la guerre aux prêtres, reconstitué la hiérarchie, imposé la règle dite de saint Benoît à tous les monastères, et étendu singulièrement l'autorité des évêques en les nommant Juges des Mœurs !...
Pépin guerroya pour le pape. Sur les instances d'Etienne II, il fit deux expéditions contre Astolphe, roi des Lombards, et l'obligea d'abandonner au pape la Pentapole et l'exarchat de Ravenne.

LE POUVOIR TEMPOREL DES PAPES
La puissance temporelle des papes fut fondée par Pépin.
Dès l'année 754, le successeur de Zacharie, Etienne II, franchit les Alpes pour implorer le secours de Pépin contre les Lombards. Depuis que les ordonnances de Léon l'Iconoclaste avaient soulevé Rome et une partie de l'Italie contre le gouvernement de Constantinople, les papes étaient chargés de protéger les peuples contre les Lombards, race avide, détestée des Italiens, qui les combattaient depuis cent cinquante ans.
Grégoire II et Grégoire III avaient facilement résisté ; mais Zacharie et Etienne furent plus sérieusement menacés par Astolphe qui, maître de Ravenne, qu'il avait enlevée aux Grecs, se dirigea vers le Tibre.
Etienne II, en donnant à Pépin le titre de Patrice de Rome, l'avait investi par cela même de l'autorité militaire dans les provinces italiennes. Pépin voulut payer sa dette de reconnaissance, et, sans écouter les prières de son frère Carloman, il conduisit l'élite de ses soldats vers le Mont Cassin.
Vainqueur au défilé du Pas de Suze, il assiégea Pavie en 754. Astolphe s'humilia ; mais, aussitôt après le départ des Francs, il reparut devant Rome et la pressa vivement. Les Francs revinrent en Italie en 755. Le roi des Lombards dut subir un traité rigoureux : il donna le tiers de son trésor, s'engagea à payer tribut et livra à Pépin la Romagne, l'exarchat de Ravenne, la Pentapole et le duché de Spolète.
Les Grecs réclamèrent la restitution de ces provinces ; mais Pépin, usant des droits de la victoire, en fit don à saint Pierre en la personne de l'évêque de Rome.
Cette donation comprenait les villes de Piavenne, Rimini, Pesaro, Césène, Sinigaglia, Jesi, Fortimpopoli, Forti, Castel Sussubia, Martifiltro, Carra, Acerragia, Monte-di-Tuccano, Castel San-Mariano, Robbio, Nerbino, Cagli, Lonceola, Gubbio, Comacchio.
Cette donation constituait une souveraineté temporelle bien différente de celle que Constantin avait accordée au pape Sylvestre.
L'indépendance souveraine des pontifes était désormais assurée, mais leur indépendance politique n'était qu'incomplète. Pépin, Patrice de Rome, y conservait l'autorité militaire, et les papes avaient constamment besoin d'être protégés par une puissance étrangère contre leurs ennemis.
Ce patronage nécessaire donnait au roi des Francs une part qui devait être considérable dans la souveraineté.
Après la mort de Pépin, ce fut son fils Charlemagne qui continua son œuvre auprès du pape et de Rome. Charlemagne passe en Italie en 773, parce que Didier, roi des Lombards, avait donné asile à ses plus dangereux ennemis, à Hunald, aux fils de Carloman et à plusieurs de leurs partisans.
Charlemagne répudia la fille de Didier qu'il avait épousée pour satisfaire sa mère Bertha, malgré les prières et les plaintes du souverain pontife. Il passa les Alpes par le Mont Joux (aujourd'hui Grand Saint-Bernard) et le Mont Cenis, força le défilé des Chises, assiégea Pavie et la tint bloquée pendant une année entière. Pendant ce temps, Adalgise, fils de Didier, était assiégé dans Vérone.
Charlemagne laissa son armée devant Pavie et se rendit à Rome, où il confirma les donations faites au Saint-Siège par Pépin le Bref. Il fut reçu avec les plus grands honneurs comme Patrice romain et conclut dès lors une alliance avec le pape Adrien.
L'année suivante (774), Pavie se rendit et Didier fut fait prisonnier. Avec lui finit le royaume des Lombards, qui avait duré deux cent six ans. Didier fut relégué avec sa famille dans le monastère de Corbie où il mourut bientôt. Hunald avait péri, tué peut-être par les habitants de Pavie. On ne sait au juste ce que devinrent les fils de Carloman. Quant à Adalgise, il s'enfuit auprès de l'empereur de Constantinople.
Charlemagne prit le titre de roi des Lombards et reçut à Monza la fameuse couronne de fer.
Cet homme qu'on appelle Rex Francorum en Austrasie était le petit-fils du grossier barbare qu'était Charles Martel et le fils de Pépin le Bref, dont l'intelligence cléricale devait être brève aussi, ce qui explique qu'il avait le génie entreprenant et peu scrupuleux des hommes d'origine inférieure. Il rêva les grandes entreprises, la domination universelle. Il embrassa le Catholicisme par politique, le propagea par ambition, mais ne rendit au pape qu'un hommage illusoire, quoiqu'il feignît de recevoir la couronne impériale de ses mains. En réalité, c'était un monarque orgueilleux, qui voulait abaisser la papauté (1).
C'est pour cela qu'il recommande à son fils Louis, quand il l'associe à l'Empire à Aix-la-Chapelle, de prendre lui-même la couronne sur l'autel pour montrer qu'il ne reconnaissait pas à un homme, à un pape, une autorité morale supérieure à la sienne. Cela n'empêchait pas Charlemagne de proclamer l'autorité de l'Église quand il y avait un intérêt. Ainsi, il répondit au roi des Sarrasins d'Espagne, qui lui reprochait de venir enlever une terre sur laquelle il n'avait aucun droit : « Les Chrétiens sont élus sur tous les autres gens ; ils ont, par Jésus-Christ, la Seigneurie du monde entier. » C'était une façon de copier l'antique idée d'un « peuple choisi », si longtemps proclamée par les Hébreux.
Cependant, l'appui donné par les souverains à l'Église affermissait la tyrannie des évêques qui arrivaient à jouir d'un pouvoir considérable, exigeant une obéissance passive du clergé et des laïques. Ils s'étaient élevés jusqu'à la puissance absolue par la papauté confiée à l'évêque de Rome, et ce fut la bêtise de Pépin qui sanctionna cette puissance, lui donnant un royaume en lui concédant l'exarchat de Ravenne et la Pentapole, sous le nom d'« États de l'Église » (en 755).
Cette donation fut confirmée par Charlemagne en 774.
Ce monarque voulut rétablir l'empire romain. Il saisit dans Rome la couronne impériale que lui offrait le pape Léon.
L'empire qu'il posséda surpassa même celui des Romains en Occident.
Très masculin, son intelligence n'était pas ouverte sur les choses spirituelles. Il n'avait que l'ambition d'un conquérant territorial : agrandir son empire, mais non l'éclairer. C'est pour cette raison que cela n'eut pas de durée. Il embrassa la religion catholique parce qu'elle était masculiniste, donc populaire, puisqu'elle flattait les masses ignorantes, mais il n'y croyait pas et n'avait pour le pape ni respect ni soumission. S'il propagea la doctrine de l'Église dans les écoles catholiques, c'était pour complaire à ceux qui voulaient abattre ce qui restait de la puissance féministe.
Si un homme comme Charlemagne associait à son œuvre de conquête un mouvement spirituel, il gagnerait le monde entier ; mais c'est toujours par la restriction qu'ils mettent à leur mouvement que leur entreprise avorte. Ce fut une œuvre d'intérêt personnel au lieu d'être une œuvre d'intérêt collectif ; aussi cela ne dura que jusqu'à sa fin, il n'en resta rien après lui.
(1) Charlemagne, né en 742, régna avec son frère Carloman, en 768, à la mort de son père, puis seul en 771. Il fut sacré empereur d'Occident en 800 par Léon III et mourut en 814. Il était petit de taille et médiocre d'esprit. Il établit le Saint-Empire d'Occident, qui commença en 800, et finit en 887, à la déposition de Charles le Gros.

LA LÉGENDE DU DIABLE
N'est-ce pas Voltaire qui a dit que le Christianisme, c'est l'histoire du Diable ?
« Dieu et le Diable, dit Nicole, c'est toute la religion. »
Or Dieu et le Diable ne sont que les symboles des deux sexes, la Déesse et le Dieu.
« Satan, c'est l'homme à ses dernières limites de défaillance », a très bien dit M. Jules Bois, qui, dans Le Satanisme et la Magie (p. 37), le définit ainsi : « Satan, racine de l'anarchiste et du sophiste, du malheureux prolétaire et du dominateur ; il est le mal universel, le grondement de ce moi néfaste dont tous, à de certaines heures, même les meilleurs, même les plus purs, nous grimaçons, nous hurlons. Ce Satan, c'est la volupté mère des désastres, le ferment de paresse et de violence, et la colère, la bêtise vorace et sans yeux. »
Comme on fait du Diable le type de la ruse, on lui attribue des déguisements, des métamorphoses. Et ce sont les plus rusés, les plus réellement sataniques qui poursuivent le Diable partout, qui le voient sans cesse autour d'eux, reflet de leur imagination. Ils le mettent dans leurs ennemis, lui donnent le nez juif, le font résider dans les synagogues, mais ils le mettent surtout dans la Femme. N'a-t-on pas vu sortir d'un frêle corps de jeune fille des légions de démons ? Leur Évangile en est plein.
L'exagération de l'esprit de l'homme n'a pas de limites. Quand il met ce qui est en lui hors de lui, il l'amplifie jusqu'à l'infini.
C'est Satan qui commet toutes les infamies que ces hommes vont faire subir aux femmes, tous les actes abjects qu'ils exigent d'elles, et auxquels elles se soumettent craintives, terrorisées. Ils inventent des démons incubes et succubes, moyen commode de se soustraire à la responsabilité de leurs actes. Ces saints hommes ne violaient jamais une fille, c'était toujours un incube qui avait fait le coup (1).
La femme, du reste, était diablesse, quand ils la craignaient. Saint Antoine, pris en flagrant délit de débauche, jette des cris d'horreur ; lui, le saint homme, il résistait aux tentations d'une effrontée courtisane !... C'est une des formes de l'inversion psychique des sexes, déjà mise en usage dans la légende du vertueux Joseph résistant à la femme de Putiphar.
Satan est souvent appelé en grec διάβολος, le détracteur ou l'accusateur, d'où on fait le « Diable ». C'est le détracteur de la femme, son éternel calomniateur, parce que perpétuellement il lui attribue sa nature, ses vices, ses fautes. Il se blanchit en l'accusant.
Satan apparaît dans la Sapience (II, 23-24) comme introduisant « par envie » la mort, dans le monde où Dieu venait de créer l'homme à son image.
Dans l' Apocalypse, il s'appelle aussi le « Dragon », le « Serpent », ce qui est encore emprunté aux mythologies orientales. Le verset XII - 9 l'identifie avec le serpent de la Genèse. C'est Ahriman entouré de tout un peuple d'esprits malfaisants.
Les Israélites de Palestine nomment les démons Shedim, mot qui signifie : les puissants, les maîtres. Ce mot se trouve deux fois dans la Bible, où il désigne les dieux mâles des Gentils, que les Juifs plus tard identifient avec les démons. Nous trouvons Asmodée mentionné dans Tobie (III, 8). C'est un nom qui vient de la Perse.
Béelzébuth est une altération de Baalzéboub, c'est-à-dire « le Baal des mouches » (malfaisantes).
Les princes du satanisme sont Asmodée, Bélial, Béelzébuth, Moloch, Baal-Phégor.
Le Diable est le singe de Dieu, dit-on ; c'est l'homme qui imite la femme et prend sa place. On le représente sous des formes hideuses, symbolisant tous les aspects du mal : la laideur accompagne toujours la méchanceté. Cependant, la perversion est quelquefois logée dans de beaux hommes, mais l'expression, de la haine, de la jalousie et de l'orgueil les rendra laids.
Saul était un de ces hommes possédés du mauvais esprit. On lit dans Samuel (XVI, 15), à propos de son état mental, qu'« une influence malfaisante troubla Saul et lui causa un délire dont la musique de David le soulageait ».
Mais les rédacteurs qui changèrent l'esprit de la Bible ont mis dans le texte « une influence malfaisante venant de Ievah » (Hevah). Voilà donc un passage (le seul de ce genre, du reste) où l'homme attribue à l'influence de la femme l'état mental des dégénérés. Ce passage a dû être ainsi rédigé à l'époque où se manifestait chez les hommes la haine de la Déesse Ievah, par réaction contre les femmes qui lui prodiguaient leurs louanges.
L'action du Diable peut s'exercer de trois manières, correspondant aux formes de l'action divine, dont elle suit tous les mouvements (puisque le Diable imite la Divinité, l'homme imite la Femme). Ces trois manières sont : la tentation (2), l'obsession et la possession. La femme tentée, la femme obsédée, la femme possédée, c'est la Divinité vaincue.
C'est par le bruit, le vacarme, les apparitions effroyables, les vexations de toutes natures, la persécution sous toutes ses formes sensibles, que le Diable agit et opère.
On lui attribue des ricanements, des cris d'animaux, des éclats de rire, des sifflements de serpent, des miaulements de chat, des coassements de crapaud, des coups frappés sur un rythme quelconque, des vociférations, bruit et tumulte.
Le ricanement, c'est le triomphe du Diable.
Le démon, c'est celui qui dit : non serviam, je ne servirai pas. C'est le révolté qui veut se soustraire à la loi du travail. Le premier type démoniaque fut Caïn.
Il s'est perpétué à travers les générations. Et on néglige d'apprendre à la jeunesse moderne que les manifestations auxquelles elle se livre en face de la Femme qui veut faire briller la Vérité ou rétablir la Justice, sont celles qui ont toujours été considérées comme les manifestations de l'Esprit du Mal.
Le rire de Satan exprime le plaisir du mal, la joie du mensonge qui triomphe, de la ruse qui a réussi.
La Diablerie ne fut, au fond, qu'une forme de la lutte des sexes, forme grotesque autant qu'odieuse (3).
« Le Mal, dit l'Église, est l'œuvre du Diable, qui se sert des passions naturelles de l'homme pour le produire, comme le Bien résulte d'une coopération de la grâce efficace avec ces mêmes appétences. » Il en résulte que l'histoire de l'humanité n'est qu'une guerre de tous les jours, de toutes les heures, de toutes les minutes, entre la passion de l'homme et la nature privilégiée de la Femme en qui opère la grâce efficace.
Les Pères de l'Église prirent le diable aux derniers Zoroastriens, qui voyaient dans les Dew des Perses des diables, ou le Mal. Et le mot evil (Mal) a pris place dans toutes les langues, c'est devil, diabolos, diable, diavolo, Teufel.
Aux premiers siècles de l'ère chrétienne, les Diables avaient changé de nature, comme les Dieux ; ce n'étaient plus des êtres réels, c'étaient des démons surnaturels.
Le « Saint » Père va inventer la légende du Diable, le mauvais esprit, dont il fera son ennemi, mais qui, en réalité, est son frère, ou plutôt son image, qu'il désavoue et met hors du monde. Toute son imagination fantasque va s'exercer sur ce thème et créer la Diablerie du Moyen Âge.
Quand l'identité réelle des diables était surprise, ils devenaient des esprits invisibles, cause de tous nos maux. On disait des malades qu'ils avaient un démon, et on recourait pour le chasser à des opérations mystérieuses. C'est en cela que consistait la médecine des mages. Josèphe raconte (Antiq., VIII, 2, 5) que de son temps un Juif nommé Éléazar chassa un démon du corps d'un malade en présence de Vespasien, de ses fils et de ses officiers, en lui mettant sous le nez un anneau dans le chaton duquel était une racine d'une vertu miraculeuse ; dès que le malade l'eut respirée, le démon lui sortit par les narines. Éléazar ajoutait à cette cure des conjurations ou exorcismes pour que le démon ne rentrât plus dans le corps qu'il avait quitté. Josèphe prétend que ce secret merveilleux avait été trouvé par Salomon, qui en avait laissé par écrit les formules ; mais la Bible ne contient rien de semblable. Le livre de M. F. Lenormand, La Magie chez les Chaldéens (1874), contient là-dessus des développements très curieux.
Parmi les livres qui faisaient autorité à cette époque, on cite Dialogus miraculorum de Cæsarius d'Heisterbach ; c'était un ouvrage plein de divagations, montrant le diable partout et auteur de tout.
Ammonius le Péripatéticien, qui professait la philosophie à Alexandrie vers la fin du Vème siècle, vit le diable assister à son cours sous la forme d'un âne.
Quelle philosophie pouvait bien enseigner un homme qui voyait de pareilles choses ? N'eût-il pas mieux valu laisser Hypathie continuer son enseignement ?...
Cicéron se glorifie d'avoir reçu à sa table un Druide des Gaules et d'avoir parlé science avec lui, alors que ces docteurs n'étaient que des diseurs de bonne aventure.
Et c'est pour laisser aux hommes le pouvoir d'enseigner de pareilles aberrations, qu'on créa des Écoles masculines.
Nous voulons dire par là des Écoles où l'enseignement était donné par des hommes, car les femmes étaient admises partout comme élèves. Ce n'est que vers le IXème siècle que la coéducation cessera.
(1) Voici une des ruses du diable : pour discréditer saint Sylvain, évêque de Nazareth, il prit les traits, la voix, le maintien de ce saint homme, et pénétra la nuit dans la chambre d'une noble dame à qui il osa faire des propositions déshonnêtes. Aux cris que poussa la dame, on accourut et on trouva le diable, qui n'avait pas quitté la forme de l'évêque, blotti derrière le lit. Tout le monde dans la ville crut que c'était bien l'évêque qui avait été pris et chassé ignominieusement, mais Sylvain en référa au jugement de saint Jérôme et força le diable, sur le tombeau de ce saint, à avouer la ruse infâme.
(2) Dans les Évangiles, c'est le Diable qui tente Jésus, parce qu'on donne à Jésus les caractères divins de la Femme, ceux du Christ (Kyria).
(3) La signification antique des mots est restée dans le langage vulgaire. D'un homme on dira, s'il est malheureux : « c'est un pauvre diable » ; s'il n'est pas trop mauvais : « c'est un bon diable », etc.

LE SABBAT RIDICULISÉ PAR LES MASCULINISTES
Le sabbat, qui était le samedi saint, était le jour sacré, attendu, où le désir de l'homme, contenu pendant les six jours de la semaine, allait enfin trouver une satisfaction légitime, approuvée, sanctifiée, attendue par la femme elle-même, heureuse de se donner à qui a su la mériter par une chaste attente.
C'est la loi morale réalisée, l'accord entre la loi de nature qui veut et la loi morale qui retient. Aussi, comme l'idée qu'elle contient est ancrée dans les esprits ! Comme il sait bien, l'homme simple, qu'il faut un frein à ses tumultueux instincts, et comme il accepte volontiers cette loi quand il en comprend la raison ! Mais la horde immonde des Judaïtes-Pauliniens vint renverser la loi et faire de la luxure sa religion ; celle-là n'a que faire des sabbats, il lui faut toute la semaine pour donner cours à ses folies erotiques.
Alors, renversant la loi, il dit : « six jours de plaisir, un jour d'abstinence ». Et le dimanche vient remplacer le jour saint, le jour donné à la Déesse ; et ce jour-là devient sanctifié pour le prêtre parce que c'est le jour d'abstinence : l'idée est renversée, c'est la sanctification à rebours, en même temps que c'est la profanation de la Loi.
Mais les bons hommes ne veulent pas de ces licences, ils se révoltent et gardent leurs antiques usages.
Les femmes surtout récriminent contre cette débauche permise qui les outrage. Alors la bête immonde s'irrite de cette indocilité à suivre ses exemples maudits et se venge, comme toujours, en bavant, en calomniant, en déshonorant ceux qui montrent du doigt ses impostures. Et le sabbat devient l'objet d'une infâme légende, d'une parodie grotesque ; ils en font une description qui n'est, au fond, que le tableau de leurs propres débauches.
Le sabbat des Judaïtes était célébré la nuit au clair de la lune ou à la lueur des torches résineuses, au milieu des bois, dans des landes, dans des cavernes ou dans des forêts, quelquefois dans un endroit qu'on appelait « les champs du bouc ». La foule des gens impurs s'y rendait, des bohémiens, des paysans, des bateleurs, de mauvais clercs. Hommes et femmes, garçons et filles, s'y réunissaient pour célébrer leurs Mystères qu'ils appelaient Eucharistie, du grec ευχαριστία (ce qui existe de plus gracieux, de plus doux), le plaisir. C'est là qu'on entendait la messe noire célébrée par « le Diable ayant à son côté la royne du sabbat ». Celle qui était ainsi chargée de présider à ces orgies parodiait la glorieuse Reine des sabbats saints ; c'était une vieille fille ignoble imitant la Vestale. Quelquefois ils installaient leur foire en face des Temples, sur la place même où le peuple dansait suivant les anciens rites. On communiait, avec une hostie noire, puis on dansait autour de l'autel, en rond, dos à dos, ignoble chahut d'une foule débraillée ou déguenillée, se livrant à des danses grotesques qui Adulaient parodier les gracieux mouvements cadencés des danses sacrées. Puis suivaient toutes sortes de jeux, des sauts, des cris sauvages (en Gascogne on sautait, en Bretagne on dansait), tout cela, au son d'une musique de circonstance faite de tambours qui battaient, de flûtes qui sifflaient, de violons qui grinçaient. Et, dans le lieu solitaire choisi pour l'orgie, toute cette canaille grouillante et grimaçante (il y en eut quelquefois douze à quinze mille) s'installait sous des tentes qu'ils avaient apportées et déballait des victuailles, de la vaisselle, des bouteilles, pour le festin qui était éclairé par des cierges noirs faits de graisse humaine, et, dans la folie qui suivait les ivresses, toute cette plèbe faite d'assassins et de voleurs se livrait à des amours ordurières, là se commettaient d'épouvantables débauches, des fureurs, lubriques sans pareilles, c'est ce qu'ils appelaient « la communion ».
Souvent incestueux, souvent anthropophages, on les a vus quelquefois choisir un cimetière pour leurs ébats, afin d'avoir une profanation de plus, celle de la mort, à consommer.
Ou bien, ils se cachent dans des ruines, dans des cavernes, quelquefois, par ironie, dans l'Hôtel des Juges. On amenait à ces cérémonies abjectes un coq, incarnation du Diable, emblème mâle, que le Catholicisme gardera et mettra sur la flèche de ses églises (1).
C'est là que s'accomplit l'inceste, que le vieux père ignoble mène sa jeune fille et la prend, et ce père disait qu'il offrait à Dieu les prémices de ses créatures.
On mêlait à l'orgie toutes les haines accumulées, on maudissait les rois , les épiscopes des premiers Chrétiens, les diacres, et surtout Johana, qu'on appelait « Jean Nicot » (celui à qui on fait la nique) ; C'est ainsi qu'un instinct de révolte poussait ces gens à maudire ce que les autres avaient sanctifié. On narguait les dieux et les Déesses, pêle-mêle, les dames et les seigneurs.
La parodie du sabbat remonte loin, car elle est chantée dans les hymnes orphiques composés dans les premiers temps de l'orgie judaïte. C'est à tort qu'on assigne à ces hymnes une date de beaucoup antérieure.
Ce renversement de l'antique loi morale fut d'abord une révolte, un acte délictueux ; plus tard, en se propageant, il devint un usage, il se modifia, s'amenda, s'organisa, et finalement cette parodie des anciens Mystères se résuma dans une cérémonie qui va devenir la messe des Catholiques.
(1 ) La messe de minuit des Catholiques restera la misa del gallo, la messe du coq. On célébrait ce sacrifice pour le souverain des Gaules, disait-on, parce qu'on faisait un jeu de mots, confondant les Galles (Gaulois) avec Gallus (coq).
Le coq gaulois est resté dans les langues latines : « el gallo ».

LES ÉCROUELLES GUÉRIES PAR LES ROIS DE FRANCE
Ce ne sont pas seulement les prêtres, ce sont aussi les rois qui font des miracles ; c'est-à-dire que le fait d'être au pouvoir donne à l'homme le droit d'être absurde, parce que personne n'a le droit de le lui dire.
Charles V disait : « Tant que Sapience sera honorée en ce royaume, il continuera à prospérer, et quand déboutée sera, décherra. » Donc, c'est la lutte contre la science. Quelle science ?  
Raoul de Presles disait à Charles V : « Vos devanciers et vous avez telle puissance, qui vous est donnée et attribuée de Dieu, que vous faites miracles en votre vie, telles si grandes et apertes que vous garissez d'une très horrible maladie, qui s'appelle les escroelles, de laquelle nul autre prince terrien ne peut garir, ors vous » (1).
Cette dernière phrase était une flatterie. A cette époque, d'autres que les rois de France faisaient des miracles ; c'était la folie du temps ; les rois de Hongrie guérissaient la jaunisse, les rois de Castille les démoniaques, et les rois d'Angleterre les épileptiques ; ils prétendaient même guérir aussi les écrouelles, rivalisant ainsi de puissance miraculeuse avec les rois de France.
Du reste, il n'y avait pas que les rois qui avaient le don de guérir. On soutenait alors que tout enfant qui venait au monde une main en avant et avait aussitôt touché un cochon de lait, avait le même pouvoir que le roi de guérir les écrouelles. On se demande si, en prévision du cas possible d'un enfant mal placé, on avait toujours, près du lit d'une accouchée, un petit cochon de lait...
Le fils aîné du baron d'Aumont, comte de Châteauroux, guérissait aussi cette maladie. On disait encore que ce même pouvoir était donné au septième enfant mâle né d'un même père, sans que la naissance d'une fille soit venue interrompre la série des garçons.
Les bonnes gens croyaient sincèrement que cet affreux mal « dont le germe est une cacochimie, l'apparence d'un ulcère hideux à voir, dangereux au toucher et incurable, était tenu de disparaître sans autre formalité que l'attouchement de nos roi et par la seule parole, sans anneaux, sans simples et sans autres ingrédients et préceptes particuliers, ainsi vraiment par racle ».
Hélas ! le miracle n'était qu'un effet d'imagination ; mais qui aurait osé se plaindre d'avoir été trompé par le roi ?
C'était après le sacre des souverains, la veille des fêtes, Pâques, à la Pentecôte, à la Toussaint, à Noël, que cette comédie se jouait.
Le prévôt de Paris faisait publier le jour et l'endroit de cérémonie ; les malades s'y rendaient de bon matin.
Le premier médecin et les médecins ordinaires les visitaient et ne gardaient que ceux qui étaient sérieusement atteints, rangeait les malades sur plusieurs lignes, à genoux, les mains jointes. Le roi arrivait avec une suite nombreuse de princes, de prélats et de gardes du corps. Il s'approchait de chaque malade lui traçait sur le visage le signe de la croix avec la main droite puis répétait à chacun : « Le Roi te touche, Dieu te guérit. »
Et les rois se soumettaient tous à cette répugnante cérémonie, à cette folie malpropre.
C'est à Clovis que l'on fait remonter toutes les institutions auxquelles on veut donner une haute antiquité. Ainsi, les chroniqueurs, qui ne sont pas d'accord sur l'origine du privilège accordé (par qui ?) aux rois de France de guérir les écrouelles, le font remonter à Clovis.
Voici la légende qui accrédite cette croyance :
On sait que l'Église raconte que Clovis fut baptisé à Reims par saint Rémi et oint de l'huile divine qu'une colombe avait apportée du ciel. La vertu de guérir les écrouelles émanait précisément de ce Saint-Chrême, qui servit dans la suite au sacre de tous les rois.
Ici, une parenthèse. Nous avons expliqué la signification de l'onction, reçue par la femme et donnée par l'homme, qui se trouve, par ce fait, con-sacré, c'est-à-dire élu par la femme, qui fait de lui son prêtre domestique, son sacrificateur. Cette antique idée d'une onction reçue persiste, mais le sexe de celui qui la reçoit a changé, puisque partout il y a eu renversement sexuel. Du reste, le fait lui-même est devenu un symbole, mais il n'en est pas moins curieux de voir la colombe, cette antique personnification de Vénus, apporter le Saint-Chrême.
Donc, voilà que le fait d'être oint donne à l'homme des vertus féminines, entre autres celle de guérir les malades.
L'Église, qui prend toutes ces adaptations au sérieux, raconte ainsi l'origine de ce don de guérison :
« Un jour, comme le Roy Clovis sommeillait, il luy fut advis qu'il touchait doucement et maniait le col et la playe à Lancinet et qu'aussitôt son lict fut tout brillant et enflammé d'un feu céleste, et qu'à même instant Lancinet se trouva guéri, sans qu'il parût aucune cicatrice. Le Roy s'étant levé plus joyeux que de coutume, tout aussi tost qu'il fit jour, il fit son premier essai et essaya de le guérir en le touchant ; et estant arrivé comme il désirait, avec l'applaudissement de tout le monde, en ayant rendu généralement grâce à Dieu, toujours depuis cette grâce et faculté a esté comme héréditaire aux rois de France et s'est infusée et transmise à la postérité, la tenant purement de Dieu ».
Clovis mourut le 27 novembre 511.
(1) Traduction de la Cité de Dieu, dédicace au roi, 1386 (p. 2).

LA FLEUR DE LYS
On sait que les Féministes ont toujours eu comme emblème une fleur sacrée représentant le sexe féminin.
En Asie, en Egypte, c'est le lotus. A Rome, c'est la rose.
Chez les Celtes, le lotus prend le nom de lys.
Mais d'abord les peuples du Nord ont le Nénu-phar (Nénu, nien, ninus ; et ce mot phar, qui complète le nom, est celui qui entre dans les mots phara-on et phara-mond).
Le lotus a disparu, mais il a laissé dans les langues du Nord le verbe louteren, qui signifie laver, purifier, parce que dans les initiations on lavait ou purifiait ceux à qui on conférait le droit de se ranger sous la bannière du lotus, ou du lys (de là la confession).
Lodwitsch signifie « fils du lotus ». C'est le nom qu'on donnait aux initiés avant leur trahison. Mais après ils en firent Lodoïx, Ludovicus, Louis, et, du signe sacré féminin, ils firent un signe infamant.
Sous Clovis, on marquait les criminels (du moins ceux que l'on voulait reconnaître comme tels) d'une fleur de lys imprimée d'une façon ineffaçable sur l'épaule. C'était le signe infamant, parce que c'était l'emblème des anciens partisans du régime gynécocratique. Plus tard, cet emblème gardant son prestige malgré tout, les masculinistes l'adoptèrent pour se donner les apparences de la légitimité que ce symbole représentait toujours dans l'esprit populaire.
M. Herriot, qui, dans les Annales, décrit le costume des femmes antiques, nous dit qu'une statue de Clotilde, au porche de Saint-Germain-des-Prés, nous la montre portant une couronne décorée d'ornements qui semblent présager la fleur de lys des futurs rois de France.
Ce qui veut dire que les femmes portaient encore la fleur de lys.
Dans une quantité d'anciennes images, on trouve le lotus sacré.
Dans une vieille église de Bruxelles, on voit un tableau représentant saint Joachim et sainte Anne ; il sort de leur cœur deux tiges, qui se réunissent en une seule, supportant un lotus dans lequel, comme dans un berceau, sont Jésus, Marie, Joseph : ce qui prouve que les Catholiques appliquaient tous les symboles à leur dogme, sans les comprendre.

NEUVIÈME SIÈCLE
Les Germains (Hollandais et Flamands) n'ont accepté le Catholicisme qu'au IXème siècle. A ce moment, du reste, il est à peine sorti de la période de transition.
La femme tient encore le pouvoir spirituel et l'homme le pouvoir temporel. Et, quand on nous parle des couvents de femmes, il ne faut pas croire que ces monastères ressemblent à ceux que le Catholicisme instituera plus tard.
Nous avons un document précieux de l'époque, qui va nous montrer que les femmes chrétiennes du IXème siècle étaient encore Diaconesses, Abbesses, grandes Maîtresses, et parfaitement libres de leurs actes, et de plus qu'elles n'acceptaient pas encore l'autorité spirituelle du prêtre. C'est un congrès de femmes tenu à Nivelle (Communication faite au Congrès du Droit des Femmes en 1889 par Mme Nelly Lieutier).

UN CONCILE DE FEMMES AU IXème SIÈCLE
Il y avait, dans le Hainaut français, une vaste forêt au milieu de laquelle Iduberge, épouse de Pépin de Landen, maire du palais des rois francs, fit défricher un assez grand espace pour y fonder une maison religieuse.
Cette maison et son église furent terminées en l'an 647, et ce fut sainte Gertrude, fille de la fondatrice, qui en fut la première abbesse. Elle prit le nom d'abbaye de Nivelle. Gertrude n'avait que 21 ans lorsqu'elle prononça ses voeux. Elle rassembla autour d'elle les filles des grands du royaume, dont l'éducation était fort négligée, mais elle n'exigeait pas d'elles le voeu de virginité ; elles devaient suivre les règles de la maison tant qu'elles y demeureraient ; mais elles étaient libres de la quitter lorsque leur venait le désir ou l'occasion de se marier.
Les chanoinesses de Nivelle consacraient la matinée aux exercices de piété sous le vêtement de l'Ordre, et, le reste de la journée, elles pouvaient rentrer dans le monde ; mais l'abbesse, à l'exemple de sainte Gertrude, faisait toujours, avant son élection, le grand voeu de virginité.
Cent soixante-dix ans avaient passé depuis la mort de Gertrude, et plusieurs abbesses lui avaient succédé. Peu à peu, des habitations s'étaient agglomérées autour de l'abbaye, et Nivelle était devenue une ville avec ses portes, ses fortifications et ses tours, mais une ville indépendante, soumise à la seule suzeraineté de l'abbesse, qu'on appelait la Princesse.
Or, le 22 mai de l'an 820, Nivelle était dans toute sa splendeur. Ce jour-là, Messire Valcaud, évêque de Liège, en tournée dans son vaste diocèse, avait promis de visiter Nivelle. Il devait même y séjourner trois jours, et l'on n'avait rien négligé pour lui rendre sa visite agréable. La veille, plusieurs grands personnages, tels que le duc de Louvain, le comte Albin de Mons et plusieurs autres, étaient arrivés dans la ville, et on les avait logés autour de l'abbaye ; mais aucun des hommes d'armes brabançons ou étrangers qui les accompagnaient n'avait pu mettre le pied dans la cité. Telle était la loi établie par les abbesses souveraines de Nivelle. Jalouses de leur autorité et du bien-être de la population qu'elles protégeaient, elles craignaient toujours que les seigneurs n'entreprissent quelque félonie contre leurs franchises. Enfin, le signal de l'arrivée de l'évêque fut donné et le cortège se mit en marche au-devant de lui. C'était d'abord Madame l'Abbesse dans ses habits d'apparat, la croix d'or en main et montée sur une haquenée blanche.
Elle était suivie de seize autres palefrois (chevaux de parade), portant autant de nobles demoiselles en longues robes blanches rehaussées d'une palatine d'hermine, puis les baillis, les seigneurs et les gens de justice.
Au même moment arrive Messire Valcaud, monté sur un beau cheval d'Espagne que lui avait donné l'empereur Louis le Débonnaire, pendant le Concile d'Aix-la-Chapelle, l'année précédente.
On fit à l'évêque tous les honneurs exigés par son rang et on le fit entrer dans la ville.
Mais voici bien une autre histoire !...
Messire Valcaud ne venait à l'abbaye de Nivelle que pour apporter aux chanoinesses une règle de vie plus austère que celle qu'elles avaient suivie jusque là.
Telle était la décision du Concile d'Aix-la-Chapelle ! Arrivé dans l'église, l'évêque de Liège, qui voulait être suzerain temporel de Nivelle, monta en chaire, et, après avoir donné sa bénédiction, il déclara qu'il venait apporter la règle de saint Benoît que devaient suivre toutes les religieuses demeurant dans l'empire. Et il lut cette règle, d'où il résultait que toute religieuse de Nivelle devait se reconnaître dépendante de l'évêque et du pouvoir séculier et faire désormais vœu de chasteté perpétuelle.
Cette lecture, faite avec solennité, fut suivie d'un grand silence. Au bout de quelques instants, une rumeur sourde bourdonna ; les regards des assistants se portaient alternativement de la chaire, où l'évêque Valcaud semblait attendre une adhésion, à la balustrade du chœur, où l'abbesse venait de s'avancer avec gravité, suivie de ses chanoinesses.
Hiltrude, c'était le nom de l'abbesse, était la fille de Lyderick II, souverain de la Flandre sous la suzeraineté de l'empereur. C'était une femme de trente-cinq à quarante ans, de cette beauté grave que conserve une vie régulière. Elle avait beaucoup médité sur l'éducation des femmes, et, sous cette règle sage, sans sévérité, elle formait les jeunes filles qui lui étaient confiées à la pratique des vertus qui font la dignité et le bonheur.
Debout à l'entrée du chœur, l'abbesse fit signe qu'elle allait parler ; le silence se rétablit à l'instant, et elle dit :
« Au nom du chapitre de sainte Gertrude, nous protestons contre tout empiétement temporel sur le domaine et la seigneurie dudit chapitre.
« Nous voulons conserver le droit de prendre un époux quand bon nous semblera. Nous sommes, en conséquence, fermement résolues à suivre toujours, comme nous l'avons fait, la règle de notre sainte patronne ; et, si cette protestation ne suffit pas, nous sommes disposées à suivre notre appel par-devant notre Saint-Père le pape. »
L'évêque, mécontent, déclara qu'il maintenait la règle donnée par le Concile d'Aix ; puis, descendant de la chaire, il ordonna à ses gens de le suivre et de sortir à l'instant de Nivelle. Il refusa d'assister aux fêtes préparées pour lui et traversa la foule ébahie par son départ. Après cette explosion, Hiltrude, prenant l'affaire au sérieux, ne négligea rien pour faire réussir l'appel du chapitre. Elle expédia immédiatement un courrier au pape, un autre à Louis le Débonnaire ; mais la sage abbesse ne borna pas là ses démarches et ses précautions. Sans communiquer son projet à personne, elle convoqua à Nivelle toutes les abbesses de l'empire français, leur recommandant le silence et leur assurant toute sécurité dans sa ville.
Les abbesses convoquées ne devaient se réunir que le 1er mai 821. Il avait fallu près d'une année de démarches pour arriver à ce résultat, ce qui prouve que la diplomatie de ce temps-là ne marchait pas plus vite que celle de nos jours.
Le jour fixé pour l'ouverture de ce congrès, qu'on a appelé un concile de femmes, arriva avant qu'aucune décision eût été prise sur la chose réclamée ; mais, dans l'intervalle, et comme il arrive toujours, les choses s'étaient compliquées, et, de toutes parts, on était désireux de voir la fin de ce conflit.
Hiltrude, qui voulait inaugurer avec un grand éclat son concile d'abbesses, profita du mariage du comte Albin et de la gracieuse Régine, qui avait été élevée au chapitre, pour rendre le séjour de Nivelle aussi agréable que possible aux grands personnages qu'elle attendait. Régine était chanoinesse, et il était d'usage, lorsqu'une chanoinesse se mariait, que les noces se fissent à Nivelle.
Quinze abbesses mitrées, toutes de très haut lignage, étaient, arrivées avec des suites imposantes. Leur concile fut court. Elles approuvèrent tout ce qu'avait fait Hiltrude et souscrivirent unanimement à l'appel.
Ce procès-verbal, écrit et signé, et scellé des sceaux de toutes les abbesses présentes, fut immédiatement envoyé au Saint-Siège et à Messire Valcaud lui-même. Alors, qu'arriva-t-il ? Le pape, qui n'avait pas été représenté au Concile d'Aix-la-Chapelle, l'empereur, que ces démêlés rendaient très perplexe, et même l'évêque, qui se sentait battu par la logique et la force de résistance des abbesses sur laquelle il n'avait pas compté, furent obligés de se rendre et de déclarer que, désormais, les religieuses auraient une règle pieuse, une éducation chrétienne, sans être pour cela tenues à l'austérité que l'on avait voulu leur imposer.
Ce fut une grande joie dans l'abbaye de Nivelle lorsque arriva le messager qui apportait les décisions du pape Pascal Ier ; et depuis ce temps, ajoute le chroniqueur, on s'avisa de penser que les femmes pouvaient bien avoir quelques idées à elles, et qu'il ferait bon de ne pas toujours les traiter comme des enfants qui ne savent pas ce qu'ils font.

Si saint Benoît avait fondé les abbayes sur la règle masculine, il n'y aurait pas eu de motif pour venir, trois siècles plus tard, chercher à imposer cette règle à des femmes qui n'en veulent pas et qui prétendent rester attachées à celle de leur fondatrice sainte Gertrude.
Saint Benoît est donc une invention postérieure à la fondation de l'Ordre, et ce n'est que sous Charlemagne qu'on le voit apparaître.
Le document que nous venons de publier sur le concile des femmes au IXème siècle a une importance capitale.
En voici un autre, qui nous montre un autre aspect de la même question. C'est l'effet produit sur les femmes du peuple par les nouvelles idées qu'on veut introduire dans le monde.

Mœurs populaires. Fête de la Bonne Déesse à Oclisenbach. Tribunal de femmes. Carnaval
« C'est une coutume antique que les paysannes du village d'Ochsenbach, dans le Wurtemberg, se rassemblent tous les ans au Carnaval, pour célébrer la fête de la Bonne Déesse.
« Deux femmes, députées à la Mairie, demandent l'écot franc ; cette assurance obtenue, l'épouse du sergent de ville en fait part aux autres femmes.
« Autrefois se tenait en même temps un tribunal de femmes.
« L'épouse du pasteur était présidente ; elle était chargée de punir les femmes qui, n'avaient pas d'ordre dans leur ménage, qui soignaient mal l'éducation de leurs enfants. Une pénitence publique leur était infligée, comme laver du linge, balayer les fontaines, etc. »
Cette citation est prise dans le Magasin Pittoresque de 1833, et l'auteur de l'article ajoute : « Il est remarquable que cette cérémonie des femmes, en l'honneur d'une divinité de leur sexe, s'est évidemment glissée du paganisme dans le Christianisme. »
On la célèbre encore en quelques pays.

JEANNE LA PAPESSE
De tous les faits transmis par l'histoire de l'Église, il en est peu qui ont frappé l'imagination publique et occupé les controverses comme la question de savoir si, au IXème siècle, une femme avait occupé le trône pontifical sous le nom de Jean VIII.
Il est naturel que l'esprit clérical, qui s'est affirmé dans la haine et le mépris de la Femme à travers les siècles, soit arrivé à nier le fait comme une honte pour l'institution même de la papauté. Mais il est certain que les historiens du temps et des siècles rapprochés de cette époque l'ont affirmé de façon qui ne permet pas d'en douter.
Il est bien certain qu'une légende se forma autour de ce fait aussitôt qu'il fut connu. Voici le fond de l'histoire, dégagée de ce qui y fut ajouté par l'imagination des hommes :
Cette femme extraordinaire était née à Fulda (Hesse), d'une excellente et riche famille, et se nommait Jutta. Restée orpheline fort jeune et placée par ses tuteurs dans un couvent, son éducation y fut très soignée, car, dès son enfance, elle parlait couramment plusieurs langues étrangères. Elle venait d'atteindre sa seizième année, quand le confesseur du couvent, un jeune moine d'origine anglaise, devint follement amoureux d'elle. Il ne tarda pas à voir sa passion partagée et à en recevoir les preuves les plus positives.
Comme, à cette époque, il ne fallait pas plaisanter avec les vœux monastiques, les amants n'avaient d'autre ressource que la fuite ; pour plus de sécurité, Jutta endossa les habits masculins.
Grande et mince, un peu osseuse, point jolie, mais des traits accentués et énergiques, avec plus d'intelligence que de charme, elle n'éveilla, sous son nouveau costume, aucun soupçon. Les amants arrivèrent sans encombre à Athènes, se faisant passer pour deux frères venus d'Angleterre afin d'étudier en cette ville, et c'est ainsi que la jeune fille ne fut plus connue que sous le nom de Jean l'Anglais.
Ils vécurent heureux et tranquilles pendant plusieurs années sans que leur secret fût connu. Jutta, douée des plus hautes facultés intellectuelles, étudiait passionnément la philosophie, l'histoire, les lettres. Un événement imprévu, en brisant son cœur, décida de sa destinée : son amant mourut.
Folle de désespoir, et résolue à rester fidèle à sa mémoire, elle se jeta dans l'étude de la théologie, se fit ordonner prêtre et quitta Athènes pour aller se fixer à Rome, où son vaste savoir attira bientôt l'attention, et, toujours sous le nom de Jean l'Anglais, elle devint prêtre de paroisse.
Elle vécut ainsi pendant quelques années dans la pratique de toutes les vertus. Les talents, l'éloquence du prêtre Jean prirent une renommée telle que, à la mort de Léon IV, tous les suffrages se portèrent spontanément sur ce saint personnage comme seul digne de remplacer le pape défunt.
Les attributions de la papauté n'étaient pas encore alors ce qu'elles sont devenues depuis, puisque, même deux siècles plus tard, dans un synode tenu en 1076, Grégoire VIII, qui fut cependant un des plus remarquables pontifes romains, n'occupait encore que les fonctions d'évêque de Rome.
Dans les premiers siècles de l'Église, les évêques étaient nommés par l'acclamation du peuple assemblé. On choisissait ordinairement le pasteur de l'église la plus importante ou le plus renommé pour ses talents ou ses vertus. Cette élection faite par le suffrage des fidèles était confirmée par le clergé et les autres évêques de la province, qui imposaient les mains au nouvel élu ; toute la cérémonie de l'investiture se résumait en cette simple formalité.

Comment mourut-elle ? C'est ce que l'histoire a cherché à nous cacher ; mais nous considérons comme vraisemblable que c'est pendant la conspiration dirigée contre elle par la faction de Formose, qu'elle fut attaquée et mourut d'un coup de marteau sur la tête. C'est après sa mort qu'on constata son sexe, et alors le grand étonnement qui résulta de cette découverte exalta l'imagination des hommes, qui lui créèrent immédiatement des légendes.
Il est dans la nature de l'homme d'attaquer bassement toute femme qui s'élève et se distingue ; on attaqua celle-là après sa mort, son sexe n'ayant pas été découvert avant, et voici la légende ridicule que l'on plaça à la fin de sa vie :
Un jour, pendant une procession, non loin du Colisée, on vit le Saint Pontife donner des signes non équivoques de malaise et bientôt se tordre dans un accès de violente souffrance ; le Saint-Sacrement échappa de ses mains défaillantes, et le Pontife expira en mettant au monde un enfant du sexe féminin.
Malheureusement pour ces chroniqueurs fantaisistes, le Saint-Sacrement ne fut inventé que beaucoup plus tard, en 1264 (à peu près), par le pape Urbain IV.
Ayant inventé un accouchement pour animer le tableau de la procession et ridiculiser la femme, il fallut chercher à cet enfant un père. Les auteurs furent indécis sur cette question. Quelques-uns imaginèrent qu'un serviteur était entré inopinément dans la chambre du pape et avait surpris le secret de son sexe, l'y trouvant dévêtu. Jean VIII aurait acheté son silence en se livrant à cet homme brutal, ce qui est un conte absurde. D'autres veulent que la Papesse fût impressionnée par la beauté d'un de ses esclaves, ce qui n'est pas plus vraisemblable. Enfin, l'histoire de l'Église dit que Jean VIII mourut empoisonné par les parents d'une dame romaine, dont le mari servait à ses débauches.
Les auteurs qui ont mentionné la vie et la mort de Jeanne la Papesse ont mis autant d'intérêt dans la date de son règne que dans son genre de mort. Lorsqu'on sut que c'était d'une femme qu'il s'agissait, on voulut ternir son pontificat et le raccourcir pour en atténuer l'importance. Les uns le placèrent entre Léon IV, mort en 855, et Benoît III, mort en 858. Jean VIII aurait donc régné très peu de temps. Mais, comme la vraie chronique fait mourir ce pape en 882, il est bien évident que, si réellement elle a succédé à Léon IV en 855, elle a régné 27 ans.
Voici du reste les écrits contradictoires des historiens :
Au XIème siècle, Marcus Scolas (1038-1094) écrivait : « A Léon IV succéda une femme, Jeanne, pendant deux ans, cinq mois et quatre jours. »
Au XIIème siècle, Othon de Freisingen dans ses Chroniques, Godefroy de Viterbe dans son Panthéon, ne sont pas moins affirmatifs sur l'existence de Jeanne.
Au XIIIème siècle, l'opinion de Martinus Polonius, chapelain de Clément IV (1265-1268), est tout aussi formelle. Les attestations, d'ailleurs, sont de plus en plus nombreuses : Ranulphe, Bernard Guy, inquisiteur de la foi, Fulgose, dont la belle probité littéraire était notoire, saint Antoine de Florence, savant professeur de théologie, doublé d'un historien aussi éclairé qu'impartial ; puis Gerson, chancelier de l'Université, qui fut en outre l'âme du Concile de Constance (1414), dont l'opinion mérite, semble-t-il, quelque crédit, et enfin Æneas Silvius Piccolomini, devenu pape en 1458 sous le nom de Pie II, à la fois théologien, orateur brillant, diplomate plein de finesse, canoniste, historien, géographe, romancier et poète latin. Il paraît difficile d'admettre qu'un homme d'une pareille valeur se soit fait à la légère l'historien d'un tel épisode. Or ce fait est affirmé par lui d'une façon aussi détaillée que positive.
Un Dominicain auxerrois, Jean de Mailly, auteur papalin, ignorant la chronologie, place le récit du règne de Jeanne la Papesse en 1087, dans une chronique manuscrite écrite en 1250 (L. Weiland, Archiv. de Pertz, XII, 1874, p. 469). Voici en quels termes il la raconte :
« En ces temps (avant Victor III, qui régna de 1088 à 1099), il y eut un pape ou plutôt une papesse qui n'est point admise dans le catalogue des papes, parce qu'elle était femme et feignait d'être un homme. Par ses talents, elle devint notoire. »
Enfin, Barthélémy Sacchi, dit Platina, bibliothécaire du Vatican, par ordre de Sixte IV, publie en 1479 une histoire des papes, dans laquelle il place l'histoire de Jean VIII et déclare que ce prétendu pape était une femme d'un très grand savoir, qui, ayant fait de brillantes études à Athènes, était venue se fixer à Rome où sa réputation extraordinaire l'avait fait élire pape, en 855, époque de la mort de Léon IV.
Plus tard, devenue enceinte des œuvres d'un esclave, elle accoucha d'une fille, en pleine procession solennelle, entre le Colisée et l'église Saint-Clément, et mourut pendant l'enfantement, après deux ans, cinq mois et quatre jours de règne.
« Ceci, ajoute Platina, est positivement certain. »
La même version se retrouve dans la première édition du « Liber Pontificalis » d'Anastase, bibliothécaire du Vatican en 1602 ; ce qui prouve que les historiens copiaient tous la même version.
Théodore de Clieux, secrétaire de plusieurs papes, atteste avoir vu à Rome un groupe représentant Jeanne et sa fille. Et il ajoute que Sixte-Quint fit jeter dans le Tibre ce monument gênant. C'est toujours comme cela que finissent les légendes ; il n'est pas de chose, si extravagante soit-elle, que quelqu'un n'affirme avoir vue.
Tous les témoignages que nous venons d'invoquer prouvent que le règne de Jeanne la Papesse est un fait qui était universellement admis, et que, jusqu'à la fin du XVIème siècle, aucun auteur ne contesta.
Mais, à mesure que la suprématie spirituelle et temporelle des papes augmente et que, sous leur influence, l'esprit religieux tourne en fanatisme, nous voyons le doute surgir, les controverses s'élever, et, quand les querelles religieuses, de plus en plus passionnées, ont revêtu le fanatisme lui-même d'une férocité presque sauvage, c'est de la rage alors que l'on met à détruire ce fait, attesté cependant par des hommes dont la compétence n'est pas même à discuter, car il est remarquable que ceux qui ont enregistré cet épisode dans les annales de l'époque étaient presque tous des membres très élevés de l'épiscopat ou occupaient des fonctions importantes auprès, d'eux.
C'est que l'orgueil de l'homme grandissait ; en même temps, l'avilissement de la Femme s'accentuait, et le mépris du prêtre pour Elle devenait tel qu'il arrive à croire que la présence d'une femme sur le trône pontifical est un scandale qui rejaillit sur la sainte institution de la papauté, éclaboussée ou ridiculisée par ce fait. Et les prêtres ont essayé de reléguer parmi les fables, une histoire affirmée par des auteurs dont l'autorité ne saurait être contestée.
Quoi qu'il en ait été dit, c'est dans le texte des œuvres originales d'éminents prélats que se trouve l'épisode de la papesse Jeanne, dépourvu de toutes les variations que les traducteurs ont jugé habile ou curieux d'y ajouter.

LE CHAPELET
Le chapelet, qui tire son nom des couronnes de fleurs qu'on appelait au moyen âge chapas ou chapeaux, était la couronne spirituelle de Marie, sorte de réparation et d'expiation pour les grandes douleurs représentées par la couronne d'épines de la Déesse.
Le chapelet des Catholiques dut son origine à un jeune religieux de l'Ordre de saint François. Avant de prendre l'habit des Frères mineurs, ce jeune homme avait l'habitude de faire tous les jours une guirlande de fleurs dont il couronnait une image de Notre-Dame.
C'est lui qui eut l'idée de substituer à la couronne de fleurs la couronne spirituelle du chapelet. (Le P. Alex. Saclo, Méth. ord. pour hon. la V. M., p. 672.)
Une légende poétique rapporte que, auprès de chaque homme qui récitait consciencieusement le chapelet, se plaçait un ange qui enfilait dans un fil d'or une rose par ave, un lis d'or par dizaine, et, après avoir posé cette guirlande sur le front du dévot serviteur de Marie, disparaissait laissant après lui une douce senteur de rose.
Les rois d'Ecosse et leurs grands vassaux portaient des chapelets à dizaines d'or, pour se préserver de tout mal ; les gens plus modestes s'en faisaient avec des noisettes.
Les Géorgiens et le peuple de l'Italie se fabriquaient des corone avec des noyaux de l'azedarah.
La Rose ayant été consacrée aux grandes Déesses, tous les noms de fleurs le furent aussi :
- Le narcisse fut appelé lis de Marie.
- La rose de Jéricho, la rose de Marie.
- Le sceau de Salomon, le sceau de Marie.
- La pulmonaire tachée de blanc, le lait de Notre-Dame.
- L'Ecosse prit pour emblème son chardon bénit.
- L'Arabe appelle fumée de Marie une sorte d'absinthe à fleur blanche qui croît sur les dunes sablonneuses.
- La menthe des Alpes, le romarin et la persicaire, herbes de sainte Marie.
- Les Orientaux, y compris les Musulmans, appellent le cyclamen odoriférant bokour Myriam, parfum de Marie.
- En Perse, la même plante s'appelle tchenk Myriam (sa main).
- Une plante printanière d'Europe s'appelle manteau de Nôtre-Dame.
Tout cela, c'était l'imitation de ce que les Johannites avaient fait dans leurs Mystères, du culte que Manès avait institué dans la Rose-Croix.
Saint Dominique, fondateur des Dominicains, voulut les imiter.
En 1208, il créa le saint Rosaire en l'honneur de la dévotion à la très sainte Vierge Marie, qu'il substituait à la doctrine des Albigeois. Singulière mentalité : substituer une femme surnaturelle aux femmes naturelles !...
Dès l'an 1094, Pierre l'Ermite avait imaginé de faire en bois des grains de chapelet sur lesquels les soldats croisés, qui, pour la plupart, ne savaient pas lire, récitaient des ave, dont le nombre variait suivant la solennité des fêtes.
Avant lui, d'anciens historiens rapportent qu'on disait déjà une série d'ave sur des cordes à nœuds : per cordulam nodis distinctam. (Astolfi, Règl. de la Confr. du Rosaire ; Gabriel Pennatus, in Hist. Tripart.)
Le Rosaire (de Rose-Croix) et le chapelet, que les Italiens nomment corona, étaient en grand honneur ; les bourgeois et les gentilhommes le disaient en allant aux champs ou en revenant à la ville, les plaideurs au Palais. Les rois eux-mêmes en donnaient l'exemple : Louis XI en portait plusieurs sur sa poitrine ; un rosaire bénit était attaché au glorieux pavilllon amiral de Don Juan d'Autriche lors de la bataille de Lépante.
Remarquez les Ave, c'est la continuation du culte israélite de Hevah.
Nous soupçonnons, dans cette préoccupation de faire répéter le nom de Haveh tant de fois, une réaction contre le silence dans lequel les Juifs tenaient ce nom (voir l'article sur l'Israélisme.)

LA SORCIÈRE
La sublime Prêtresse qui chantait le cantique de la Nature, l'inspiratrice des hommes, la grande consolatrice, Celle qui était la promesse et la miséricorde, Celle qui était la science et guérissait toutes les blessures, a été chassée du temple.
L'ignorance a pris sa place et s'est faite orthodoxie. Alors, que va-t-elle devenir ?... Qu'elle le veuille ou non, la voilà destinée à l'œuvre sourde des conspirations.
« Humiliée dans les petites occupations, elle qui avait vu par-dessus nos fronts, dit Jules Bois, elle fut enfoncée dans les détails obscurs. La sibylle qu'elle porte en elle fait semblant de dormir, mais s'éveille parfois.
« La femme est en tête de l'hérésie. Chassée du temple, elle devint la sorcière. Elle paya cette révolte du plus riche et du plus précieux de son sang. Les Albigeois et les Gnostiques la glorifièrent. La sainte Sophia était pour eux la Déesse invisible. C'est dans le massacre que fut noyée cette résurrection mystique de la femme. Plus tard, quand les Bohémiens arrivent à Paris, ils disent obéir à la sublime maîtresse du feu et du métal, prêtresse d'Isis, qui dans le dernier de leurs chariots penche un front couronné de sequins sur les livres antiques. Mais la pauvre sorcière du moyen âge est encore la plus dolente. On l'extermine par hécatombes. »
Mais il faut un prétexte pour l'exterminer.
On l'accuse d'exercer un pouvoir magique, occulte et tout-puissant, pour nuire à l'homme.
Le synode de Paderborn, en son 6ème Canon, confirmé par un édit de Charlemagne, reprit la question des masques anthropophages en ces termes : « Quiconque, aveuglé par le Diable, croit, à la manière des païens, qu'une femme est sorcière et dévore des hommes, et brûle pour cela cette femme et fait manger sa chair par d'autres, doit être puni. »
Donc, on mangeait des femmes !... et on accusait les païens de cette invention, pour les noircir !
Et c'est parce qu'on mangeait des femmes qu'on accuse les sorcières de manger des hommes !...
Le synode de Riesbach et Freisingen, en 799, dit dans son 5ème Canon que « les magiciens et magiciennes devront être emprisonnés, mais que, dans aucun cas, il ne pourra être attenté à leur vie ».
Voilà des documents qui nous font connaître les mœurs qui existaient en ces temps.
La puissance donnée aux femmes sorcières était immense. Une d'elles, du pays de Constance, qui n'avait pas été invitée aux noces de son village, à cause de sa supériorité, se fit, dit-on, porter par le Diable sur une haute montagne, y creusa une fosse dans laquelle elle répandit sa sécrétion urinaire, puis prononça quelques mots magiques, et, aussitôt, un formidable orage éclata qui dispersa la noce, les ménétriers et les danseurs. Tout cela prouve que le mal qui arrivait lui était attribué : c'était sa vengeance qu'elle exerçait, l'ancienne vengeance divine à laquelle on croyait toujours, quoiqu'elle ne fût plus Déesse. Elle était devenue au moyen âge la Stryge, celle qui s'envolait par les cheminées, se précipitait du haut des montagnes, devenait une chatte, etc.
Et cependant, malgré la persécution, elle travaille, elle écrit, son esprit toujours actif se manifeste sous l'impulsion de sa plus brillante faculté, l'intuition ; c'est ce qui fait dire à Jules Bois, dans Le Satanisme et la Magie (p. 43) : « Elle se relève la nuit, écrit d'étranges pages, qui semblent ne jaillir ni de ses souvenirs, ni de ses lectures, ni de ses conversations. D'où alors ? Autour d'elle, on s'inquiète : comment croire à des fraudes ? On se récrie, on résiste, puis d'épouvante on accepte tout. C'est que l'invisible devient visible de plus en plus, il commande, il conseille, il investit la maison de sa présence outrecuidante, utile cependant. Il gère les affaires, prophétise, allonge dans la famille moderne l'ombre des vieux Dieux. »
La Fée Mélusine, la femme savante et bonne, n'était-elle pas représentée dans un corps qui finit en serpent par le Catholique qui la maudit ?
Après ce massacre de la Femme, qu'allait-il rester de la société humaine ?
« La Femme universelle, toujours refoulée par l'Eglise, la Mère étouffée par la Vierge, la Femme vraie, sans fausse honte de sa nature et de ses dons » (Jules Bois). En effet, il restait la Nature avec ses éternelles lois. Il restait la Femme !.. Déesse sans autels, Reine sans royaume, qui n'ose avouer sa royauté,... mais la prend quand même !
Mais toutes n'étaient pas des femmes fortes, des sorcières. Il y avait aussi les femmes faibles et amoureuses de l'homme perverti. Celles-là vont au prêtre, et ce sont les riches, les joyeuses, les heureuses, celles qui plaisent aux séducteurs par leurs complaisances ; elles lui apportent leurs amours et leur or. Qui oserait critiquer la sainteté de leurs intentions ? Aussi les maris se taisaient.
Ces bons Pères ! on les comblait vraiment, on les traitait comme des dieux ; il n'y avait pas assez de belles dentelles pour leurs surplis, pas assez d'or pour leurs ornements, pas d'étoffe assez belle pour les vêtir,... les saints hommes !
Des mains princières travaillaient pour eux, filaient le fin lin de leur robe... Et tout cela couvrait si bien leur boue, qu'on ne la voyait plus.
Mais les femmes fortes allaient à l'homme maudit, à celui que, par un paradoxe fréquent, le prêtre appelait « Satan », c'est-à-dire à l'homme vrai, grand et droit. Elles allaient donc au diable, elles se donnaient au diable, modeste, pauvre, déshérité comme elles.
Ce sont eux qu'on appelle les bons hommes, on les prend en pitié parce qu'ils n'ont pas l'astuce et l'hypocrisie des grands seigneurs de l'Église. Ces naïfs sont restés fidèles à l'antique loi morale ; aussi, comme ils sont ridiculisés, avilis, meurtris, les pauvres grands bons hommes, et hués par le peuple abruti ! Mais qu'importe à ces hommes ce qu'on dit d'eux ? il leur reste la vraie femme, la grande, c'est-à-dire tout, et c'est cela qui, finalement, les fera triompher.

LES PAPES au XIème SIÈCLE
La papauté était à l'encan. Benoît VIII, jeune débauché qui commença à 15 ans les infamies pontificales, acheta la tiare à 18 ans, et la paya très cher. Il fut chassé de Rome par les familles dont il troublait l'intérieur. L'empereur Conrad l'y ramena de vive force, et alors Benoît se vengea des Romains en faisant massacrer un grand nombre de pères et de maris qui le gênaient. Des femmes et des filles ainsi libérées il fit son harem.
Il fut chassé une seconde fois et remplacé par Sylvestre III, qu'il détrôna trois mois après, mais, sachant qu'on ne le tolérerait pas longtemps, il passa la tiare à son frère Jean XX, qu'il sacra lui-même. Ils étaient tous deux de la maison des marquis de Toscanelle, toujours puissante à Rome depuis le temps des Marozic et des Théodora. Benoît se retira alors chez son père à Tusculum. Au bout d'un peu de temps, il voulut encore reprendre le pouvoir, comme une première fois il l'avait fait, en détrônant Sylvestre III.
Il revint à Rome et lui redemanda la tiare qu'il lui avait cédée. Celui-ci refusa. Alors il s'empara, à main armée, du palais pontifical. Cela faisait trois papes en même temps : Benoit, Sylvestre et Jean, partageant le pouvoir, et tous les trois aussi indignes par leur vie de débauches et leurs exactions.
Alors en survint un quatrième, Grégoire VI, à qui Benoît vendit la tiare pour une somme de 1500 livres (le Codex Vaticanus dit 2000 livres).
Sur ces entrefaites, on réunit un Concile à Jutri, qui élut Clément II.
Cela faisait cinq, tous sacrés, en même temps.
Mais le plus terrible de tous, le plus mauvais, c'était toujours Benoît VIII. Celui-là parvint à se débarrasser de tous les autres. Il empoisonna Clément II et garda le pouvoir jusqu'au 19 juillet 1049. Alors, vieux et usé par tous les excès, il se retira au monastère de Grotta-Ferrata, où il fut touché de la grâce, et où il mourut peu après, réconcilié avec sa religion.
C'était sans doute un grand séducteur que ce pape, car le cardinal Bennoni assure qu'il possédait un art magique tel que les plus belles filles et femmes du pays le suivaient dans les bois ; il était pour elles irrésistible, et on attribuait cela à la magie.
Après la mort de Benoît et de Jean, on acheta encore les suffrages pour un enfant de 12 ans (1034), Benoît IX, afin de perpétuer le pontificat dans la maison de Toscanelle.
Le désordre n'avait plus de bornes. On vit, sous ce Benoît, deux autres papes élus à prix d'argent. Trois papes dans Rome s'excommunièrent réciproquement ; ils se réconcilièrent enfin, et s'entendirent pour partager entre eux les revenus de l'Église, afin de vivre dans le luxe et la paresse, chacun avec sa maîtresse. Mais ils étaient prodigues, et il arriva que chacun vendit sa part de papauté...

LES MŒURS DU CLERGÉ
Un Concile eut lieu à Reims en 1049. Il fut présidé par le pape Léon IX. Cette réunion devait être œcuménique. Elle avait pour objet de chercher à réfréner les excès des prêtres, afin de tâcher de relever l'Église dans l'estime du peuple. On n'avait pas annoncé aux évêques convoqués l'objet des délibérations, mais ils le soupçonnèrent et mirent peu d'empressement à répondre à l'invitation qu'on leur faisait. Il n'y eut en tout que 21 archevêques ou évêques, y compris le pape, qui vinrent siéger dans une assemblée qui semblait devoir contrarier leur élan dans la voie de toutes les débauches. C'est que, en effet, il s'agissait de prendre des mesures contre la simonie (c'est-à-dire la vente illicite des choses spirituelles), contre les mariages incestueux ou adultérins des prêtres, contre l'apostasie des moines et des clercs qui renonçaient à leur habit et à leur profession, contre le vol et la détention injuste du bien des pauvres, et finalement contre la sodomie.
Telles furent les questions que le diacre Pierre, chancelier de l'Église romaine, posa au Concile par ordre du pape.
Le roi de France Henri Ier avait été invité à y assister. Il avait promis de s'y rendre et d'amener avec lui les évêques de ses États, qui, du reste, avaient été invités par lettres apostoliques.
Cependant, ni le roi, ni les évêques ne parurent à ce Concile moralisateur, et l'indiscrète histoire raconte que ce fut parce que les évêques craignirent qu'on ne leur demandât compte de la manière dont leur élection avait été faite, et aussi parce qu'ils ne voulaient pas s'exposer à ce que leur conduite fût examinée de trop près. Ce sont ces saints évêques qui firent entendre au roi que sa dignité de souverain indépendant était intéressée à ce que le pape ne parût pas exercer une autorité dans ses États.
Cette prudence nous révèle le trouble de leur conscience.
Elle fut justifiée, du reste, par ce qui se passa entre ceux qui, moins prudents, s'exposèrent aux violences de langage de leurs confrères.
Sur les 20 archevêques et évêques présents au Concile, et qui semblaient devoir être les moins fautifs, il ne s'en trouva pas quatre dont la conduite fût sans reproches.
Les évêques de Trêves, de Lyon et de Besançon protestèrent de leur innocence, et on passa outre. Mais celui de Reims y mit une certaine hésitation. La commune renommée, dit la chronique, lui était peu favorable, on l'accusait de simonie et d'autres crimes plus graves encore, et, comme on était sur les lieux, il ne lui était pas facile de se disculper. Il demanda un délai, pendant lequel il consulta secrètement les évêques de Besançon, de Soissons, d'Angers, de Nevers, de Sentis, de Thérouanne, c'est-à-dire d'autres fauteurs des mêmes crimes. Ils lui conseillèrent de voir le pape en particulier et de s'entendre avec lui. Ces conciliabules réussissent toujours entre hommes coupables, toujours disposés à une indulgente complicité.
Un autre, Hugues, évêque de Langres, espérait, sans doute, détourner l'attention de sa vilaine personne en accusant les autres, encore un système connu. Il accusa d'inceste et de beaucoup d'autres méfaits l'abbé de Pontières, son diocésain. Cet abbé, présent au Concile, ne put se justifier, on le déposa. On était heureux de sacrifier les petits pour sauver les gros.
Cependant, l'évêque dénonciateur de Langres eut son tour. Le diacre Pierre, promoteur du Concile, releva contre lui des charges accablantes : adultère, inceste, sodomie, meurtres, brigandage et simonie, tout y était ; de plus, port d'armes, ce qui était un délit pour les prêtres. Tout cela fut confirmé par de nombreux témoignages. Parmi les témoins entendus était un clerc qui se plaignait que l'évêque lui eût enlevé sa femme et, après avoir abusé d'elle, l'eût fait enfermer dans un couvent. Les couvents servaient alors à enfermer les malheureux qui avaient été victimes des prêtres et dont on craignait les révélations indiscrètes.
Un autre témoin, un prêtre, se plaignait d'avoir été pris et livré par l'évêque à la brutalité de ses gens, qui lui avaient fait subir un traitement honteux, puis l'avaient dépouillé du peu d'argent qu'il avait. Le prélat accusé demanda un délai pour présenter sa défense, on le lui accorda. Il chercha aussi un appui parmi les autres criminels comme lui, vit en secret ses confrères, sûr de triompher avec leur concours, comme cela arrivait toujours en pareil cas. Mais voilà que la mauvaise chance s'en mêla. L'archevêque de Besançon, qui avait promis de le défendre, perdit tout d'un coup la parole. Dans un temps de terreur superstitieuse comme celui-là, on fut terrorisé de l'incident, et on y vit naturellement un jugement de Dieu. Aussi l'évêque incriminé se hâta de déguerpir, ce qui rendit sa défense inutile. Il fut excommunié ; le miracle émut vivement toute la prêtraille, le pape en fut attendri, il pleura, les évêques et les abbés pleurèrent avec lui, et le Concile finit dans une émotion générale. On alla en procession au tombeau de saint Rémi verser les dernières larmes de repentir que le miracle provoqua surtout chez ceux qui se virent libérés, par cette brusque fin, d'un examen de leur conduite qui aurait pu les inquiéter. C'est ainsi que les évêques de Nevers, de Coutances et de Nantes furent absous sans avoir été entendus. Mais les autres évêques de France, qui avaient jugé prudent de ne pas paraître au Concile, furent excommuniés en bloc, ce qui ne les empêcha pas de continuer à siéger chacun dans son évêché, tout comme avant, et sans rien changer à leur conduite. (Telle était l'autorité morale des papes et des Conciles.)
Cela n'allait pas mieux en Allemagne. Le pape, en quittant Reims pour s'en retourner à Rome, s'arrêta à Mayence, où il tint un autre Concile, qui ressembla beaucoup à celui qui venait d'avoir lieu en France. Là, un évêque de Spire, Sibicon, fut accusé d'adultère et d'autres crimes ; il en appela à une sorte de jugement de Dieu qu'on appelait l'examen par le Saint Sacrifice, qui lui fut favorable. Mais, la bouche lui ayant tourné depuis (autre miracle), on en conclut qu'il s'était parjuré.
En 1050, le pape Léon IX tint encore des Conciles à Rome et à Verceil, et eut encore occasion de faire des excommunications.

LES ORDRES RELIGIEUX
Les inférieurs copient toujours ceux qu'ils croient supérieurs à eux en intelligence. C'est ainsi que nous allons voir les Catholiques créer des Ordres dits religieux, qui seront la copie de celui des Chevaliers du Temple. Ils ont cru que la pauvreté est la source de grandes richesses, et ils vont reprendre les trois vœux des Templiers : vœux de pauvreté, de chasteté, et d'obéissance.
Mais ce qui différera éminemment entre eux, c'est le but de l'action à laquelle ils vont se consacrer.
Les Chevaliers du Temple travaillaient pour le triomphe de la Vérité qu'ils avaient rapportée d'Orient ; les Ordres religieux vont travailler à la propagande de la doctrine de mensonge de l'Église.

LES FRANCISCAINS
François d'Assise fonda en Europe une société sans propriété ni capital, qui devait arriver à la puissance par la pauvreté. C'est du moins l'étiquette de l'Ordre qu'il fonda. En réalité, ces mendiants franciscains ne manquaient de rien.
Né en 1182 en Ombrie, il fonda l'Ordre dit des Frères mineurs, ou Franciscains.
Il mourut en 1226.
Dans la société féodale, l'autorité procédait de la propriété. François d'Assise lui donna une autre base : elle devait être basée sur les services rendus. La société nouvelle aurait pour fondement la dignité humaine. C'était la copie de la Chevalerie. Dans une société ainsi constituée, la Femme devait être remise à sa place, et cependant c'est le contraire qui se produisit.
François d'Assise, grand diplomate, se fit tout-puissant en créant la règle des Mendiants. Cette pauvreté collective voulait imiter le communisme des premiers Chrétiens de saint Jean.
Quant au nomadisme individuel d'une armée d'ermites voyageurs, c'était l'imitation de l'Ordre des anciens Esséniens, qui avaient des hospitaliers pour recevoir les voyageurs.
On idéalisait la souffrance du peuple, tout en lui prenant son obole. On prétendait hypocritement réaliser toutes les réformes sociales demandées par les esprits éclairés : l'égalité demandée par les Pastoureaux ; la fraternité prônée par les Vaudois. Les Catholiques étaient des imitateurs qui venaient après les autres s'emparer de leurs idées et les dénaturer à leur profit.
François d'Assise vint mettre au service de l'Église les idées de fraternité qui sont dans les sociétés secrètes, d'égalité et de travail. Il créa des Fraternités de Tertiaires laïques pour imiter le triangle des initiés.
Ces Tertiaires franciscains devinrent légion. Tous les Catholiques militants s'y enrôlèrent, les classes s'y mêlèrent, unies dans une idée commune : le triomphe du masculinisme de l'Église.
Tous déclarèrent qu'ils n'avaient qu'un Père : Dieu, et une Mère : l'Église.
Et la vraie femme, où la mettaient-ils ? Nous allons le voir bientôt.
Leur Ordre était international comme les Fraternités féministes que l'on imitait. Dans cet Ordre, on devait vivre secrètement parmi les peuples et se prêter un appui matériel et moral, le cas échéant. On devait aussi combattre les ennemis de Jésus, du prêtre, de l'Église. Cet Ordre visait évidemment, comme ennemis à combattre, les Albigeois, les Templiers, les Ordres secrets.
Comme dans la Franc-Maçonnerie, ils avaient des signes pour se reconnaître et portaient des insignes. Ils prenaient aussi des mots d'ordre comme leurs adversaires, tel celui-ci : « Aimer pour croire et croire pour agir ».
Nous avons dit que nous allions bientôt parler du rôle qu'ils donnaient aux femmes. Le voici : ils les associaient à leurs intrigues et se servaient de leur puissance qu'ils dirigeaient pour arriver à leurs fins.

LES DOMINICAINS
Les Dominicains ont été fondés par un Espagnol, saint Dominique, né à Calahorra en 1170.
Quoiqu'il fût plus âgé que saint François, son Ordre fut fondé après celui des Franciscains.
Il fut témoin en France des progrès réalisés par les Albigeois, et s'unit aux légats envoyés par le pape Innocent III pour les combattre.
Il ouvrit son premier établissement à Toulouse en 1216.
Il fonda en Italie un couvent dédié à sainte Sabine et lui consacra l'oranger, pendant qu'à la Portioncule, près d'Assise, fleurissaient toujours les roses de saint François. Ils mettent les fleurs de leur côté.
C'est l'Ordre dominicain qui entretint la dévotion du Rosaire, qu'ils consacrèrent à Marie depuis 1270.
La légende rapporte que la Vierge apparut à Dominique et lui remit le premier chapelet dit Rosaire, parce que les gros grains, au nombre de quinze, sont appelés « roses ».
Mais, ils furent dépassés en chevalerie catholique par les Franciscains, qui maintinrent contre eux la conception immaculée de Marie.
Dominique fonda aussi un Ordre de femmes à Toulouse. Les couvents de Dominicaines furent d'abord des asiles de jeunes filles nobles, mais sainte Catherine de Sienne réforma la discipline au XIVème siècle.
Les religieuses dominicaines furent peu nombreuses en France.
Saint François d'Assise et saint Dominique ordonnèrent à leurs disciples de se répandre au milieu des peuples pour prêcher, les uns sous le nom de Frères Mineurs, les autres sous le nom de Frères prêcheurs.
On remarquera ce nom de Frères, substitué à celui de Pères par ces nouveaux religieux.
C'est que le nom de Frère, usité dans les sociétés secrètes, avait pris un grand empire dans le monde. Tout en les combattant, on les copiait.
Daanson, dans son livre sur Lucifer, nous dit (p. 146) (1) :
« Dominique créa en l'année 1216 l'Ordre des Dominicains, chez lesquels le rosaire se porte à la ceinture ; il leur ordonna de le propager parmi le peuple comme un moyen indiqué par la Vierge elle-même pour triompher de l'hérésie des Albigeois.
« Et l'année suivante, 1217, le cardinal légat d'Honorius III, Bertrand de Saint-Jean, dépêcha Montfort sur Toulouse, avec ordre d'y massacrer sans pitié hommes, femmes, vieillards, enfants. Et c'est pourquoi Louis Cœur-de-Lion, accompagné du cardinal légat Bertrand, essaya une nouvelle tentative sur Toulouse avec une armée de « pèlerins », et, n'ayant pu s'en rendre maître, passa cinq mille habitants de Marmande au fil de l'épée.
« Et c'est pourquoi ces vaillants soldats du Christ pillèrent ce qu'ils purent, massacrant les hommes et violant les femmes sur leur passage.
« Et c'est pourquoi le pape Grégoire IX chargea, en l'année 1225, les Dominicains du soin de réprimer les hérésies par les tortures.
« Et c'est pourquoi le pape Innocent III publia la bulle Ad extir pandum, autorisant quiconque découvrait un hérétique à s'emparer de sa personne et de ses biens, et exigeant du pouvoir séculier qu'il fit, sur simple demande, infliger la torture à ceux qui refuseraient de dénoncer les hérétiques de leur connaissance. »
(1) Pris dans l'Histoire de l'Inquisition au Moyen Age, de Henry-Charles Lea, traduction de Salomon Reinach.

L'INQUISITION
Nous allons voir apparaître les monstruosités juridiques de l'Inquisition, qui met les honnêtes gens à la merci des coquins, qui, après avoir supprimé l'accusation « légitime », inscriptio et in crimen subscriptio, proscrivait la défense et excommuniait la réponse, comme attentatoire à l'infaillibilité de l'Église, donc hérétique. Se défendre, c'est discuter l'autorité qui vous attaque. L'Église se fait juge sans appel. Cependant, elle a horreur du sang, dit-elle, et c'est pour cela qu'elle confie au bras séculier l'exécution des hérétiques qu'elle condamne. C'est elle qui signe la sentence, mais ce n'est pas elle qui l'exécute ; et, si le pouvoir séculier refuse de se faire bourreau à sa place, c'est lui qu'elle accuse d'hérésie. Un soupçon, une dénonciation anonyme, suffisent pour vous jeter dans la torture. C'est la délation occulte érigée en principe, le huis-clos des séances, la sécurité assurée aux témoignages à charge, le refus d'entendre les témoins à décharge ; c'est l'infamie érigée en justice, faisant au Chrétien un devoir de la trahison, un mérite de la délation, autorisant la déposition des parents contre leurs enfants, des enfants contre leurs parents, du mari contre sa femme (quant à celle de la femme contre le mari, elle devait être plus difficilement admise).
Enfin, la torture va jusqu'à introduire dans cette étrange procédure le faux témoignage de l'accusé contre lui-même. Du reste, tout accusé était d'avance perdu.
Quelle lugubre époque ! Que de supplices, d'angoisses, de désolations ! Que de mal jeté dans le monde par l'aveugle fanatisme, par l'instinct de domination, par l'affolement des criminels qui rejettent la responsabilité de leurs actes et torturent ceux qui en furent témoins !
L'Église a horreur du sang. Elle professe l'hématophobie, mais elle fait tuer par les autres.
Et l'Église se justifie en disant que l'Inquisition n'a été que le fruit des passions de quelques hommes et qu'elle ne peut en porter le poids. Étrange justification ! Car ces hommes n'étaient que la résultante de son système, le fruit de ses doctrines.
Le premier germe de l'institution du Saint-Office se trouve dans un décret du Concile de Vérone, en 1184, qui enjoint aux évêques de Lombardie de rechercher les hérétiques et de livrer au bras séculier, pour être punis, ceux qui persisteraient dans leurs erreurs. « Il n'est pas douteux, dit Lacordaire, que les premiers linéaments de l'Inquisition ne se trouvent là tout entiers, quoique informes : recherche des hérétiques par commissaires, application de peines spirituelles graduées, abandon au bras séculier en cas d'impénitence manifeste, concours des laïques et des évêques. Il n'y manque qu'une forme définitive, c'est-à-dire l'élection d'un tribunal particulier qui exerce ce nouveau mode de justice ; mais on n'en vint là que beaucoup plus tard. »
En effet, les premiers inquisiteurs dont on ait conservé le nom ne parurent qu'en 1198. C'étaient deux moines de l'Ordre de Citeaux, frère Guy et frère Rainier, que le pape Innocent III avait envoyés dans nos provinces méridionales pour y rechercher et poursuivre les Albigeois, avec ordre aux évêques et aux seigneurs temporels de leur prêter toute assistance possible.
L'idée de l'Inquisition fut donc conçue par le pape Innocent III. Elle n'est devenue réelle que sous l'un de ses successeurs, Grégoire IX (qui fut pape de 1227 à 1241).
Proposée d'abord comme institution temporaire, l'Inquisition fut transformée en établissement régulier et permanent par le Concile de Latran en 1215 et par celui de Toulouse en 1229.
C'est à Toulouse que fut établi le premier tribunal inquisitorial ; c'est l'évêque de cette ville qui le présida ; et c'est grâce à Louis IX que cette institution se créa.
En 1233, Grégoire IX confia là direction exclusive de l'Inquisition aux Dominicains pour la soustraire à la juridiction des évêques. En même temps, il donna aux inquisiteurs une autorité sans limite et sans contrôle réel de la part du pouvoir temporel. La même année, l'institution reçut une sanction solennelle du roi Louis IX dans les conférences de Melun. A la fin du XIIIème siècle, l'Inquisition était établie non seulement en Provence, en Languedoc et dans les pays voisins, mais encore dans la plupart des provinces du Nord de la France, ainsi qu'en Lombardie (en 1224), en Catalogne (en 1232), en Aragon (en 1233), dans la Romagne (en 1252), en Toscane (en 1258), à Venise (en 1289), etc. Partout elle fut placée entre les mains des Dominicains, sauf toutefois en Italie, où ces religieux partagèrent les fonctions d'inquisiteurs avec les moines de saint François.
Nous venons de voir que, dans le Midi de la France, l'Inquisition avait eu pour prétexte l'hérésie des Albigeois ; cette hérésie ayant disparu vers la fin du XIIIème siècle, les fonctions de l'Inquisition se trouvèrent sans emploi. Du reste, l'influence croissante des Justices royales diminuait la tache des inquisiteurs en France. Mais, en Espagne, l'Inquisition fut favorisée par les circonstances politiques. La Catalogne et l'Aragon l'avaient acceptée dès 1233 ; mais les royaumes de Castille et de Léon la repoussèrent et ne voulurent reconnaître qu'aux évêques le droit de rechercher l'hérésie.
Dès 1274, l'Inquisition avait envoyé une femme au bûcher, à Carcassonne, condamnée pour sortilège. En 1275, plusieurs sorciers et sorcières furent accusés d'avoir assisté au sabbat et brûlés. Parmi eux se trouvait une dame de Labarèthe, âgée de 56 ans, qui, aux termes de sa condamnation, aurait « paillardé avec le Diable et eu de lui un monstre à tête de loup ».
Ce sont les premiers jugements rendus par les tribunaux inquisitoriaux. On voit tout de suite par là ce qu'ils valent ; accuser de maternité une femme de 56 ans et lui faire produire un monstre que la nature humaine ne peut engendrer, c'est mettre le surnaturel même dans l'accusation. Tel était le système, qui, en réalité, n'était qu'une horrible vengeance sexuelle de l'homme accusant la femme de ses débauches et les compliquant de circonstances folles.
C'est la première fois que mention était faite du sabbat d'une manière juridique. Jusque-là, on en parlait, mais on n'y croyait pas.

SAINT THOMAS D'AQUIN (1225-1274)
C'est à saint Thomas d'Aquin, l'auteur du livre fameux intitulé la Somme Théologique, celui qu'on appelait le Docteur angélique, l'Ange de l'École, c'est à lui et à son enseignement que l'on doit en majeure partie la procédure inquisitoriale et la jurisprudence pratiquée, par les cours et tribunaux, à l'égard des sorcières.
La magie était détestée et redoutée des populations ; l'Église, exploitant cette haine, fit de la magie une hérésie caractérisée en la mêlant aux vraies hérésies. Elle se donna ainsi un semblant de légitimité.
Les mages, au fond, n'étaient que des empiriques dangereux, ne valant pas mieux que les prêtres, mais ils n'avaient cependant pas mérité le bûcher. Du reste, nous les verrons souvent faire alliance avec le prêtre, quoique leurs ambitions réciproques dussent en faire des ennemis irréconciliables, se disputant le pouvoir ; lutte gigantesque qui dure encore.
Quant aux vrais sages, ils furent étouffés entre ces deux puissances : le faux savant et le prêtre...
La Somme de saint Thomas d'Aquin concilie la philosophie d'Aristote avec la dogmatique catholique.
C'est la France, c'est Louis IX, qui sauva l'Église chancelante au XIIIème siècle.
Le magnifique élan des Cathares avait ouvert un horizon nouveau à l'humanité, un retour à la raison ; grâce à eux, la société remontait la pente que le Catholicisme lui avait fait descendre, toute la bourgeoisie dans le Midi était entraînée et se détachait de l'Église, la féodalité française était en lutte avec le clergé, la pensée renaissait partout, et tout le monde, à peu près, était révolté contre l'avarice de la cour de Rome. A l'étranger, c'était pire encore : l'Allemagne avait un empereur hostile à l'Église, elle était profondément divisée ; l'Angleterre était dégoûtée des exactions des papes, leur pouvoir chancelait ; ce fut Louis IX qui sauva l'Église en favorisant l'institution de l'Inquisition et le développement de nouveaux Ordres religieux. Il fut aidé dans cette œuvre impie par sa pieuse mère, la reine Blanche.
A eux deux, ils enrayèrent le progrès social pour plusieurs siècles, et furent cause des torrents de sang versé.

LES FEMMES MÉDECIENNES AU MOYEN ÂGE
Pendant une grande partie du Moyen Âge, les femmes furent beaucoup plus instruites que les hommes. Les Germains estimaient que l'instruction effémine les guerriers et qu'il faut laisser cela aux femmes.
Il était si bien dans les mœurs que les femmes seules devaient étudier et non les hommes, que, quand Amalaswinthe, fille du roi ostrogoth Théodoric, donna trois maîtres à son fils, le peuple s'indigna : « Théodoric, disait-il, n'envoyait jamais d'enfant goth à l'école, l'instruction faisant de l'homme une femme et le rendant timide. Le sabre et la lance doivent lui suffire. » Amalaswinthe fut forcée de céder.
Pendant ce temps-là, on comptait nombre de femmes très intelligentes et très éclairées ; dans les couvents, des femmes remarquables étudiaient toutes les sciences. Et c'étaient les princesses et les dames de la noblesse qui protégeaient le savoir, qui cultivaient la poésie et encourageaient les poètes.
A l'époque de la féodalité, il était d'usage de faire entrer dans l'éducation des jeunes filles de qualité des notions de médecine et de chirurgie. On leur enseignait surtout à guérir les plaies ; et cela se comprend, puisque les hommes passaient leur temps à se battre ; ils étaient bien heureux de trouver, au retour des combats, une douce main de femme pour guérir le mal qu'ils s'étaient fait. Les romans du Moyen Âge ont toujours montré la Femme au chevet des malades, ou cueillant des simples pour ranimer le chevalier blessé.
Christian de Troyes, dans son roman d'Éric et Énide, nous montre le chevalier Éric rapporté sanglant et soigné par sa femme et les deux sœurs du comte de Guivres. Ces habiles guérisseuses « qui moult en savaient » enlevèrent premièrement la « morte car » (chair morte), puis lavèrent soigneusement les plaies.
Dans le roman de Fierabras, la belle Sarrasine Florine panse Olivier avec la mandragore, plante mystérieuse aujourd'hui perdue. Après l'avoir délivré de la prison où l'Émir Balan l'avait jeté, elle lui demande s'il n'a pas « le cors plaïé ni navré ». Voilà la vraie médecine, celle qui soigne en même temps le corps et l'âme, qui apporte elle-même les médicaments et ne demande pour tout cela qu'un peu de reconnaissance !
En France, les femmes-médecins portent le nom de mestresses (mistress en anglais), ou de médeciennes.
Avant la fondation des écoles de médecine, on apprenait l'art de guérir en prenant des leçons d'une Maîtresse chez qui on entrait en apprentissage, et on s'exerçait avec elle presque sans livres. Après quelques années d'exercice, on était reconnu Maîtresse-médecienne ou Maître-médecin (ou chirurgien). Les maîtres formés par les médeciennes arrivèrent, eux aussi, à prendre des élèves. Ambroise Paré n'étudia pas autrement. Un document qui se trouve aux archives nationales de Marseille (collection Montreuil), cité par le Dr Barthélémy, nous montre que ce ne sont pas les femmes qui étudient chez les Maîtres-médecins, mais les hommes qui étudient chez les femmes médeciennes. On les appelle des Sages. Sarah de Saint-Gilles, femme d'Abraham de Saint-Gilles, prend le 28 août 1326 pour élève son coreligionnaire Salvet. Elle se charge de le loger, de le nourrir et de lui apprendre « la médecine et la physique dans sept mois, à la condition que ce dernier lui abandonnera pendant tout le temps de ses études le bénéfice qu'il pourra faire en aidant ou en remplaçant sa maîtresse ».
La célèbre Tortula, sage-femme de Salerne au XIIIème siècle, avait écrit un grand nombre d'ouvrages, entre autres un traité des maladies des femmes. Un poète du temps, Rutebeuf, la mentionne ; il l'appelle Mme Trottes de Salerne et dit d'elle : « Et sachiez que c'est la plus sage Dame qui soit en quatre parties du monde. Ostiez vos chaperons, tendiez les oreilles, regardiez mes herbes que ma Dame envoie en cest païs et en cest terres. Et por ce qu'ele vuet (veut) que li povres i puist aussi bien avenir comme li riches, elle me dist que j'en feisse danrée ; car teiz (tel) a un denier en sa bourse qui n'y a pas cinq livres. »
En 1292, il y avait à Paris des femmes exerçant la médecine et appelées des Mirgesses.
Voici une liste de huit Mirgesses trouvées dans un recensement fait à l'occasion d'une taille (contribution) demandée par Philippe le Bel en 1292 (Collection des chroniques nationales françaises, t. IX, imprimé par J.A. Buchon, où il est parlé de la taille de 1313 ; voir aussi Paris sous Philippe le Bel, par H. Géraud) :
Isabeau : Mirgesse en la paroisse Sainte-Opportune ;
Heloys : en la ville Saint-Lorenz ;
Brichent : au cymetière Saint-Jehan ;
Isabel : rue Frépillon ;
Dame Heloys : rue des Gardins (rue des Jardins Saint-Paul) ;
Philippe : rue Gervèse-Lohareux (devenue rue Gervais Lorent, puis supprimée lors de la construction du Tribunal de commerce) ;
Dame Marie : rue de Sourcines ;
Sarre (une juive) : à l'Attacherie (rue de la Tacherie).
Il existe un document qui parle d'un diplôme donné l'année 1250 à une femme qui fut médecin de Louis IX pendant la Croisade.
Les femmes du moyen âge, s'enfermant dans les châteaux, s'occupaient de la médecine pratique, et Paracelse lui-même, n'admettant pas les traités de médecine des anciens, ni la médecine des Arabes, déclarait partout qu'il ne connaissait pas de meilleurs professeurs que les femmes avec leur médecine pratique.
Ingigerd, fille du roi Ingiar, fonda un petit hôpital où les malades étaient confiés aux soins des femmes. Ce fait est relaté dans la Sturlang Saga. Les parents mettaient leurs enfants en apprentissage chez les Sagas (en allemand Weise Frauen).

LES HOMMES MÉDECINS
De même que nous avons vu la magie des Femmes imitée par les hommes, et à côté de la magie blanche apparaître la magie noire qui se prolonge jusqu'au moyen âge et se fond dans la sorcellerie (c'était l'empirisme du temps, fondé jadis par Sextus Empiricus), nous voyons à côté de la Mirgesse (l'antique Magicienne) apparaître le Mire (qu'on appelait Mestre le Mire). Les Mires s'appliquaient à imiter les Mirgesses et à usurper leur crédit, mais on n'avait pas confiance en eux, et nous voyons que les vieilles chroniques mentionnaient surtout les « chirurgiennes » et les « médeciennes ».
« Gérard de Nevers, ayant été blessé, fut mené dans un chastel. Alors une pucelle de céans le prit en cure ; s'y en pensa tellement que en peu d'espace commença fort à amender. Tant le fist assoulagier que assez compétamment le fit mangier et boire, et avant que le moys fût passé, il fut remis sus et du tout guéry. »
Dans le fabliau « Aucassin et Nicolette » se trouve ce passage : « Nicolette alarmée l'interrogea sur la cause de ses douleurs ; elle lui tâta l'épaule pour s'assurer si elle était déboîtée et fit si bien qu'elle la lui remit en place. Sa main ensuite appliqua sur le mal certaines fleurs et plantes salutaires dont la vertu lui était connue. »
Dans le « Lai de Guigemar » de Marie de France, le chevalier Guigemar, atteint à la cuisse par sa propre flèche, est soigné par une dame et sa mère avec des soins touchants.
Dans le roman de Perceval, on voit apparaître un Mire (médecin-homme) qui a des élèves femmes. L'illustre chevalier a cassé le bras du sénéchal de la cour du roi Arthus ; celui-ci envoie chercher pour le guérir un Mire et trois jeunes filles ses élèves.
Un mire moult sage
Et trois pucèles de l'escole
Qui le renoent la canole,
Et puis li ont son bras lué
Et rasoldé l'os esmicié
(broyé).
Ici, nous, voyons l'ancien usage renversé : c'est l'homme qui est devenu le Maître, ce sont des femmes qui sont ses élèves. Nous avons là le commencement de l'enseignement masculin ; cela est utile à noter, car tant de personnes veulent croire que les usages actuels ont toujours existé, qu'il est de la plus grande utilité de leur montrer comment les institutions ont évolué. C'est ainsi que l'on comprendra que la médecine, qui était liée à la religion dans l'antiquité et pratiquée dans les temples par les Prêtresses (plus tard par les Matrones), a fini, après une lente évolution, par devenir le privilège du sexe masculin. Il est impossible de séparer cette question de l'histoire morale de l'humanité, car elle est un chapitre trop important de la mentalité des peuples.
Ce sont toujours des femmes qui ont fondé des Universités. Au. XIIIème siècle, une reine, Jeanne de France, fonda le Collège de Navarre. - L'Université d'Oxford fut fondée par la reine Philippe de Hainaut en 1324.
- Le Collège de France fut fondé par Marguerite de Valois.
- La bru de Philippe le Bel, Jeanne, femme de Philippe le Long, fonda le Collège de Bourgogne.

L'ENSEIGNEMENT OFFICIEL
Au XIIIème siècle, l'instruction devint officielle grâce à une reine, Jeanne de France, qui fonda le Collège de Navarre, d'où sortirent d'Ailly, Gerson et Bossuet.
Malgré le système des hommes qui consiste à ne pas glorifier les femmes, des historiens ont accordé à cette reine quelques éloges. « Elle était d'une beauté remarquable et d'une grande éloquence, dit Mézeray, elle eut surtout le don de tenir tout le monde enchaîné par les yeux, par les oreilles et par le cœur. »
Elle repoussa les Aragonais et les Castillans qui désolaient la Navarre, et elle força le téméraire comte de Bar-le-Duc à se reconnaître son vassal.
Jeanne de France est représentée dans le portail central de la cathédrale de Meaux, qu'elle fit sans doute décorer et entretenir à ses frais. La reine de France, tenant sa cathédrale à la main, se présente aux portes du Paradis. Saint Pierre les lui ouvre à deux battants. Derrière la reine se tient le beau roi Philippe avec un air de pampre honteux. La reine, fort spirituellement sculptée et atournée, désigne le pauvre roi d'un regard de côté et semble prier saint Pierre de le laisser entrer.
Mais il arriva alors ce qui arrivait toujours. L'instruction, fondée par une femme, passa aux mains des hommes.
L'idée était lancée, les hommes allaient suivre l'exemple des femmes et fonder aussi des Collèges et des Facultés. Non pas qu'il n'y en eût avant cette époque, mais on les affermit en les annexant à l'autorité, et en leur donnant un caractère masculin.
Vers 1213, on fonda à Paris trois Facultés embryonnaires : celle de Théologie, celle de Décret (c'est-à-dire de Droit), celle des Arts qui comprenait la médecine, et qui fut installée rue du Fouarre, aux environs de la place Maubert.
En 1207, l'évêque Eudes parle d'une « communauté d'étudiants » qui, l'année suivante, prit le titre ambitieux d’« Université ». Cela rappelle les Paulinistes se donnant le titre de « Catholiques » (universels) alors qu'ils n'étaient qu'une poignée de révoltés.
Mais l'ambition réussit toujours, En 1208, Innocent III parle de ce groupe d'étudiants en l'appelant « l'Université ».
Ce n'est qu'en 1253 que Robert de Sorbon (1201-1274), chapelain de saint Louis, fonda le Collège qu'on appela la « Sorbonne ».

L’ENSEIGNEMENT MÉDICAL DE L’UNIVERSITÉ
A la fin du XIIIème siècle, le pouvoir civil demande au pape une bulle qui autorise la création de l'Université et qui désigne le dignitaire ecclésiastique chargé de conférer la licence d'enseigner. La papauté et l'Université marchaient ensemble. Le prêtre qui avait excommunié le mage lui donnait maintenant la main, et ils allaient ensemble partager les privilèges. Le premier fut de dispenser tous ceux qui dépendaient de l'Université de payer des impôts, non seulement les professeurs, les médecins et les avocats, mais aussi les étudiants.
Sous le décanat de Jean de Roset, en 1274, la Faculté se fit faire un sceau. Ce premier sceau représentait une Femme assise sur un siège élevé ; elle tenait dans la main droite un livre, dans la gauche un bouquet de plantes médicinales ; quatre étudiants étaient assis plus bas et semblaient l'écouter avec attention.
Ainsi donc, c'est par une Femme que fut représentée la médecine au moment où l'on fondait une Faculté d'où on allait l'exclure. Ce sceau était gardé dans un coffre que l'on ne pouvait ouvrir qu'en présence de quatre Maîtres. En 1762, ce coffre existait encore.
Il n'y avait à Paris en 1272 que six médecins diplômés par la Faculté. En 1274, il y en a huit (voir Chomel, Essai historique sur la médecine en France, p. 115). Or la population de Paris était, sous Philippe le Bel, de 215.861 habitants (d'après Géraud) ; il est bien certain que la médecine continuait à être exercée par des médecins et des médeciennes libres, la Faculté ne comptant pas encore.

LES SAVANTS LIBRES
La vraie science restait libre, et les plus illustres savants ne passèrent jamais par l'Université.
Ambroise Paré dut subir toutes les taquineries de la Faculté, qui le traitait d'ignorant et proscrivait ses livres parce qu'ils étaient écrits suivant l'ancienne méthode, celle qui guérissait, et que le fameux corps savant rejetait, voulant faire autrement, sans doute pour ne pas avoir l'air d'imiter les femmes.
La Faculté n'était pas un corps savant, mais une corporation professionnelle, fondée plutôt pour défendre des intérêts matériels, et c'est ce qu'elle est toujours restée.
Aussi elle craignait surtout la concurrence. La médecine continuait d'être exercée par des médeciennes et leurs élèves et par les médecins libres. La Faculté n'avait alors aucune autorité ni aucun prestige. Du reste, le public n'avait aucune confiance dans la médecine des hommes.

L’EXERCICE DE LA MÉDECINE DÉFENDU AUX FEMMES
Le premier usage que les hommes firent de ce nouveau droit qu'ils se donnaient d'enseigner la médecine, fut d'interdire aux femmes l'exercice d'une profession qui avait été spécialement réservée à leur sexe jusque-là. Ils veulent faire de la médecine un privilège et partent en guerre contre tous ceux qui s'occupent à un titre quelconque de la santé du corps.
Ils font dans la médecine ce que le prêtre avait fait dans la religion, ils en chassent celles qui en sont les légitimes représentantes et prennent violemment leur place.
Vers 1220, la Faculté promulgua un édit (de quel droit ?) par lequel elle faisait défense à ceux qui n'appartenaient pas à ladite Faculté d'exercer la médecine. Cet édit visait surtout les femmes, qui n'étaient pas admises comme élèves dans cette École qui se déclarait officielle.
Pendant longtemps, cet édit resta lettre morte. Le droit exorbitant que prenait une poignée d'hommes de disposer de la santé publique ne fut pas sanctionné par l'opinion, qui n'en tint pas compte, et la Faculté n'était pas assez puissante pour imposer ses décrets. Les documents du XIIIème siècle nous parlent fréquemment des femmes médeciennes qui exerçaient leur profession malgré les prohibitions de l'École (1).
En 1281, le doyen de la Faculté, Jean de Cherolles, déclara que les herbiers et autres guérisseurs libres « font grand tort aux habitants de Paris, ils déshonorent la médecine et les médecins ». Ce qui n'empêche que la population les préférait aux médecins de l'École.
La science avait été libre jusque-là, elle était sanctionnée par l'opinion publique, qui se méfiait de la nouvelle organisation qu'on voulait lui substituer.
Mais la Faculté entendait rester maîtresse de la médecine comme le prêtre était resté maître de la religion, et elle entreprit contre la science une lutte violente et tenace qui fut le pendant de celle que soutenait l'Église contre la pensée libre.
Du reste, la papauté encouragea la fondation des Universités, ce qui prouve bien qu'ils agissaient dans le même esprit. Les Facultés devaient avoir comme premier règlement :
L'interdiction des femmes ;
La défense faite aux hommes qui enseignaient de se marier. Ainsi, on était sûr de proscrire de cet enseignement l'Esprit féminin ; et l'homme, dès lors, put se livrer sans contrôle gênant à un enseignement incohérent et bizarre, issu de l'ancienne science des mages, et qui était aussi loin de la Vérité que la théologie (2). Tout individu sachant lire et écrire était appelé clerc, et le célibat était imposé aux clercs, ils étaient rattachés à l'état ecclésiastique.
Donc, dès qu'il avait une teinte de culture, il devait s'éloigner de la Femme, la craindre. Dès lors, une lutte acharnée fut entreprise par les médecins contre la médecine des Femmes. De toutes les façons, ils cherchèrent à la discréditer, à ce point que le beau nom de Saga qu'elles avalent porté jusque là devint synonyme d'ignorance et d'incapacité, quand il ne fut pas pris en mauvaise part.
C'étaient les femmes qui exerçaient la chirurgie, elles qui saignaient, avec le concours des barbiers.
Le Juif et la Femme ont toujours partagé le même sort. Quand on condamne la Femme, on le condamne aussi (le Juif). Les privilèges masculins que se donnent les Catholiques ne sont pas pour lui. Du reste, il inspire, comme elle, une envie ; il se permet d'être plus savant que les médiocres du monde officiel, ce qui n'était pas difficile, au XIIIème siècle, les Juifs brillaient dans la médecine, aussi « le Concile de Béziers déclare excommuniés les Chrétiens qui se laissent soigner par des Juifs ».
(1) Il y eut des femmes médecins et professeurs de médecine jusqu'à la Révolution française ; c'est à Napoléon qu'on doit la masculinisation définitive de l'enseignement universitaire.
(2) Pendant 150 ans, en France, il fut interdit aux médecins de se marier, cette règle fut abrogée en 1452, quand on réforma l'Université.

L’ALCHIMIE
Al-Chimie, l'art sacré des anciens temples théogoniques, était tombé aux mains des mages empiriques, qui, ne pouvant plus s'élever jusqu'aux idées abstraites, avaient fait de cette science un art, en la faisant descendre des hauteurs du génie féminin jusqu'aux bas-fonds des mentalités les plus troublées.
Alors, tout devient confus et intéressé. On ne cherche plus pour savoir, mais pour jouir, pour se procurer l'or qui donne le pouvoir. Mêlant les anciens symboles qui avaient caché les qualités psychiques des êtres sous des formes matérielles, on prit la représentation symbolique pour la réalité, l'or pur, emblème de la spiritualité supérieure, pour un corps simple, et, partant de là, on fit une chimie bizarre où les idées les plus hétéroclites se heurtaient.
Si nous demandons des définitions, voici ce que dit Roger Bacon : « L'Alchimie est la science qui enseigne à préparer une certaine médecine ou Élixir, lequel, étant projeté sur les métaux imparfaits, leur communique la perfection, dans le moment même de la projection. »
Paracelse dira aussi de l'Alchimie : « C'est une science qui apprend à changer les métaux d'une espèce dans une autre. »
Partie d'un dualisme représenté par l'or et l'argent, représentant les deux sexes, elle arrive à un androgyne représenté par un corps à deux têtes, et enfin à l'unité, suivant la même évolution qu'avait suivie l'idée divine :
1°) Les Déesses ;
2°) Les Dieux ;
3°) Le Dieu unique.
Dans cette conception, l'ancien principe du mal étant devenu « le Dieu », on en conclut qu'il s'est transmué, l'argent qui le représentait est devenu de l'or. Et comment s'est fait le miracle ?
Pour l'expliquer, on reprend la thèse enseignée par les anciennes Prêtresses : « l'amour féminin élève l'esprit, purifie le sexe » (symboliquement, le feu purifie tout). Mais, comme c'est un homme qui va parler, suivant sa psychologie masculine, il va mêler son amour impur à tout cela, sans même se douter de la confusion, et il dira que l’élixir projeté sur les métaux imparfaits les ennoblit.
Le mage a-t-il conscience de ce qu'il dit ? Comprend-il cette traduction dans la langue ou plutôt dans l'esprit d'un sexe de ce qui a une signification différente dans la langue de l'autre sexe ? Probablement non, car cette confusion a toujours été faite. L'homme, tous les hommes, nie la loi des sexes et prétend imputer à la Femme ce qui est masculin et s'approprier ce qui est féminin.
Toute l'alchimie est née de cette confusion introduite dans la signification du symbolisme antique.
La théorie de l'unité de la matière, qui en est l'ultime conséquence, est une expression de ce que l'on appelle l'égalité des sexes, une folie. Et, là-dessus, on a créé toute une science, laquelle est venue aboutir aux erreurs modernes.
Si l'on consulte les vieilles gravures du temps où l'alchimie était triomphante, on voit partout l'or et l'argent représentés par l'Homme et la Femme, unis dans l'hermaphrodisme par l'homme. C'est un être à deux têtes, mâle et femelle. C'est ainsi qu'il est figuré dans le Crede Mihi de Norton.
Toutes les anciennes idées religieuses vont être traduites en faits chimiques. Ainsi, la Trinité n'est plus l'Homme, la Femme, l'Enfant ; c'est le Soufre (esprit volatil féminin), le Mercure (principe liquide masculin), le Sel, composé des deux principes (l'enfant). Et, poussant l'allusion jusqu'au bout, on dira : « Les deux principes, séparés dans le sein de la Terre, sont attirés sans cesse l'un vers l'autre, mais, suivant la pureté de la cuisson, son degré, sa longueur, il se forme des métaux plus ou moins parfaits. »
Albert le Grand, très versé dans cet art, dit aussi : « La différence seule de la cuisson et de la digestion du soufre et du mercure produit la variété des espèces métalliques. » Il faut lire tout ceci entre les lignes.
L'alchimie a sept métaux, parce que les religions avaient sept vertus opposées à sept péchés capitaux.
L'art spagyrique, le grand œuvre, qui consiste à chercher la pierre philosophale, repose essentiellement sur la fermentation, ce qui veut dire qu'il faut communiquer la vie aux métaux.
Or la fermentation est ici une image de l'amour. On doit réveiller les deux principes, provoquer leur activité par une sorte de résurrection, parce que c'est ainsi que procède la nature dans l'homme.
M. Jollivet-Castelot, un alchimiste moderne, dit dans Les Sciences maudites : « Disons, une fois pour toutes, que soleil et lune, or et argent des philosophes, mâle et femelle, roi et reine, soufre et mercure, sont synonymes. »
Puis il nous dit que les alchimistes enveloppent d'obscurité, pour les non-initiés, ce chapitre mystérieux de la science.
Voici, du reste, un exemple de ce style aussi symbolique qu'étrange : « C'est au moyen du dissolvant du menstrue de l'azoth, extrait de la magnésie, que l'on tire le soufre et le mercure de l'or et de l'argent.
« La matière étant préparée :
1°) Conjonction ou coït, union du soufre et du mercure dans l'œuf ; on chauffe, apparition de la couleur noire. On est arrivé alors au 2ème stade.
2°) La purification.
3°) L'ablution. La couleur blanche apparaît, la pierre se lave de ses impuretés
(langage symbolique des anciens initiés).
4°) La purification. La couleur rouge apparaît, l'œuvre est parfaite (les menstrues de Vishnu dans les Mystères hindous).
5°) Fermentation (Amour). Son but est d'accroître la puissance de la pierre, de la parfaire ; elle transmue mille fois son poids de métal. C'est ce qu'on nomme la multiplication de la pierre. Les métaux vils sont changés en or et argent. C'est la 6ème opération ou projection. »
Tout cela est accompagné de figures dans lesquelles tous les anciens symboles de la lutte des sexes réapparaissent, mais en donnant à l'homme des symboles féminins (la colombe, la couronne royale, etc.) et à la femme les anciens symboles masculins (la lune, le serpent, etc.).
Concluons :
1°) La pierre philosophale réalise la transmutation des métaux vils en métaux nobles. La pierre brute, c'est l'homme grossier ; la pierre philosophale, c'est l'homme qui pense ; la pensée transforme l'être.
2°) Elle guérit les maladies (parce que la science donne la connaissance). Elle est l'élixir de longue vie, cela est spécial au sexe féminin, cet élixir est le symbole de sa fonction sacrée (c'est cela qui est le grand œuvre), la panacée, la fontaine de Jouvence qui donne l'éternelle jeunesse, d'où le mot jouvencelle.
3°) Elle constitue le Spiritus Mundi et permet à l'adepte de communiquer avec les êtres extra-terrestres (disons extra-masculins) ; ces êtres sont les anciennes Déesses.
Si la pierre philosophale est le Spiritus Mundi, c'est qu'elle est la source de l'Esprit, qui brille en la Femme qui sait.
On ajoute qu'elle permet de composer le fameux homunculus de la Palingénésie, que l'on croit être l'œuvre de la génération, à tort ; il s'agit de l'homme primitif, non de l'enfant qui le reproduit. La pierre philosophale en donne la connaissance (1).
Les modernes alchimistes qui prétendent obtenir de l’or philosophal par synthèse nous disent « que leur procédé restera secret, que les seuls adeptes fidèles y seront initiés après avoir prêté serment de garder le silence ».
Cependant, ces hommes, possesseurs d'un pareil secret, sont plutôt pauvres et auraient bien besoin d'un peu d'or pour faciliter leur propagande. Comment se fait-il qu'ils n'en fabriquent pas par la synthèse dont ils ont la formule ?
Il est une autre façon d'interpréter la chimie primitive ; c'est celle qui consiste à considérer les quatre états comme quatre éléments, quatre corps simples.
(On y ajoutait souvent un cinquième appelé Quintessence, comparé à l'éther ; des qualités occultes essentielles lui appartenaient.)
On explique que le feu agit sur l'eau par le moyen de l'air, que l'air est la nourriture du feu, l'eau l'aliment de la terre, que, ensemble, ils servent à la production totale de l'Univers.
Dans cette interprétation, les éléments se transforment les uns dans les autres. Tout cela est basé sur une mauvaise interprétation, une erreur de mots ; et c'est cette erreur qui a engendré le système absurde de l'unité de la substance.
Il est curieux de constater que l'alchimie qui régnait au moyen âge chez les peuples occidentaux ressemblait tout à fait à celle qui régnait à la même époque chez les Orientaux.
Partout la pensée évoluait suivant le même rythme, le cerveau de l'homme se déformait de la même manière, sous l'empire des mêmes passions, et arrivait aux mêmes erreurs.
Nous en trouvons la preuve dans de nombreux passages d'une ancienne encyclopédie sinico-japonaise, le Wa han san sai dzou ye ou Traité des trois règnes, qui est formé de l'union de mémoires japonais et d'un traité chinois, le Pou ts'ao kang mou, cité par M. F. de Mély.
D'après ce dernier ouvrage, publié en 1590 par Li chi tchin, sous la dynastie des Ming, nous avons, en effet, la preuve que les hermétistes chinois du temps croyaient fermement à l'origine commune du cuivre, de l'or et de l'argent, et aux transmutations successives des métaux. Les quelques lignes suivantes, empruntées au Wa han san sai dzou ye, sont particulièrement précises à cet égard : « Il est dit, dans l'ouvrage Sin chou de Ho hiang, que le cuivre, l'or, l'argent ont une origine commune. Les vapeurs du yang rouge, yang, soleil, principe mâle, en se concentrant, donnent naissance à des filaments qui, après deux cents ans, se transforment en pierre ; au milieu de cette pierre se forme le cuivre. » « Mais, ajoute aussitôt l'encyclopédie, il y en a qui disent que le tan cha (mercure sulfuré), par l'absorption des vapeurs du yang vert, donne naissance à un minerai, le kong che, qui, au bout de deux cents ans, devient du cinabre natif ; dès lors, la femme est enceinte (ce qui veut dire que ce cinabre est l'embryon de tous les métaux) ; au bout de trois cents ans, ce cinabre se transforme en argent, et ensuite, au bout de deux cents ans, après avoir subi l'action du ki du Ta ho (grande concorde), devient de l'or ».
Nos alchimistes occidentaux, à quelques mots près, ne parlaient pas différemment.
Les hermétistes chinois cherchaient une relation entre la composition minéralogique du sol et la végétation qui le recouvre.
Dans le Wa han san sai dzou ye, il est dit : « Lorsqu'on trouve, dans une montagne, la plante niua, au-dessous on trouve l'or.
« Dans les montagnes, si on rencontre la plante ts'ong, au-dessous on trouve l'argent.
« Si la tige de l'herbe à cuivre est d'un beau jaune, au-dessous il y a une substance cuivreuse, partie essentielle des éléments du cuivre qui se rapporte à l'adolescent.
« Dans les montagnes, quand l'herbe est verte, que sa tige est rousse, au-dessous il y a beaucoup de plomb. L'espèce du plomb est de l'espèce vieille femme. »
C'est l'homme vieux, c'est le dégénéré que le métal lourd et noir personnifiait ; c'est de lui que le poète pouvait dire : « Comment en un plomb vil l’or pur s'est-il changé ? »
(1) A propos de l'Homunculus, Stanislas de Guaita dit (dans Le Temple de Satan, publié en 1891) : « Une vieille tradition veut que l'homme ait apparu primitivement sur la Terre sous des formes de mandragores monstrueuses, animées d'une vie instinctive, et que le souffle d'en haut évertua, transmua, dégrossit, enfin déracina pour en faire des êtres doués de pensée et de mouvement propre. »

LES COUVENTS AU XIIIème SIÈCLE
Depuis que le Catholicisme régnait, c'est-à-dire depuis mille ans, la Femme était traquée dans sa sexualité.
Étrange persécution d'un sexe contre l'autre ! L'homme veut la femme, il la prend même de force, et cependant, quand elle se donne à lui, elle devient un objet de mépris, de raillerie, d'infamie.
Nous l'avons déjà dit, au moyen âge, les femmes pauvres n'avaient que deux ressources : le couvent ou la prostitution. Elles y faisaient la même chose, et cependant le prêtre béatifiait les unes et damnait les autres.
D'après Llorente, il y avait dans chaque couvent de femmes une fosse commune où l'on jetait les cadavres des enfants étranglés en naissant. Ce n'était même pas une mauvaise action ; on les baptisait avant de les tuer, et c'étaient autant de petits anges que l'on envoyait au Ciel pour y célébrer les louanges de Dieu.
Llorente parle d'un procès intenté à la sœur Agueda et au frère Jean, accusés, devant le tribunal de l'Inquisition, d'infanticide. « La religieuse avoua qu'effectivement elle avait été mère plusieurs fois, tantôt se faisant avorter, tantôt étranglant ses enfants qu'avec l'aide du frère Jean elle enterrait dans un lieu du couvent qu'elle indiqua ; des fouilles en cet endroit découvrirent une quantité d'ossements de petits enfants. Tout le monde fut saisi d'horreur, mais l'Inquisition étouffa l'affaire en imputant au diable les crimes de la sœur Agueda et du frère Jean » (Histoire de l’Inquisition, t. IV, art. 2, Secte de Molinos).
Pendant que la Justice ecclésiastique montrait cette indulgence pour les crimes commis dans les couvents, la femme laïque qui commettait un infanticide était enterrée vive, ou bien noyée, bras et jambes liés.
Sous ce titre : « Les supplices des femmes », M. Paul d'Estrée a publié, dans la Revue des Revues, une collection de documents qui nous montrent à quelles atrocités les hommes soumettaient les femmes, se faisant justiciers eux-mêmes, depuis qu'ils s'étaient faits les maîtres. Il montre comment, dans ces temps épouvantables, la femme était battue, honnie, tournée en dérision, jetée dans les ordures, dans l'eau, dans le feu souvent, à propos des choses les plus futiles. Et cela par des hommes qui étaient de vrais criminels, qui, eux, méritaient les châtiments les plus sévères.
Les évêques vendaient aux curés le droit d'avoir des concubines ! (Réthoré, Science et Religion, p. 322.)
Mais, si une femme se vendait elle-même, elle était la dernière des misérables. Déjà alors, ces indépendantes étaient réglementées.
Saint Louis avait parqué « les filles folieuses de leur corps » dans des bourdeaux ou clapiers qui ne s'ouvraient qu'au point du jour et ne se fermaient qu'au coucher du soleil, après le couvre-feu, « à peine de prison et amende de vingt sols ».
Dans un de ces lieux, appelé Cour Robert, on trouve, en 1272, Ameline la Grasse, Agnès la Bourgoingne, Perronèle Grosante.
Par une ironie des choses, cette cour d'amour devint la boutique d'un cordonnier qui prit pour enseigne un renard botté et éperonné qui prêchait dans une haute chaire. Et sa boutique, qui s'appela « au renard qui prêche », donna ce nom à la rue. Cette allusion à la ruse des prêcheurs de l'époque, dans un endroit où les femmes avaient subi le dernier avilissement, est une satire plus profonde qu'on ne pense.
Dans un des clapiers de Ribauderie, les plus renommés de Paris, les rues portaient des noms qui ont beaucoup intrigué les historiens de Paris. Il y avait la rue Baille-hoë (aujourd'hui Brise-Miche), la rue Taille-pain, la rue Gratte-cœur.
Dans un journal de Paris, nous lisons : « Le bon peuple de Paris, goguenardier et paillard, ne prononçait pas les mots de Baille-hoë et de Taille-pain sans ajouter une grimace malséante.
« Un curieux procès intervint entre le curé de Saint-Merri et les propriétaires des maisons louées à ces hospitalières et accortes damoiselles. Le curé avait obtenu l'expulsion de ces filles du prévôt, lequel avait fait murer les fenêtres où, derrière leurs treillages en fil d'archal, elles amorçaient d'une œillade assassine le passant attardé.
« Les bourgeois lésés allèrent au Parlement, invoquant les ordonnances « du saint Roy Louis IX qui avait voulu qu'il y eût bourdiau au Baille-hoë », et soutenant « qu'il est expédient que ces femmes soient auprès des églises à cause de leur salut, ainsi que la Madeleine au pied de la Croix ».
« Le procès dura cent ans, selon l'antique usage ; ce ne fut qu'Henri IV, diable devenu ermite, qui donna raison au curé pudibond, lequel infligea aux rues avoisinant son église des dénominations un peu plus niaises, mais beaucoup plus chastes. »
Saint Louis fonda la maison des Filles-Dieu, colossal couvent, pour y recevoir les pécheresses qui, pendant leur vie, avaient abusé de leurs corps.
Elles allaient, vaguant dans la Cité, en criant : « Du pain pour notre Sire Jésus ».
Une autre maison, fondée par Etienne de Garlande, la chapelle Saint-Aignan, était appelée Val d'Amour, pour recevoir les Dames au corps gent, jolies de leur corps.
Elles devaient habiter certains clapiers déterminés. C'était en général au chevet des cathédrales.
Des tasses d'argent pendaient à leur ceinture, et elles proposaient aux passants de venir boire avec elles. Les dimanches et jours de fête, elles lisaient, assises sur la borne, en attendant les galants, dans un livre de prières à fermoir de cuivre doré. Ce mélange de pratiques religieuses et de prostitution ordurière est un trait caractéristique du règne de saint Louis.
On sait que ce monarque faisait suivre sa cour, en voyage, d'une compagnie de ribaudes inscrites sur le rôle tenu par la dame des Amours publics.
Il ne faut pas s'étonner si, dans ces conditions, l'expédition de saint Louis fut désastreuse, quoique ce saint roi ne manquât jamais de dire tous les jours l'office de la Sainte Vierge.
Heureusement pour lui, il avait une femme, Marguerite de Provence, qui, elle, était la véritable sainte ; du reste, il ne faisait rien sans la consulter. Seule, cette princesse sut trouver la rançon royale exigée pour le retour de son époux en France. Veuve, elle vainquit Charles d'Anjou qui, en son absence, s'était saisi de son duché de Provence, qu'il fut forcé de lui rendre et qu'elle gouverna à merveille.

QUATORZIÈME SIÈCLE
C'est l'époque où les Valois régnent en France ; époque fertile en guerres étrangères, en invasions, en désastres de toutes sortes.
C'est aussi l'époque mémorable où se termine le séjour des papes à Avignon, où ils ont résidé 70 ans.
C'est encore le moment de la lutte entre l'Université et les Dominicains. L'Université condamne ces derniers à cause de la hardiesse de leurs opinions et de la tendance qu'ils ont à accueillir toutes les innovations, si hardies soient-elles.
C'est surtout le temps du grand schisme : Urbain VI et Clément VII se disputent la tiare et, finalement, s'excommunient réciproquement.

LES PAPES
On appelait rabbia papale la rage avec laquelle on se disputait la tiare.
Les principaux pontifes du siècle furent : Benoît XI, un pape ami de la paix et résolu à faire dans l'Église les réformes nécessaires. Des cardinaux mécontents l'assassinèrent en lui faisant manger des figues empoisonnées. Il régna de 1303 à 1304.
Après lui, Clément V (de 1305 à 1314), pontife lâche et libertin, qui, d'après les lettres de Pétrarque, transportant en France les mœurs de l'Italie, présidait, dans sa cour d'Avignon, à des orgies et à des débauches qui dépassaient ce qu'on avait vu dans les palais des Césars les plus corrompus.
Jean XXII régna de 1316 à 1334. Soupçonné d'avoir fomenté la rébellion contre Othon, il éprouva le sort le plus cruel. L'empereur lui fit couper les mains et les oreilles et arracher lés yeux ; il se justifia en l'appelant antipape. Jean XXII, dans une bulle appuyée sur une citation d'Isaïe (1), autorisa l'Église à rechercher le délit de sorcellerie, et, pour
qualifier le pacte des sorciers avec le diable, il emploie les termes mêmes d'Isaïe : « Cum morte fœdus ineunt et pactum faciunt cum inferno. »
En 1378, Urbain VI fut élu pape. Il voulut impitoyablement réprimer le faste et les débauches des prêtres. Quelques cardinaux prétendirent alors que son élection, faite au milieu des clameurs populaires, avait été nulle, et ils lui opposèrent un autre pape, Clément VII. Ce fut la cause du grand schisme d'Occident. Urbain VI maintint ses droits. Les cardinaux organisèrent contre lui une conspiration et voulurent le faire juger pour hérésie ou pour démence. Il les fit arrêter, puis jeter dans des fosses infectes, à Gênes. Les bourreaux les en retirèrent pour les mettre sur les chevalets et les battre de verges. L'un d'eux fut attaché à un tronc d'arbre, la tête en bas, et écorché vif. Un autre fut cloué en croix, et ses blessures furent envenimées par du sel et du vinaigre. Un autre fut pendu avec des poids énormes aux pieds, pour que les articulations fussent brisées, et tenaillé
avec des pinces rougies au feu. Un autre fut criblé d'alênes qu'on lui enfonça sous les ongles des mains et des pieds, dans le crâne et dans les parties. Un autre encore eut la langue, le nez, les yeux arrachés. Deux furent cousus dans des outres de cuir avec des serpents et des chats, puis jetés à la mer. Un dernier, le cardinal Donato, fut enterré dans de la chaux qu'on fit fondre, et on lui laissa la tête hors de ce tombeau d'enfer pour qu'il éprouvât toute la férocité d'un tel supplice (1385).
(1) Isaïe, parlant de la débauche des puissants de la terre, leur fait dire : « Nous avons fait un pacte avec la mort, nous avons scellé par le sacrifice (la débauche) une alliance avec l'enfer (Sheol, fosse pour inhumation). »

LA MÉDECINE AU XIVème SIÈCLE
L'enseignement médical donné de 1300 à 1400 était basé sur des traductions d'Hippocrate et de Galien, sur les préceptes de l'école de Salerne, les vers de Gilles de Corbeil (sur les urines et sur le pouls), l'anatomie de Théophile, et quelques traités arabes d'Avicenne, d'Abulcasis, de Rhasès, d'Averroès et d'Isaac. Ce furent les seuls ouvrages classiques jusqu'à Fernal (mort en 1558), qui, dit Hauzou, « eut le rare honneur de voir ses livres enseignés de son vivant ».
Dès que l'homme usurpa les fonctions médicales de la femme, il se créa, pour justifier cette usurpation, un passé médical, comme les prêtres s'étaient créé un passé religieux ; les médecins se sont inventés des ancêtres, tel Esculape, dont le nom est une parodie des Asclépiades, nom des femmes-médecins en Grèce ; puis Hippocrate, sur lequel on n'a jamais rien pu savoir. Et enfin on a donné à Galien la paternité de tous les livres de médecine écrits par des femmes avant son époque.
Les maîtres et les élèves vivaient en camarades. Les étudiants étaient presque tous pauvres. Les professeurs devaient être fort malpropres, car, en 1350, les statuts les obligent à se vêtir convenablement d'une robe violette de bon drap, présentable et qui leur appartient.
Hugues Le Sage fut le premier doyen de la Faculté de Médecine en 1338. Ses fonctions étaient surtout de sévir contre les « charlatans », c'est-à-dire les « indépendants », et contre les empiriques, les « expérimentateurs » (La plupart des documents mentionnés dans cet article sont pris dans le livre du Dr Marcel Baudouin sur « Les Femmes-Médecins ».).
Les Commentaires (recueil de comptes rendus de la Faculté) nous apprennent qu'en 1395 il existait 32 médecins diplômés. Ils portaient de riches habits et le bonnet doctoral.
Arnaud de Villeneuve, maître de médecine, donnait à ses élèves le conseil de ne témoigner, en aucune occasion, ni surprise ni étonnement.
« La septième précaution, leur disait-il, est d'une application générale. Supposons que vous ne puissiez rien comprendre au cas de votre malade ; dites-lui avec assurance qu'il a une obstruction du foie. S'il répond que c'est de la tête ou de toute autre partie qu'il souffre, affirmez hardiment que cette douleur provient du foie. Ayez bien soin d'employer le terme d'obstruction, parce que les malades ignorent ce qu'il signifie, et il importe qu'ils l'ignorent » (Arnoldi de Villanova, Opéra, édité en 1505).
Cette façon de pratiquer la médecine n'était pas faite pour inspirer une grande confiance au public ; aussi, lorsque les rois ou les grands personnages s'adressaient aux médecins libres, ils faisaient contrôler l'avis des uns par les autres et, au lieu d'un médecin, en prenaient un nombre plus ou moins grand, pensant sans doute que l'ignorance multipliée devient la science.
Philippe le Bel avait douze médecins, entre autres un certain Hermingard, qui possédait l'art de deviner les maladies à la simple vue et sans tâter le pouls (Histoire littéraire de la France, t. XXI, p. 96).
Guillaume de Nangis raconte ainsi la mort de ce roi si bien soigné : « Le roi mourut d'une longue maladie, dont la cause, inconnue aux médecins, fut pour eux et pour beaucoup d'autres le sujet d'une grande surprise et stupeur. »
Philippe le Long, deuxième fils de Philippe le Bel, eut pour médecins Pierre de Caspicanie, Geoffroy de Courvot, etc. Il mourut à 28 ans. Et Guillaume de Nangis explique ainsi sa maladie : « Les malédictions du pape le rendirent malade ».
En fait de soins, on lui apporta à baiser un morceau de la vraie croix et un clou venant de la crucifixion du Christ. Cela ne le guérit pas. Il mourut.
Charles IV, son frère, vécut jusqu'à 34 ans. Son médecin était Guillaume Aymar, curé de Sainte-Marie du Mont. Charles IV eut au moins 22 médecins.
Dans un moment d'impatience, à la fin de 1393, on les chassa tous de Paris, mais ils revinrent.
En 1395, on appela de la Guyenne un sorcier nommé Armand Guillaume, qui s'était vanté de pouvoir guérir le roi par un seul mot (solo sermone). Il ne guérit pas et eut la bonne chance de ne pas en être puni.
En 1397, deux moines augustins, qui se disaient magiciens, offrirent aussi de guérir le roi ; ils lui firent prendre des perles réduites en poudre, ce qui n'eut pas l'effet qu'ils en attendaient, mais un autre qu'ils n'attendaient pas : ils furent décapités en place de Grève. A cette époque, c'est ainsi que les rois payaient leurs médecins.
Pendant que les hommes faisaient ainsi leur médecine, les femmes continuaient à soigner plus sérieusement les malades.
Mais cette concurrence déplaisait aux hommes. Une ordonnance de 1352 interdit aux femmes d'administrer aucune ancienne médecine, altérante ou laxative, des pilules ou des clystères.
Déjà, un édit du 11 novembre 1311 avait fait défense aux femmes d'exercer la chirurgie à Paris sans avoir été examinées par un jury compétent.
A partir du XIVème siècle, le cartulaire de l'Université de Paris abonde en documents relatifs à la lutte contre la Femme-médecin.
En 1312, le prieur de Sainte-Geneviève excommunie Clarisse de Rotomago pour exercice de la médecine.
Entre 1322 et 1327, Jeanne Converse, Cambrière Clarisse, Laurence Gaillon, subirent la même peine.
En 1331, une Clarisse est excommuniée de nouveau. Une dame noble eut à soutenir un procès retentissant, dame Jacobe Félicie ; elle avait étudié la médecine et la pratiquait. C'est cela que l'accusation lui reprochait quand elle disait : « falcem in messem mittere alienam », c'est-à-dire « mettre une faucille dans la moisson d'autrui est un crime ».
La Faculté lui intenta un procès, puisqu'elle s'était réservé « la moisson ». Cependant, dame Félicie ne soignait pas les malades pour gagner de l'argent, elle ne se faisait pas payer : Sept témoins furent appelés ; ils déclarèrent tous qu'elle ne leur avait jamais parlé d'honoraires. Dans presque tous les cas, les malades qui s'étaient adressés à elle étaient abandonnés par les médecins de la Faculté. Dominus Odo de Carnessiaco, frater Domus Dieu Parisiensis, « avait été traité sans succès par Maître Jean de Tours, par Maître Martin, par Hermann et plures alii ». Jeanne Bilant fut abandonnée par le même Hermann, par Mainfroi et autres ; Jeanne de Monciac s'adressa à dame Félicie après avoir subi le traitement des médecins Hermann, Mainfroi, Guilbert et Thomas. Et il en fut de même pour beaucoup d'autres, ce qui prouve que cette femme avait une science supérieure à celle des docteurs de la Faculté ; et, si quelqu'un devait être légitimement entravé dans l'exercice de la médecine, ce devait être eux et non elle. Tous ses malades parlaient d'elle avec reconnaissance, tous vantaient son dévouement, et, malgré la brillante défense qu'elle fit de son droit, elle fut condamnée par la Faculté, qui s'appuyait sur l'édit qui défendait aux femmes d'exercer la médecine.
Son procès est relaté dans le cartulaire.
Les statuts de l'Université de Paris nous fournissent la preuve que les femmes exerçaient la chirurgie, puisque, vers la fin du XIIIème siècle, un de leurs articles dit :
« Tout chirurgien ou chirurgienne, apothicaire ou apothicaresse, herbier ou herbière, ne passeront pas les bornes de leur métier. »
C'était alors spécialement un métier de femme que celui « d'étancher les plaies, de les entourer de bandelettes, de réduire les fractures ».
Il y avait des femmes ventouseuses et d'autres chargées de faire les saignées, de composer les élixirs et les potions, d'oindre les parties malades avec le suc de bonnes herbes et de les désenfiévrer.
C'étaient les femmes de cette catégorie que l'on désignait à Bruxelles, en 1360, par le nom de « Cloet latersen ».
Les luttes de la Faculté contre la science libre n'étaient pas toujours suivies de succès ; la population se mettait toujours du côté de ses anciens médecins ; on se méfiait des nouveaux docteurs de l'École.
Les statuts de la Faculté, en 1281, et le Concile d'Avignon, en 1337, s'étaient élevés contre l'ingérence des apothicaires et des herbiers (apothecarii vel herbarii) dans l'art médical.
Mais le public tient peu de compte de ces prohibitions, et, en 1319, la comtesse Mahaut d'Artois fait venir de Paris à Conflans l'herbière Perronnelle pour une consultation, ce qui dut bien déplaire aux médecins, puisque le nom de cette dame devint tout de suite un terme de mépris, c'est-à-dire de jalousie, et qu'il est resté dans la langue pour désigner une personne qui se permet d'avoir du mérite et d'être préférée aux hommes, donc jalousée et méprisée.
A cette même époque (vers 1364) vivait une savante d'un grand renom, Christine de Pisan, dont le père, Thomas de Pisan, était médecin de Charles V.
Les femmes occupaient encore une grande place dans la science, et la prohibition qu'on leur faisait d'exercer leur art était un fait nouveau dans le monde, qui dut soulever bien des récriminations, que l'histoire ne nous a pas transmises.
Dans tous les États d'Europe, nous voyons les mêmes faits se produire.
En Pologne, nous trouvons des documents qui signalent en 1278 une medica appelée Johana à Posen. En 1371, on en rencontre une autre à Cracovie, sans compter toutes celles qui ne laissent pas de traces dans les documents historiques.
Dans les actes de la ville de Cracovie, on lit ceci : « En 1371, l'échauson de Catherine la médecienne (pincerna Catherinae medicae) fut chassée de la ville pour coups et blessures. »
Le docteur Swiczawski, dans son travail sur les médecins en Pologne au temps de Casimir le Grand, dit, à propos de ce nom : « si ce n'est pas une erreur du copiste, supposant qu'on a mis medicae au lieu de Medicae avec une majuscule, ce qui serait un nom propre ». Il faut vraiment avoir un esprit bien étroit pour refuser ainsi de croire au rôle joué par la femme dans l'histoire, alors que partout à la fois les mêmes faits sont constatés.
La sœur du roi Casimir le Grand, Elisabeth, femme de Charles 1er, roi de Hongrie, étudia aussi la médecine, sans l'exercer cependant, à cause sans doute de sa haute situation. Cela prouve que c'était un art réservé aux femmes du grand monde. C'est elle qui est l'auteur d'un élixir contre les rhumatismes, appelé « eau de la reine de Hongrie », que les charlatans officiels imitèrent si grossièrement.
« Un jour, raconte la tradition, comme elle souffrait cruellement d'un rhumatisme aigu que personne ne pouvait guérir, elle fit infuser du romarin dans de l'esprit de vin rectifié et s'en frotta les membres plusieurs fois, à la suite de quoi elle guérit radicalement et, quoique déjà septuagénaire, vécut encore dix ans. »
C'eût été cependant bien nécessaire alors d'avoir de bons médecins, car la mortalité faisait de terribles ravages.
En 1348, il y eut « une grande mort », une peste noire importée d'Orient. Philippe VI demanda à la Faculté une consultation sur les moyens de combattre le fléau. La Faculté répondit que le fléau remontait à 1348, parce que cette année-là, le 20 mars, il y avait une conjonction des trois planètes supérieures dans le signe du Verseau. Et, au dire d'Aristote (un autre grand docteur), la conjonction de Saturne et de Jupiter suffit déjà pour produire la dépopulation des États.
Du reste, Albert le Grand pensait de même.
Ces arguments ne convainquirent pas le peuple, dont la conscience troublée voulait voir, dans tous ces malheurs, une vengeance divine.
Pendant ce temps-là, les malades mouraient, et les femmes étaient exclues des Facultés où on discutait de tout cela sérieusement.
On empoisonnait les fontaines, disait-on, puis on accusait les Juifs de ce méfait et on les massacrait.
La Faculté se perdait en minuties ; préoccupée de persécuter les femmes, elle oubliait tout le reste, et sa haine (ou sa crainte) de l'autre sexe était si forte qu'en 1393 on refusa d'admettre à l'examen de licence le bachelier Jean Despois parce qu'il était marié. Devenu veuf, il put continuer ses études, et fut même doyen de la Faculté en 1410 et 1411.
L'extraordinaire violation des lois de la Nature que le Catholicisme avait engendrée, eut comme conséquence l'apparition de maladies nouvelles que l'antiquité n'avait pas connues.
Une des plus bizarres est cette affection qu'on appelle la danse de Saint-Guy.
La danse de Saint-Guy se manifesta pour la première fois en 1374, peu après l'année de la grande mort.
On voyait se répandre dans les rues des hommes et des femmes, courant effarés, sans direction, sans but ; à un moment donné, ils se réunissaient, formaient des cercles, ou se tenaient par la main et dansaient, sautaient, se contorsionnaient de façon hideuse, jusqu'à ce qu'ils tombassent épuisés, haletants, l'écume à la bouche. Ils se plaignaient de vives angoisses et suppliaient qu'on leur serrât fortement le ventre avec des linges et qu'on leur donnât, sur l'abdomen, des coups de poing. Tant que durait l'attaque, ils ne voyaient rien, n'entendaient rien de ce qui se passait autour d'eux. La plupart étaient en proie à des hallucinations extatiques. Les uns voyaient des démons, d'autres le ciel ouvert ; il y en avait qui se croyaient noyés dans des mares de sang, d'où ils cherchaient à sortir en faisant des bonds de carpe. La couleur rouge, une musique bruyante, un visage triste, avaient la propriété de les exaspérer. Dans la province de Liège, on en rencontrait des bandes de plusieurs mille courant les villes et les villages. Ils envahissaient les églises et y exécutaient les danses les plus bizarres ; ils déclamaient contre les prêtres et les nobles, dont Satan ne devait pas tarder à briser la puissance. On les tint pour possédés et on les exorcisa. La maladie était contagieuse ; beaucoup de ceux que la curiosité attirait autour des danseurs, cédant à une attraction irrésistible, s'élançaient tout à coup au milieu d'eux, et se joignaient à la ronde.
C'était la première forme de l'hystérie de la femme, due à l'abstinence sexuelle et communiquée à l'homme par suggestion.
L'épidémie prit naissance sur les bords du Rhin et, de là, gagna tous les pays avoisinants.

LE CULTE DE MARIE AU MOYEN-ÂGE
Les siècles qui avaient brillé du Christianisme de Johana avaient remis en lumière la grande Myriam, et le culte de cette personnalité, entourée du prestige des choses lointaines, s'était répandu dans tout l'Orient.
Il avait une place prépondérante dans les Mystères et devait, par cette voie, arriver jusqu'aux temps modernes.
Les Catholiques comprirent que, pour faire accepter leur doctrine, il était indispensable d'offrir au peuple la continuation de cette légende mariale, dont on connaissait si peu l'histoire réelle qu'il était facile d'y intercaler la nouvelle légende de la Mère de Jésus devenu un Dieu sauveur. On pensa même que la Mère ferait accepter le fils, et on ne se trompait pas ; le culte de Marie se propagea facilement, et c'est elle qui, pendant tout le Moyen-Âge, eut dans la religion nouvelle la place prépondérante.
En 608, le pape Boniface IV consacra le Panthéon de Rome à Marie. C'était rétablir le culte de la Femme. On lui rendait son nom antique « Notre-Dame », si peu en harmonie avec la pauvre femme de Judée de la légende évangélique, si peu Dame.
Sans cette réintégration de la Femme dans la religion, le culte catholique eût certainement sombré. C'était une imitation lointaine du Paganisme, en laid, car la Sainte Vierge, dont le principal mérite est de ne pas être une femme comme les autres, est présentée sous un aspect qui l'enlaidit ; enveloppée de voiles, elle cache la radieuse beauté de la Femme. Son expression de douleur, sa maternité, qui prime tout, sont des conditions qui vont créer un art spécial, dont le Moyen Âge va remplir les églises, la reproduction du laid, les contorsions de la souffrance comme idéal.
C'est que le mensonge ne peut pas créer la beauté, qui restera toujours le privilège du vrai.
« Il ne faut pas croire, dit Burnouf, que le paganisme ait été promptement remplacé par la religion du Christ. Celle-ci était déjà montée sur le trône impérial depuis plus de deux cents ans, que l'on sacrifiait encore aux dieux dans plusieurs temples de la Grèce ; nous-même avons constaté, dans ce pays, que beaucoup de saints ou de personnages chrétiens n'ont succédé aux dieux d'autrefois que parce qu'ils portaient des noms pareils aux leurs, ou pouvaient être l'objet de cultes analogues. Saint Hélie a succédé à Hélios, le Soleil ; saint Démétrius à Dèmèter ou Cérès ; la Sainte Vierge à la Vierge Minerve, qui fut l'Aurore, et ainsi d'autres. Des traces nombreuses de l'ancien culte existent encore au sein du Christianisme, qui n'a jamais pu les effacer entièrement. Tous les faits recueillis dans ces dernières années, soit en Allemagne, soit en France ou ailleurs, prouvent que les religions ne font pas table rase quand elles se succèdent l'une à l'autre, mais qu'elles se pénètrent en quelque sorte à la façon d'un insecte qui se métamorphose, la forme nouvelle se substituant par degrés à l'ancienne et ne s'en débarrassant tout à fait qu'avec le temps.
« Ces lois générales, que tous les hommes de science admettent aujourd'hui, ont pour l'étude cette conséquence que plus une religion est moderne et universelle, plus sont nombreux les éléments qu'elle a réunis et qu'elle renferme dans son sein ; en d'autres termes, plus sont diverses ses origines. Un ignorant ou un esprit timoré peut seul s'imaginer que le Christianisme a tiré exclusivement son origine des Livres juifs ; car non seulement la doctrine chrétienne n'est pas tout entière dans la Bible, comme le pensent volontiers certains Israélites, mais encore, dans sa marche, elle a beaucoup emprunté aux idées grecques et latines, et plus tard à celles qui avaient cours au Moyen Âge dans la société féodale. Si du dogme on passe au rite, on voit que la majeure partie de ses éléments ont une source orientale et une signification symbolique par laquelle il se rapproche des cultes indiens. » (Science des Religions, p. 75.)
L'Église n'a accepté et glorifié Marie qu'à l'époque où elle n'a plus craint de voir renaître le culte des anciennes Déesses.
Dans les Évangiles catholiques, on a supprimé tout ce qui glorifiait la femme. Et cependant, à l'époque où on les faisait, Marie (la grande Myriam) était célébrée en maints endroits ; elle avait des temples dans les villes et des chapelles dans les campagnes, mais les Catholiques n'en parlent pas.
Lorsque, après la conversion de Constantin, on chercha à introduire la religion nouvelle en Gaule, on comprit qu'il faudrait des siècles pour détruire le culte de la Nature, qui y régnait, et la glorification de Marie, l'antique Déesse égyptienne. L'Église aima mieux faire des concessions ; elle rendit un culte à Marie à cause de sa rivalité avec les Johannites, bien plus puissants qu'elle, à cette époque, malgré les persécutions. Ce fut une surenchère : l'Eglise s'appropria la Sainte et l'exalta avec exagération, tout en l'incorporant dans sa légende, pendant que les Fraternités qui, dans les Loges de saint Jean, lisaient son nom à l'envers et en faisaient Hiram, la cachaient de plus en plus ; et c'est par cette ruse que les Catholiques ont dominé le monde et que les Johannites ont disparu.
L'Église a multiplié les temples, les fêtes, les pèlerinages et les prières, pendant que les défenseurs de la Vérité se cachaient et se taisaient.
L'abbé Orsini nous fait remarquer « ce soin héréditaire et incessant des souverains pontifes, d'animer en mille manières la dévotion publique envers Marie ; cet empressement de toutes les nations à se mettre sous son patronage ; cette ardeur des anciens Pères, des saints de tous les siècles, des peuples entiers, à défendre ses prérogatives contre ceux qui les attaquaient. ». C'est que, en effet, c'est toujours quand l'homme a tort qu'il met le plus d'acharnement à répandre les doctrines par lesquelles il se justifie.
Le culte de Marie fut une justification.
Toutes les religions de l'antiquité ont adoré la Femme. Le Catholicisme l'avait d'abord supprimée pour lui substituer un homme. Mais, comme l'homme n'adore pas un autre homme, il en est résulté que le Catholicisme n'a été qu'une religion pour les femmes faibles, qui ont adoré le Principe mâle dans Jésus. Quant aux hommes qui ont voulu retrouver une satisfaction à donner à leurs aspirations religieuses, ils ont introduit dans leur religion le culte de la Vierge Marie, pour perpétuer l'antique culte de la Femme.
Le culte de Marie se répandit plus vite que celui de Jésus, parce que Marie représentait une Déesse antique et avait un passé glorieux depuis Myriam, tandis que la légende de Jésus, avec toutes ses invraisemblances, ne pouvait être écoutée que comme une histoire sans valeur.
Puis, dans la Gaule, déjà, on attendait la Vierge qui devait enfanter ; on était donc préparé à la recevoir, mais on n'attendait pas un homme, d'autant plus qu'on voyait déjà, dans ce culte renversé des Catholiques, qui adoraient l'homme et n'adoraient pas la Femme, la cause des mauvaises mœurs qui régnaient partout et allaient prospérer.
C'est ce renversement des facultés psychiques des sexes qu'on appelait le Satanisme.
Donnant à l'homme la Divinité de la Femme, il y avait une apparence de logique à lui donner aussi le culte rendu à la Déesse, mais cette substitution fut grotesque et fit naître, pendant tout le Moyen Âge, la querelle résumée dans l'histoire du Satanisme.
L'Église, qui n'a jamais été qu'une société politique, n'a pas su appliquer aux besoins moraux de l'humanité les vérités profondes des lois de la Nature. Ses prêtres sont impuissants à comprendre l'antique science et le secret des Mystères.

LES COUVENTS AU XIVème SIÈCLE
Nicolas Clémengis, qui fut recteur de l'Académie de Paris, sur la fin du XIVème siècle, assure que, de son temps, les couvents de femmes n'étaient pas des sanctuaires de la Divinité, mais des temples  de Vénus (non la Vénus-esprit, mais la Vénus-sexe, ainsi que les hommes inférieurs la comprennent), des lieux de prostitution, des lupanars où la jeunesse lascive trouvait à satisfaire ses impurs  désirs : quicquid aliud smit hoc tempore puellarum monasteria, nisi quædam, non dicam Dei sanctuaria, sed Veneris exercenda prostibula, lascivorum et impudicorum juvenum ad libidines  explendas receptacula ?
Clémengis dit encore ailleurs : « Le peuple croit si peu à la charité des prêtres qu'ils ne sont reçus qu'à la condition d'amener leurs concubines ; ceux qui n'ont pas de femmes, disait-on, sont à  surveiller, car ils s'adressent communément à celles des autres » (Velly, Histoire de France).
Et Clémengis dit encore que « faire prendre le voile à une vierge, c'était la vouer publiquement à la prostitution » (Réthoré, Science et Religion, p. 322).
L'illustre Gerson juge de même les mœurs de son temps ; il dit : « Les cloîtres habités par des chanoines réguliers sont devenus des marchés publics et des champs de foire ; les couvents de religieuses  des façons de lupanars, prostibula meretricium. »
Dans l'Hodoporicon du vénérable Ambroise, général de l'Ordre des Camaldules, toujours au XIVème siècle, on trouve des révélations instructives sur les mœurs du temps. Chargé par le pape Eugène IV  de visiter et réformer les couvents des deux sexes appartenant à son Ordre, Ambroise dit que « les couvents de femmes étaient, pour la plupart, de vraies maisons de prostitution ».
Celui de Sainte-Catherine de Bologne, entre autres, était mis en communication, au moyen de voies secrètes, avec une caserne de soldats.
Au couvent de la Chênaie, il vit, dit-il, de telles infamies « que la plume se refuse à les décrire ».
Quant aux monastères d'hommes, il les trouva dans un état pire encore ; c'étaient, dit-il, des repaires de débauche crapuleuse, recelant toutes les variétés de vices. Il y en eut où il fut attaqué et faillit  perdre la vie.

ENCORE LE SABBAT
Il est bien certain que les hommes qui avaient abusé des femmes de tant de façons, devaient chercher des prétextes pour les empêcher de se plaindre. C'est pour cela qu'on invente les cachots, les supplices, les bûchers.
Mais il faut des prétextes pour brûler les gêneurs ; l'Église sait les inventer, c'est là son œuvre ténébreuse, et cela dit sans métaphore, car c'est la nuit, dans l'ombre, qu'elle place les infamies qu'elle  attribue à ses ennemis, infamies dont l'imagination populaire s'empare, qu'elle amplifie et qu'elle entasse sur la tête de ceux et de celles qui commettent le grand crime, qui osent penser, qui osent parler. Tel est le rêve affreux, tel est le cauchemar appelé Sabbat. Invention infernale, sortie de l'esprit malsain des coupables affolés à l'idée des révélations que de pauvres femmes pouvaient faire de leurs forfaits. Pour les empêcher de parler, on les accuse, et de quoi ? de choses irréalisables ! On nous représente un essaim de sorcières qui volent à travers l'espace, vers le sommet de la Rhune, ou qui vont exciter la tempête sur la mer de Terre-Neuve. Les femmes, dit Delancre, s'y montrent nues et échevelées, arrivent ou partent perchées sur un bouc ou sur un autre animal, portant un enfant ou deux en croupe, et ayant le Diable « ores au devant pour guide, ores en arrière et en queue, comme un rude fouetteur. Lorsque Ashavan les veut transporter en l'air, il les essore ou élance comme fusées bruyantes. »
Par des temps orageux où les vents et les nuages poussaient loin et impétueusement les pouldres mortifères, les initiés, le corps frotté de graisse ou d'un onguent magique, se rendaient au Sabbat. « C'est une grande foire où les sorciers, transportés par des diables, arrivent de tous côtés. Les uns sont réels, les autres illusoires et prestigieux ; les hommes, abrutis ou transformés en bêtes, y perdent l'usage de la parole. Les bêtes, au contraire, y parlent et semblent avoir plus de raison que les personnes. Cent mille sujets s'y trouvent quelquefois réunis. L'on y entend des sons d'instruments, consistant plus en bruit qui étourdit et qui étonne, qu'en harmonies qui plaisent et réjouissent. »
Au milieu se tient Ashavan ou Satan, sous la forme d'un oiseau noir ou d'un grand bœuf d'airain, couché à terre. Quelquefois, il adopte d'autres configurations : c'est tantôt un tronc d'arbre obscur, sans bras et sans pieds, « ayant quelque forme de visage d'homme grand et affreux » ; tantôt, il est assis dans une chaire noire avec une couronne noire, deux cornes au cou, une autre au front avec laquelle il éclaire l'assemblée, des cheveux hérissés, « le visage pasle et trouble, les yeux grands, ronds, fort ouverts, enflammés et hideux ». A son menton pend une barbe de chèvre. Le corps tient à la fois de l'homme et du bouc. Les mains, recourbées comme une patte d'oie, présentent des doigts égaux et aigus, appointés, aux ongles durs, il porte une longue queue comme celle d'un âne. Enfin, ajoute Delancre, « il a la voix effroyable et sans ton, tient une grande gravité et superbe, avec une contenance d'une personne mélancolique et ennuyée ».
Voilà donc l'hôte redoutable autour duquel la troupe convoquée commence à s'ébattre, et tout initié vient lui appliquer un baiser sur chaque partie du corps. Ce baiser est l'expression figurée par laquelle celui qui acceptait Satan pour maître « s'inféodait » à lui par un acte charnel. Après le baiser commence le cérémonial de l'offrande ; les invités apportent un œuf de serpent, une dent de loup, des tronçons de vipère, une branche de buis, et reçoivent après cela les stigmates infernaux avec la pointe brûlante de la corne et du sceptre de Baal-Zebub. Ces stigmates affectent la forme d'un lièvre, d'une patte de crapaud, de chien ou de chat. Les hommes portent ces marques tour à tour sur les lèvres, sur une de leurs épaules ou sur les paupières. Les femmes les reçoivent sous les aisselles ou en d'autres endroits du corps, destinés à être voilés.
Le festin ne présente pas une chère aussi succulente que celle des assemblées synodales. Ce ne sont que cadavres exhumés des cimetières et charognes dont les vers se sont gorgés.
Dans ces fastes infernaux, l'on n'a garde d'oublier de bénir la table, autour de laquelle s'exécute une marche processionnelle.
Enfin s'ouvrent les danses, où chaque saltatrice, ayant à l'épaule un crapaud volant, invente une gesticulation particulière. Aux sauts prodigieux des démons se mêlent les culbutes des nymphes, et c'est tantôt une ronde, tantôt un branle accompli par soixante sorcières, les unes nues et dos à dos, les autres traînant un chat noir attaché à la queue de leur chemise. La mort, sous la figure d'un squelette, tient l'orchestre, et l'on mêle aux accords de la sinistre violonneuse les cris de har ! har ! Sabbat, Sabbat !
Pendant que les danses s'exécutent, les initiés s'abandonnent aux embrassements des incubes ; hommes et femmes reçoivent à leur tour les caresses d'un souverain hermaphrodite. Mais bientôt les premières lueurs du jour dispersent les hideuses cohortes. Les chaudières cessent de faire bouillir des mets canidiques, et la sorcière regagne son antre.
Il est utile d'enregistrer ces documents curieux, pour que les générations à venir sachent comment les hommes ont calomnié les femmes.

MENTALITÉ DES FEMMES FAIBLES
Il se trouve toujours des femmes faibles pour soutenir les erreurs des hommes et quelquefois les amplifier.
Nous avons eu des saintes (ne faudrait-il pas dire plutôt des folles ?) qui nous ont donné des descriptions de l'enfer, telles, entre autres, la bienheureuse Catherine de Ricci, sainte Thérèse, la bienheureuse Osanne de Mantoue.
Une de ces femmes faibles, Françoise Romaine, l'esprit frappé par l'Enfer de Dante, écrit un siècle avant elle, prétend avoir vu en réalité ce que le poète avait imaginé. Voici la description qu'elle fait du Diable : « Au centre trône Satan, dont la tête s'élève jusqu'au sommet de l'abîme et les pieds touchent le fond ; il a les bras superbement étendus ; son front est couronné d'une énorme ramure de cerf, dont les nombreuses branches sont comme autant de flambeaux. Mais, tout roi qu'il est, des chaînes ardentes le tiennent lié à son trône d'ignominie. »
Nous trouvons dans ceci l'exagération des caractères physiques et symboliques de l'homme : la grande taille, comparée à celle de la Femme (on avait fait d'abord des hommes des géants, des Titans) ; le front couronné, soit de cornes, soit d'une ramure de cerf, emblème de la vie animale. Il est roi, puisqu'il est le dominateur, mais roi des ténèbres, assis sur un trône d'ignominie. Tout roi qu'il est, il est lié par la chaîne des passions, qui le rendent impuissant ! En lisant ceci, on est surpris du degré de crédulité des femmes qui écrivent ces choses, sans les comprendre, et épouvanté du rôle que peut jouer la fausse dévote, complice du mauvais prêtre.
Que l'homme ne croie pas à la réalité et la mette en dehors de la Nature, cela s'explique, son incrédulité est le sceau de sa dépravation. Mais Elle !... pourquoi le suit-Elle ?
Après cela, faut-il s'étonner du degré de crédulité des femmes qui donnent leur argent pour des motifs aussi baroques que ceux inventés par les prêtres qui font métier de vendre l'au-delà ?

LA SITUATION POLITIQUE DES FEMMES
Époque bizarre, où la Femme des classes élevées jouit encore de quelques-uns de ses anciens privilèges, tandis que celle des classes inférieures tombe dans un état d'asservissement épouvantable.
Le service de justice, comme le service de guerre, pouvait être rempli par la femme vassale ou suzeraine ; elle avait le droit de venir en personne siéger à la cour féodale et rendre la justice elle-même.
En sa qualité de vassale, elle avait droit à toutes les dignités de la cour.
Mahaut, comtesse d'Artois, assista comme pairesse au jugement du Parlement qui débouta son neveu Robert III de ses réclamations en 1309. En 1315, elle siégea avec les pairs et onze autres grands seigneurs.
Elle fit, en 1316, office de pairesse au sacre de Philippe V, son gendre, soutenant comme les autres pairs du royaume la couronne sur la tête du roi.
Jeanne de Montfort disputait la Bretagne à Jeanne de Blois et commandait en personne ses vassaux. « Si n'y avait oncques d'homme plus ferme achevai et qui frappait de si grands coups », disent les
chroniques.
Voici un document qui trouve sa place ici. M. Paul Violet, de l'Institut, consulté au sujet du vote des femmes, a répondu ceci :
« Non, certes, je ne suis pas un admirateur du code civil. Je lui adresse même, en qualité d'historien, un reproche que je n'entends pas souvent formuler : il a, dans plusieurs de nos provinces, amoindri très gravement la situation de la femme mariée, en sorte que restaurer le droit inscrit dans quelques vieilles coutumes serait, en l'an de grâce 1910, un progrès considérable.
« Le suffrage des femmes nous ramènerait tout simplement à des usages très anciens, usages qui, certes, ne furent point universellement adoptés, mais qui furent en vigueur dans divers pays, et qui ont trouvé, des le XIIIème siècle, un théoricien considérable. Ses contemporains l'avaient surnommé le « Père du Droit » ; c'était même le « Père des Fidèles » ; il s'appelait Innocent IV.
« Dans les premiers siècles du moyen âge, les femmes des plus hauts personnages, empereurs, rois ou grands feudataires, ont souvent joué un rôle politique ou administratif, partagé les travaux de
leur mari, suppléé ce mari. Qui ne connaît l'histoire de Mathilde de Toscane au temps de Grégoire VII et d'Urbain II ?
« Reines, duchesses ou comtesses ne sont point les seules femmes qui se mêlent, en ces temps-là, aux affaires publiques. Si j'étudie, par exemple, les origines des Trêves de Dieu, je constate que, dans une des grandes assemblées populaires, sorte de conciles mi-civils, mi-ecclésiastiques, qui organisaient ces Paix ou Trêves, figurent non seulement des laïques, mais aussi des femmes. A la même époque, nous rencontrons, dans les sphères supérieures, des dames de haut rang qui président des cours de justice ; dans les sphères inférieures, des femmes qui sont investies des droits de basse  justice ; elles sont « mairesses ».
« Innocent III, en 1202, se préoccupe de ces coutumes contraires au droit romain ; il en reconnaît l'existence régulièrement établie chez nous, et même il confirme une sentence prononcée par la Reine de France, laquelle avait été prise pour arbitre entre deux couvents. Cette Reine était Ingeburge de Danemark, épouse de Philippe-Auguste.
« Le rôle politique des femmes devient plus rare au XVème siècle et dans les siècles suivants ; mais ces usages ne disparaissent pas subitement. En 1315, Mahaut, comtesse d'Artois, pairesse de France, siégea avec les pairs et onze autres grands seigneurs.
« En 1378, deux pairesses croyaient encore nécessaire de s'excuser de n'avoir pu assister à la séance du Parlement du 9 décembre.
« Aux États provinciaux du Limousin, réunis en 1486, figure, dans les rangs des nobles, une femme, « Mademoiselle Dorval ».
« En un temps où certaines femmes d'un rang élevé font pareille figure, il n'est pas surprenant que, dans d'humbles villages, les femmes du peuple aient contribué parfois à s'occuper des affaires publiques.
« En 1306, par exemple, lors des élections générales de Tours, les femmes de Ferrières, près Beaulieu, en Touraine, se réunirent aux hommes pour la désignation du député. En d'autres petites localités, les femmes ont pris part à des assemblées générales d'habitants, tenues à l'occasion d'affaires très diverses (assemblée à Ébikon, canton de Lucerne, en 1259 ; assemblée dans la vallée dé Saint-Savin, aux Pyrénées, en 1316).
« Dans les assemblées communales réunies pour les élections aux États généraux de 1560 et de 1576, on voit figurer quelquefois des veuves ou des filles.
« Je ne croispas que la présence des femmes dans les assemblées électorales, au moyen âge, ait été un droit général. Je ne la constate qu'exceptionnellement. Mais que d'habitudes, que d'usages locaux doivent nécessairement m'échapper ! Je suis porté à croire qu'au XIIIème siècle, Innocent IV avait vécu dans des milieux où les femmes étaient couramment électrices, car ce n'est point en manière de réformateur, de novateur, qu'il proclame le droit des femmes. Il l'impose en quelques lignes, très simplement, sans aucun commentaire. Ce texte très important figure dans un gros ouvrage qui a joui et jouit encore, parmi les canonistes, d'une très grande autorité.
« Le pape parlait, bien entendu, comme docteur privé, enseignant que les droits électoraux appartiennent à toutes les femmes, filles, femmes mariées ou veuves.
« Mais ni vous ni moi ne suivrons Innocent IV jusqu'au bout, car il admet, pour les hommes comme pour Ies femmes, une majorité politique bien précoce, à 14 ans.
« Quant aux mineurs, les tuteurs voteront pour eux.
« J'ai donné une référence avec soin dans mon Histoire des Institutions.
« Le moyen âge, qui nous semble une époque de ténèbres épaisses, d'ignorance complète, avait cependant encore des usages dérivés de l'antiquité, qui en faisaient une époque plus lumineuse que l'on ne croit ; si l'idée catholique n'était venue l'assombrir, elle aurait eu même une certaine grandeur ; qu'on en juge par ce projet de réformé de l'enseignement proposé par Philippe du Bois sous Philippe le Bel, projet inspiré, par l'idée qu'il fallait envoyer en Terre Sainte des femmes pour convertir les hérétiques.
« Voici ce qu'on propose de leur faire apprendre dès l'âge de 4 à 5 ans, pour se préparer à cette sainte mission : « Assez de latin pour pouvoir le comprendre, assez de grec, d'hébreu, d'arabe pour
pouvoir converser avec les populations orientales, assez de sciences naturelles, de médecine et de chirurgie pour pouvoir pratiquer l'art de guérir. Ainsi instruites, elles ne manqueraient pas de gagner la confiance des peuples par leur science et par leur habileté. »
« Qui donc oserait, dans nos temps modernes, proposer d'enseigner tout cela à nos jeunes filles ?
« Du reste, en 1380, on comptait à Paris 20 écoles pour les filles ; il est vrai qu'il y en avait déjà 40 pour les garçons, mais l'inégalité est moins grande alors qu'elle le sera plus tard (1).
« Enfin, rappelons-nous que le XIVème siècle vit paraître Clémence Isaure, cette dame de Toulouse qui institua les jeux floraux et que quelques misogynes modernes cherchent déjà à supprimer de l'histoire. Ces négateurs de la Femme sont terribles. C'est M. Dieulafoy, le même qui trouva que les prophètes étaient des hystériques, qui veut nous prouver que cette femme remarquable, dont la mémoire a été si longtemps vénérée dans le Midi, au nom de laquelle l'Académie toulousaine a décerné tant de récompenses, n'a jamais existé. Cela nous montre comment les historiens ont procédé dans l'antiquité. Cette négation de la Femme, portée dans les temps modernes et continuant la négation antique, est un symptôme ; il faut le connaître, parce qu'il reparaît continuellement. Nos descendants verront nier Georges Sand, à moins qu'elle ne reste comme un romancier masculin. C'est ainsi que les montagnes d'œuvres féminines ont disparu, que tous les documents qui pouvaient relater son histoire ont été détruits, que nous sommes condamnés à ignorer les livres qui ont été l'origine de la grande civilisation des temps antiques. C'est ainsi que perpétuellement disparaît l'effort de la pensée, sans cesse anéantie par la folie. »
(1) « Les petites, écoles de Paris qui existent, au XIVème siècle sont des entreprises privées fonctionnant sous la surveillance du chantre de Notre-Dame. Il y avait des écoles de garçons et des écoles de filles, il y avait aussi quelques écoles mixtes. Un règlement qui date de 1337 fit défense absolue aux maîtres de recevoir les filles, avec les garçons et aux maîtresses de recevoir les garçons avec les filles. C'est la première indication précise de la règle scolaire qui a ensuite prévalu, et qui voulait que chaque enfant fût enseigné par des maîtres de son sexe.
« L'enseignement donné dans les petites écoles était des plus rudimentaires ; il se bornait à quelques notions très élémentaires de grammaire, au catéchisme et à la lecture des offices en latin.
« Le système de la coéducation des sexes est vaincu. A peine se maintiendra-t-il encore dans les campagnes, dans les lointains villages, sous la forme un peu primitive des écoles mixtes confiées à quelques vieilles filles, à quelques béguines, et dont quelques-unes ont subsisté jusqu'à ce siècle. L'année 1337 sonne le glas de l'instruction féminine. Beaucoup d'écoles disparaissent, surtout celles des filles. Le continuateur de la chronique de Guillaume de Nangis nous révèle qu'après la peste de 1348, il était à peu près impossible de trouver des maîtres et des maîtresses d'écoles. »

LA FEMME EXCLUE DE LA COURONNE DE FRANCE
Les premiers États généraux eurent lieu en 1304, sous Philippe le Bel.
Philippe de Valois succéda à son cousin Charles IV, en 1328, parce que les États généraux avaient décidé que les femmes ne pouvaient pas hériter de la couronne de France. Sans cela, l'héritière de la couronne aurait été Isabelle, fille de Philippe le Bel, et après elle son fils Edouard III, qui était roi d'Angleterre.
Edouard III prétendait que les États généraux n'avaient pas le droit de faire ce qu'ils avaient fait et que c'était lui qui était roi de France.
Philippe de Valois causa le malheur de la France.
La guerre de Cent ans contient en germe les principes de la guerre des Deux Roses.
La Rose rouge est féministe, la Rose blanche masculiniste.
Trois malheureuses reines furent mêlées aux événements qui résultèrent de cette loi injuste qui exclut les femmes du trône de France : Eléonore de Guyenne, femme de Louis le Jeune, Isabelle de France, fille de Philippe le Bel, et Isabeau de Bavière, épouse de l'insensé Charles VI.
Éléonore de Guyenne, répudiée, se remarie avec Henri d'Anjou, roi d'Angleterre, et lui porte en dot les plus fertiles provinces de France.
Le roi d'Angleterre se trouva, à la faveur de ce second mariage, réunir les duchés de Normandie et d'Aquitaine, les comtés d'Anjou, de Poitou et du Maine, et devint ainsi un des plus redoutables vassaux de la couronne de France.
Isabelle de France, fille de Philippe le Bel, épousa Edouard II et vécut mal avec lui. Elle profita des troubles du royaume pour armer contre lui et lui faire la guerre.
Ayant convoqué un Parlement, elle le fit déposer juridiquement, et, peu après, il mourut.
Edouard III, son fils, qui lui succéda, fit enfermer la reine pour le reste de ses jours.
Mais cela n'empêcha pas qu'il se prévalût des droits qu'elle lui donnait au trône de France pour allumer contre Philippe de Valois la guerre violente qui mit la France à deux doigts de sa perte.
La troisième, Isabeau de Bavière, avait consenti à l'exhérédation de son fils, pour appeler au trône son gendre Henri V. Ce fils indigne lui volait son argent.
Charles VI, dans un moment de prétendue lucidité, surprit un galant avec la reine, dit-on, le fit coudre dans un sac et jeter dans la Seine. Puis il fit enfermer sa femme dans un château-fort. Mais elle trouva le moyen d'appeler le duc de Bourgogne à son secours et de l'intéresser à sa délivrance. Il la délivra, en effet, et conclut avec elle une ligue où entra le roi d'Angleterre.
Telles étaient les victimes de ce prétendu droit qui consacra toutes les irrégularités et donna lieu à toutes sortes d'intrigues.
Ces malheureuses femmes sont torturées, couvertes de boue, accusées de meurtres, de débauches, d'ambition, etc., etc.
Ce sont elles qui ont commis tous les crimes de leurs maris !... Et cela parce qu'on leur a volé le droit de régner.
Charles VII, ce fils indigne, avait vu le duc de Bourgogne abattu à ses pieds par un de ses serviteurs. Accusé de ce meurtre, il avait été cité par le Parlement de Paris, condamné par contumace et déclaré incapable de régner. On avait donné sa sœur Catherine pour épouse au roi d'Angleterre, et, sans s'occuper des prétendues lois du royaume qui excluent les femmes du trône, on lui avait décerné la couronne.
Mais, quand la femme n'est pas une rivale, elle a toutes les qualités.
Ainsi, voici Jeanne de France, la femme de Philippe le Bel, qui lui laissa administrer ses États héréditaires. Ce fut elle qui remporta la victoire qui rendit la Navarre au roi.
Belle, généreuse, tolérante, lettrée, éloquente, elle récompensa magnifiquement les savants de son époque.

LES COMMUNES
Les vilains et les serfs vont faire des Communes contre les seigneurs. Ils demandèrent une charte (carte) par laquelle le seigneur leur donnait la liberté. Quand ils l'eurent obtenue, ils devinrent des hommes libres appelés bourgeois. Les bourgeois émancipés devinrent des citoyens.
La Charte des Communes n'était qu'une ligue entre les rois et les villes pour se soustraire au pouvoir des hauts barons.
Le roi confirmait la Charte et protégeait les Communes contre les seigneurs, ses ennemis.
L'organisation des Communes, idée pour laquelle on s'est battu en France en 1870, est très mal connue.
La Commune est gouvernée par un maire et des échevins nommés par les bourgeois. Tous étaient soldats et formaient la garde civique, la milice communale. La ville était entourée de murailles comme le château des seigneurs. Sur la place, le beffroi où des sentinelles veillaient et sonnaient le tocsin en cas de danger.
Cette organisation de la Commune est le système qui a prévalu en Belgique ; seulement, celui qu'en France on appelle le maire a continué à s'appeler le bourgmestre.
Les comtés, les duchés et les domaines des seigneurs s'étaient appelés fiefs ou féods, d'où féodalité (régime matriarcal). Nous voyons ici ce qu'ils en ont fait, un régime de désordre.
Quant aux anciennes tribus maternelles, elles sont devenues nomades, elles n'ont plus de territoire, plus de Matrie, plus de propriété nulle part, plus aucune autorité pour les protéger, et on les poursuit encore par un reste d'habitude. Ce sont ceux qu'on appelle des Bohémiens, des Romanichels, des Israélites, des Féministes !...

LA RENAISSANCE
La Chevalerie est vaincue par une réaction masculine, et où prend-on les éléments de cette réaction ?
Dans les écrits des Grecs, que l'on n'avait jamais perdus, mais dont on ne s'occupait pas.
Vers le XIVème siècle, dans la poussière des vieux cloîtres étaient entassés des rouleaux latins et grecs transcrits d'âge en âge. On se précipita sur cette pâture, on raviva ce germe qui aurait péri dans l'oubli et d'où sortit la renaissance du masculinisme qui fit sombrer la Chevalerie.
On retira ce que le temps et les rongeurs en avaient épargné.
Depuis 1500 ans, la nation celtique avait entre les mains ces œuvres, elle les copiait et les recopiait sans se douter qu'elle maniait des trésors capables de faire une renaissance ; on ne saurait donc dire que ce soient ces livres qui ont produit une nouvelle vie intellectuelle.

PÉTRARQUE À L'AURORE DE LA RENAISSANCE (1304-1374)
Au milieu de cet âge de fer, de confusion intellectuelle et de perturbation morale, une délicieuse légende courut toute l'Italie renaissante. Elle disait qu'on avait trouvé, dans un des tombeaux antiques qui jalonnaient si mélancoliquement les premiers milles de la voie Appienne, le corps d'une jeune fille miraculeusement conservé et d'une beauté indicible. Le teint avait une fraîcheur virginale, les yeux étaient mi-clos et leur regard vivant ; la bouche entr'ouverte semblait prête à parler. Pour soustraire la merveilleuse momie aux regards des profanes, ou par suite d'une idolâtrie naissante, le pape l'aurait fait porter au Capitole, d'où elle aurait un jour mystérieusement disparu.
La légende avait raison. La vierge romaine n'était qu'endormie, et ses yeux s'entr'ouvraient aux lueurs de la Renaissance ; et, dans ce même Capitole où elle était prisonnière, Pétrarque, le jour où il y monta, la vit, et, sous le souffle ardent du chantre désespéré de Laure, elle s'éveilla et le consola, l'ayant pris pour premier amant. Et il lui fut fidèle jusqu'à la mort, qui le surprit penché sur ses manuscrits où palpitait l'âme de son amante. Alors la beauté pure se leva sur le monde en travail du moyen âge, et dans la cave scolastique un rayon filtra, et le pédantisme s'inquiéta du goût, et le chaos aspira à l'harmonie.
C'est donc le retour à la Femme, dont Pétrarque est le premier chantre, qui est l'aurore de la Renaissance. Ce n'est pas la vierge ressuscitée de la légende qui l'inspira, c'est la Déesse vivante, c'est Laure de Noves (ou de Sade). C'était par une belle journée d'avril, elle était venue à l'église des religieuses de Sainte-Claire. Là, lui aussi était venu ; il était alors un jeune ecclésiastique de belle mine, aux cheveux frisés au petit fer, finement chaussé et fort attentif à sauver la blancheur de ses vêtements du piétinement des haquenées. Il était entré dans cette église avec tous ses vieux préjugés ; il y reçut l'étincelle d'amour qui en fit un homme nouveau, étincelle qui alluma en lui un incendie qui dura vingt ans. Ce fut la cause première de sa gloire ; il comprit dès sa jeunesse ce qu'était l'amour sacré, et, quoiqu'il traversât les orages des passions, une lueur continua à briller en lui. La flamme adoucie luit comme en une lampe fidèle au-dessus de l'autel ; dans son amour spiritualisé, il confond Laure et la Vierge, la réalité et le rêve.

BOCCACE
Jeanne de Naples, la vaillante (1327-1380) qui passa son existence dans les pires conflits avec le pape Clément VI, qui finalement dut consentir à tout ce que voulait la Reine, Jeanne était extrêmement instruite ; sa cour se composait surtout de savants, d'artistes, de lettrés, entre autres Boccace, connu grâce à elle ; mais qui connaît celle à qui il doit sa popularité ?

LE SAINT SUAIRE DE JÉSUS
Le succès obtenu par la légende de Véronique et de l'image de Jésus, qui, depuis plus d'un siècle, était devenue populaire et avait passé par la crédulité publique pour Une vérité acquise, eut un résultat qui était à prévoir ; il suscita des imitateurs, et, comme toujours, les derniers venus allèrent plus loin que leurs devanciers. Ce ne fut plus seulement la face de Jésus qu'on prétendit avoir dans une empreinte ; on imagina de représenter son corps tout entier, imprimé sur un linceul, et on créa le Saint Suaire du Sauveur.
On se préoccupait peu à ce moment de la vérité historique ; on n'avait même pas l'idée de consulter les Évangiles, et l'idée qu'on pouvait se mettre en opposition avec les textes ne pénétrait même pas dans les esprits.
En effet, l'Évangile de saint Jean dit ceci :
« Simon Pierre entra dans le sépulcre et vit les linceuls posés à terre et le suaire qui avait couvert la tête, séparé des linceuls et plié à part. »
Si le suaire couvrait seulement la tête, comment porterait-il l'image du corps ?
Mais les faussaires ne pensent pas à tout. Voici l'histoire de cette relique :
Le 20 juin 1353, Geoffroy 1er de Charny, chevalier, seigneur de Savoisy et de Lirey, fonde et dote la collégiale de Lirey (Aube) et offre à l'église des présents où, parmi des vases précieux et autres reliques, se trouve une image ou représentation du suaire de Notre-Seigneur Jésus-Christ, dont l'ostension attire bientôt de tous côtés les pèlerins et les aumônes.
Quelque temps après, nous voyons l'évêque de Troyes s'émouvoir de l'état de choses, qui commence à donner lieu à la légende. Et ici nous assistons à une lutte fort curieuse des chanoines de Lirey, en guerre contre leurs évêques, qui successivement interdisent l'exhibition pompeuse destinée à tromper la population sur la nature de l'image. Les théologiens réunis en conseil reconnaissent une peinture habile et font en outre cette observation : si le Sauveur avait réellement imprimé sa face et son corps sur le linge qui l'enveloppait, comment les évangélistes auraient-ils omis de mentionner un tel événement ?
Cependant, le chapitre de Lirey ne se tient pas pour battu ; un messager envoyé à la cour d'Avignon rapporte l'autorisation donnée par Clément VII d'exposer publiquement le Saint Suaire malgré la défense de l'évêque.
Pierre d'Arcis écrit alors au roi de France. Et bientôt le bailli de Troyes, au nom du Parlement de Paris, commande au doyen et à ses chanoines de livrer le drap. Ils refusent et font appel au pape. L'évêque en fait autant dans un mémoire très curieux où il établit la vérité. Tout ceci se passe en l'an 1389.
Le pape répond par quatre bulles, dont la première est décisive, puisqu'elle ordonne à quiconque exposera le Suaire de proclamer à haute et intelligible voix que cette image ou représentation n'est pas le vrai suaire de N.-S. J.-C, mais seulement une peinture, un tableau qui le figure ou représente.
Si la conviction de Clément VII n'était pas faite avant, il est certain que le mémoire de l'évêque suffit à l'éclairer. Ce mémoire atteste un fait très important : l'aveu du peintre lui-même. Dans la minute originale qui existe dans les manuscrits de la Bibliothèque Nationale (collection de Champagne), se trouve cette phrase :
« Et enfin, à la suite d'un examen attentif et d'une enquête diligente, il a découvert la fraude et reconnu par quel procédé l'étoffe avait été peinte. L'aveu même de l'artiste, auteur de la peinture, confirma qu'elle avait été exécutée de main d'homme et non par l'effet d'un miracle. (1) »
Ce qui est certain, du reste, c'est que les chanoines de Lirey n'ont jamais, en aucune occasion, invoqué l'authenticité du suaire et de l'image. Ce qu'ils veulent, c'est le droit de la représentation solennelle ; et, pour le reste, ils se contentent de laisser croire le peuple.
Après la bulle de Clément VII, l'éclat de la relique pâlit et s'éteint. Vingt-huit années se passent. Des bandes de pillards désolent alors le pays. Effrayés, les chanoines confient au comte Humbert, petit-fils du donateur, le trésor de leur église. Ils le réclament vingt-cinq ans plus tard par la voie légale, parce que, le comte étant mort dans l'intervalle, sa veuve Marguerite allègue que le reçu de son mari ne la concerne pas et refuse de le leur rendre. Elle est assignée devant le Parlement de Dôle. Pour éviter les frais, on transige : Marguerite rend les objets, sauf le suaire qu'on lui permet de garder trois ans en échange d'une rente annuelle de douze francs. Après trois ans, nouveau refus. Nouveau procès. Ils se multiplièrent du reste dans la vie de cette singulière et audacieuse Marguerite de Charny. Les procès se suivent. Chaque fois, C'est une demande nouvelle de sursis avec des promesses qu'elle ne tient pas. Avant l'expiration du dernier délai, nous la voyons promener sa relique en Hainaut et en tirer de belles sommes d'argent. C'est même à ce moment que deux professeurs en théologie envoyés par Jean de Heinsberg, évêque de Liège, ému du bruit causé par le linceul, obligent Marguerite de Charny à leur montrer les trois bulles de Clément VII qu'elle porte sur elle avec un induit de Pierre de Luna, témoignant que le suaire n'est qu'une représentation. Le terme d'octobre 1449 est écoulé. Marguerite ne revient pas, naturellement. L'affaire vient devant le prévôt de Troyes, et, cette fois, la dame de Lirey trouve le moyen d'obtenir un dernier sursis en faisant verser une somme annuelle aux chanoines par son frère. Puis nous la retrouvons en Savoie, où elle cède au duc Louis 1er et à sa femme Anne de Lusignan le suaire des chanoines. Disons tout de suite que, menacée et condamnée enfin par l'official de Besançon, Marguerite de Charny meurt sans se soumettre.
Cent trente années s'écoulent. En 1578, saint Charles Borromée quitte Milan pour se rendre à pied jusqu'à Chambéry, devant l'image qui se trouve dans la Sainte Chapelle. Mais le duc et la duchesse (Emmanuel-Philibert et Marguerite de France), pour lui éviter la moitié du voyage, obtiennent de l'évêque de Maurienne, doyen de la Chapelle, d'envoyer à Turin, pour peu de temps, la relique ; ce qui a lieu. C'est en vain que le doyen la réclama ensuite ; jamais le duc ne voulut la faire reprendre, assurant qu'elle « ne serait pas en sûreté à Chambéry ». Et c'est ainsi que le suaire demeura à Turin jusqu'à nos jours.
Le suaire apparaît pour la première fois en 1353. Et ceci déjà est significatif. Personne, jusqu'à présent, n'a pu en trouver trace avant cette date, pour le motif plausible qu'il fut fabriqué à cette époque. Il est difficile, en effet, à notre raison de comprendre comment, au moyen âge, un objet sacré d'une telle valeur pouvait avoir passé inaperçu, quand, au IVème siècle, nous trouvons un si grand nombre de « vraies » croix, et que sainte Hélène n'élève pas moins de trois chapelles pour célébrer celle qu'on découvrit pour elle à son arrivée à Jérusalem.
Grâce aux intéressants travaux de deux savants chanoines, l'abbé Lanore et l'abbé Ulysse Chevalier, ce dernier, correspondant de l'Institut, ne consacra pas moins de trois ouvrages, lumineusement précis et documentés, à l'étude des dossiers du suaire de Turin, nous pouvons suivre les aventures de la relique depuis son apparition jusqu'à ce jour, et cela, chose rare, sans arrêt ni lacune.
(1) Et tandem, solerti diligentia procedente et informatione super hoc facta, finaliter reperit fraudem et quomodo pannus ille artificialiter depictus fuerat, et probatum fuit etiam per artificem qui illum depinxerat, ipsum humano ope factum, non miraculose confectum vel concessum.

CHARLES VI
Le règne de ce roi fou symbolise bien cette époque. La folie masculine, résultat de la débauche, était partout répandue, mais on n'en reconnaissait pas la cause réelle. On attribua la folie du roi aux enchantements du duc d'Orléans, lequel était, dit-on, l'amant de la reine Isabeau, rien de plus humain, aussi nous voulons bien le croire. On accusait ce prince d'avoir voulu faire mourir le roi par enchantement.
Dans ses violences, Charles laissait entrevoir ses soupçons contre son frère ; en fallait-il davantage pour que celui-ci eût à subir la vengeance de ceux qu'il accusait et qu'il gênait ? Toutes ces horribles mœurs sont le résultat du mariage. Si on ne donnait pas à un homme des droits sur une femme, si chacun restait libre de sa personne, comme le veut la Nature, les crimes commis pour se libérer d'un joug insupportable ne se seraient pas commis, pas plus que ceux contre les personnes gênantes, ni ceux qui naissent d'un emportement auquel on donne libre cours parce qu'on le croit légitime, et qu'on saurait très bien réfréner si les mœurs le condamnaient au lieu de l'encourager.
Voici comment Charles VI devint fou : Au mois d'août de l'an 1392, comme il traversait une forêt du Maine, se rendant en Bretagne, un homme de mauvaise mine, vêtu d'une cotte blanche, s'avance soudain d'un taillis, saisit le cheval du roi par la bride et s'écrie d'une voix formidable : « Arrête, noble roi ; ne chevauche pas plus loin, tu es trahi ! » C'était probablement un autre fou. On accourt. L'homme lâche prise, mais il continue de suivre Charles en poussant toujours son cri : « Tu es trahi ! Tu es trahi ! »
Au sortir de la forêt, on se trouve dans une plaine sablonneuse, brûlée en ce moment par un torride soleil d'été. La cavalcade était morne et silencieuse. Tout à coup, le roi entend derrière lui un bruit d'acier entrechoqué. C'était un chevalier qui dormait et qui venait de laisser tomber sa lance sur le casque d'un autre. Charles tressaille, se retourne et tire son épée ; il court sus à son frère en s'écriant : « Aux traîtres, ils veulent me livrer ! » Le duc réussit à se mettre à couvert, mais, avant qu'on eût pu désarmer le roi, quatre hommes avaient péri (joli roi, fou et assassin ! ).
Quelques temps après, dans un moment de demi-lucidité, il donnait une fête à son hôtel Saint-Paul à Paris. On lui avait mis dans la tête de se déguiser en satyre, cela devait en effet bien lui aller ; cinq jeunes gens de la cour prirent le même costume. Pour leur faire une peau poilue, on colla sur eux une toile enduite de poix-résine sur laquelle on appliqua une toison d'étoupe. Le roi, ainsi déguisé, menait en laisse les cinq chevaliers, attachés l'un à la file de l'autre. Pendant qu'on dansait, quelque malin, pour faire peur aux dames, mit le feu aux étoupes. En un clin d'œil, les jeunes gens furent entourés de flammes. On ne sauva que le roi, grâce à la présence d'esprit d'une femme, la duchesse de Berry, qui le couvrit prestement de sa robe. Cette frayeur fut pour le roi le dernier coup porté à sa raison. Il attribuait tout ce qui lui arrivait à son frère. Il se croyait envoulté, et tout le monde à la cour le croyait avec lui ; personne ne voyait que cet envoultement, c'était lui-même qui se le donnait, puisque c'était le résultat de ses propres actes.
Il se voyait, dans ses armes, sous la forme d'un lion percé d'un glaive : « Ah ! s'écriait-il dans ses heures de crises, si quelqu'un de la société cause mes souffrances, je le conjure au nom de J.-C. de ne pas me torturer davantage. Qu'il ne me fasse pas tant languir ; qu'il me tue tout de suite ! » Puis, s'adressant au duc d'Orléans, il implorait sa pitié, le suppliait de retirer l'épée dont il avait, disait-il, le cœur transpercé. On appela de Guyenne un magicien, qui s'était vanté de guérir au moyen de formules tirées d'un grimoire qu'il disait lui venir directement d'Adam et qu'il appelait Simagorad. Dieu l'avait lui-même mis entre les mains du premier homme pour le consoler de la perte d'Abel. C'est à ce fou qu'on confiait la guérison d'un autre fou ! On le renvoya et on le remplaça par deux moines. Mais un astrologue d'Angers, du nom de Jacques, ayant lu dans les astres que ces moines cherchaient plutôt à faire mourir le roi qu'à le guérir, on leur coupa la tête. Telle était la science et la justice de ces hommes.
C'est à Charles VI que nous devons les plus douloureux souvenirs de nos annales : le gaspillage financier, la révolution en permanence, la guerre civile compliquant la guerre étrangère, l'invasion, Azincourt, la démoralisation du peuple et la dissociation de la patrie, Maillotins et Cabochiens, Armagnacs et Bourguignons, les Écorcheurs et les Anglais.
Charles VI, pendant ses années de lucidité, avait institué un Ordre de chevalerie en l'honneur de la Sainte Vierge, l'Ordre de l'Espérance, et voulut qu'une étoile en fût le symbole. Notre-Dame de l'Espérance et ses chevaliers sont le pendant ou la copie, ou la parodie des Chevaliers du Temple qui guerroyaient pour la vérité.

QUINZIÈME SIÈCLE
LA MORALE CHRÉTIENNE
La morale chrétienne était devenue un absurde enchevêtrement de folies. Elle était surnaturelle comme le dogme. Ainsi, nous voyons une bulle du pape Innocent III, du 9 décembre 1484, dans laquelle il est dit : « Il est parvenu à notre connaissance qu'un certain nombre de personnes de l'un et de l'autre sexe, s'écartant de la foi catholique, se livrent aux démons incubes et succubes. ». Accuser les gens de se livrer au démon, alors que le démon a été mis hors du monde, c'est un acte de folie. Pourquoi ne pas reconnaître franchement alors que le démon est terrestre et humain ?
La morale chrétienne était au XVème siècle celle que Machiavel (1469-1527) a résumée dans son livre « Le Prince ». Dans ce manuel, il maudit la politique immorale de son temps, et, dans son discours sur Tite-Live, il dit que si les Italiens de son temps étaient excessivement méchants, on le devait imputer à la religion et aux prêtres (1).
En effet, quand le pouvoir est immoral, toute la société est immorale. On considérait la cour pontificale comme un « mauvais lieu », le Saint-Siège ayant été pendant plus de 10 siècles le centre de tous les vices et de tous les crimes. Rome, « patria diabolorum », disaient les premiers qui s'appelèrent protestants.
Gustave Roskoff dit : « Une grossière sensualité était la base de la société de cette époque, et les jouissances matérielles étaient tout aussi générales parmi les laïques que parmi les clercs. On doit supposer, néanmoins, que l'exemple du clergé ne contribua pas peu à exagérer les jouissances chez les premiers. »
Tout le moyen âge fut caractérisé par un excès de plaisirs grossiers allant jusqu'à la satiété, jusqu'au dégoût, ce qui donnait des réactions extrêmes dans un autre sens, dans l'ascétisme.
Le dérèglement moral de cette époque amena l'état mental qui en est la conséquence, la folie masculine avec son caractère habituel : « la réflexion sexuelle », cette manifestation psychique de l'interversion de l'esprit de l'homme qui lui fait attribuer à la Femme ce qu'il fait lui-même.
Et, pendant cette longue période, plus de 10 siècles, on vit l'humanité vivre sans aucune discipline sociale, sans aucune « loi morale » telle que l'antiquité l'avait instituée et l'avait fait régner si fortement, que même aux époques de décadence elle maintenait les masses. C'était une discipline qui avait une base rationnelle, des principes solides, et qui était imposée par toutes les femmes. Les écarts, dans ces conditions, étaient exceptionnels, individuels, c'étaient des cas isolés, des monstruosités contre lesquels l'opinion s'élevait. Dans le régime chrétien, tout changea, l'exception, la révolte isolée devint la règle, les monstruosités s'appuyèrent sur le « droit » ; non seulement elles furent tolérées, mais elles furent sanctionnées par le pouvoir dit légitime. N'avons-nous pas vu l'Église vendre le droit d'assassiner une femme ? L'absolution coûte 6 sous.
Tout fut renversé, rétourné, dans ce carnaval moral qui impose le mal, condamne le bien.
Tel fut le résultat de la liberté sexuelle donnée à l'homme. Ce résultat, cette folie suit aussi nécessairement la luxure masculine que la mort suit nécessairement la destruction de certains organes.
Pendant que ces excès de folie discréditaient le pouvoir ecclésiastique, les gens sensés commençaient à s'émanciper, les esprits à se relever, un commencement de rénovation se produisait. Ce mouvement fut favorisé par les événements. La prise de Constantinople transporta en Occident les arts, la littérature, la philosophie qui sortaient de la Grèce ancienne. Cela changea les idées, épura le goût, fit naître un art rénové, retrouvant la beauté pure, la forme classique qui va remplacer l'art naïf ou grotesque des Chrétiens du Moyen Âge.
L'Occident se trouva, par cet événement, mis en possession de l'héritage scientifique ; les anciens ouvrages, expliqués dans les chaires dues à la munificence des Médicis, frappèrent les Italiens et leur donnèrent de l'émulation, cela réveilla l'esprit humain engourdi. Ce fut une résurrection, la pensée ensevelie jaillit en un violent effort et produisit la Renaissance, en attendant la Réforme.
L'Église alors, inquiète, redoubla de violence et fit tous ses efforts pour étouffer ce germe d'émancipation de l'Esprit dans lequel elle voyait un suprême danger.
(1) La monarchie absolue de l'homme, c'est le despotisme, le triomphe de l'instinct cruel du mâle personnifié en un seul. Machiavel conseille au Prince despote la cruauté. Dans une République, l'instinct est personnifié par les masses et les intérêts divers s'équilibrent. Cependant, les inférieurs, étant plus nombreux que les supérieurs, doivent être sacrifiés dans tout gouvernement qui n'est pas basé sur la Justice. Tarquin, en promenant sa canne sur les blés, disait qu'il fallait ainsi faucher les têtes qui s'élevaient au-dessus des masses.

LES HUMANISTES (de 1400 à 1500)
L'Église triomphe par l'Inquisition. Il faut maintenant qu'elle se débarrasse de l'influence féministe.
C'est dans ce but que, remontant à ses origines réelles (Socrate, Platon), elle a l'idée diabolique de restituer leur littérature, depuis longtemps oubliée.
M. Etienne Lamy, un auteur naïf, dit (La Femme de Demain, p. 99) :
« Le legs le plus précieux de l'antiquité, les œuvres des grands penseurs, n'avaient jamais été perdues, leur beauté n'a été admirée par personne plus que par les docteurs de l'Église. Mais il est vrai qu'ils se défiaient d'elles. Ils sentaient qu'entre le sens païen et la conception chrétienne de la vie, il y avait antinomie fondamentale. A quoi servirait que la familiarité de ces dangereux modèles apprît le beau si elle écartait du vrai ? Et pour ne pas compromettre, pour une joie superflue de l'intelligence, les convictions essentielles de la vie, l'Église avait fait l'ombre sur les auteurs anciens ».
Voilà un aveu. L'Église a supprimé tous les souvenirs de l'antiquité parce que la conception de la vie de cette époque (encore féministe) était en opposition avec la conception catholique (antiféministe). Mais les circonstances allaient faire comprendre aux prêtres qu'on ne pouvait plus cacher l'antiquité. Les Croisés en avaient rapporté la lumière, les Templiers avaient reconstitué l'ancien dogme : c'était un retour aux lois de la Nature et à l'Esprit féminin, donc un danger suprême pour l'Église.
C'est pour le conjurer que, résolument, elle se met à la tête du mouvement de la Renaissance qui se fait, mais en ayant soin de ne laisser circuler que les livres des masculinistes grecs et latins qui avaient combattu la Théogonie et achevé de renverser la gynécocratie.
Et, craignant encore que quelque Vérité ne brillât dans cette littérature, ils s'appliquèrent à la corriger, pour lui donner le sens qui leur convenait, et c'est ainsi que M. Etienne Lamy nous dit naïvement :
« Rechercher dans les bibliothèques les livres perdus des auteurs qu'on connaissait, restituer leur texte, dans son exactitude, contre les inintelligences des copistes, aller à la découverte des auteurs inconnus encore, devint la carrière des lettrés qui se nommèrent les humanistes. »
Ceci est clair. On rectifie les ouvrages des auteurs anciens sous prétexte d'erreurs des copistes et on y introduit les idées masculinistes du prêtre catholique, et ce sont les ouvrages ainsi révisés et maquillés qui vont constituer le fond de l'enseignement donné au jeune homme, ce que l'on appela, et ce que l'on appelle encore « LES HUMANITÉS ».
« Les humanistes n'étaient pas seulement épris de manuscrits, mais des édifices, des statues, des pierres gravées. »
C'est-à-dire, qu'on détruisit tout ce qui rappelait la gloire de la femme et qu'on remplaça l'art antique par un art moderne, exclusivement masculiniste. On mit des Christs partout, des Pênes de l'Église, des  saints,... Quant à la femme, elle n'est plus représentée que par des Vierges dolentes, pleurant la mort d'un homme (qui n'a jamais existé, donc n'a jamais été tué), alors que c'est elle, c'est son propre sexe qui était la grande victime de cette époque de mensonge et de malheur.
La femme était tenue dans une profonde ignorance, elle ne devait rien savoir de ce qu'on faisait contre elle. Et c'est ainsi que, en 5 siècles, on parvint à empoisonner la mentalité masculine et à créer des mœurs abominables qui allaient précipiter l'humanité dans la dégénérescence.
Ces 5 siècles furent une période de débauche Immonde : plus de morale nulle part, plus de frein pour retenir l'homme sur la pente glissante des passions, la licence, le libertinage partout, et la fausse morale couvrant tout cela et justifiant l'homme.

L'INQUISITION EN ESPAGNE
C'est pendant ce XVème siècle que l'influence de l'Église amena l'expulsion des Maures, qui avaient jeté sur l'Espagne un si vif éclat.
Une fois débarrassé de ces ennemis gênants, le gouvernement entreprit de rendre l'autorité royale absolue, et l'Inquisition lui parut un moyen éminemment propre à détruire toutes les résistances. Le Saint-Office continua donc de connaître des matières religieuses, mais il servit aussi à abattre, sous prétexte de religion, l'aristocratie féodale, et les défenseurs des libertés municipales. C'est à cette circonstance, ainsi qu'au caractère propre d'une nation qui pousse tout à l'extrême, que l'Inquisition espagnole a dû sa détestable renommée.
La Nouvelle Inquisition, comme les historiens nationaux appellent le Saint-Office ainsi modifié, fut d'abord établie à Séville, en 1477, par le cardinal Mendoza, archevêque de cette ville. Elle fut ensuite peu à peu étendue à toutes les provinces de la monarchie, malgré l'opposition, plus d'une fois sanglante, des comtes, de la noblesse et de la population. Elle s'intitula la General Inquisition Suprema, et par abréviation « la Suprema ». A sa tête se trouvait un inquisiteur général nommé par le roi. Le grand inquisiteur appartenait toujours à l'ordre des Dominicains. Le premier grand inquisiteur général, Thomas de Torquemada, fit un tel abus de ses immenses pouvoirs qu'il est impossible de calculer exactement le nombre de ses victimes. Quelques historiens affirment qu'il fit brûler ou condamner à des peines infamantes plus de deux cent mille personnes. On évalue à cent quatorze mille quatre cents le nombre des familles plongées dans l'opprobre et la désolation pendant les 18 années que dura le ministère inquisitorial de Torquemada.
Son successeur, le cardinal Diego Deza, dont le règne fut plus court, n'eut le temps d'en faire brûler que 2.592. Il en condamna 829 à être brûlées en effigie et 32.952 à l'emprisonnement et aux galères avec confiscation de leurs biens.
Le cardinal Cisneros (Ximénès) fit brûler plus de 800.000 volumes en Espagne, pendant les guerres contre les Maures. Les savants étaient exposés à la mort, à la prison ou à l'exil.

ÉVOLUTION DU DOGME DE L'IMMACULÉE CONCEPTION
Au XIVème siècle, Franciscains et Dominicains se combattirent violemment dans les livres et du haut de la chaire au sujet de l'Immaculée Conception. L'Université de Paris, sans imposer la doctrine scotiste, lui était plutôt favorable qu'hostile. Le culte de Marie grandissant toujours la favorisait dans les rangs populaires. Jean Gerson lui-même (1363-1429) se déclara en sa faveur et la proclama une vérité. Le Concile de Bâle en fit un dogme (17 sept. 1439), mais à ce moment ce Concile était déjà tenu à Rome pour schismatique, et son décret ne fut pas revêtu de la sanction pontificale. A Avignon, en 1457, on confirma ce qui s'était fait à Bâle et l'on défendit sous peine d'excommunication de prêcher le contraire. Sixte IV, Franciscain lui-même, favorisa la messe en l'honneur de la Conception (1476), mais tel était encore le partage des esprits en 1483 qu'il menaça d'excommunier les deux partis s'ils continuaient à dénoncer l'une ou l'autre opinion comme hérétique. Cela n'empêcha pas la Sorbonne en 1496, et bientôt après la Faculté de Cologne, d'imposer comme condition d'entrée à leurs membres la profession du dogme contesté. Les Dominicains exaspérés ne craignirent pas de recourir à une fraude pieuse et firent apparaître Marie à un pauvre tailleur, Jetsen de Zurzach, qui reçut d'elle la déclaration que, malgré tout ce qu'on en disait, elle avait pourtant été conçue dans le péché.
Au Concile de Trente, les Franciscains, appuyés par les Jésuites Lainez et Salmeron, insistèrent pour que Marie fut momentanément exceptée du décret qui stipulait l'universalité du péché originel. Mais les Dominicains résistèrent énergiquement. Les légats étaient dans le plus grand embarras. On en vint enfin à déclarer que le Concile n'entendait pas comprendre Marie elle-même dans le décret sur le péché originel, mais qu'on devait s'en tenir à l'idée de la bulle de neutralité promulguée par Sixte IV en 1485. L'opinion dominicaine, contraire à l'Immaculée Conception, conservait ainsi droit de cité dans l'Église.

GILLES DE RAIS
A la fin du XVème siècle, le Satanisme prit des proportions effrayantes. Gilles de Rais en fut l'incarnation la plus complète. C'est le personnage qui a servi de modèle à Charles Perrault pour écrire son horrible histoire de « Barbe-Bleue ».
Cet homme était un monstre, mais, comme il vivait parmi des monstres, cela n'épouvantait pas autant alors que cela épouvanterait maintenant. Il résumait en lui tous les excès : impiété, immonde luxure et ascétisme, prodigalité d'un côté, cupidité de l'autre, férocité fauve, lubricité attendrie. Il résume le Moyen Âge.
Dévot au Dieu chrétien, ouvertement, mais rejetant le masque hypocrite en secret, et, alors, rendant à sa divinité sa forme réelle : le Diable. Il lui consacre une chapelle ; il a un chapitre de 25 à 30 clercs, des chapelains et des enfants de chœur, une musique religieuse, et journellement il se donne le spectacle de cérémonies antireligieuses.
Il naquit vers 1404, sur les confins de la Bretagne et de l'Anjou, dans le château de Machecoul. Son père mourut en 1415, et sa mère se remaria avec le sieur d'Estouville. On dit qu'elle donna ses deux fils en tutelle à son père Jean de Craon, seigneur de Champtocé et de la Suze, ce qui fait supposer qu'ils ne valaient pas cher, déjà, puisqu'elle était obligée de les éloigner d'elle. Le grand-père, pour se débarrasser à son tour de Gilles, le maria à Catherine de Thouars, le 30 novembre 1420 ; il avait 16 ans.
Cinq ans après, à 21 ans, on constate sa présence à la cour du Dauphin. Ses contemporains le représentent comme nerveux et robuste, d'une beauté capiteuse, d'une élégance rare. Il était le plus riche des barons de France.
Quand il arriva à la cour de Charles VII, le plus pauvre des rois, celui-ci était aux abois, sans argent, sans prestige et sans autorité ; c'est à peine si les villes qui longent la Loire lui obéissaient. La France était exténuée par les massacres, après avoir été dévastée par la peste. L'Angleterre occupait tout le Nord, la Bretagne, la Normandie, une partie de la Picardie, l'Ile-de-France et le Centre jusqu'à Orléans. Elle ravageait les campagnes et tarissait les villes. Charles VII réclamait en vain des subsides, inventait sans succès des exactions, demandait, sans les obtenir, des impôts. Personne ne répondait à ce roi dont la légitimité n'était pas reconnue ; sa mendicité humiliante restait sans réponse.
Sa petite cour était à Chinon. Là, les intrigues, les débauches honteuses, les crimes font oublier les désastres, et l'on a des moments de gaîté lorsque des razzias apportent quelques sous à cette royauté carnavalesque. Le vin et les filles, voilà sur quoi il règne, et pour en avoir il demande de l'argent. C'est tout ce qu'on pouvait attendre de ce roi somnolent, fils d'un fou. Son portrait a été peint par Foucquet ; on peut le voir au Louvre. Voici ce qu'en dit Huysmans : « Une honteuse gueule avec un groin de goret, des yeux d'usurier de campagne, des lèvres dolentes et papelardes dans un teint de chantre. Un mauvais prêtre enrhumé et qui a le vin triste » (Là-Bas, p. 62). Voilà l'homme qui fit assassiner Jean-sans-Peur et qui abandonna Jeanne d'Arc, l'homme de qui devait naître Louis XI, plus prudemment cruel, plus opiniâtre et plus rusé. Jolie hérédité que celle de ces fils de rois !
Gilles de Rais (Barbe-Bleue) avait levé des troupes à ses frais ; puis il eut le désir de combattre, et, comme il était riche, les chroniqueurs l'appellent « bon et hardy capitaine », ce qui n'empêche qu'ils disent aussi qu'il s'enfuit devant les Anglais. On suppose que c'était lui qui « payait » dans cette cour de gueux et que pour cela on devait lui ouvrir les bras ; il dut aider le roi de son or, en partageant ses débauches.
C'est à ce moment que le roi songeait à se reculer prudemment vers le Midi, et c'est à ce moment aussi que parut Jeanne d'Arc.
Ce fut à ce Gilles de Rais que Charles VII confia la garde de la Pucelle. Ce fut lui qui la suivit partout dans les batailles, sous les murs de Paris, à Reims, où, le jour du sacre, le roi le nomma maréchal de France. Il avait 25 ans.
Vallet de Viriville accusa Gilles de trahison envers Jeanne d'Arc. Cela devait être, cela ne pouvait pas manquer de se produire. Un homme qui est « brave capitaine » et « bon chrétien » a en lui l'étoffe d'un traître.
Après la mort de Jeanne d'Arc, nous le retrouvons enfermé dans le château de Tiffauges. Il a 26 ans. Ses méfaits vont commencer : c'est l'âge.
Mais il se fait d'abord lettré et artiste. C'est aussi l'âge. Il va commettre ses crimes avec cette fausse religiosité qu'on appelle mysticisme ; il va se faire un délicat, un savant du crime, il va mettre du raffinement dans le mal, alors que de son temps on était franchement brute.
Il compose un traité sur l'art d'évoquer les démons ; il aime la musique d'église, les objets rares ; il est érudit (à la façon du temps), latiniste, il possède une bibliothèque extraordinaire pour le temps. Il a parmi ses manuscrits Suétone, Valère Maxime, Ovide. Mais est-ce pour les lire ou pour faire parade de sa richesse ?
Cependant, on dit qu'il aimait ses livres, qu'il les emportait en voyage. Il les faisait enluminer par un certain Thomas. Il aimait les repas épicés, les vins ardents, les bijoux, les pierreries. Il avait une garde de plus de 200 hommes, chevaliers, capitaines, écuyers, pages, qui avaient eux-mêmes des serviteurs magnifiques. Le luxe de sa chapelle était inouï, celui de sa collégiale était fou. Dans ce château de Tiffauges où se tenait toute cette cour bizarre résidait aussi son clergé, composé de doyens, vicaires, trésoriers, chanoines, clercs, diacres, écolâtres et enfants de chœur. Il s'entoure aussi de magiciens et de sorciers, il fait un pacte avec le diable par l'entremise d'un prêtre de Florence, le fameux Francesco Prelati, il immole près de 200 enfants en holocauste aux puissances infernales.
Et cet homme ne fut pas une exception, il fit école.
Sa table était ouverte à tout convive. De tous les coins de la France, des caravanes s'acheminaient vers son château, où tous trouvaient une hospitalité princière. Il se ruina à ce jeu en moins de 8 ans.
Sa femme se plaignit à Charles VII, qui lança contre lui des lettres patentes, l'empêchant de Vendre et d'acheter ; c'était l'interdiction du temps.
Alors il se jeta dans l'alchimie, la science à la mode, espérant y trouver le moyen de faire de l'or.
Il appelle près de lui des sorciers, « les plus exquis scélérats », des alchimistes, les savants du temps, qui ne sont, disent les manuscrits, que de vulgaires parasites, de bas filous ; ils entourent Gilles et leur science déteint sur lui.
C'est par cette voie qu'il tombe dans le crime. Il égorge les enfants, les viole ; il dépasse en faste et en débauche tout ce qui avait été fait jusque-là ; sa vie est faite d'opulence et de meurtre. Il aimait la potence et faisait « brancher » tous les Français relaps qu'il trouvait dans les camps anglais.
Avec cela, doué d'un orgueil formidable. Il dit au cours de son procès : « Je suis né sous une telle étoile que nul au monde n'a jamais fait et ne pourra jamais faire ce que j'ai fait. » Il fut, en effet, le plus beau type du mal.

LA MÉDECINE AU XVÈME SIÈCLE
Nous sommes bien obligés de mêler l'histoire de la médecine à l'histoire de l'Église, puisque les prêtres se mêlaient de tout, et il est curieux de voir la science des hommes condamnée par les hommes.
En 1404, au synode de Langres, on proscrit « les remèdes et cures magiques » comme contraires à la foi chrétienne. En 1406, à Toulouse, treize personnes convaincues de pratiques de ce genre furent condamnées à des amendes en argent, au jeûne et à d'autres « bonnes œuvres ».
Mais cette douceur dans les peines ne dura pas, elle ne venait que de ce que la cour employait la magie ; quand elle y renonça, la sévérité devint terrible contre les médecins-mages.
Cependant, la médecine de la Faculté donnait de tristes résultats. Voici le tableau des épidémies du siècle :
En 1415. Peste en Espagne qui dure 15 ans.
En 1423. Peste à Bologne.
En 1428. Peste à Rome.
En 1436. Peste en Portugal, où elle emporte le roi Edouard.
De 1456 à 1500. Dix épidémies en Europe, surtout en Italie.

L'ENSEIGNEMENT MÉDICAL
De 1452 à 1457, la moyenne des étudiants inscrits à la Faculté de Médecine fut de 16 par an, et l'on recevait environ 5 bacheliers chaque année.
La licence, qui donnait le droit d'exercer la médecine, n'était conférée que tous les deux ans, l'année dite du Jubilé. On commença à conférer la licence de 1461 à 1499. Le nombre des licenciés était en moyenne de 5 par Jubilé. Cela faisait deux médecins et demi par an. C'était peu pour une ville comme Paris.
Ils étaient « Maîtres en Médecine ». On n'employait pas encore le mot docteur, qui n'apparut qu'au XVème siècle. Une quinzaine de volumes composaient la bibliothèque de l'École.
Charles de Mauregard, doyen de la Faculté en 1443, fut déchu de tous ses droits et privilèges parce qu'il s'était marié. Son cas était d'autant plus grave qu'il avait épousé une veuve, ce qui, aux yeux de l'Église, constituait une sorte de bigamie pour la femme.
En 1448, Rome autorisa le mariage des professeurs de Faculté, mais non celui des élèves.
Avant de les admettre à la licence, on leur faisait jurer qu'ils étaient célibataires (Chomel, Essai historique sur la Médecine, en France).

LA SANTÉ DES ROIS
Charles VII avait dix médecins, sans compter les astrologues. On croit qu'il mourut empoisonné par son fils Louis XI. D'autres disent qu'il fut emporté par un cancer à la joue. Un de ses médecins, Adam Fumet, fut arrêté et enfermé à la tour du Louvre.
Louis XI le protégea ; à la mort du roi, il le fit sortir et le prit pour son premier médecin. Plus tard, il en fit son garde des sceaux ; tout cela fait croire qu'en effet il avait empoisonné Charles VII.
Louis XI avait aussi pour médecin Jacques Coictier, qui lui inspirait une peur terrible en même temps qu'une crédulité enfantine. Il est vrai que ce médecin le rudoyait de la belle façon : « luy étoit si très rude que l'on ne diroit point à un valet les outrageuses et rudes paroles qu'il lui disoit, et si le craignoit tant ledit Seigneur qu'il ne l'eust osé remuer d'avec luy et si s'en plaignoit à ceux à qui il en parloit. »
Suivant Commynes, ami intime de Coictier, ce dernier avait su persuader au roi que leurs deux existences étaient liées et qu'il ne survivrait pas huit jours à son médecin.
Louis XI fut le roi le plus lâche et le plus peureux qu'il y eût. Il combla de présents les églises, ne cessa d'implorer la Vierge Marie qu'il appelait sa bonne Maîtresse et dont il portait l'image à son bonnet ; il ordonna des prières publiques pour demander à Dieu sa guérison, après une attaque d'épilepsie ou d'apoplexie. Il acheta partout des reliques ; le pape lui en envoya tant qu'on s'en inquiéta à Rome, on trouvait qu'il allait vider les reliquaires. Ce roi dévot et criminel avait un juron familier : « Par la Pâque-Dieu ». Il consultait tous les charlatans de l'époque et alla jusqu'à boire du sang humain « de quelques enfants », dit Gaguin. La sainte ampoule fut le dernier remède qu'il demanda. Le pape autorisa sa translation au Plessis, où elle fut apportée en même temps que la verge de Moïse et celle d'Aaron, conservées à la chapelle du Palais.
Tout cela ne guérit pas le roi, qui mourut à 60 ans, en 1483.
Charles VIII mourut à 28 ans, en 1498. Il avait une vingtaine de médecins, entre autres François Miron, Jean Lenglet, chanoine de Saint-Quentin, Richard Hélain, qui fut doyen de la Faculté. Et cependant « leur royal client mourut, dit Brantôme, pour avoir trop aimé les dames et s'y être trop adonné en sa débile complexion et faible habitude ».
Charles le Téméraire avait six médecins. « Le duc, écrit Olivier de la Marche, a 6 docteurs, et servent iceux à visiter la personne et l'estat de la santé du prince. Et quand le duc est à table, deux médecins sont derrière le banc, et voyant de quoy et de quels mets et viandes l'on sert le prince et luy conseillent à leur avis lesquelles viandes luy sont le plus profitables » (L'estat du duc Charles le Hardy, 1616, p. 660).
Pour un homme qu'on surnommait « le téméraire », c'était peu glorieux.

LES FEMMES MÉDECIENNES
Jetons un coup d'oeil sur l'Allemagne au Moyen Âge.
Quand Rivalin, un des héros de « Tristan », est blessé dans une bataille, Blanchefleur, qui l'aime, vient le voir vêtu en « Arzâtinne » (médecienne).
Dans les « Urkunden zur heiligen Archäologie » de Bauer, il est parlé d'une medica habitant Mayence en 1288.
Dans la même ville vivait en 1407 une Demud medica (Beedbuch von Maria Greden, p. 28).
« A voir la façon dont on les traitait à Mayence et à Francfort, dit Kreigk, on comprend qu'il ne s'agissait pas là de sages-femmes s'occupant seulement des maladies des femmes et des enfants, mais de vraies femmes-médecins. »
Francfort est la ville classique des arzâtinnes (médeciennes) en Allemagne. Durant tout le XIVème et le XVème siècle, on y rencontre des doctoresses. De 1389 à 1417, les archives en mentionnent 15, dont trois oculistes.
Plusieurs sont juives. Quelques-unes obtiennent des magistrats de Francfort une diminution d'impôts. On leur demande en échange de devenir « citoyenne de Francfort ».
Si elles sont juives, on leur demande l'impôt juif.
Une seule fois on défend d'exercer à une medica.
En général, elles sont traitées avec grands honneurs.
Kreigk dresse ainsi la liste des femmes qui ont exercé la médecine à Francfort-sur-le-Mein :
1394. La fille du feu médecin Hans der Wolff, chirurgien de la ville (de 1381 à 1393). Elle avait reçu deux fois des honoraires pour la guérison de soldats blessés dans le service de la ville.
1397. Hebel, médecienne (Livre des Saints de 1397, p. 30).
1423 et 1427. Une medica et une oculiste anonymes.
1428. La juive Serlin, oculiste.
1431. Une oculiste juive à laquelle on défend les prêts sur intérêt.
1433. Une medica juive dont le nom est perdu.
1435. Une autre juive dans le même cas.
1436. Une oculiste juive qui doit quitter la ville (d'après Beedbuch, p. 17).
1439. Une medica juive.
1446. Une medica juive. Elle doit être dispensée de l'impôt Beheim.
1457. Une medica juive. On trouve cette note : « Ne pas permettre à la medica juive de rester sans payer l'impôt de nuit » (nachtgelt).
De 1492 à 1499. On trouve la trace d'une autre doctoresse juive étrangère, mais favorisée par les autorités, puisqu'on lui diminue l'impôt de nuit (somme payée par les Juifs d'une autre ville pour chaque jour passé à Francfort). En même temps, on rejeta la demande qu'elle présenta pour vivre hors de la rue des Juifs (Judengasse).
En 1494. On défend à une femme-médecin juive de traiter les malades, et quand elle demande la permission de soigner « les femmes honnêtes », on le lui défend aussi. (Dans les Beedbucher de 1495, pp. 6 et 9, on cite la « médecienne de la rue des Juifs ».)
On a compris que celles qu'on appelle les femmes honnêtes, ce sont les femmes catholiques. Ce sont celles-là qu'on éloigne des Israélites qui ont conservé les principes de la gynécocratie et les appliquent, puisque ce sont elles surtout, et presque exclusivement, qui s'émancipent et gardent le droit de manifester leur indépendance. Elles ne s'avilissent pas sous la loi de l'homme comme le font les Chrétiennes.
Weiner signale, au commencement du XVème siècle, une medica à Wurzbourg.
Le 2 mai 1419, l'évêque de Wurzbourg, Jean II, donna à la medica juive Sara la permission d'exercer dans l'évêché de Wurzbourg à la condition de payer un impôt annuel de 10 florins.
L'impôt que tous les Juifs allemands payaient à la Noël (appelé goldener opferpfennig) fut réduit pour elle à deux florins.
Vingt jours après, le nom de la medica se rencontre encore dans les Actes. Le chanoine de Wurzbourg Doni Reinhart von Masspach lui donne la permission d'entrer en possession des bien de Frédéric von Riedern achetés par elle.
Dans un autre ordre de faits, nous trouvons quelques femmes d'action. Marguerite d'Anjou (10 ans après Jeanne d'Arc) commence la guerre des Deux Roses, pendant laquelle elle replace par deux fois, sur la tête d'un roi incapable, la couronne qu'il ne sait pas défendre.
Dans le même siècle, nous voyons apparaître Jeanne Hachette qui, en 1472, défendit Beauvais assiégée par Charles le Téméraire.
La ville de Beauvais célèbre tous les ans une fête pour perpétuer la mémoire de cet événement. Ce jour-là, une salve d'artillerie est tirée par des jeunes filles pour commémorer la valeur de l'héroïne.

LA VIE DES FEMMES DANS LES COUVENTS
Les femmes, tout en admettant la religion des hommes, ont toujours obéi aux impulsions de leur nature, qu'elles considèrent, au fond, comme bien supérieures aux prescriptions humaines.
Les religieuses qui avaient succédé à Héloïse au Paraclet savaient organiser leur existence de manière à la rendre supportable.
Mais cela déplaisait aux prélats qui prétendaient les diriger. En 1499, sous l'abbesse Catherine de Courcelles, l'évêque Régnier se mêla de ce qui se passait parmi elles, et proscrivit certain divertissement qu'il jugeait dangereux. Son intervention fut, du reste, sans succès. Ce divertissement consistait à aller processionnellement jusqu'à la « Croix du Maître », c'est-à-dire l'endroit de la plaine où Abélard avait enseigné. Là on entonnait des chants en langue vulgaire, et, comme les religieuses étaient jeunes, cette petite fête commémorative se terminait par des danses.
Mais, quand les prêtres ne se servaient pas des religieuses pour leurs satisfactions personnelles, ils ne trouvaient jamais leur vie assez austère. C'est ainsi que, dans les couvents même, on vit les deux voies se produire, celle du relâchement des mœurs et celle de l'austérité extrême.
En 1509, ce même Régnier réforma le Paraclet, trouvant que la clôture des murs et des grilles laissait à désirer.
Les habitantes de ce monastère y avaient maintenu la tradition des hautes études instituées par Héloïse. Aussi les prêtres ignorants les représentaient-ils comme des précieuses (c'est le mot du temps). On se les représente volontiers quittant leurs livres pour s'ébattre, mais conservant un dictionnaire latin à leur chevet. C'est de ces couvents, où étaient élevées les jeunes filles de la plus haute société, que le genre précieux et raffiné se répandit dans le monde.
Quand les monastères de femmes étaient dirigés en dehors de l'influence des prêtres, ils gardaient les traditions des anciens collèges de Prêtresses ou de Druidesses.
Un ancien titre du diocèse fait mention de Notre-Dame-aux Nonnains, dont l'abbesse était considérée comme ayant perçu, dans le principe, les droits d'un collège de vestales élevé à l'endroit où siégeait le monastère au temps du paganisme.
Mais, quand les prêtres s'en mêlaient, les choses allaient autrement ; on abandonnait les hautes études et l'on s'occupait du « Doux Jésus », l'époux divin, et de ses saints ministres.
En général, les congrégations de femmes étaient placées près d'un monastère d'hommes et servaient d'hôtelleries aux prélats. Le personnel d'un cardinal du XVIème siècle ne se composait pas de moins de cent personnes, qu'il traînait à sa suite en voyage. Celui d'un évêque était de cinquante à soixante à peu près, et chaque maison religieuse soumise à leur juridiction était pour eux un véritable Parc aux Cerfs. Rien n'était plus ordinaire.
Au XIVème siècle, sous le règne de la douzième abbesse, Hélisandre des Barres, Henry de Poitiers, évêque batailleur, réussit à séduire Jeanne de Chevry, religieuse, et en a trois filles et un garçon, Henry, bâtard de Poitiers. Ses enfants sont légitimés sous l'approbation du sceau royal, en 1370.
En 1628, Mgr René de Breslay, profitant de l'enlèvement d'une grille à réparer, s'introduit dans le couvent à huit heures du matin, et trouve moyen de n'en ressortir qu'à dix heures du soir, après avoir entretenu chaque religieuse seule à seule dans sa cellule, sous le prétexte de s'informer par lui-même des bruits calomnieux répandus sur leur compte.
Jeanne de Chevry et son aventure nous rappellent une autre religieuse, de Montmartre, Marie de Beauvilliers, qui avait eu un tendre commerce avec le Béarnais, pendant le blocus de Paris, en 1590. Longtemps, elle voyagea avec Henri de ville en ville, sans quitter pour cela le costume monastique. Lorsque son caprice fut passé, le roi de Navarre la reconduisit à son couvent dont il la fit nommer abbesse. Cela ne l'empêcha point de continuer à la voir, ainsi que le raconte le journal de l'Estoile. « Le roi, dit-on, se trouva si bien avec l'abbesse, qu'autant de fois qu'il parloit de ce couvent, il l'appeloit son monastère et disoit qu'il y avoit esté religieux. »

COPERNIC (1473-1543)
Copernic, savant polonais né à Thorn, avait été frappé de l'opinion émise par les Pythagoriciennes sur le mouvement que la terre devait accomplir autour du soleil, au lieu d'être, selon la croyance commune, l'immobile centre du monde. Il voulut vérifier cette assertion par des calculs ; la vérité lui en fut démontrée, et il édifia un système qui prit son nom.
Copernic avait montré, dans son ouvrage sur les révolutions, le mouvement de la terre et le vrai système du monde, mais il avait gardé entre ses mains le livre dangereux, et il était sur son lit de mort quand on le lui apporta imprimé.

LA SCIENCE DES HOMMES
L'ancienne religion théogonique avait eu pour base les lois de la Nature. Depuis, les religions, tout en les rejetant, en conservaient cependant le symbolisme mal compris et tellement dénaturé qu'il était devenu tout à fait impossible d'en retrouver la signification première.
C'est ainsi que les deux moitiés du corps, qui avaient été symbolisées de mille manières pour représenter l'Esprit en haut, la matière en bas (dans la femme), le Ciel en haut, l'enfer en bas, le blanc en haut, le noir en bas, viennent se résumer dans des théories cosmologiques partageant l'univers en deux parties : le haut et le bas ; le Ciel et la Terre.
Pour les anciens prêtres hermétiques, la Terre formait la base inébranlable de l'Univers, base non pas sphérique et isolée, mais plane, infinie en profondeur et immobile.
A une certaine profondeur on plaçait l'enfer, éternel séjour des réprouvés et des démons ; au-dessus, la sphère des éléments, où le feu succédait à l'air ; puis les sphères de Mercure, de Vénus, du Soleil, de Mars, de Jupiter et enfin de Saturne, septième et dernière planète, qui jouissait d'une assez mauvaise réputation. Plus haut, on avait installé le firmament solide, où étaient attachées les étoiles fixes, puis le merveilleux neuvième ciel, puis le premier mobile ou cristallin, et enfin l'Empyrée, séjour des bienheureux.
Cet ingénieux système est enseigné explicitement dans la Somme Théologique de saint Thomas et a servi de base aux décisions de plusieurs Conciles. Aux yeux des plus fameux docteurs, le Soleil n'était qu'un flambeau placé dans quelque coin de l'espace, pour éclairer notre petit monde, en se promenant tout autour. On comprenait dès lors facilement que Josué l'eût arrêté quelques heures pour achever le massacre des Gabaonites. La Terre était censée reposer sur quelque fondement fixe, et ne pouvait être habitée qu'à la surface supérieure. L'hémisphère inférieur était inconnu, et, si quelque esprit téméraire s'avisait de soupçonner les antipodes, on lui demandait, en haussant les épaules, comment des hommes pourraient vivre la tête en bas.
Un planisphère, renfermé dans un poème géographique manuscrit, exécuté vers la fin du XVème siècle, représente la Terre au centre de l'Univers, entourée d'un système de cercles portant l'inscription suivante :
« Ciel immobile, selon la théologie sacrée et véritable, où est la demeure des bienheureux, à laquelle plaise à Dieu que nous parvenions dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il ! Où resplendit une piété pleine de douceur... et qui est nommé aussi Ciel empyrée... C'est le tabernacle où est le trône de la Divinité, au-dessus de tout ce qui existe. Aucun être créé ne peut entrer ni voir dans ce tabernacle. La Sainte Trinité seule y habite dans une lumière inaccessible. Au-dessous sont les demeures des Anges : d'abord les Séraphins, Chérubins et Trônes, perpétuellement occupés à glorifier Dieu ; ensuite les Dominations, les Vertus et les Puissances, qui forment les hiérarchies moyennes ; puis les Principautés, les Archanges et les Anges, qui forment les dernières hiérarchies ; les six ordres ont des places et des degrés de gloire différents, de même que les hommes, tous d'une même nature, sont de divers rangs, que l'un est roi, tandis que l'autre est prince, chef de ville, et ainsi de suite. Les cieux fixes et sans mouvement sont leur demeure. Ensuite est une ceinture aqueuse qui est toujours en mouvement et qui est nommée premier mobile. Après cela, on rencontre les cieux du firmament, où une grande quantité d'astres se meuvent circulairement. Ensuite est la zone des sept planètes, placées l'une au-dessous de l'autre ; puis les quatre éléments qui s'enveloppent les uns les autres sphériquement : la sphère du Feu, ensuite l'Air, puis l'Eau, et enfin la Terre, qui est le dernier des quatre et qui est au milieu de tous les autres. »
Les cartographes du Moyen Âge, par une incroyable ignorance, mettaient les villes de la terre à peu près n'importe où. Cela leur est égal ! Ils agissaient de même pour les constellations des planisphères célestes.
On lit, par exemple, dans le planétaire de Lambertus Canonicus (XIIème siècle), dans les cercles de Jupiter et Saturne : Séraphins, Dominations, Puissances, Archanges, Vertus, Principautés, Trônes, Chérubins ! indications empruntées aux théories sacrées. On n'a jamais vu un pareil mélange. Les anges habitent avec les héros de la mythologie, les vierges immortelles s'accordent avec Vénus et Andromède, et les saints avec la Grande Ourse, l'Hydre et le Scorpion !!...
Mais Cosmas Indicopleustès a poussé l'audace plus loin encore en faisant le monde carré. Dans son manuscrit, sur les quatre côtés extérieurs de la terre, on voit s'élever des murs perpendiculaires, qui la ceignent et vont ensuite se rejoindre en voûte ; le ciel forme la coupole de cet édifice.
C'est un grand coffre oblong divisé en deux parties. La première, séjour des hommes, s'étend depuis la terre jusqu'au firmament, au-dessus duquel les astres font leurs révolutions ; là séjournent les anges, qui ne s'élèvent jamais plus haut. La seconde s'étend depuis le firmament jusqu'à la voûte supérieure qui couronne et termine le monde. Sur le firmament reposent les eaux du ciel ; au delà de ces eaux se trouve le royaume des cieux, « où Jésus-Christ a été admis le premier, frayant la route de vie à tous les Chrétiens ».
Plus tard, Dante a résumé les croyances du Moyen Âge dans son « Enfer », fantastique apparition d'un surnaturel ténébreux et lugubre.
Dans sa théologie, les purs esprits composent les neuf chœurs de la hiérarchie céleste. Comme autant de cercles concentriques, ils sont rangés autour de Dieu immobile, dans un ordre que détermine leur perfection relative ; les Séraphins d'abord, puis les Chérubins et les autres jusqu'aux simples anges. Ceux du premier cercle reçoivent directement la lumière et la vertu, qu'ils communiquent à ceux du second, et ainsi de cercle en cercle, comme des miroirs se renvoient l'un à l'autre les rayons affaiblis d'un point lumineux. Les neuf chœurs, emportés par l'Amour, tournent sans cesse autour de leur centre en des cercles de plus en plus larges, à mesure qu'ils s'en éloignent davantage, et c'est par eux que le mouvement et l'influx divin sont transmis à la création matérielle.
Puis vient le ciel des étoiles fixes, puis, en continuant de descendre, les cieux de Saturne, de Jupiter, de Mars, du Soleil, de Vénus, de Mercure, de la Lune, et enfin, au point le plus bas, la Terre, dont le noyau compact et solide est entouré des sphères de l'eau, de l'air et du feu.
Comme les chœurs angéliques tournent autour du Créateur, les neuf cercles matériels tournent autour de la Terre, dont voici la géographie intérieure.
Au-dedans de la Terre s'ouvre un vaste cône dont les affreuses spirales, demeures des réprouvés, viennent aboutir au centre où la divine Justice retient, enfoncé jusqu'à la poitrine dans la glace, le chef des anges rebelles, l'empereur du royaume douloureux. Tel est l'enfer que Dante décrit suivant une donnée généralement admise au Moyen Âge.
La forme de cet enfer ressemble assez à celle d'un entonnoir ou d'un cône renversé. Tous les cercles en sont concentriques et vont toujours en diminuant ; ils sont au nombre de neuf principaux. Virgile aussi admet neuf divisions : trois fois trois, nombre sacré par excellence. On en a donné, non seulement la géographie, mais encore l'étendue. Ce n'était pas difficile, du moment où l'on supposait l'enfer contenu dans l'intérieur de la terre. Il ne pouvait excéder trois mille lieues de large au maximum. Dexelius a calculé que le nombre des damnés sera de cent millions ; ce ne serait pas énorme ; Cyrano de Bergerac assurait de son côté que c'étaient ces damnés qui faisaient tourner la terre en s'accrochant à leur plafond comme des écureuils qui veulent s'échapper.
Les papes avaient près d'eux leurs astrologues, comme les Césars, pour les mettre au courant de la science du temps.
De l'astronomie, passons à la biologie.
Van Helmont, médecin-chimiste, expérimentateur et philosophe, est une des lumières du Moyen Âge. Voici les rêveries fantastiques que nous lui devons :
Ne voulant pas admettre dans les phénomènes de la vie l'action directe d'un agent immatériel tel que l'âme sur la matière inerte, sur le corps, il combla l'abîme qui les séparait en créant toute une hiérarchie de principes immatériels auxquels étaient dévolus le rôle de médiateurs et d'agents d'exécution. Au sommet de cette hiérarchie était placée l'âme pensante et immortelle ; au-dessous, l'âme sensitive et mortelle, ayant pour ministre l'archée principal, l'aura vitalis, sorte d'agent incorporel que l'on peut assimiler au principe vital et qui siégeait à l'orifice de l'estomac ; au-dessous, enfin, des agents subalternes, les blas ou vulcains, placés dans chaque organe et en dirigeant le mécanisme avec intelligence, à la façon d'un ouvrier habile.
Le siècle, pour finir d'une façon lugubre, vit paraître en 1490 La Danse macabre de G. de Marnef, un in-folio avec dessins, qui ne devait pas beaucoup réjouir le monde, surtout à une époque où l'on semblait si préoccupé de la mort.
C'est en 1459 que l'Église inventa le Purgatoire.
Si nous jetons un coup d'oeil sur les pays éloignés, nous voyons que la Chine, devançant la France de trois siècles, fait rédiger une vaste Encyclopédie, le « Yung-Lo-Ta-Tien », dont il n'existait qu'un seul exemplaire. Cet ouvrage, composé au XVème siècle par quatre mille lettrés, ne comptait pas moins de onze mille volumes d'un pouce d'épaisseur chacun (1).
Aux Indes, on fait une traduction en sanscrit de plusieurs parties de la version pehlvi de l'Avesta, notamment du Yaçna, par le Mobed Nériosengh.
(1) D'après le professeur Giles, qui écrit dans le Nineteenth Century and after, un grand nombre de livres précieux ont été brûles lors des derniers événements de Pékin. Le professeur en dresse un long catalogue et cite la disparition surtout fâcheuse de cette Encyclopédie.

LES ÉVÉNEMENTS DU SIÈCLE
Les deux grands événements du XVème siècle sont : L'invention de l'imprimerie et la découverte de l'Amérique (1).
Les premiers actes relatifs à l'imprimerie datent de 1488.
(1) « Il y a des circonstances bien étranges, comme la vulgarisation, à un moment déterminé, et en les présentant comme des découvertes nouvelles, de choses qui étaient connues en réalité depuis fort longtemps, mais dont la connaissance, en raison de certains inconvénients qui risquaient d’en dépasser les avantages, n’avait pas été répandue jusque là dans le domaine public. Nous ne citerons que deux exemples, parmi les faits de ce genre qui devaient avoir les plus graves conséquences : la prétendue invention de l’imprimerie, que les Chinois connaissaient antérieurement à l’ère chrétienne, et la découverte « officielle » de l’Amérique, avec laquelle des communications beaucoup plus suivies qu’on ne le pense avaient existé durant tout le moyen âge. » (R. Guénon, La Crise du monde moderne, p.13)

INVENTION DE L'IMPRIMERIE
C'est en 1473 qu'a été fondée, par Goering et ses compagnons Martin Krantz et Michel Friburger, la première imprimerie à Paris, à l'endroit le plus escarpé de cette murmurante, montueuse et tortueuse rue Saint-Jacques qui a pris part à tous les événements de l'histoire de Paris, qui, pendant tout le moyen âge et jusqu'à nos jours, fut la voie principale du Quartier Latin et retentit des joyeuses bacchanales des étudiants bousingots.
Il y avait là, dès les premiers temps, au penchant du coteau, des vignobles au milieu desquels s'élevait un autel à Bacchus, le deus loci. Le paganisme abattu, le Catholicisme triomphant, mais ne pouvant déraciner les traditions et le culte ancien, s'empara de la chapelle et fit du brave Bacchus un nouveau saint, saint Bâche, dont on célèbre la fête le 7 octobre. Plus tard, on changea le nom du patron de cette chapelle à la dénomination trop païenne, on la dédia à saint Benoît. On reconstruisit l'église, qui est aujourd'hui démolie et qui était attenante au numéro 112 de la rue Saint-Jacques qui a été démoli ; mais on la reconstruisit dans de mauvaises conditions liturgiques ; son chevet était tourné à l'occident, tandis qu'il aurait dû être tourné au levant, d'où le surnom de bestourné (mal tourné).

DÉCOUVERTE DE L'AMÉRIQUE
Avant que Colomb eût découvert le Nouveau Monde, on ne croyait pas à la possibilité de sa découverte ; on niait ce monde nouveau et on alla jusqu'à anathématiser ceux qui y croiraient.
L'incrédulité est la première impulsion de l'esprit des hommes.
Leur second mouvement, c'est l'injustice. Quand il fallut bien croire, on ne voulut pas rendre justice à celui qui avait le premier mis le pied sur le sol du monde nouveau. Christophe Colomb ne donna pas son nom au continent qu'il découvrit. Bien plus, il fut persécuté par un certain Bovadilla. Renvoyé d'Haïti comme criminel, il arriva en Espagne chargé de chaînes. Le roi Ferdinand le fit mettre en liberté, mais sans lui rendre justice, ce qui irrita tellement Colomb qu'il en mourut de chagrin (le 12 octobre 1492), et ordonna qu'on ensevelît avec lui les fers dont il avait été chargé.
Mais, comme il est convenu que les rois ne doivent jamais se tromper, on cherche aujourd'hui à nous prouver que Christophe Colomb n'a rien trouvé, qu'un vieux pilote lui a indiqué la route, et que de plus c'est un faussaire qui a fabriqué de sa main la lettre de Toscanelli.
Si Colomb eut à se plaindre des hommes de son temps, il fut lui-même cruel pour les autres.
Les Espagnols massacrèrent les habitants de l'Amérique, et ils ajoutèrent la perfidie à la brutalité.
Le pays qu'ils trouvèrent était encore gynécocratique. Une Reine, l'infortunée Anacoana, qui régnait sur la partie occidentale d'Haïti, fut saisie au milieu d'une fête que son aveugle bonté avait préparée pour ces tigres, et conduite à la ville de Saint-Domingue pour y être pendue.
C'est un nommé Ovando qui fut chargé de cette lâcheté. Le premier soin des Catholiques en Amérique fut de détruire les archives du pays conquis, afin qu'à l'avenir on ne pût plus se reporter dans le passé pour comparer le nouveau régime à l'ancien.
Ce fut un nommé Juan de Zumaraga, moine fransciscain, premier évêque de Mexico, qui ordonna que toutes les archives des Mexicains, consistant en livres hiéroglyphiques, fussent livrées aux flammes.
La ville de Mexico avait été fondée vers le XIIIème siècle ; elle était grande et bien peuplée

SEIZIÈME SIÈCLE
MARTIN LUTHER (1483-1546)
Dès l'année 1516, et avant la publication des Indulgences en Allemagne, Luther avait énoncé ses opinions, qui étaient celles de Jean Huss. La publication des Indulgences lui servit de prétexte pour donner plus d'éclat à sa propagande. Il causa une forte émotion, parce que les esprits étaient préparés, et il fut étonné lui-même de l'effet qu'il produisit. Cependant, Léon X restait indifférent aux attaques de ce moine obscur, qu'il regardait comme un fanatique ignorant et peu dangereux ; il méprisa ses prédications et continua sa campagne ; il détournait également les yeux du scandale trop manifeste que causait le corps sacerdotal par le luxe qu'il étalait et la mollesse dans laquelle il était tombé. Il n'y avait qu'une révolution violente qui pût lui rendre quelque énergie. Luther provoqua cette révolution. Appuyé de la protection de Frédéric, électeur de Saxe, il va en avant, il fait retomber sur les prodigalités et les plaisirs de Léon de Médicis les crimes d'Alexandre Borgia et les emportements de Jules de la Rovère. Le Pape le condamne, il en appelle au futur Concile ; le Pape le frappe d'anathème en 1510, il fait brûler publiquement la bulle d'excommunication à Wittenberg. Dès lors, Luther devient un homme puissant et redoutable ; ses maximes se répandent. Zwingle, curé de Zurich, les adopte et en déduit de nouvelles conséquences. Il change entièrement la forme du culte, abolit le sacrifice de la messe, ne voit plus dans le sacrement de l'Eucharistie qu'une cérémonie commémorative. Le Sénat de Zurich s'assemble et se prononce pour la réforme ; celui de Berne en fait autant. Bientôt la plus grande partie de la Suisse  est entraînée, ainsi que la Saxe, le Wurtemberg et d'autres parties de l'Allemagne.
L'empereur Charles-Quint somme Luther de venir rendre compte de sa conduite, en sa présence, à la Diète impériale de Weimar. Luther ose s'exposer au sort de Jean Huss ; il obéit, muni d'un sauf-conduit, mais plus valable, parce que Charles Quint n'avait pas la pusillanimité de Sigismond et que, d'ailleurs, la Diète n'était pas un Concile, elle ne pouvait juger l'hérésiarque que sous les rapports purement politiques. Luther, condamné sous ces rapports, n'en continue pas moins son mouvement. Il adhère aux idées de Zwingle sur l'inutilité de la messe, l'abolit ainsi que l'exorcisme, nie l'existence du purgatoire, inventé un siècle avant lui, et nie aussi la nécessité de la confession, de l'absolution et des indulgences ; il fait ouvrir les cloîtres, délie les religieux et les religieuses de leurs vœux, et lui-même donne l'exemple du mariage des prêtres en épousant une religieuse, Catherine de Bora (1). Sur ces entrefaites, le pape mourut.
Luther approuva le divorce d'Henri VIII, roi d'Angleterre, avec Catherine d'Aragon, et permit la polygamie au Landgrave de Hesse, qui prit deux femmes. C'était briser hardiment ce que le dogme chrétien avait institué de plus criminel sous les apparences de l'austérité : la réglementation de la vie sexuelle sans avoir la vraie morale comme base.
Le pape Clément VII s'opposait au divorce d'Henri VIII qui était une mesure de haute moralité, car ce roi était un tyran farouche qui assassinait ses femmes quand elles le gênaient, Anne de Boleyn et les autres, qui étaient sans reproche. Il les punissait d'une manière atroce quand elles étaient coupables de quelques fautes envers lui.
« Luther était un homme passionné, ardent dans les luttes, sans dignité, parlant par entraînement, écrivant sans méthode et sans talent. Tout ce qu'il retenait de ces luttes, dit Fabre d'Olivet, était des fatigues mentales très grandes qu'il attribuait alors à l'esprit infernal. » Donc il n'était pas dégagé de toute superstition. Mais il ne faut pas trop demander à un seul homme. Dans la grande forêt d'erreurs qui régnaient alors, il a fait une large brèche qui a permis à ses successeurs d'abattre le reste. Dans la discussion des dogmes, Luther disait « que la substance du pain et du vin demeure après la consécration et que le corps de Jésus n'est dans cette substance consacrée que comme le feu dans le fer enflammé, l'un et l'autre subsistant ensemble sans aucune transsubstantiation ».
Luther, en prêchant sa doctrine, ne disait rien de nouveau. En attaquant l'autorité des papes, les formes du culte, les vœux monastiques, l'intégrité des dogmes, il ne faisait que redire ce que bien d'autres avaient dit avant lui, mais il le disait dans des circonstances bien différentes. Ce n'était pas lui qui créait le mouvement de réforme, c'était le mouvement qui le créait. Dans ces circonstances, un homme très ordinaire peut réussir, alors que des hommes supérieurs ont échoué quand ils ont parlé dans des milieux mal préparés.
Luther mourut en 1546. En moins de 90 ans, il avait entraîné la moitié de l'Europe dans son mouvement de réforme.
La confession d'Augsbourg, rédigée par Melanchton, disciple de Luther, fut donnée aux princes confédérés à la Diète d'Augsbourg convoquée par Charles-Quint. Elle contient les principaux points de leur doctrine. Dans cette confession, il est dit que qui s'arme n'est pas chrétien. Rome répond par la bouche de son légat : « ni discussion, ni concile, la force », et le légat réclame à grands cris le fer et le feu.
Le mot Huguenot vient d'Eingenossen (réunis). Protestant vient de ce qu'ils protestèrent contre les décisions des diverses Diètes.
(1) Le 29 janvier 1901, il y avait 400 ans qu'était née Catherine de Bora, la femme de Martin Luther. La ville de Torgau, en commémoration de cette date, donna le nom de Catherine de Bora à l'école des filles de sa commune.

LA LIGUE
Les Protestants formèrent à Smalkalde cette fameuse ligue qui consolida le schisme et fit un corps politique des différents membres qui le composaient. Ce ne fut que depuis cette ligue que les Puissances du Nord commencèrent à compter.
Dans tous les États qui embrassèrent la Réforme, les souverains temporels s'en déclarèrent les chefs et, sans aucune mission apostolique, sans aucun droit au pontificat, agirent en souverains pontifes, ce qui prouve une fois de plus qu'on n'a que l'autorité qu'on prend.
L'Europe vit avec étonnement les Femmes-Reines exercer les droits de la papauté, surtout en Angleterre, et s'arroger une influence sur le sacerdoce.
C'est ce fait qui releva la Femme dans les pays protestants, ce qui prouve, une fois de plus, que l'autorité morale est la seule qui compte, qu'elle est tout.

LES ANABAPTISTES
Deux hommes nommés Stork et Muncer, enthousiastes ignorants et fanatiques, s'étaient élevés sur les traces de Luther et, renchérissant sur les idées de ce réformateur, s'étaient prétendus inspirés pour achever ce qu'il n'avait fait qu'ébaucher. Il fallait, d'après eux, renouveler l'édifice du Christianisme jusque dans ses fondements et rebaptiser les enfants. Sous le nom d'Anabaptistes, ils commettaient d'affreux ravages, ils jetaient dans les esprits une sorte d'ivresse religieuse qui les exaltait jusqu'au délire. Chacun de leurs sectateurs se croyait inspiré du Saint-Esprit et commettait des crimes inspirés par le fanatisme. Celui-ci reçoit l'ordre de tuer son frère, il part du fond de l'Allemagne et vient froidement le massacrer à Paris ou à Rome. Cet autre entend l'Esprit lui dire de se pendre, et il se pend. L'amant tue sa maîtresse, l'ami immole son ami. On reçoit les histoires allégoriques comme des faits réels, avérés ; on ne parle que d'imiter Abraham qui sacrifie son fils, Jephté qui sacrifie sa fille, Judith qui tue Holopherne. On cherche le meurtre dans la religion, parce qu'il est dans l'instinct de l'homme et que tous les prétextes l'y ramènent. L'Allemagne tombe dans une effroyable confusion. On est obligé de combattre ces forcenés. On les cerne comme des bêtes fauves. Ils se renferment dans Munster, où l'un des plus audacieux, Jean de Leyde, se fait reconnaître pour roi. Le sang coule à torrents, on les extermine partout où on les trouve.
Muncer périt sur un échafaud à Mulhouse avec son disciple Pfeiffer. Jean de Leyde, saisi à Munster, est déchiré avec des tenailles ardentes. On lui rend fureur pour fureur.
En 1636, en Angleterre, il est ordonné que tous les tableaux de la galerie royale qui représentent la Vierge Marie ou la seconde personne de la Trinité seront publiquement brûlés (Journal de la Chambre des Communes). Les Anabaptistes brisèrent tous les tableaux qu'ils trouvèrent dans la ville de Leyde et effacèrent même les peintures des murailles et des fenêtres (Delvie de Nok., p. 64)..

LA RÉFORME
L'Église avait mis quatorze siècles à se répandre dans l'Occident, à force de tyrannie, de bûchers, de supplices. Luther paraît, et en quelques années il conquiert la moitié du domaine catholique.
La Réforme fut le troisième et le plus mémorable effort fait en faveur de l'indépendance de l'esprit.
Les prédications de Luther contre les indulgences provoquèrent une lutte immense, qui ne se termina que 130 ans après par le traité de Westphalie.
La victoire du Protestantisme fut rapide et complète dans les régions septentrionales de l'Europe. Une multitude de circonstances la favorisa. Les abus qui discréditaient l'Église au XVIème siècle ont accéléré la révolution, mais la cause en était plus profonde, elle était dans la revendication, devenue nécessaire, de la personnalité humaine. Michelet apprécie en ces termes cette mémorable révolution religieuse : « Ce travail si pénible de la Renaissance aurait échoué si, du sein de l'Allemagne, n'avait surgi un principe nouveau : la Réforme, qui vint en aide à la Renaissance impuissante en proclamant le libre examen et rétablissant l'homme dans sa personnalité, va renouveler le monde. La tolérance sort de ce principe nouveau, c'est-à-dire qu'une sympathie universelle se communique aux hommes pénétrés de cet esprit ; un rapprochement s'opère entre les peuples divisés ; dès ce jour, l'idée d'humanité devient plus qu'un mot.
« Le premier cri de la Réforme est : « Instruction gratuite pour tous, création d'écoles primaires. » Aussi la résurrection religieuse gagne de proche en proche ; tout ce qu'il y a dans chaque pays de cœurs généreux, d'esprits élevés, s'unit ; la conviction les anime d'une énergie indomptable, ils seront forts et hardis dans leur lutte contre les représentants des temps écoulés. Quoi qu'on fasse, l'idée est semée. Voyez ses conséquences : du monde intellectuel, du monde religieux, elle se traduira dans le monde des faits, elle pénétrera l'ordre politique, et, comme toute idée féconde et juste, elle est appelée à triompher ; elle aura à subir bien des résistances obstinées, il est vrai ; elle aura à repousser bien des envahissements, et parfois elle semblera même près de succomber ; mais elle tient désormais au cœur et à l'esprit des hommes : qui pourrait l'y chercher pour l'y tuer ?
« La papauté organise en vain l'Inquisition ; en vain l'ordre des Jésuites s'établit pour répandre un enseignement faux et étroit ; malgré Charles-Quint, malgré la défection de François Ier, malgré la triple pression d'Henri II, caractère de fanatique espagnol, de l'italienne Catherine de Médicis et des Guises catholiques, cette grande révolution est assurée ; l'Angleterre l'adopte ; les Pays-Bas suivent cet exemple ; l'Allemagne se partage ; les Vaudois renaissent en France. Qu'importe que la France permette qu'on noie dans le sang les idées nouvelles ? Qu'importe le renouvellement des persécutions religieuses ? Un homme est là, Calvin ; et une ville, Genève. Calvin va répondre à la violence par la violence, il se fera tyran et bourreau pour le salut de sa cause. Et maintenant, qu'éclatent plus vives et se multiplient les guerres de religion, la victoire restera à l'idée féconde de la Réforme. »
Après tant de persécutions partielles du génie sous toutes ses formes, nous allons assister à cette sanglante et tenace persécution de la raison qui s'éveille et qui se personnifie alors dans le Protestantisme naissant. Nous allons voir le plus pur du sang français répandu par les fanatiques qui avaient peur de Rome, qui avaient peur de l'Espagne alors toute-puissante. Tous les rois de France, depuis François Ier jusqu'à la Révolution, se firent complices de cette barbare condamnation de la liberté de conscience, tous, même Henri IV, le roi protestant qui sait si bien capituler avec sa conscience quand ses intérêts sont en jeu.
Les trois quarts du XVIème siècle et tout le XVIIème ne sont qu'une longue, cruelle et infâme persécution contre les Protestants.
Sous François Ier, ce protecteur de la littérature et des arts, ce roi qui inaugure et personnifie la Renaissance, on pouvait, au moins, espérer la tolérance ; c'est cependant sous son règne qu'a lieu l'affreux massacre des Vaudois et que l'on voit couler le sang des premiers martyrs du Protestantisme : Jean Leclerc, cardeur de laine, qui se fait apôtre, réalisant ainsi cette parole de Luther : « tout chrétien est prêtre », et le docteur en théologie Jean Châtelain, tous deux brûlés vifs à Metz en 1594 ; Jacques Pavanne, brûlé en place de Grève le 28 août 1525 ; puis, avec un raffinement de cruauté, on voit brûler à petit feu, avec beaucoup de solennité, au parvis Notre-Dame, un pauvre ermite de la forêt de Livry ou de Bondy ; le bourdon de Notre-Dame convoqua le peuple et le clergé à venir voir mourir ce malheureux ; puis un gentilhomme appelé Latour, brûlé le 26 octobre ; puis le licencié ès-lois Hubert, le 17 février 1526 ; puis, à Lyon, du Blet et Moulin. Le poète Marot fut emprisonné, Erasme dénoncé, un autodafé fut élevé à Toulouse, une femme brûlée pour avoir fait gras le vendredi.
Mais l'affaire qui fit le plus de bruit alors fut la condamnation de l'éminent docteur Louis de Berquin, accusé d'incliner à la Réforme et brûlé vif le 17 avril 1529, malgré tous les efforts de la reine Marguerite pour le sauver, et en dépit même du roi qui ne voulait pas sa perte.
Il y eut encore une infinité d'autres victimes qu'il serait impossible d'énumérer. Les 32 années du règne de François Ier furent 32 années de persécution.
Ce qui fut admirable dans la propagande des Protestants, ce fut cette hardiesse, cet enthousiasme et nous dirions presque cette candeur, à professer tout haut sa conviction, sachant cependant que cette confession conduisait au martyre. Comment ne pas admirer l'intrépidité avec laquelle tous les apôtres prêchaient dans les rues, sur les places, sans aucune précaution, sans aucune prudence ?
C'est cette témérité qui valut à Alexandre Camus d'avoir la langue coupée en 1523.
Aux hommes qui commettaient le crime de s'assembler pour prier, pour chanter, pour lire ensemble la Bible, on infligeait la peine du bûcher. Les femmes, par pudeur, étaient enterrées vives. La pudeur de l'Église se manifeste en cette circonstance, alors qu'elle avait autorisé les processions de gens nus, immersions totales sous prétexte de baptêmes, et autres manifestations aussi hypocrites qu'impudiques.
Dans Louvain, une visite domiciliaire donna comme résultat 28 victimes ; deux femmes furent enterrées vives. Plus tard, à Douai, à Tournai, à Mons, on en condamna encore quatre au même supplice, une entre autres, la dame Vauldrue Carlyer, pour n'avoir pas dénoncé son fils qui lisait la Bible.
Les bourreaux ne savaient quel supplice inventer pour torturer les victimes.
Henri II, entouré de fanatiques qui exerçaient sur lui leur influence, continua le même système que son père. Il fit jeter à la Bastille Four et Anne du Bourg, puis Four du Bourg fut condamné à être pendu et étranglé en place de Grève, son corps fut jeté au feu.
Sous François II, le peuple fanatique avait imaginé de placer des statues de la Vierge et des saints au coin des rues et de les entourer de cierges avec un tronc pour recevoir les offrandes. Ces chapelles improvisées étaient gardées par des individus sortis de la lie du peuple, qui chantaient des cantiques, parodiaient les cérémonies de l'Église et obligeaient les passants à payer, à saluer et à chanter, sous peine d'être déclarés protestants, maltraités de toutes façons, roués de coups, jetés en prison et quelquefois assassinés.
Le fanatisme avait poussé si loin la violence et tellement répandu la terreur qu'un nombre considérable de familles, effrayées par ce débordement, quittaient précipitamment la France, abandonnant leurs affaires et leurs biens.
« La Loire, dit de Thou, était couverte de cadavres, le sang ruisselait dans les rues, les places étaient remplies de corps attachés à des potences. »
La Réforme, à cette époque, représentait la Justice et le Droit ; toutes les grandes âmes, tous les cœurs généreux, tous les esprits élevés passaient dans son camp. Ses ennemis sont des ambitieux et des aventuriers : les Guises ; des courtisanes : Diane de Poitiers ; des intrigantes, des parvenues : Catherine de Médicis ; et, par-dessus tout, le prince des tyrans : Philippe II, suivi d'une clientèle de Jésuites, d'inquisiteurs, de bourreaux, d'hommes de massacres.
Les Protestants purent respirer un peu plus librement sous Henri IV. L'Edit de Nantes, signé le 13 avril 1598, leur assura au moins la liberté de conscience et les droits de citoyen, mais ils ne devaient pas jouir longtemps de cette justice tardive.

RÉACTION CATHOLIQUE
En proie à une violente réaction qui répondit au Protestantisme, Paul IV ne voyait de salut pour l'Église que dans une sorte de terreur catholique : « Il eût voulu, nous dit l'abbé Fleury, que l'on n'employât d'autre remède que celui de l'Inquisition, qui, ainsi qu'il le disait à tout propos, était l'unique antidote, et il voulait faire croire que le Concile de Trente ne servirait qu'à augmenter le mal, comme il avait fait, selon lui, les années précédentes. Aussi s'appliqua-t-il entièrement aux fonctions de ce redoutable tribunal, qu'il fit exercer sévèrement contre tout le monde. » Accablé de travaux et d'infirmités, l'indomptable vieillard, près de rendre l'âme, à quatre-vingt-trois ans, « recommanda fort aux cardinaux le saint office de l'Inquisition, comme l'unique moyen qui fût capable de maintenir l'autorité du Saint-Siège ». Il ajouta « qu'il avait si bien réglé sa vie qu'il était prêt à paraître devant Dieu, quand il lui plairait de l'appeler ; qu'il se consolait dans cette confiance qu'il laissait un défenseur de la foi catholique (voulant parler de Philippe II, roi d'Espagne) dont il connaissait les intentions, et qu'il ne doutait point que, sous un tel prince, la religion ne reprît bientôt son éclat, et qu'il ne la vengeât de ses ennemis ». Enfin ce pontife, tout à la fois pieux et cruel, expira en prononçant les paroles du psaume : « Je me suis réjoui de ce que l'on m'a dit : Nous irons dans la maison du Seigneur. »
Aussitôt qu'il fut mort, le peuple en fureur brûla la prison de l'Inquisition, et menaça d'en faire autant au couvent des Dominicains de la Minerve, en haine de l'Inquisition, dont ces religieux étaient chargés. Il rompit la statue du pape ; on en emporta la tête qu'on roula pendant trois jours dans les rues de la ville et qu'ensuite on jeta dans le Tibre. Le cadavre du vieux pontife fut porté sans pompe dans l'église du Vatican, et l'on établit, contre la coutume, des archers pour le garder, parce que l'on craignait que le peuple ne vînt encore exercer sur lui sa fureur.
C'est à cette Inquisition haïe du peuple romain lui-même, c'est à la papauté intolérante de Pie IV et de Pie V, c'est à la monarchie catholique de Philippe II, que les démagogues du XVIème siècle, les membres de la Sainte Ligue voulaient livrer la France. Henri IV et le cardinal de Richelieu la sauvèrent, en faisant triompher la vraie politique nationale, que l'ancien régime devait léguer à la Révolution. Henri IV promulgua l'Édit de Nantes, dont il voulait étendre les bienfaits à l'Europe entière. Le cardinal de Richelieu ne craignit pas de s'allier aux Protestants du Nord pour briser la puissance de la maison d'Autriche. L'un des écrivains les plus célèbres de la réaction catholique, l'Allemand Frédéric Schlegel, a taxé d' « athée » la politique du grand ministre de Louis XIII. Elle fut en réalité habile et généreuse, française et européenne à la fois.

JEAN CALVIN (1509-1564) (Né à Noyon.)
Calvin, d'un caractère dur et personnel, ne voulait reconnaître aucun des réformateurs qui l'avaient précédé, quoique ce soient les premiers succès de Luther qui éveillèrent son zèle.
Il prétendait se tracer une route nouvelle, blâmait les idées larges de Luther en matière sexuelle et revenait à l'austérité hypocrite de l'Église. Il blâma aussi la condescendance de Luther pour les souverains, blâma la liberté d'action des Anabaptistes, qui ne voulaient pas de Maître, et annonça ouvertement son intention d'attacher la doctrine évangélique aux formes républicaines. Sa Réforme avait plutôt un caractère politique ; il pensait servir ainsi les passions de son temps autant que les idées religieuses.
Genève, qui, d'abord, avait dédaigné ses propositions, finit par l'accueillir et le nomma son législateur.
Calvin écrivait mieux que Luther, mais parlait avec moins de facilité.
Sa morale était mesquine, rigoriste, dure, et, cependant, ses lois paraissaient justes et fermes. Son austérité, sans élégance, bannissait les beaux-arts, proscrivait les jeux, la musique, les spectacles. Il regardait la science comme corruptrice et faisait de chaque maison un couvent austère, ne laissant de place que pour le mercantilisme et l'argutie religieuse qui allait remplir les Universités. Il écrit l'« Institution chrétienne », dans laquelle il explique que « l'âme de l'homme, dont toutes les facultés sont infectées de péché, n'a point de force pour résister à la tentation qui l'entraîne vers le mal. La liberté, dont il s'enorgueillit, est une chimère, il confond le libre avec le volontaire et croit qu'il choisit librement parce qu'il n'est pas contraint et qu'il veut faire le mal qu'il fait (Institution, L. II, ch. 1 et 2). Car, dit-il, si l'homme eût été libre et s'il eût pu se sauver lui-même, il n'aurait pas eu besoin que Dieu livrât son propre fils en sacrifice. »
Dès que Calvin eut établi son pouvoir à Genève, il l'exerça avec une rigueur implacable. Il fit torturer et brûler son ami Michel Servet, qu'il accusait d'hérésie, d'après des lettres confidentielles que celui-ci lui avait écrites, et dans les quelles il lui disait qu'il ne partageait pas ses opinions sur la Trinité et sur la prédestination. Pendant les 24 ans que dura la domination de Calvin à Genève (qui ne comptait alors guère plus de 10.000 habitants), il fit bannir 1.500 personnes, emprisonner 400 et brûler ou décapiter 300, pour crime d'hérésie ou de sorcellerie, car il croyait à la sorcellerie, autant que les Catholiques.
En Angleterre, à l'époque d'Elisabeth, il prenait tantôt la forme d'un ministre protestant, tantôt celle d'un prêtre catholique, selon les circonstances. Les théologiens papistes l'accusaient de prêcher sous la forme d'un pasteur protestant, et les théologiens huguenots le voyaient sous l'habit de capucin.
La Réforme ne fut qu'une simple modification dans la forme de la pensée religieuse traditionnelle. Elle ne changea rien au fond, et, en épurant les principes de la déduction, loin d'en affaiblir l'activité, elle ne fit qu'en accroître la force.
Le Protestantisme, il est vrai, se débarrassa de la papauté, de la confession et du célibat des prêtres, mais il garda le Diable, il conserva la folie régnante et lui donna une forme plus séduisante, il ennoblit le principe du mal qui est au fond du Christianisme, personnifié par l'ancien Dieu de la guerre Hésus, devenu peu à peu « le doux Jésus ». Le Protestantisme alla plus loin, il en fit un être idéal, séduisant toutes les femmes avides de vertu ; mais, par un mystérieux atavisme lointain, en même temps qu'il lui donne tant de vertus, il dédouble le Dieu androgyne, abandonne de plus en plus Jésus pour ne plus garder que « Christ », la partie féminine du Dieu double. Au fond, le mensonge chrétien subsiste, puisque « Christ » reste un homme, mais la tricherie est dissimulée sous une forme plus élevée, elle est présentée sous une robe d'innocence, qui épure l'ancienne livrée de débauche du Dieu-Diable du Catholicisme. En définitive, la Réforme ne touche pas aux principes, elle ne fait que modifier la forme du culte.

ORGUEIL MASCULIN
« Il est à remarquer que les deux chefs des sectes protestantes, tout en déclamant contre les tableaux catholiques, posaient complaisamment pour leurs partisans et multipliaient autant qu'ils le pouvaient leur propre image. Luther, dit un auteur anglican, fut toujours très flatté de multiplier son portrait et celui de sa laide moitié. » (Mémoire sur la vie et le siècle de Salvator Rosa, t. I, p. 10)
Sa statue, érigée a Wittenberg, est exposée à la vénération des Luthériens d'Allemagne, et M. L'Herminier lui-même compare cette vénération, à celle que l'on portait à Notre-Dame de Lorette (substitution de sexe).
Calvin possède la même étrange manie, attirant aux huguenots de France cette question judicieuse de Saconay : « Pourquoi voulez-vous tant de mal aux figures et aux peintures ? Votre Calvin ne prend-il pas plaisir à se faire voir en son portrait, taillé dans Genève, avec tant bonne industrie qu'il représente vivement sa face et ses yeux enfoncés, et tout ainsi qu'il est mauvais, le démontre ? » (Arch. curieuses).
Les Protestants considèrent la Vierge Marie comme une femme semblable aux autres ; ils n'aperçoivent pas dans son histoire l'antique symbolisme de Myriam. Ils suppriment le surnaturel grotesque que les prêtres ont mis dans son histoire, c'est fort bien. Mais alors, pourquoi ne suppriment-ils pas aussi le surnaturel grotesque de l'histoire de Jésus ? Chacun des articles du dogme de Jésus est une absurdité. Pourquoi les Protestants n'ont-ils pas été jusqu'à saper Jésus comme ils avaient sapé Marie et les saints ? Au contraire, ils en ont fait le roc sur lequel s'appuie leur foi.

LA SAINT-BARTHÉLÉMY (24 août 1572)
Le règne de Charles IX reste, dans l'histoire, marqué par cette tache de boue et de sang : la Saint-Barthélémy ; une trahison et un massacre, une tuerie en bloc, comme si cela n'allait pas assez vite de les tuer en détail.
Ce forfait causa la joie des Catholiques. Le pape Grégoire XIII (1566-1572) ordonna un Te Deum pour remercier Dieu du massacre des Huguenots.
La reine Catherine de Médicis dit au roi son fils : « C'est bien taillé. Il faut recoudre. »
Comment nier que l'esprit de l'Église est criminel, quand, quelques années plus tard, dans un consistoire tenu le 11 septembre 1589, le pape Sixte-Quint (1572-1585) fit l'éloge de Jacques Clément, le prêtre assassin d'Henri III ? On voulut le canoniser.
En retraçant ces horribles forfaits, on a hâte d'avancer dans l'histoire, de tourner les pages afin de trouver autre chose que du sang et de la boue, on frémit en pensant que cela a si longtemps duré, que la conscience publique a supporté cela, a vu ces attentats, et que tant d'hommes y ont participé, que les fourbes ont si longtemps triomphé, faisant régner sur la terre l'enfer dont ils menaçaient leurs ennemis et qui serait un juste châtiment, s'il existait, pour tant de crimes commis au nom sacré de la Religion.

IGNACE DE LOYOLA
C'était au plus beau temps de la chevalerie espagnole. Le jeune Ignace, cherchant l'idéal féminin, crut le trouver dans la Vierge Marie, la seule Déesse permise.
Il cherchait la Femme, il crut la voir. Il disait qu'elle lui était apparue et qu'elle avait accepté ses services. A partir de ce jour, il se déclara Chevalier de la Vierge.
Ce retour à la Femme, par un chemin détourné, est un symptôme ; l'homme revient à des sentiments naturels, mais il les masque encore en leur donnant un prétexte surnaturel. Quoi qu'il en soit, mieux vaut le culte de la Femme que le culte de l'homme. Aussi on se demande pourquoi Ignace fonda une Société de Jésus et non une Société de Marie.
Soldat espagnol sorti des corps de garde, sa vie fut accidentée à ce point que sa famille voulut le faire enfermer, mais il s'enfuit.
Entré au Collège de Barcelone, sachant à peine lire, il s'en fit chasser. Il courut le pays avec des pèlerins de saint Jacques, prêchant de ville en ville. A Alcala, on l'enferma dans la prison de l'Inquisition ; il s'en échappa, alla à Salamanque où on l'enferma encore. Alors il quitta l'Espagne et vint à Paris à pied. Il entra au Collège Sainte-Barbe pour étudier la philosophie, à l'âge de 33 ans, il se soumit d'abord comme un enfant, fit ses classes, prit ses grades, mais il dut le quitter parce qu'on voulut le fouetter en grande cérémonie. Cependant, il fut enfin reçu maître ès-arts à l'Université de Paris, en 1533.
Enfin, le jour de l'Assomption, en 1534, après avoir entendu la messe dans l'église de Montmartre, il fit avec François-Xavier et cinq autres compagnons, étudiants comme lui, le serment à haute voix de se vouer à Dieu et d'aller à Rome offrir leur dévouement au pape.
Paul III, d'abord, se méfia d'eux, et c'est avec peine qu'il approuva la constitution de la Société de Jésus.
Cependant, on dit qu'il en fut frappé et, posant la main dessus, s'écria : Spiritus Domini est hic (ici est l'esprit de Dieu).
Ce n'est qu'en 1540 qu'il promulgua la bulle de leur institution, avec la condition expresse qu'ils feraient vœu d'obéissance au pape. Ignace ajouta donc un 4ème vœu à ceux qui étaient déjà en usage, celui d'obéissance au pape ; il renonça, par la règle qu'il établit, à toutes les dignités ecclésiastiques.
Paul III, se méfiant de l'influence qu'ils pouvaient prendre, mit aussi pour condition que leur nombre ne s'élèverait jamais au-dessus de soixante, ce qui n'empêche qu'Ignace, avant sa mort, avait plus de mille Jésuites sous sa direction.
Ignace de Loyola était de bonne foi, et son grand succès vint surtout de son féminisme mystique à une époque où la jeunesse était avide d'idéal. Il ne se doutait pas que son Ordre deviendrait politique et serait l'arme des ambitieux. Ce sont ses successeurs qui corrompirent son œuvre ; Lainez et d'Aquaviva y introduisirent tous les mauvais sentiments, tous les principes d'orgueil et d'ambition qui devaient en faire une société funeste. Ce sont eux qui en firent une société d'hypocrisie et de duplicité.
L'Ordre des Jésuites eut le temps de prendre des forces avant que la Réforme se fût affirmée. Les Protestants et les Jésuites se contrebalançaient, donnant chacun leur élan dans une direction opposée, comme deux câbles tirant en sens inverse.
Les Jésuites devinrent bientôt aussi puissants que les papes, plus puissants même, et ceux-ci tremblaient, à bon droit, car, lorsqu'ils voulurent restreindre la puissance des Jésuites, ils moururent empoisonnés ; tel fut le sort de Sixte V, d'Urbain VII, d'Innocent XIII, de Clément XII et de Clément XIV. Le général des Jésuites fut le vrai pape.
Leur morale est celle des restrictions mentales, c'est-à-dire du mensonge, et leur nom restera attaché au système, quoiqu'il soit pratiqué par bien des hommes qui ne sont pas Jésuites.
Leurs Instructions secrètes furent trouvées dans les papiers du Père Brothier (Monita secreta). Un exemplaire manuscrit de ce curieux ouvrage existe dans les archives du Palais de Justice de Bruxelles. Les Jésuites cherchaient deux choses : s'enrichir, s'emparer de l'éducation.

L'INQUISITION EN ITALIE
L'Inquisition devint, au XVIème siècle, une institution exclusivement politique à Venise. En 1554, trois membres du pouvoir, choisis les deux premiers dans le conseil des Dix et le troisième parmi les conseillers du doge, furent chargés, sous le nom d'inquisiteurs d'État, de veiller au maintien de la constitution. Ces magistrats avaient droit de vie et de mort sur tous les citoyens sans exception, et c'est à la terreur qu'ils inspiraient et à la cruauté inexorable avec laquelle ils traitaient la moindre attaque contre le gouvernement que l'oligarchie vénitienne dut de pouvoir conserver sa prédominance. Ils ne disparurent qu'en 1797, lorsque l'armée française détruisit la prétendue République de Venise.
A Rome, l'Inquisition était tombée en désuétude, quand, au XVIème siècle, le pape Paul III la releva pour opposer une digue à la propagation des doctrines de Luther. Ce même pape institua une congrégation dite du Dogme, ou du Saint-Office, chargée de nommer et de diriger les inquisiteurs et de juger souverainement toutes les affaires relatives à l'hérésie ou considérées comme telles. Cette congrégation subsiste encore aujourd'hui et se compose du pape, qui en est le chef et le président, de 12 cardinaux qui remplissent les fonctions de juges, d'un certain nombre de théologiens appelés consulteurs, et d'avocats qui sont chargés d'examiner les livres ainsi que les actes et les paroles des personnes suspectes (Encyclopédie).

L'INQUISITION EN FRANCE
Le caractère français était si hostile à l'Inquisition qu'au XVIème siècle les Guises firent de vains efforts pour la remettre en vigueur. L'édit de Romorantin, œuvre de l'illustre chancelier Michel de l'Hôpital (1560), empêcha le rétablissement de l'Inquisition, en attribuant exclusivement aux évêques le soin de constater l'hérésie et aux Parlements celui de la punir. Néanmoins, il y eut toujours à Toulouse, jusqu'à la Révolution de 1789, un frère de l'Ordre de Saint-Dominique qualifié du titre d'inquisiteur ; mais ce titre n'impliquait en réalité aucune fonction.

L'INQUISITION EN ESPAGNE
C'est l'inquisiteur Ximénès Cisneros qui inaugure le règne de Charles-Quint. Durant les onze années qu'il exerça son ministère, il fit brûler 3.564 individus et 1.232 en effigie, en condamna à la prison ou aux galères 48,059, toujours avec confiscation des biens.
Vint ensuite Adrien de Florencio qui établit un second tribunal du Saint-Office en Amérique et étendit sa juridiction sur les Indes et sur l'Océan. Cet inquisiteur fit brûler 24.025 individus. Tant de zèle lui valut l'honneur d'être élu pape après la mort de Léon X. En quittant l'Espagne, il confia le ministère inquisitorial à Alphonse Manrique, qui fut plus doux que ses prédécesseurs. Mais il arriva au pouvoir dans un moment où l'Inquisition se crut obligée de redoubler de vigilance. Luther, Calvin, Zwingle, Melanchton, Muncer remplissaient l'Europe de leurs doctrines, et l'Inquisition générale, voulant à toute force empêcher la voix de la Réforme de pénétrer en Espagne, ou du moins d'y faire de nouveaux progrès, ajouta quelques articles aux anciens règlements de l'Inquisition qui ordonnaient à tout Chrétien catholique de déclarer, sous peine de péché mortel et d'excommunication majeure, s'il connaissait quelqu'un qui ait dit, soutenu ou pensé que la secte de Luther est dans la bonne voie ; s'il approuvait quelques-unes de ses propositions condamnées, comme par exemple « qu'il suffit de se confesser devant Dieu, sans l'intervention d'un prêtre, parce que ni le pape ni le prêtre n'ont le pouvoir de remettre les péchés » ; « que le corps de Jésus-Christ ne peut être présent dans l'hostie consacrée » ; « qu'il n'y a point de purgatoire » ; « qu'il est inutile de prier pour les morts » ; « que le pape n'a pas le pouvoir réel d'accorder des indulgences ni des pardons » ; « que les prêtres peuvent licitement se marier » ; « que les religieux, les religieuses et les monastères sont inutiles » ; « qu'il ne doit y avoir d'autre fête que le dimanche » ; « que ce n'est pas péché que de manger de la viande le vendredi et les autres jours d'abstinence », etc.
L'histoire de l'Espagne nous offre plusieurs victimes illustres tombées sous les coups de l'Inquisition à cette époque, sur le simple soupçon d'avoir embrassé la doctrine de Luther. L'un d'eux fut le vénérable Jean d'Avila, surnommé l'apôtre de l'Andalousie à cause de sa vie exemplaire et de ses grandes œuvres de charité. Comme il prêchait l'Évangile avec simplicité et ne faisait entrer dans ses discours aucune de ces questions qui agitaient alors si honteusement les théologiens des écoles, les moines envieux se réunirent pour tramer sa perte et le livrèrent à l'Inquisition. Cette année fut fatale aussi à deux hommes célèbres dans l'histoire de l'Espagne : Jean de Vergara et Bernardin de Tabar, son frère, qui avaient embrassé le luthérianisme. Tous leurs malheurs leur vinrent de ce que Jean de Vergara, qui avait une connaissance profonde des langues hébraïque et grecque, fit remarquer des fautes de traduction dans la Vulgate et, par là, s'attira la haine des moines ignorants et envieux.
Alphonse Manrique exerça son ministère pendant 15 ans, et, comparativement à ses prédécesseurs, on peut le considérer comme tolérant, puisque, malgré l'invasion de la doctrine de Luther, il ne fit brûler vives que 20.250 personnes, 11.025 en effigie, et n'en condamna aux galères à perpétuité que 11.252.
Jusque-là, les inquisiteurs d'Espagne avaient eu la suprématie ; mais le successeur de Manrique, Juan Pardo de Tabera, vit la congrégation du Saint-Office s'établir à Rome. Cette concurrence aurait pu leur porter ombrage s'ils n'avaient pas été forts, comme ils l'étaient, de l'appui de Charles-Quint. Aussi les inquisiteurs espagnols refusaient sans scrupules d'exécuter les brefs apostoliques, ce qui fut cause des démêlés continuels qui divisaient la cour de Rome et celle de Madrid. On voit combien la Religion était étrangère à ces luttes politiques dont les peuples étaient toujours victimes.
Le nombre des personnes condamnées à cette époque par les divers inquisiteurs, tant en Espagne que dans l'île de Sicile, qui était sous sa juridiction, en Amérique et aux Indes, fut si considérable que Charles-Quint, pour empêcher ce nombre effrayant d'augmenter encore, fut obligé de défendre la mise en jugement des Indiens, qui y auraient tous passé.
Le huitième grand inquisiteur que le Ciel dans sa colère déchaîna sur l'Espagne, Ferdinand Valdès, vieillard rempli d'orgueil et de fiel, voulut rivaliser de cruauté avec le trop fameux Torquemada. Il fit couler des torrents de sang et porta la terreur dans tout le royaume. C'est lui surtout qui fit triompher le système d'ignorance que soutenait depuis longtemps l'Inquisition. Plusieurs des savants théologiens qui avaient assisté au Concile de Trente furent poursuivis parce qu'ils savaient les langues orientales. Valdès, secondé par Charles-Quint, s'occupa avec beaucoup d'activité de la prohibition des livres. Plusieurs index, établis par l'Université de Louvain et par une commission espagnole, furent publiés par ordre de l'empereur, et les perquisitions les plus minutieuses eurent lieu dans tout l'empire pour découvrir tous les livres suspects de répandre la doctrine de Luther et de ses commentateurs protestants.
Parmi les savants qui furent persécutés par Valdès, on remarque Barthélémy Corranza, archevêque de Tolède ; saint Jean de Dieu, fondateur d'un Ordre hospitalier consacré aux soins et à l'assistance des pauvres malades, accusé de magie et de nécromancie ; un prédicateur aragonais, Egidius, arrêté à cause de ses grandes connaissances en tout genre. L'empereur lui fit cependant obtenir son pardon à cause de la grande pureté de sa conduite et de ses mœurs. Rodriguez de Valero, qui consacrait ses jours et ses nuits à la lecture et à la méditation des Écritures Saintes et reprochait à tout prêtre qu'il rencontrait de s'être éloigné de la pure doctrine de l'Évangile. Marie de Bourgogne, âgée de 85 ans, qui fut dénoncée par un valet qui prétendait lui avoir entendu dire : « Les Chrétiens n'ont ni foi ni loi ». On l'arrêta aussitôt comme suspecte de judaïsme et on la garda en prison pendant cinq ans, après quoi elle fut soumise à la question à l'âge de 90 ans. Elle supporta avec un admirable courage les plus cruelles épreuves, mais finit par en mourir. L'Inquisition, voyant qu'elle lui échappait, voua ses enfants et ses descendants à l'infamie. Jeanne Bohorques, qui avait été arrêtée par le Saint-Office pour n'avoir pas combattu les sentiments luthériens de sa sœur, ce qui la fit soupçonner de les partager. Les inquisiteurs poussèrent la férocité à un excès inouï ; sans attendre que cette malheureuse femme, qui était enceinte, fût délivrée, ils l'enfermèrent dans leurs cachots infects. Dès qu'elle fut accouchée, on lui enleva son enfant, et, avant qu'elle fût rétablie, les inquisiteurs lui appliquèrent la question, et cela d'une façon si violente que ses membres, encore faibles, furent coupés jusqu'aux os par les cordes, et que, plusieurs vaisseaux s'étant rompus pendant qu'on lui faisait souffrir la question de l'eau, elle vomit des flots de sang. On la reporta dans son cachot où elle mourut quelques jours après. Comme elle avait toujours nié, même au milieu de ses souffrances, les monstres qui l'avaient assassinée crurent faire assez pour réparer leur crime en déclarant innocente cette victime de leur barbarie. Elle fut réhabilitée dans une cérémonie qui précéda le fameux Auto-da-fé de Valladolid, en 1559, sous les yeux de Don Carlos et de la princesse Jeanne.
Parmi les autres victimes de l'inquisiteur Valdès, il faut encore citer le fils de l'empereur du Maroc ; le vertueux Barthélémy de Las Casas, évêque de Chiapas en Amérique ; et les trois premiers généraux de la Compagnie de Jésus, Ignace de Loyola, Lainez et François Borgia ; Ignace fut mis en prison et ses deux successeurs furent persécutés comme fanatiques illuminés. On pourrait encore citer un grand nombre de savants qui ne voulaient pas se soumettre aux opinions erronées de la scolastique. Enfin, le nombre total de ses victimes est de 19.600.
Charles-Quint, pendant les 40 années de son règne, ne cessa de soutenir et d'exciter l'Inquisition. Il ne voulut admettre aucun plan de réforme et mourut en recommandant à son fils d'imiter sa conduite et de travailler avec zèle à l'extirpation et au châtiment des hérésies. Tant de zèle pour le Saint-Office et une si opiniâtre persévérance lui ont valu le surnom de Don Quichotte de la foi. Il porta si loin sa sollicitude pour le salut de ses sujets qu'il ne resta, dans les deux hémisphères, aucune province soumise à la monarchie espagnole où on n'eût établi ou tenté d'établir le Saint-Office avec ses codes barbares.
Le tribunal de Louvain célébra à lui seul plusieurs auto-da-fé en l'année 1527.
Philippe II, qu'on peut regarder comme le fléau de l'humanité, beaucoup plus intolérant et plus superstitieux que son père, au lieu de protéger son peuple contre l'Inquisition et de profiter des dissensions avec Rome pour secouer le joug des papes, voulut, au contraire, étendre l'autorité du Saint-Office et en faire supporter le joug même à ceux de ses sujets qui avaient fui hors de son royaume. Il rendit plusieurs ordonnances pour encourager la délation, et condamna les vendeurs, acheteurs ou lecteurs des livres défendus, dont le catalogue était considérable.
On se figure aisément quels durent être les résultats de ses funestes ordonnances chez un peuple corrompu qui regardait les auto-da-fé comme un divertissement et croyait faire acte méritoire devant Dieu en dénonçant les hommes qui cherchaient à s'éclairer. On ne doit pas s'étonner non plus de l'ignorance profonde qui enveloppa si longtemps la péninsule et a eu tant de peine à se dissiper.
Philippe II s'occupa beaucoup aussi de soutenir l'Inquisition d'Amérique. Il fixa à trois le nombre des tribunaux de cette partie de la monarchie espagnole et en gratifia les villes de Lima, Mexico et Carthagène.
Le premier auto-da-fé célébré à Mexico eut lieu l'année même où mourut Fernand Cortès, le conquérant de ce vaste empire. On y brûla, entre autres victimes, un Français et un Anglais. L'acharnement de Philippe II à faire le salut de son peuple lui suggéra l'idée d'établir un tribunal ambulant chargé de découvrir et de poursuivre les hérétiques sur les navires. Ce tribunal fut organisé sous le nom d'Inquisition des galères d'abord, et ensuite sous celui d'Inquisition des flottes et des armées. Il y eut aussi l'Inquisition des douanes, chargée d'empêcher l'introduction des livres défendus.
Ainsi la religion servait de prétexte à toutes sortes d'intrigues et ne faisait que servir les passions des ambitieux et des despotes. Un fait curieux de cette époque fut le procès intenté au pape Sixte-Quint comme fauteur d'hérésie. Ce pontife avait fait publier une traduction de la Bible en italien et en avait recommandé la lecture comme devant produire le plus grand avantage pour les fidèles. L'Inquisition d'Espagne fit inutilement tout ce qu'elle put pour empêcher la publication de cette traduction et, après la mort de ce pontife, condamna la Bible Sixtine et, par conséquent, le pape, oracle infaillible de la foi.
Le règne de Philippe II fut l'époque la plus terrible de l'Inquisition en Espagne. Elle y commit les plus grandes cruautés. Il est vrai qu'en France Charles IX les surpassait toutes en une seule journée en ordonnant la Saint-Barthélemy.
Le tribunal de la foi n'était qu'un instrument entre les mains de ceux qui conduisaient les intrigues de la cour. Les inquisiteurs n'avaient aucun scrupule de falsifier et de changer les pièces authentiques, lorsque cette mesure convenait à leurs vues.
Le peuple, imbu d'erreurs dès l'enfance, habitué aux idées fausses, n'avait ni assez de courage pour combattre, ni assez d'autorité pour contester ; il craignait, du reste, trop les persécutions qui en auraient résulté ; si bien que cette abominable institution, tout impolitique qu'elle était, n'en continua pas moins l'exercice de ses forfaits avec la plus grande impunité. Les rois, s'ils n'étaient ses partisans, étaient trop faibles pour oser entreprendre aucune réforme. Ils n'osaient pas même soumettre ses jugements aux formes ordinaires de la procédure, afin de détruire le grand abus du secret.
Point de recours pour l'homme ou la femme soupçonnés d'une pensée un peu hostile à l'Église, ou d'une dévotion un peu tiède.
Malheur à celui qui ne se courbait pas avec respect devant toutes les superstitions, toutes les absurdités inventées par ces infâmes qui faisaient métier de violenter la conscience.

SORCELLERIE RELIGIEUSE
De 1500 à 1600, la Magie s'était rapprochée de l'Eglise.
Les paroisses, ouvertement, s'occupaient des maléfices. A l'église du Saint-Esprit, place de Grève, on disait des messes pour demander la mort de ceux qu'on détestait, pour favoriser les voleurs, etc. Les grands seigneurs libertins ou ambitieux demandaient à Dieu les choses les plus coupables par l'intermédiaire du prêtre, qui se prêtait à tout pourvu que le prix y fût, et c'est par de niaises pratiques qu'on leur promet toutes les réussites qu'ils désirent. Les prêtres sont de vrais courtiers d'amour et pratiquent à l'ombre de leur métier un ignoble chantage. La cafardise règne, on compte sur elle.
Quand on voulait enlever une fille, on lui envoyait « le Diable ». C'est ainsi que, en 1590, à Arona, village de Lombardie, un chenapan quelconque prit la forme de sainte Ursule et apparut, entouré d'une foule de vierges resplendissantes, à une fille dévote et pie « qui servait Dieu en chasteté dans la maison de son frère ». Il lui persuada de le suivre, disant qu'il était envoyé de Dieu pour la conduire en un monastère où elle pourrait librement vaquer aux méditations de la vie contemplative. La pauvre fille eut le bon esprit de demander à en référer à son confesseur. Ceci est raconté par le Père Serclier dans l'Antidémon historial.
Nous trouvons encore une preuve de la sorcellerie des prêtres dans un sermon du Père Valladier, confesseur de la reine Marie de Médicis : « Ainsi que nous venons de le dire, Satan pouvant emprunter d'ailleurs l'étoffe requise à la conception, l'influant à une femme par force d'illusion nocturne, elle en concevra. Il pourra, par son agilité émerveillante et sans rien rompre, porter la même matière en la vierge, où, par la vertu formative, elle sera retenue et fomentée sans même qu'elle s'en soit aperçue. »
Et cela était dit devant une assemblée de femmes et de jeunes filles qui savaient mieux que ce Père à quoi s'en tenir sur les illusions nocturnes.
Ceci est extrait du sermon prêché par le Père Valladier le lundi après le 3e dimanche de l'Avent, dans la Sainte Philosophie de l'Ame, où ce sermon porte le titre suivant : Des charmes et sortilèges, ligatures, philtres d'amour, extases diaboliques, horribles et extraordinaires tentations de Satan.
Dans une déclaration sententielle de 1583, à propos de la sorcellerie, nous allons voir l'Église accuser les libres-penseurs de ses folies. Elle dit : « On appelle sorciers et sorcières les hommes et les femmes qui, après avoir renié Dieu et la religion, se sont donnés au Diable par un pacte formel, afin d'obtenir de lui la puissance d'opérer toutes sortes de choses merveilleuses qui seraient impossibles dans l'ordre de la nature. »
Avec ce joli prétexte, ce pacte, qui pouvait être implicite d'après saint Thomas d'Aquin, on envoyait qui on voulait au bûcher.
- Une vieille « sorcière » du nom de Françoise Secrétain ayant, le 4 juin 1598, donné et fait manger « une crouste de pain » à une petite fille de huit ans, Louise Maillat, cette enfant fut aussitôt possédée de cinq démons (H. Boguet, Discours exécrables des sorciers, chap. I).
- Perrenette Pinay se trouva possédée de six démons après avoir mangé une pomme et un morceau de bœuf à la sollicitation d'un sorcier.
- Catherine Boyraisonne donna certain nombre de démons à une Magdeleine âgée de 22 ans, et une autre vieille nommée la Gohonne en bailla aussi un à une Marie. Les démons étaient dedans des noix.
Une des formes du pacte avec le Diable, c'est l'alliance avec le libre-penseur. Rien n'effrayait plus l'Église que ces associations instituées pour la combattre. Vendre son âme au Diable, c'était alors retourner à la Nature, à la science, s'enfuir de cette Église de superstitions et de mascarades.
C'est sous le pape Justinien Ier que Théophilus fit la première alliance que l'Église appela démoniaque.
On faisait signer une renonciation au Catholicisme.
Cela causait une exaspération si grande que toute la bave de ces fourbes inondait ceux qui renonçaient ainsi à leur domination. Cela donna une forme nouvelle à l'histoire des Démons. Les libres-penseurs devinrent les apôtres du mal, au pied fourchu, hantant les alentours des églises, les profanant, etc.
L'alliance de cet homme damné avec la sorcière, c'est l'alliance de la femme avec l'homme intellectuel, celui qui, comme elle, se révolte contre les infamies chrétiennes, celui que la femme aime ; aussi sur lui s'abattent toutes les jalousies. Mais le prêtre se venge de lui en lui faisant une légende dans laquelle il met à son avoir tout le mal qu'on a dit de lui en le centuplant, en le poussant jusqu'au surnaturel, jusqu'au grotesque. Il fait de son ennemi l'être abject, à face d'âne, au corps velu, avec une queue de bête et de grotesques oreilles, il lui donne ses mœurs infâmes.
Le portrait qu'il en fait représente autant l'homme intellectuel que la sorcière vieille, laide, difforme, représente la femme spirituelle, jeune et belle, en qui rayonne le flambeau divin de la raison.
Dans un petit livre grec bien connu : Sur l'action des démons, et où on reconnaît l'esprit chrétien (traduit en latin vers 1577), on trouve la doctrine des Manichéens présentée d'une manière qui nous prouve qu'elle fut jugée avec jalousie et calomnie réflexe ; on y lit ceci : « Ces impies appellent Théopsies ou « Visions de Dieu » des choses infâmes et exécrables (l'ovulation certainement), car tout ce que nous considérons comme enseignement légitime (l'abstinence de la femme), comme chose à faire, ils le condamnent et le proscrivent, rejetant jusqu'aux lois naturelles (c'est l'accouplement qu'ils appellent ainsi). Il n'y a peut-être qu'un seul homme, l'impur et obscène Archiloque, qui eût consenti à raconter de semblables abominations. Encore estimé-je que, s'il était présent, il hésiterait à perpétuer la mémoire de ces orgies, car il ne s'en est vu nulle part, pas plus chez les Barbares que chez les Grecs, d'aussi horribles et détestables. En effet, où, quand et de qui a-t-on appris qu'en aucun temps l'excrément frais ou sec ait été une nourriture pour l'homme, cet animal respectable et sacré ? (ceci est de la vengeance réflexe, ce sont les Chrétiens qui font ce dont ils accusent les autres, en ingurgitant le produit que l'hostie représente).
« Le soir, dans le temps où nous célébrons la passion du Sauveur (un mensonge), des jeunes filles, qu'ils ont initiées à leurs mystères sacrilèges, ayant été réunies dans une maison désignée à cet effet, tous les flambeaux éteints, afin de ne pas rendre la lumière témoin de l'épouvantable crime qu'ils préparent, ils se jettent avec frénésie sur elles, chacun prenant la première qu'il rencontre, fût-elle sa sœur, fût-elle même sa fille. Ils pensent faire chose agréable au démon en transgressant les lois divines qui répugnent à ces unions avec son propre sang. Cela fait, elles sont renvoyées chez elles. Au bout de neuf mois, le moment étant arrivé où d'infâmes produits (pourquoi infâmes ?) doivent naître d'une semence infâme, elles reviennent au même endroit, et, quatre jours après qu'elles ont accouché, on retire les malheureux enfants à leurs mères, on leur taille et coupe les chairs avec un rasoir, recevant dans des vases le sang qui en coule. Quant aux enfants eux-mêmes, on les brûle, respirant encore, entassés en un bûcher. Puis on mélange leurs cendres avec le sang recueilli dans les vases, et on en compose un horrible pharmaque dont ils relèvent leur nourriture et leur boisson. »
A travers ces expressions de rage, ceci nous révèle la haute morale des Manichéens, qui étaient du reste considérés comme des gens d'une grande sainteté.
Toutes ces exagérations hideuses donnent la mesure de la rage qu'éprouvent les hommes inférieurs et pervers en face de ceux qui les dominent par leur grandeur morale.
A toutes les époques, il y a eu dans le monde deux camps nettement tranchés : les simples d'esprit qui acceptent aveuglément la parole de l'homme fourbe, qui les trompe, sans même la discuter, et ceux qui pensent, qui savent, qui connaissent la psychologie du mal et ne se laissent pas tromper par ces apôtres de mensonge. Ceux-là ont toujours été un parti d'opposition, ceux qu'on craint et qu'on hait parce qu'ils sont les censeurs, étant les mécontents, de ce qui existe. Ce sont eux aussi qui sont les initiateurs des troubles qui dérangent l'ordre établi, puisqu'ils en nient hardiment la légalité.

LA SORCELLERIE CHEZ LES RELIGIEUSES
La folie des hommes devait se propager dans le monde des femmes. C'est autour de Jésus, « l'Époux Divin », que nous allons la voir se débattre. Non seulement les femmes chrétiennes acceptent l'outrage fait à leur sexe par le prêtre qui les couvre de péchés, mais elles se font comédiennes pour lui plaire, elles entrent dans le rôle qu'il leur dicte, dociles, soumises, résignées à tous les sacrifices, elles réalisent le type de l'abjection.

JÉSUS L'ÉPOUX DIVIN
Lorsque Abélard confessait que la statue de la Vierge lui semblait emprunter quelquefois les traits de son ancienne maîtresse, Héloïse aurait pu lui répondre à son tour que ce pâle crucifié qui s'offrait tout nu à ses lèvres lui rappelait aussi la figure du prêtre qu'elle aimait.
En cela, elle n'aurait que devancé et confirmé les sensations qu'éprouvaient auprès de ce muet supplicié, hôte de chaque cellule, les religieuses des XVème, XVIème et XVIIème siècles. Cet homme, aux plaies saignantes, dont les bras étendus semblaient devoir se refermer sur elles, les attirait, les fascinait. Plus d'une recluse dans son délire le vit descendre de la croix, entrer dans sa couche, et ne la quitter qu'après lui avoir imprimé les marques de sa présence.
Sainte Gertrude, une de ses amantes effrénées, raconte qu'elle retirait à Jésus les clous qu'on lui avait mis à chacun de ses membres, et qu'en récompense il la baisait et lui passait la main sur le cou.
Quelquefois, elle se plaint avec une certaine coquetterie qu'il l'abandonne, et lui témoigne sa joie lorsqu'il revient : « Étant, dit-elle, au milieu du dortoir, je levai la tête, et je vous vis, mon très doux amour, beau par-dessus tous les enfants des hommes, en forme d'un chaste et aimable adolescent ; les yeux de mon âme et de mon corps en furent fort satisfaits.
« Aussitôt que vous eûtes appliqué votre beau et très aimable visage au mien, vos yeux divins à mes yeux, je ressentis une lumière douce et savoureuse qui pénétra dans les parties les plus intimes de mon corps ; ma chair sembla anéantie, et je me sentis vider moi-même jusqu'à la moelle des os...
« Récitant mes prières, il m'est arrivé que, pendant un seul psaume, vous avez baisé mon âme très amoureusement jusqu'à dix fois, baiser qui surpasse en douceur tous les parfums et le nectar le plus délicieux... Vous avez aussi jeté sur moi vos divins regards et vos amoureuses œillades, et j'ai ressenti en mon âme vos chastes et étroits embrassements. »
Cette folie avait pris naissance en Grèce, lorsque Apollon était le père universel, l'époux de toutes les femmes. C'est cette antique conception qui passa dans le Christianisme, où elle fut poussée plus loin encore que dans l'antiquité.
Les théories masculines sur l'amour, à l'usage des femmes, n'ont jamais cessé, du reste, d'être absurdes, depuis que Caïn tua Abel à cause de son sacrifice, c'est-à-dire que l'homme, ne voulant pas permettre à la femme d'être femme comme la Nature le veut, lui imposa toutes sortes de chimères pour remplacer la simple vérité, la simple morale.
Heureusement que les animaux ne parlent pas, ils en auraient peut-être fait autant. Que dirions-nous si nous voyions le coq défendre à la poule de pondre des œufs quand il n'est pas dans la basse-cour ?...
Le Père Girard enseignait à la Gadière « le mépris du corps et l'indifférence de la chair ». Ne dirait-on pas une femme qui parle ? Voilà bien les rôles renversés. C'est la femme qui méprise le corps, c'est l'homme qui l'aime et le désire, et c'est pour cacher ce désir qu'il affecte de le mépriser.
Mais voici mieux : le Père David apprenait à Madeleine Brévent que le corps ne peut souiller l'âme. Cela, c'est tout à fait de la psychologie féminine ! Mais il ne comprend pas ce qu'il dit, car il ajoute « que le péché guérit l'orgueil et qu'il faut aspirer aux joies de l'innocence reconquise » (V. Le Fouet des Paillards).
Comment la femme pourrait-elle reconquérir l'innocence, puisqu'elle ne la perd pas ?

ÉVOLUTION ASCENDANTE DE LA FEMME
Deux voies sont ouvertes : l'une par laquelle la Femme va monter, l'autre par laquelle elle continue à descendre.
Toutes les institutions masculines sont contraires au progrès de l'esprit et nuisibles à la Femme, parce que toutes ont à leur base le mauvais principe, la force, qui tôt ou tard détruit la Justice et nie la Vérité.
C'est ainsi que la Féodalité, régime de force et d'iniquité, fut une occasion de chute pour la Femme qui vit, à la fin de ce régime, décroître sa capacité sociale et péricliter ses droits.
La Chevalerie elle-même dégénéra pendant les Croisades, et le preux chevalier fit de sa compagne, non la femme régénérée, mais la Prude à qui il veut encore imposer la violation de sa nature (Prude est le féminin de Preux), mettant du côté de la femme le devoir de chasteté que la Chevalerie avait imposé à l'homme.
Cervantes ridiculise la Chevalerie (1547-1616).

M. Henri Bouchot publia, en une superbe édition, une étude sur Les Femmes de Brantôme. On a dit que, dans Les Dames galantes, Brantôme avait publié un livre sans frein, sans pudeur et sans vergogne ; cependant, cet ouvrage forme un des monuments les plus précieux de notre vieille littérature, par la vérité avec laquelle y sont peintes nos mœurs telles que l'Italie nous les avait accommodées, avec cette dissolution, seule conquête que nous eussions faite sous Charles VIII, Louis XII et François Ier, dans le royaume de Naples et dans le Milanais. Cette corruption avait développé le goût des anecdotes scandaleuses et l'usage de mots graveleux, qui déjà, longtemps auparavant, s'étaient montrés dans les livres les plus sérieux, et pour lesquels Pic de la Mirandole ne faisait guère de façon en ses écrits. Du temps que Brantôme et la reine de Navarre écrivaient, les gravelures étaient à la mode et étroitement liées à tous les propos ; les gens de la cour et les bourgeois ne s'en faisaient faute, et on les rencontrait jusque dans les harangues des magistrats et les sermons des ecclésiastiques. Brantôme n'a donc fait que recueillir et rapporter ce qui était le sujet de tous les entretiens et le texte de tous les discours de son temps, et son mérite, c'est qu'il le fait sans songer à mal, tout naïvement, avec une indiscrétion ingénue et un abandon plein de charme et d'originalité.
Tout le monde parle des belles et honnêtes dames de Brantôme, mais on les connaît bien mal. Le livre de M. H. Bouchot nous les montre à la fois dans leurs portraitures et dans leurs mœurs vraies. Écrit tout entier sur documents intimes, il nous analyse à la fois le célèbre conteur et ses charmants modèles. La mission particulière de ces femmes nous est révélée, les causes multiples de leurs exagérations vicieuses nous sont expliquées. Nous les voyons ce qu'elles furent. C'est l'histoire psychologique d'une société, déduite librement et prouvée sans scrupules. Ce livre n'est point destiné aux enfants ; il parle cruellement à la façon des philosophes, tout en faisant bon marché des menteries et des gasconnades de Brantôme.
C'est toujours par cette égalité des sexes dans la morale que la vérité se perd, que l'injustice pénètre.
Mais, à côté des institutions masculines, la, société se développe, la Nature reprend ses droits, et, comme elle est toujours la plus forte, partout, dans tous les royaumes, on vit poindre les premières lueurs de l'émancipation féminine.
La Renaissance rendit à la Femme une grande place dans le monde. Mais c'est encore par des termes flétrissants que les auteurs du temps, et ceux qui plus tard les copient, parlent d'Elle. Les idées chrétiennes sont encore trop ancrées pour qu'on puisse, d'un coup, lui enlever le manteau d'infamie qui l'enveloppe. Un terme nouveau est introduit dans la langue : les hommes de cour, ceux que dans les temps modernes nous appellerions des arrivistes, sont appelés des courtisans ; les Femmes vont être appelées des courtisanes. (C'est sous François Ier que le mot courtisans se mit au féminin pour désigner les Dames de la cour.)
Dans le monde romain, une pléiade de Dames remarquables s'élève alors. On cite Tullia d'Aragona, Imperia, Isabelle de Luna, Camilla di Siena, Béatrice de Ferrare, qui étaient de fort nobles Dames, très affinées de mœurs et de langage, instruites, lettrées, et qui exerçaient une influence considérable sur le grand mouvement littéraire de cette époque. Grégorovius, le grand historien de la Rome médiévale, les appelle « les Muses des belles-lettres ». On les entourait, on les honorait, quoique, ouvertement, elles se missent en dehors de la morale chrétienne, au-dessus de l'opinion des sots, s'affirmant sans crainte, telles les anciennes Déesses. Naturellement, la critique tombait sur Elles, mais c'est fatal ; c'est ainsi que les mauvaises langues du temps, se jouant de l'honneur des femmes, et cherchant partout ce qui abaisse au lieu de voir ce qui élève, déclaraient que la Lorenzina favorisait les gentilshommes, la Béatrix, les prélats, la Laurona, les marchands, l'Ortega, les avocats et les procureurs, la Nicolasa, les Espagnols, la Madrena, les ducs, les marquis, les ambassadeurs, la Tullia, les jeunes...
Mais ce sont là les ombres jetées sur la grande lumière qui jaillit de l'esprit de ces Femmes qui furent les véritables inspiratrices du grand mouvement de la Renaissance en Italie (V. E. Rodocanachi, Courtisanes et Bouffons.).

COMMENCEMENT DE RÉHABILITATION DE LA FEMME PAR CORNÉLIUS AGRIPPA
Cornélius Agrippa publia un livre intitulé « Discours sur la noblesse et l'excellence du sexe féminin ; de sa prééminence sur l'autre sexe ».
L'ouvrage était dédié à « l'Auguste Princesse très clémente des Bourguignons-Autrichiens, la divine Marguerite ».
« Princesse incomparable, s'écrie l'auteur, je voue et consacre à Votre Altesse Sérénissime ce beau petit enfant de notre cervelle ; et voici pourquoi je vous en fais présent. Comme, par l'éclat de votre vie et mœurs, vous êtes montée à un comble de mérites qui vous élève au-dessus du bien qu'on peut dire du sexe féminin ; quand on verra que vous êtes un exemple actuellement vivant de ce qu'il contient, par là, l'honneur et la gloire de ce même sexe en reluiront plus clairement. »
Agrippa, comme il le dit dans sa préface, n'écrivit point ce livre dans le seul but, courtisan aimable, d'obtenir les bonnes grâces d'une princesse, comme certains critiques l'ont prétendu, il défendait une cause qui déjà occupait les esprits.
Ce discours, prononcé puis écrit en latin, a été traduit plusieurs fois en français (1578, par Louis Vivant ; 1715, par Arnaudin ; 1715, 2e édition ; 1801, par Ratig, pseudonyme de Peyrard).
Henri-Corneille Agrippa de Nettesheim était un philosophe médecin qui naquit à Cologne en 1486 et cultiva avec succès toutes les sciences connues de son temps et même les sciences occultes. Il habita à Londres, à Cologne, à Paris, à Turin, à Metz, à Fribourg. En 1524, il alla se fixer à Lyon, pour y exercer la médecine, et devint médecin de Louise de Savoie, mère de François Ier.
Cette princesse l'ayant chassé de France parce qu'il l'avait bravée dans un libellé, il se réfugia aux Pays-Bas, et fut bien accueilli par la princesse Marguerite d'Autriche. Rentré en France, il fut mis en prison, et, peu de temps après avoir recouvré sa liberté, il mourut à l'hôpital de Grenoble en 1535.
Ses principaux ouvrages sont : De l'Incertitude et de la Vanité des sciences, De la Science occulte, Discours sur la Noblesse, Excellence du sexe féminin. Voici la préface de ce dernier ouvrage :
« Cesse, franc babillard, grand diseur de riens, cesse de louer les hommes plus qu'il ne faut, de peur d'accumuler inutilement les louanges. Cesse, si tu es sage, de lancer sur les femmes les traits d'une satire dépourvue de sens et de raison ; si tu veux bien peser à ta balance les mérites des deux sexes, il n'y aura pas, dans notre espèce, de mâle qui ne doive céder à sa femelle. Si tu en doutes, et si la chose te paraît rude et incroyable, je t'amène une caution, je te produis un témoin qui n'a point encore paru, et qu'aucun mortel ne fit jamais. C'est un petit livre, fruit des veilles d'Agrippa, et dans lequel il loue la femme et la place fort haut, au-dessus de l'homme. »
L'auteur entre ensuite en matière : « Dieu très bon, très grand, souverainement fécond de tous les biens convenables aux deux sexes, faisant l'homme à son image et à sa ressemblance, le créa mâle et femelle. Ces deux sexes ne sont distingués que par une construction différente, nécessaire à l'usage de la génération !
Quant à l'âme, le Créateur la donna de la même forme, de la même nature, à l'homme et à la femme. Et les deux sexes ne diffèrent nullement par cet endroit-là. Car la femelle humaine a reçu et partagé avec son mâle le même esprit, la même raison, dont l'un et l'autre font ordinairement un fort mauvais usage.
« Enfin, l'un et l'autre marchent ensemble, tant mal que bien, dans le chemin du Paradis. Or, dans le royaume des Cieux, la diversité de sexe sera pleinement abolie ; les ressuscitants retrouveront chacun le leur, mais cette différence sera très inutile. Eh ! puisqu'on nous promet que nous ne serons pas plus amoureux que les anges ! Il n'y a aucune différence essentielle entre l'âme de l'homme et celle de la femme, l'une n'a aucune prééminence sur l'autre. Tous deux reçoivent en naissant la même dignité, par cette substance spirituelle et libre qui anime la machine organique.
« Mais, outre ce qui reste dans l'homme de la divine essence de l'âme, la fameuse et célèbre tige des femmes l'emporte presque infiniment sur le genre dur et grossier de nous autres hommes. C'est ce qui paraîtra indubitable quand j'aurai mis la chose dans une évidence démonstrative, non par des discours faux et fardés, mais par des témoignages et sous la protection des meilleurs auteurs, par des histoires bien vérifiées, des raisons incontestables, par l'autorité des lettres sacrées, enfin par des ordonnances de l'un et l'autre droit.
« Premièrement donc, et pour entrer en matière, Femme est un nom incomparablement plus élevé que le nom d'Homme. En voici une preuve décisive : le mot Adam signifie Terre, et Eve est un terme qui signifie la Vie. Sur cette révélation scientifiquement étymologique, je bâtis ce puissant raisonnement : la Vie est d'un tout autre prix que la Terre, ergo, la femme excelle autant par-dessus l'homme ; elle lui est autant préférable que la vie est plus précieuse que la terre. Cette seule botte suffirait pour atterrer le plus fier ennemi du beau sexe.
« C'est là pourtant, direz-vous, tirer en l'air ; l'enthymème ne vaut rien, car du nom à la chose la conséquence est nulle. Et moi je réponds que vous allez voir.
« Nous savons que l'Artisan suprême a connu les êtres et les choses avant de les nommer, et comme il est plus infaillible que qui que ce soit, lorsqu'il a fait les noms, il les a faits propres à exprimer la nature et les usages de la chose. Ce n'est pas une petite force que celle qui se trouve dans les significations des termes et les pointilleries du Droit. Saint Cyprien, interprétant le nom d'Adam, nous dit qu'il a reçu son nom des quatre parties du monde, et que ce nom signifie qu'en la personne de ce premier mortel la terre est devenue chair. Cette explication diffère de la tradition, à cause que, chez les Hébreux, Adam s'écrit, non avec quatre lettres, mais avec trois. Il ne faut pas blâmer cette interprétation de saint Cyprien, par la raison qu'il ne savait pas l'hébreu. Beaucoup de saints qui se sont mêlés d'interpréter l'Écriture ont ignoré cette langue, sans qu'on leur en ait fait un grand crime.
« Mais laissons là le nom, et cherchons l'excellence de la Femme dans ses fonctions et ses belles qualités. Fouillons dans les Écritures, en remontant jusqu'à la fondation de l'Univers, voyons par quel avantage la femelle humaine fut distinguée de son mâle, dès le premier arrangement des êtres. Nous savons que, parmi les ouvrages de Dieu très grand, les uns sont inaltérables, au lieu que les autres sont sujets à la corruption.
« Premièrement, il créa donc les anges incorruptibles et les âmes. Et saint Augustin soutient que l'âme du premier père fut produite longtemps avant la pétrissure de son corps.
« Les êtres matériels qui sont durables et permanents sont : les cieux, les étoiles et les éléments. De ces corps élémentaires, il forma les êtres corruptibles, allant des choses les plus viles vers les plus nobles, avançant, montant toujours, pour la perfection de l'Univers.
« Sur ce pied-là, les minéraux furent les premiers qui sortirent du néant. Ensuite, les végétables, les plantes, les arbres. Et après cela, les bêtes, par ordre de rang, savoir : les reptiles, les animaux nageants, les volatiles, les quadrupèdes. Enfin l'Artisan suprême, voulant avoir un portrait vivant qui lui ressemblât, fit l'homme à deux reprises, et en deux morceaux : premièrement le mâle et ensuite la femelle. Et dans ce dernier ouvrage à deux pièces rapportantes, le Créateur mit la dernière main à la fabrique des cieux, de la terre et de tous les ornements. Si bien qu'après la façon de notre espèce, Dieu, trouvant qu'il ne manquait rien à la Nature, rentra dans son repos éternel. Du moins, d'auteur de la Nature, il en devint le simple conducteur.
« Revenons à la femme. Ce fut donc par ce chef-d'œuvre que le Tout-Puissant termina son travail de six jours. Oui, dès que l'Artisan de cet immense Univers eut contemplé la belle Eve, notre première aïeule, il s'arrêta ; il se reposa en elle, « quievit in illa ». Et la raison, à notre avis, c'est qu'il ne pouvait jamais rien faire de meilleur ni de plus respectable. Dieu s'était comme épuisé en faisant la Femme. Toute la sagesse, toute la puissance du Créateur s'étaient si bien renfermées, tellement consommées dans cette créature toute charmante, que, après elle, il ne se trouva plus rien à créer. Et, effectivement, il n'est rien de semblable à notre femme, et l'on ne peut pas même rien concevoir de plus accompli.
« Tirons maintenant le suc, la moelle, la crème de cette preuve là ; et montrons-en toute la force. Qui serait assez déraisonnable de douter que la Femme, comme ayant été créée la dernière, fut la fin et le complément très parfait de tous les ouvrages du Tout-Puissant, la perfection de l'Univers ? Qui aura le front de nier que la Femme est la plus noble, la plus digne des créatures, et qu'elle excelle sur toutes les autres ? Dieu a fait l'Univers avec tout le soin, toute l'application, toute la régularité, possibles. Avec tout cela, si Dieu n'avait point fait la Femme, le monde eût été imparfait, il eût manqué quelque chose à l'Univers.
« Franchissons le pas. Si Dieu n'avait pas fait son Image femelle, c'eût été comme s'il n'eût rien fait.
« Concluons donc hardiment que la Femme, nonobstant tous ces défauts de corps et d'esprit que ses ennemis lui attribuent, vaut à elle seule tout l'Univers ensemble. Il est absurde et tout à fait ridicule de s'imaginer que Dieu ait voulu finir, achever, perfectionner par quelque chose d'imparfait et de défectueux un ouvrage aussi parfait, aussi accompli que le monde. Dieu, ayant créé l'Univers comme un cercle très entier, d'une régularité achevée, pour fermer ce cercle, il a fallu que le dernier point fût uni avec le premier par le lien le plus étroit qu'on puisse concevoir. Ainsi, dans l'histoire très croyable, mais absolument inconcevable de la création, le Souverain Faiseur en néant réservait la Femme pour son dernier coup de maître. N'est-ce pas une marque infaillible que Dieu, la destinant pour fermer le cercle, l'avait, la première, dans l'idée de son plan et de son dessein, la gardant pour la dignité, pour l'excellence, comme ce qu'il y avait de meilleur dans son ouvrage, enfin, comme celle, parmi toutes les créatures, qui méritait le mieux de fermer, de perfectionner le cercle ?
« C'est cette vérité, si glorieuse pour le beau sexe, persécuté injustement par les hommes, c'est, dis-je, cette vérité que le Saint-Esprit a révélée par un de ses prophètes : « Dieu a choisi et préélu la Femme avant la création des Cieux. »
« On voit par ces paroles combien les philosophes sont éclairés lorsqu'ils disent dans leur docte jargon : « Chez tout agent, la fin est toujours la première dans l'intention, et la dernière dans l'exécution. » Ainsi, Dieu en faisant le Monde eût eu en Vue le mérite singulier de la Femme. En effet, c'est ici le meilleur ! Je suis sûr que vous ne vous y attendiez guère. Dieu a gardé la Femme pour la bonne bouche. Il l'a faite la dernière parce qu'elle devait être la Reine de l'Univers ; si bien qu'avant de la créer, il lui a bâti un palais.
« Dieu a donc introduit la Femme dans le monde, comme dans la cour qu'il lui destinait et qu'il avait parée, embellie avec une magnificence digne d'une telle Monarque.
« Oui ! Quand la femelle humaine a fait son entrée dans l'Univers, le Monde l'attendait… Elle trouva dans sa cour, bâtie et meublée par la main du Tout-Puissant, tout ce qui pouvait contribuer à sa grandeur et à son plaisir.
« C'est donc avec justice que toutes les créatures aiment la Femme, qu'elles la vénèrent, qu'elles la servent, qu'elles lui marquent de l'attachement. C'est une obligation indispensable, puisqu'elle est la Reine, la fin, la gloire achevée de tous les êtres créés. Aussi le Sage, parlant d'Elle, dit « que le Seigneur de toutes choses a eu de la tendresse pour Elle ».
« D'ailleurs, l'endroit où la Femme a été créée lui donne une noblesse beaucoup supérieure à celle de l'homme. Suivant le témoignage de l'Écriture, elle fut formée avec les Anges dans le Paradis terrestre, jardin très noble et très agréable, puisque Dieu l'avait planté de sa propre main. Adam, au contraire, fut créé en dehors de ce délicieux séjour, en pleine campagne, dans un champ inculte, in agro rurali, enfin, au même endroit où Dieu avait créé les bêtes…
« Il est vrai que, quand le premier homme fut pétri du limon, il eut ordre de passer dans le Jardin enchanté. Mais ce n'était pas par considération pour son mérite. On ne le transplantait si agréablement qu'à cause de la Femme devant être fabriquée dans le Paradis terrestre ; on avait besoin de l'homme, ou du moins d'une de ses côtes, pour faire cet ouvrage éminentissime.
« Cette raison du lieu, disons-le chemin faisant, a procuré à la Femme un beau et merveilleux privilège ! Comme une faveur singulière de la Nature, par l'élévation du lieu de sa naissance, elle fut accoutumée à regarder de fort haut ! Aussi, de quelque hauteur qu'elle regarde, sa vue ne se brouille point ; sa forte cervelle ne tourne point. Il faut l'avouer à la honte de notre sexe, qui est sujet à l'inconvénient de ces vertiges des grandeurs.
« La Femme l'emporte sur l'homme par la matière de la création. Ce mâle qui fait tant le fier, et qui maîtrise si fort la femelle, de quoi a-t-il été formé ? D'un peu de boue vile et inanimée ! Mais la Femme ! Oh ! que c'est bien une autre origine ! Son Artisan l'a faite d'une matière purifiée, vivifiée, animée ! Et comme notre âme est un écoulement de l'essence divine, la Femme peut se vanter d'être presque sortie de la Divinité.
« L'homme, moyennant Dieu et par le concours du Ciel, fut fait de la terre, qui, de sa propre nature, produit toutes les espèces d'animaux. Mais, pour la Femme, Dieu seul a travaillé à sa façon. Le Ciel, la Nature, aucune puissance n'y ont eu de part. Et ce merveilleux ouvrage ne pouvait sortir que de la main du Tout-Puissant. En effet, la Femme est une production plus fine, plus achevée que l'homme ; car, enfin, celui-ci n'a pas toutes ses côtes. Dieu, comme vous savez, voulant former la Femme d'une partie de l'homme, envoya un sommeil à Adam, mais un sommeil si profond qu'il ne sentit point l'opération par laquelle on lui arrachait une côte, et ce fut de cette côte enlevée que l'Artisan composa notre mère Eve.
« Ainsi, Dieu ôta un morceau de l'homme pour le donner à la Femme. Donc, l'homme n'est, à proprement parler, que le plus bel ouvrage de la nature. Aussi, ordinairement, la Femme est plus capable que l'homme de la splendeur divine. Souvent même, elle en est toute pleine, toute rejaillissante. Même dans cette Beauté, qui n'est autre chose que la splendeur divine imprimée dans les êtres matériels, nous devons tirer la conséquence que Dieu a choisi la Femme pour demeurer chez elle et pour la remplir très abondamment. De là, ces charmes presque invincibles de la Femme. »

ÉMANCIPATION DE LA FEMME EN ESPAGNE
Au XVIème siècle, au milieu des fureurs de l'Inquisition, une femme éminente s'élève en Espagne et arrive à conquérir une grande renommée. Dona Oliva Sabuco de Nantes fut une savante qui a laissé des ouvrages remarquables qui ont servi de modèle depuis à nombre de savants masculins. En 1587, elle publia Dialogo de la vera medicina. Dans ce livre, elle établit (avant Bichat qui devait reprendre son idée), la différence entre la vie organique et la vie de relation, et chercha l'unité physiologique dans le système cérébro-spinal (voir Menendez Pelayo La Sciencia Espanola, t. III, p. 434, p. 188.). Elle publia aussi un ouvrage intitulé Nueva filosofia de la naturaleza del hombre, dans lequel elle affirma l'origine végétale des animaux. On s'étonne qu'un livre pareil ait pu être publié à une époque de terreur où les dogmes ne pouvaient pas être discutés. C'est par un stratagème habile qu'elle arriva à mettre en lumière son ouvrage : elle le dédia au Roi Philippe II, qui, flatté de cette dédicace, lui accorda sa protection. Du reste, les inquisiteurs étaient gens trop illettrés pour comprendre la profondeur et les conséquences de pareils ouvrages.
Dona Oliva vint en éclaireur frayer la route que devaient suivre plus tard les Encyclopédistes. L'Espagne était alors à la tête de la civilisation et du progrès : Gomez Pereira avait formulé une méthode qui servit de base à celle de Descartes ; beaucoup des théories qu'on admire dans Leibnitz et même dans Pascal avaient été émises avant eux par Fray José de Seguenza ; Pujasol commença les études de craniologie, bien avant qu'existât Gall et sa phrénologie, ni Conti, ni Frossati ; Fray Juan de Los Angeles fut le précurseur de Fichte, et Caramuel, quoique restant dans les idées chrétiennes, exposa dans ses écrits beaucoup de la philosophie de Schopenhauer.

LA ROYAUTÉ DES FEMMES
Pendant que la France rejetait les Reines, l'Angleterre, plus avisée, les couronnait.
Marie Tudor, la première Reine régnante de l'histoire d'Angleterre, fut couronnée le 25 septembre.
Elle se rendit à Westminster, précédée de cinq cents cavaliers et suivie d'une brillante cavalcade de seigneurs. C'étaient les messagers officiels de la Reine, les huissiers, les chapelains, les gardes du corps, les officiers de la Couronne, les chevaliers du Bain avec leurs robes violettes, les deux rois d'armes, les ambassadeurs, etc. La Reine était assise sur un chariot en forme de litière traîné par six chevaux recouverts de draps d'or. Elle portait une robe « à la française » et, sur la tête, un cercle d'or pur formant une coiffure tellement massive que d'instant en instant elle se trouvait forcée d'appuyer sa tête sur ses mains.
La reine Elisabeth fut couronnée avec un cérémonial aussi pompeux.
Elisabeth d'Angleterre fut cruelle et vindicative ; mais elle possédait au plus haut point l'art de régner, et c'est de son règne que date la grandeur anglaise.
En Espagne aussi, nous voyons les Femmes régner. Mais ce pays perverti par la richesse, le luxe, les intrigues de cour et le Catholicisme, donna à l'Europe le triste spectacle d'une Reine martyrisée.
Jeanne de Castille, fille de Ferdinand le Catholique, femme de Philippe le Beau et mère de Charles-Quint, fut déclarée folle par son père, ce père si catholique, qui la fit enfermer et torturer pour s'emparer du gouvernement de ses États, à la mort de son mari. Charles-Quint, son fils, au lieu de délivrer et de réhabiliter sa mère, persista dans le même mensonge pour continuer à régner à sa place.
Les mauvais traitements infligés à Jeanne, d'après les ordres donnés à ses geôliers par son père et par son fils, la jetèrent dans un état de faiblesse et de terreur qu'on présenta comme une maladie mentale pour justifier son incarcération. Elle mourut en 1555.
Ces deux monarques étaient donc deux monstres, le fils surtout. Cette tache dans l'histoire a tourmenté les hommes, qui, depuis, ont voulu justifier leur sexe en affirmant la folie de Jeanne.
Un érudit prussien, M. Bergenroth, a essayé de prouver que la démence de la reine Jeanne de Castille ne s'était manifestée que longtemps après la mort de son mari, et qu'en 1521, cette princesse était encore en possession de ses facultés.
Un Français plus misogyne, M. Aloïs Heiss, a réfuté la thèse soutenue par M. Bergenroth dans un mémoire communiqué à l'Académie des Inscriptions. Voici les faits qu'il a voulu établir et qui peuvent servir de conclusion à son travail :
1° La reine Jeanne de Castille donna des symptômes non équivoques de sa démence dès 1503 ; l'année suivante, cette folie était déclarée officiellement dans le testament de la reine Isabelle, sa mère ;
2° Les violences que les gouverneurs de sa maison exercèrent sur elle ont été singulièrement exagérées. Leur unique but était d'ailleurs de l'empêcher de mourir de faim en l'obligeant à prendre une nourriture que, dans sa folie, elle refusait obstinément ;
3° Si Charles-Quint a continué de séparer sa mère du monde, c'est parce que cette infortunée princesse était sujette à des crises nerveuses pendant lesquelles elle perdait complètement conscience de son rang et de sa dignité.

LA MÉDECINE AU XVIème SIÈCLE
C'est le beau temps de l'astrologie.
Corneille Agrippa, le célèbre médecin de Louise de Savoie, mère de François Ier, avait inventé un système médical basé sur l'astrologie. Chaque astre présidait à un organe du corps : le Soleil au cerveau et au cœur, aux cuisses, aux oreilles, aux moelles et à l'œil droit ; Mercure présidait à la langue, aux mains, aux jambes et aux nerfs ; Saturne présidait au sang, aux veines, aux narines et au dos ; Vénus présidait à la bouche, aux reins et aux organes génitaux ; la Lune s'attribuait tout le corps, mais plus particulièrement le cerveau, l'estomac et les poumons.
Un autre médecin, Marsile Ficin, rattachait les organes du corps aux signes du zodiaque. Et ce sont ces aberrations qui constituaient la science officielle. Déjà Louis XI avait ordonné aux barbiers, médecins et chirurgiens d'avoir toujours chez eux un calendrier de l'année afin de ne se livrer à une opération que sous le signe astronomique favorable.
Michel de Notre-Dame (Nostradamus), savant médecin de Montpellier, médecin de Catherine de Médicis, faisait des horoscopes.
Rien de curieux comme les visites de médecin de ce temps.
« Vous avez une affection de poitrine, bon, mais je ne peux rien vous ordonner, la Lune est dans le signe du Cancer. » Autre cas : « Vous avez un catarre, il faudrait une tisane, mais les simples ne peuvent être cueillis que pendant la pleine lune, il faudra attendre ce moment pour prendre votre infusion. » Ou bien encore on entendait ceci : « Vous avez été mordu par une vipère, vite une infusion d'echium vulgare », plante appelée vipérine parce que ses feuilles étaient tachetées comme la peau de la vipère. On ordonnait aussi la pulmonaire dans les affections du poumon, et le suc jaune de la grande chélidoine contre les maladies du foie, parce qu'elle était jaune.
On appelait, cela la doctrine des signatures !...
Et c'est pour faire de pareilles ordonnances que les médecins s'en allaient voir leurs malades gravement assis sur un âne, sur une mule ou quelquefois sur un cheval. Les statuts de l'École leur recommandaient la gravité ; c'est ce qui les rendait ridicules, car jouer gravement au rôle burlesque, c'est être deux fois drôles. Du reste, le costume qu'ils portaient achevait de les rendre carnavalesques : c'était une robe rouge avec un bonnet carré, une épitoge et un rabat. Les bacheliers portaient la robe noire.
Voici un curieux extrait des statuts de la Faculté :
- « Tous les médecins vivront en bonne intelligence. »
- « Nul ne fréquentera les charlatans. »
(Ce sont les savants libres qu'on désigne ainsi ; ils inquiètent grandement la Faculté, parce que la science libre guérit, alors que la médecine officielle ne guérit pas.)
- « Dans les consultations, le plus jeune donnera son avis le premier, puis chacun suivant son ancienneté. »
(Ceci est profond, c'est un aveu de dégénérescence qui prouve combien les vieux se méfient de leur jugement, puisqu'ils font parler d'abord les jeunes qui y voient plus clair qu'eux.)
- « Les docteurs appelés en consultation prendront l'heure du plus ancien et auront soin d'être exacts. »
(Donc, si les vieux sont les plus incapables, ils sont cependant les plus dignes d'égards ! O paradoxe !)
- « Dans les assemblées de la Faculté, les docteurs se conduiront avec décence et dignité. Ils opineront suivront leur rang d'ancienneté, tranquillement, paisiblement et l'un après l'autre. »
Parmi les remèdes curieux, nous trouvons, contre les écrouelles :
« On conseille d'avaler un serpent » (Alfred Franklin, Les Médecins, p. 267).
On était également sûr de son affaire si l'on obtenait qu'une jeune fille vierge et nue consentît à toucher les scrofules en prononçant ces mots : « Negat Apollo pestem posse crescere quam nuda virgo restringat » (P. de Lancre, p. 163).
Gœurot, premier médecin de François Ier, conseillait de les bassiner avec décoction de poireau, à laquelle sera ajouté du pyrètre pulvérisé et du vert-de-gris.
Un manuel de santé publié en 1539 estime que l'on obtient le meilleur résultat en y appliquant des cloportes bouillis.
Les rois avaient si peu de confiance dans la science des docteurs de la Faculté que, généralement, ce n'était pas à eux qu'ils confiaient leur santé.
Marie de Médicis se faisait soigner par Louise Bourgeois, sage-femme, auteur d'un ouvrage intitulé Observations sur la stérilité.
Mais la Faculté, si sévère pour les indépendants, devenait cependant indulgente pour ceux que le souverain choisissait, et elle poussait la bienveillance jusqu'à leur conférer le titre de docteur, les dispensant de tous grades universitaires, quand c'étaient des hommes.
Ainsi, l'article 74 des statuts de la Faculté permet expressément l'exercice de l'art médical aux licenciés, aux docteurs et aux gens attachés comme médecins à la maison du Roi ou à celle de la famille royale.
La médecine officielle ne guérissait guère les malades, d'autant plus que l'Église défendait au médecin de faire plus de trois visites à un malade qui ne se serait pas confessé depuis le commencement de ses souffrances. La bulle est du 8 mars 1566.
C'était l'époque où une terrible peste ravageait l'Allemagne et l'Italie (1564 à 1577).
De 1580 à 1599, une autre peste régna dans toute l'Europe et fut dite la grande Peste.
Mais la maladie qui faisait le plus de ravage était la syphilis.
François Ier mourut en 1547, au château de Rambouillet, de cette maladie qu'il avait transmise à la Reine. Brantôme l'affirme (t. VIII, p. 107) : « Il eut une triste vieillesse, dit-il, les excès de la jeunesse et de la volupté l'affligeaient de langueurs incurables, et il disait souvent que Dieu le punissait par où il avait péché. »
Henri III fut aussi syphilitique. De Mayer dit de lui : « C'était la main des plaisirs qui avait défiguré Henri III. Il avait trouvé à côté de la beauté des poisons cachés ; un venin corrupteur circulait dans ses veines. »
On lit dans les Mémoires de Tavanne :
« La vie des papes, des roys n'est de longue durée... Les voluptez les accablent, il leur semble être immortels, que rien ne leur sauroit nuire. Aveuglez de leur bonne fortune, les viandes non communes, les femmes, les artifices irritent les appétits au préjudice de leur santé... Il ne se peut mieux conseiller aux roys, pour leur santé, de ne penser commander aux maladies comme ils font aux personnes. »

LES GRANDS CHARLATANS DU XVIème SIÈCLE
PARACELSE (1493-1541)
Le plus célèbre fut Paracelse. Cet homme, fougueux et vénal, vécut dans l'ivrognerie et là débauche ; empoisonneur et charlatan, il ornait de son style emphatique les idées éparses à son époque. Grand découvreur de tout ce qu'on voulait, de tout ce qui était à la mode, avide de gloire, telle une personnalité moderne.
Paracelse naquit à Einsiedeln, près Bâle, vers 1492. A 16 ans, son père, qui était médecin, l'envoya à l'Université de Bâle, où il apprit l'alchimie sous l'abbé Trithème. Il étudia toutes les sciences connues de son temps, prit le bonnet de docteur ; et pour compléter son instruction, qu'il trouvait insuffisante, il parcourut l'Espagne, l'Angleterre, la France, la Pologne, l'Egypte, la Turquie, etc. Sur son passage, il interrogeait tout le monde, mais de préférence ceux qui guérissaient les malades. Il demandait aux barbiers leurs formules et leurs recettes ; aux devins, magiciens, sorciers, astrologues, leurs secrets. Il questionnait même les baigneurs et les bonnes femmes, et, dit-il, jusqu'au bourreau, pour apprendre d'eux tout ce qu'un médecin doit savoir.
C'est-à-dire qu'il faisait sa science avec les idées de tout le monde. Il parle des savantes, des sagas, de qui il tient ses meilleures recettes.
En 1562, après dix ans de vie errante, il revint en Suisse et fut nommé professeur à l'Université de Bâle l'année suivante. Mais son arrogance souleva contre lui la haine de ses confrères, et il fut bientôt obligé d'abandonner sa chaire. Il reprit alors sa vie nomade, parcourut l'Alsace, la Bavière, le Tyrol, l'Autriche, etc., guérissant les malades sur son chemin et dormant où il pouvait.
Il connaissait les sciences magiques et se disait magicien. Des Esprits de Galien il fit les « esprits olympiques » qui président au fonctionnement des organes, foie, cœur, cerveau ; mais il les voit aussi dans tous les corps de la Nature. Et cependant ses doctrines n'inquiètent pas l'Église, il n'est pas considéré par elle comme un ennemi. Est-ce parce que ses vices lui sont une garantie d'avilissement ? Sans doute, car c'est l'abus qu'il fit de la vie qui le fit mourir jeune, ses forces furent épuisées avant l'âge, et il mourut à Salzbourg, le 24 septembre 1541, dans un état voisin de la misère.
Paracelse appliqua le magnétisme humain, l'aimant, les métaux et les principes de l'homéopathie à la guérison des maladies. On lui doit les premières observations relatives à la théorie actuelle de la lumière, l'art de préparer les médicaments par la chimie, la connaissance des propriétés de l'opium et du mercure, et un grand nombre d'observations qui le font encore considérer comme l'un des plus grands médecins du XVIème siècle. C'est avec lui que la théorie du fluide universel prit toute sa consistance, et que le mot Magnétisme commença à être employé avec la signification que nous lui donnons aujourd'hui. Grand magnétiseur, il fut considéré comme le Père du Magnétisme.
Paracelse a beaucoup écrit, mais son style est diffus, énigmatique ; on le devine plus qu'on ne le comprend. Ses œuvres ont été plusieurs fois rééditées ; la meilleure édition est celle de Genève, 1658, 3 volumes in-folio, avec figures.
Un autre « Mage » de l'époque, Nostradamus (pourquoi ce nom qui signifie Notre-Dame ?), fut un célèbre astrologue. Il mourut en 1566 (1).
(1) « Il n'est personne aujourd'hui, en dehors de quelques cercles occultistes, qui attache une grande importance aux Centuries du vieux mystagogue de salon. C'est un pot-pourri de logogriphes, dont la grande adresse est de se maintenir dans une obscurité dense hors de tout cadre ou grille chronologique susceptible de vérification. Les quatrains s'en échappent, comme les perles d'un collier qui s'égrène ; et ces charades, à tout moment, ont pu signifier tout ce que l'on a voulu et comme on l'a voulu.
« Le premier succès de Nostradamus a tenu à quelques-unes de ces rencontres fortuites, que Montaigne a si bien nommées : « les espiègleries du hasard ». Celles-ci n'ont jamais manqué de confirmer à peu près certaines prévisions de tous les prophètes qui eurent la patience d'en rédiger un assez bon nombre. Ainsi, les contemporains, parmi l'amas de ces rébus sans queue ni tête, furent-ils frappés de ce présage abscons sur la mort de Henri II :
Le lion jeune le vieux surmontera
En champ bellique en singulier duel,
Dans cage d'or les yeux lui crèvera,
Deux plaie une, puis mourir mort cruelle.
« C'était assez pour fonder la réputation d'un homme !
« Laissons donc délibérément de côté son fatras d'oracles hermétiques, en attendant que quelqu'un de chez nous, s'il y voit vraiment clair, se lève et le dise. Jusque là, les oracles de Nostradamus resteront au nombre des périlleux recueils d'abracadabra tout juste bons à tournebouler les faibles cervelles. » (Roger Duguet, pseudonyme de l'abbé Paul Boulin, Autour de la Tiare)

INVENTIONS NUISIBLES
À côté des progrès utiles, nous voyons apparaître les inventions dangereuses qui vont favoriser la guerre.
Le prince Malatesta inventa la bombe en 1547. Dix ans plus tard, en 1558, nous voyons le militarisme prendre sa forme moderne ; cette date est celle de l'année où fut créé le premier régiment de France.
Les armées furent d'abord composées de simples bandes de pillards de profession, ou de vilains qui devaient, dès que le ban était battu, comparaître en armes pour « la terre garder ».
Le premier, Charles VII prit en mains le commandement suprême des compagnies de guerre et imagina la création d'une armée nationale.
Dès lors, il y eut dans chaque village un archer qui, en échange d'une solde de 4 francs par mois, devait être continuellement armé. Et dès lors apparurent dans les usages militaires les revues, ou pour mieux dire les « montres », car c'est ainsi qu'on appelait alors ces sortes de cérémonies.
Les archers disparurent peu après, mais les « montres » subsistèrent.
En principe, elles devaient avoir lieu tous les mois. Mais, comme c'était à cette occasion qu'on payait les hommes, la plupart du temps, on fixait le mois à quarante-cinq jours.
C'était un moyen comme un autre de se tirer d'embarras quand le Trésor était trop obéré.
Sous François Ier, en dehors des « montres » ordinaires, il y eut quatre grandes revues chaque année.
Deux d'entre elles étaient passées en « armes », c'est-à-dire avec armure, et deux autres en « robes », c'est-à-dire avec pourpoint et manteau.
Ces habitudes varièrent peu sous les règnes qui suivirent, et, comme par le passé, les troupes furent fort irrégulièrement convoquées à parader devant leurs chefs, faute d'argent pour les payer.
C'est ce qui explique un jeu de mots de ce soldat d'Henri IV, à qui le roi vert-galant demandait un jour l'heure qu'il était : « Je n'en sais rien, dit-il, il y a plus de trois mois que je n'ai vu de montre. »
A partir de Louis XIV, tout fut changé.
Les hommes reçurent leur solde régulièrement, et la « revue » se substitua à la « montre ».
La plus brillante de ces revues eut lieu à Coudun, aux environs de Compiègne, en 1698, en l'honneur du jeune duc de Bourgogne qu'on initiait à l'art militaire.
Soixante mille hommes de toutes armes prirent part à cette fête militaire, sans précédent dans l'histoire.
Les troupes étaient disposées sur deux rangs, dans leur ordre de bataille. Près du centre se trouvaient, en arrière, l'artillerie et le quartier du roi. Tout autour du village, des installations de petits marchands. La prise simulée de Compiègne devait précéder la revue générale des troupes. Ce siège fut établi selon les règles de la stratégie militaire du temps. La place, défendue par M. de Crénan, fut entourée de lignes de tranchées, de batteries, de sapes.
Après le combat, la revue commença.
Tous les soldats étaient habillés de neuf.
Le roi, penché sur sa chaise à porteurs, examinait avec beaucoup d'attention le défilé des troupes.
Mme de Maintenon était à ses côtés, et écoutait avec attention les explications que le roi lui donnait de temps en temps sur la marche et le mouvement des troupes.
Après la revue, Louis XIV, enchanté, fit distribuer des gratifications à tous les officiers. Pour sa part, le maréchal de Boufflers reçut cent mille livres.
Dès que les hommes reçurent une solde régulière, ils furent appelés « soldats ».
On les appelait aussi « soudards », parce qu'ils étaient « soudoyés » ; c'était un métier méprisé, et, en effet, quoi de plus méprisable que de recevoir de l'argent pour tuer des hommes ?
C'est pour réagir contre le mépris que les souverains, qui avaient besoin de troupes pour les défendre, mirent l'idée d'honneur à la place de l'idée de mépris.
C'est depuis que le militarisme fut organisé que l'on vit des monarques aller jusqu'aux derniers excès dans le mal. Tel Christian II, roi de Danemark, qui monta sur le trône en 1513 et fut appelé le Néron du Nord ; tel aussi Ivan le Terrible, qui régna en Russie à partir de 1533 et soumit Kazan et Astrakan.
Voilà les deux pouvoirs constitués : le sacerdoce et le militarisme.

L'AUTORITÉ MORALE
Singulier pouvoir de l'atavisme moral, qui attache à l'autorité une vénération qui ne fut méritée qu'au début des sociétés humaines !
Quand les papes arrivaient au pouvoir après toutes sortes de crimes commis pour acheter la tiare, tout le monde s'inclinait devant ces monstres, ils devenaient des Saints-Pères ; on vénérait en eux le pouvoir moral sans se soucier de l'homme qui l'exerçait et qui était caché par la robe sacerdotale, la sainte robe de la Femme volée par le prêtre ! Et c'est toujours la Robe qui continua à représenter symboliquement la puissance du Bien, c'est la Robe qu'on vénère. Mais comme ils la portaient mal et devaient y être mal à l'aise, ces hommes qui ne pensaient qu'à guerroyer, eux qui portaient les armes sous la soutane et qui, pour donner un saint prétexte à leurs instincts de guerre, inventèrent les Croisades... qui dépeuplèrent l'Europe, qui firent les guerres de religion, deux mots qui hurlent de se voir accouplés, qui provoquèrent les massacres de Mérindol, de Cabrières, de la Saint-Barthélemy, d'Irlande, ceux des Vaudois et des Albigeois, des Cévennes, et enfin les horreurs de l'Inquisition !
Pendant ce temps-là, que devenait la vraie religion, le lien qui unit l'homme à la femme, et la pensée qui élève l'esprit dans la vie intellectuelle ?
Elle était persécutée et condamnée dans Abélard, dans Arnaud de Brescia, dans Ramus, dans Vanini, dans Galilée, dans Érasme, dans Etienne Dolet, dans Robert Estienne, etc., etc., ou bien elle était obligée à l'émigration, comme cela arriva après la révocation de l'Édit de Nantes.
Le prêtre a su s'entourer du respect dû à la femme, sa robe, sa face rasée, toute sa personne empreinte d'une féminité factice ont trompé les hommes, qui avaient au fond de l'esprit l'atavisme du respect pour le sacerdoce parce que d'abord il fut féminin.

DIX-SEPTIÈME SIÈCLE
LES VICTIMES DE L'ÉGLISE
La persécution continue dans le XVIIème siècle.
Voici, d'abord, un échafaud dressé à Toulouse pour Lucilio Vanini, le 9 février 1619. Né près de Naples, comme Giordano Bruno, comme lui il avait beaucoup couru le monde, faisant toutes sortes de métiers. Sa mauvaise étoile le conduisit à Toulouse où régnait l'Inquisition. Il avait écrit plusieurs ouvrages de philosophie qui le rendirent suspect, et, après un long procès, des confrontations de témoins et des débats contradictoires, il fut déclaré atteint et convaincu d'athéisme.
C'est en défendant son système sur la nature de Dieu devant le Parlement de Toulouse que, pour démontrer sa croyance, il ramassa une paille et partit de là pour établir l'invincible nécessité de la Providence. Toute son éloquence ne put le sauver. On le traîna sur la place du Salin ; on l'enchaîna au bûcher, on lui ordonna de tirer la langue et on lui entra le forceps jusqu'à la gorge pour l'extraire jusqu'à la racine, après quoi il fut livré au feu et ses cendres dispersées au vent.
Quelques années après, en 1633, Galilée (1564-1642) dut prononcer à genoux la rétractation suivante : « Moi, Galilée, âgé de 69 ans, ayant devant les yeux les saints Évangiles, que je touche de mes propres mains, j'abjure, je maudis et je déclare l'erreur et l'hérésie du mouvement de la Terre. »
Et c'est en se relevant pour retourner dans sa prison, qu'il dit : « E pur si muove » (Et pourtant elle tourne).
Descartes (1596-1650), malgré sa soumission au sacré tribunal de l'intellect, vit ses Méditations mises à l'Index et condamnées par les Facultés de l'Université et ensuite par la Sorbonne elle-même ; il fut obligé de s'exiler en Hollande.
Le vrai législateur de la pensée moderne est un génie essentiellement français, René Descartes. On peut, sous bien des rapports, corriger ses enseignements, les compléter sous d'autres ; mais on devra retourner à ce qui en fait la substance et l'esprit : « Je pense, donc je suis. » Ce qui revient à affirmer que la vérité se fait reconnaître à sa propre clarté et que la pensée doit être libre pour être souveraine, souveraine d'elle-même et du monde !
Newton (1642-1717), qui était très dévot et lisait constamment la Bible, est le seul savant qui ne fut pas persécuté. Est-ce parce que toutes ses théories sont fausses (voir l'article intitulé Cosmogonie) et qu'un intérêt secret crée une solidarité entre les esprits faux ?... Cependant, en Espagne, jusqu'en 1771, l'Université de Salamanque refusa de laisser enseigner les théories newtoniennes.
Au XVIIème siècle, l'accusation de sorcellerie était encore très fréquente. Pour se débarrasser des gêneurs, l'Église avait des moyens qui révèlent sa douceur, sa bonté évangélique ; les moyens employés pour convaincre un accusé du crime de sorcellerie étaient le séjour prolongé dans des cachots sombres et humides, la torture, la double question. Il y avait aussi des indices révélateurs. Si un inculpé supportait sans brûlure le contact d'un fer chaud dans le creux de sa main, si le barbier ou le chirurgien attitré, après lui avoir rasé la tête, y enfonçait une pointe sans qu'il la sentît, c'était une preuve irréfutable. C'était là le stigmate du maudit ! Avoir la main calleuse ou le cuir chevelu insensible suffisait ! En 1577, le Parlement de Toulouse avait envoyé au bûcher quatre cents femmes sur lesquelles on avait relevé le stigmate, c'est-à-dire une place insensible sur un point quelconque du corps. En 1611, Louis Gaufridi fut brûlé vif pour la même raison. En 1616, un paysan berrichon, Barthélémy Mainguet, sa femme et une de leurs amies furent pendus et étranglés pour le même motif, non sans avoir été admonestés par des religieux. Les exemples pullulent. Il est bon, de temps à autre, de les remettre sous les yeux du peuple.

LES HUMANITÉS (masculinités)
Les Croisés rapportent l'ancienne tradition. Les Templiers l'enseignent, d'où Renaissance féministe.
(voir les articles sur les Croisades et les Templiers)
Marguerite de Valois, sœur de François 1er, écrit l'Heptaméron (7 lumières).
Sous l'autre Marguerite, on écrit la Vie des Dames galantes. Les auteurs licencieux : Boccace, Brantôme ; le culte immatériel de la femme dans Pétrarque.
Les humanistes font réaction contre le bel Esprit des femmes et ne s'occupent pas de l'enseignement populaire ; c'est un mouvement égoïste des lettrés masculinistes ; décadence rapide du XVIème siècle sous ce mouvement.
Cinq siècles de ténèbres et de dégénérescence masculiniste. Les humanistes voulurent détruire la gloire de la Femme, et mettre partout des Christs masculins, hommes divinisés.
« Les auteurs licencieux trouvent le plus de lecteurs. Dès lors, la renommée des humanistes a les mêmes intérêts que leurs vices. Ils composent eux-mêmes, d'après les modèles qu'ils aiment, ils les dépassent : les vers et la prose qu'ils prodiguent sont un appel brutal aux sens, souvent un cours de débauche. Par eux, le latin, la langue universelle des lettrés, répand partout la renaissance de l'immoralité. Cette classe corrompue et corruptrice, qui commence par l'élégance discrète de Pétrarque, atteint vite sa perfection de bassesse morale et d'habileté perverse avec l'Arétin. Et, comme il faut au peuple aussi sa part de plaisir sensuel, le latin ne suffit plus à braver l'honnêteté. Déjà est venu Boccace, qui parle la langue populaire et la fixe par un ouvrage. » (Etienne Lamy, La Femme de Demain, p. 114.)
Ce livre d'Etienne Lamy est un aveu d'impuissance de l'Église qui, après avoir avili et torturé la femme de toutes les manières, avoue maintenant qu'elle n'attend son salut que d'elle.
La Renaissance masculiniste, les humanités sont une opposition à la Renaissance féministe rapportée d'Orient par les Croisades et propagée par les Sociétés secrètes, les Templiers et les Rose-Croix, les Fraternités.
« Tant sous le règne de Louis XIV que sous ceux de Louis XV et de Louis XVI, il n'y eut pas moins de 15 dames qui furent reçues à l'Académie des Beaux-Arts, 15 demoiselles pour mieux dire, car on ne donnait pas le nom de dame aux roturières.
« Les deux dernières académiciennes furent Mme Labille-Guiard et Mme Vigée-Lebrun ; elles furent nommées en dépit d'un parti antiféministe, à la tête duquel était le peintre Pierre.
« L'Académie fut supprimée en 1793, sur la motion de David, comme contraire à l'égalité. On la rouvrit deux ans plus tard, mais les femmes n'y reparurent pas. L'égalité, paraît-il, n'était faite que pour les hommes ». (André Saglio, Grande Revue, sept. 1908.).

LES SORCIÈRES D'HERBIPOLIS
Le Père Frédéric Spée était un des rares ecclésiastiques chez qui la conscience se révoltait contre les horribles crimes de l'Église, et qui essaya, mais sans succès, de les empêcher. Son cas est intéressant.
Il était évêque d'Herbipolis ou Wurzbourg, où, avec une fréquence déplorable, se présentaient les causes criminelles concernant les sorcières, causes toujours suivies de supplices. Cet évêque était très renommé pour ses études théologiques et sa grande piété. C'est lui qui était chargé d'exhorter les hérétiques à la pénitence, de les confesser et de les accompagner au lieu du supplice, où sa mission l'obligeait encore à leur offrir de pieuses exhortations, jusqu'au moment où ces misérables victimes rendaient le dernier soupir.
On savait que ce savant évêque était plus jeune qu'il ne paraissait ; ses cheveux blanchis prématurément lui donnaient un air vénérable qui trompait sur son âge réel. Un jour, un chanoine de son diocèse, le Père Jean-Philippe Schœnborn, lui demanda la cause de cette anomalie. L'évêque répondit que ce qui l'avait fait blanchir ainsi, c'était le supplice des sorcières qu'il avait dû assister. Ces malheureuses, condamnées pour crime de magie, étaient toutes innocentes du délit qu'on leur imputait, mais, cédant à la force des tourments, elles confessaient le crime dont elles étaient faussement accusées, et persistaient dans l'aveu pour ne pas être renvoyées à la torture. Mais dans le secret de la confession, qui leur assurait la sécurité des aveux, leur terreur tombait et elles disaient leur innocence ; toutes mouraient en accusant l'ignorance et la malice de leurs juges, en gémissant douloureusement dans les supplices et en appelant la Justice Divine, celle qui ne se trompe pas. L'évêque ajouta que la vue de ces malheureuses, qui mouraient ignominieusement, lui causait une profonde tristesse, et que c'est ce terrible spectacle, si souvent répété, qui l'avait blanchi avant l'âge. (Ce récit est extrait d'une lettre de Leibnitz.)
Toutes les expéditions des hommes, toutes leurs entreprises sont des occasions de meurtres.
L'Amérique est découverte ; on en tue les habitants.
Luther, Calvin, veulent réformer la religion ; on se tue à cette occasion.
De Thou disait : « On peut par extraordinaire sortir absous du Saint Tribunal, mais on en sort toujours ruiné. »
L'Inquisition arracha par la terreur plus de 3 milliards de valeurs (Equivalent de 11 milliards d'€uros aujourd'hui). Joachim Piéron, qui vivait au XVème siècle, calcula que, dans le cours de la croisade contre les Cathares, un million d'êtres humains fut tué, toute l'élite intellectuelle.

LES COUVENTS
Les Jacobins continuaient à s'agrandir.
Suivant la tradition monastique, une aimable licence régnait dans la maison de saint Dominique ; des gens mal intentionnés voulaient y porter remède ; les Jacobins résistèrent à tout, même aux ordres royaux. La force matérielle dut être employée.
Comme toujours, ces moines paillards étaient tout frémissants de fanatisme ; le vieux levain des cruautés albigeoises reparut en eux lors de la Ligue, qui eut là sa place forte et son sanctuaire.
Les Jacobins élevèrent, en plein air, au milieu de leur cloître, un hurloir d'où, le poignard en main, l'écume aux lèvres, aboyaient leurs prédicants. C'est dans cette fournaise que fut exalté le fanatisme de Jacques Clément.
En France, diverses réformes donnèrent naissance à des congrégations spéciales, telles que celle du Saint-Sacrement, fondée à Avignon en 1636, et celle des Jacobins de Paris, installée en cette maison dont la façade existe encore dans une rue voisine du marché Saint-Honoré, et où tint séance le fameux club, pendant la Révolution.
Les couvents d'hommes étaient des lieux où régnait le plus grand désordre, où les disputes, les rivalités amenaient des scènes de violence ; on y jouait du couteau et il s'y commettait des horreurs. Saint Romuald, saint Benoît d'Amiens, saint Bernard d'Abbeville furent obligés de s'enfuir pour ne pas être assommés par les moines. Saint Jean de la Conception fut enchaîné et emprisonné par les Trinitaires. Saint Berchaire fut tué d'un coup de couteau, Saint Erminod fut assommé à coups de bûches ; saint Agan, abbé de Lérins, eut la langue coupée et les yeux crevés, etc., etc.
Dans la procession-bouffe, où moines troussés, salade en tête, pertuisane au dos, paradaient à côté de demoiselles dévotes, ayant mis bas par humilité robes et jupes, « s'embrassant en pleine rue et se léchant le morveau », les Jacobins jouèrent le principal rôle.
Pendant la Fronde, la populace se rua dans l'école de théologie du couvent pour y frapper de trois coups de poignard le portrait de Mazarin.
Les moines avaient fondé la confrérie du Rosaire, que protégea si fort Louis XIII, pour amener à leur moulin à prières la pluie d'or des faveurs royales.
Les couvents de femmes étaient établis près des couvents d'hommes.
À Genève, après l'abolition des couvents, on trouva des chemins souterrains qui permettaient aux Cordeliers de se rendre, sans être vus, dans des couvents de femmes. De même à Lausanne.
Dans la confession générale et testamentaire de Madeleine Bavent, il est raconté que « le couvent de Saint-Louis de Louviers était un abîme inouï de dépravation. Les religieuses qui passaient pour les plus saintes, les plus parfaites, les plus vertueuses, se dépouillaient toutes nues, dansaient en cet état, y paraissaient au chœur et allaient au jardin. Ce n'est pas tout, on nous accoutumait à nous tomber les unes les autres impudiquement et, ce que je n'ose dire, à commettre les plus horribles péchés contre nature. » Le directeur, Pierre David, leur disait qu'il fallait détruire le péché par le péché, et, pour imiter l'innocence de nos premiers parents, rester nus comme eux. Les religieuses se présentaient à la confession nues jusqu'à la ceinture.
Le successeur de Pierre David, Mathurin Picard, poussa le libertinage encore plus loin. L'autel servit de siège à la débauche, et l'hostie consacrée, collée sur un morceau de parchemin découpé au centre Le reste ne pourrait être raconté, même en latin (1).
Le Parlement de Rouen, par arrêt du 21 août 1647, condamna le curé Picard à être brûlé vif.
La morale de ceci, c'est que la communion, qui est le symbole de l'union des sexes, a toujours servi de prétexte à des obscénités depuis que, voulant supprimer de la Nature la vraie communion, c'est-à-dire l'union naturelle de l'homme et de la Femme, on a prohibé les fonctions normales, ne permettant plus que le simulacre incompris.
Les couvents jouent un grand rôle dans les aventures de cette époque, puisque ce sont, en réalité, des prisons de femmes, de ces femmes que les laïques appellent des courtisanes et les prêtres des repenties, manière de désigner les femmes qui restent dans la nature féminine, en dépit de l'Église qui a créé un type de femme hors nature qu'elle impose comme modèle à imiter, et que suivent les sottes ou les craintives, croyant ainsi être plus méritantes, sans comprendre que ce qu'elles méritent par leur abjecte soumission, c'est le mépris des esprits sains. Du reste, cette soumission n'est en réalité qu'une affreuse hypocrisie livrant la Femme au prêtre.
Mais l'hypocrisie est un voile percé ; à travers les trous, on aperçoit toujours ce qu'on a voulu cacher ; du reste, le naturel de l'homme est là qui reprend toujours le dessus. C'est pour cela que le prêtre, après avoir attribué ses sabbats à ses ennemis, les recommence dans ses couvents, dans ses églises, là où ils ne peuvent pénétrer, et, cette fois, nous le prenons en flagrant délit, il a oublié d'ôter sa soutane, il lui sera impossible de mentir ; c'est lui qui célèbre la Fête des Fous, lui qui officie à la Messe Noire. Il aime les profanations. Il suffit qu'une chose soit déclarée sainte pour qu'il cherche à la profaner. Le mot profane, du reste, s'applique à l'homme, il est l'antithèse du mot sacré qui s'applique à la Femme.
(1) Dans le tome V de la Mystique de Gôrres, on lit : « Ces prêtres vont quelquefois, dans leur scélératesse, jusqu'à célébrer la messe avec de grandes hosties qu'ils coupent ensuite au milieu, après quoi ils les collent sur un parchemin arrangé de la même manière, et ils s'en servent ensuite d'une façon abominable pour satisfaire leurs passions. » (Voir Là-Bas de Huysmans, p. 99, La sodomie divine.)

LES JÉSUITES
Les Jésuites étaient devenus puissants.
En 1679, on imprima à Rome le catalogue de leur Ordre. On y trouve 35 provinces, deux vice-provinces, 33 maisons professes, 579 collèges, 48 maisons de probation, 88 séminaires, 160 résidences et 106 missions, le tout contenant 17.655 Jésuites.
Si nous voulons savoir comment en un siècle ils sont arrivés à une si grande fortune, consultons leurs Instructions secrètes, et nous y trouverons le secret de la méthode employée : c'est l'exploitation des femmes, tout comme les Chrétiens primitifs ; l'esprit chrétien n'a pas changé.
Ces Instructions secrètes, Monita Secreta furent longtemps manuscrites dans la Société. C'est en 1661 qu'elles furent imprimées pour la première fois à Paris.
Le manuscrit le plus célèbre est celui du P. Brothier, dernier bibliothécaire des Jésuites avant la Révolution.
Diverses éditions en ont été données, notamment en 1824 et en 1845.
On lit dans l'édition de 1824 :
« Dans les guerres religieuses dont l'Allemagne fut le théâtre, plusieurs collèges de Jésuites furent pris et pillés par les Réformés. On trouva dans leurs archives des exemplaires manuscrits des Monita secreta, et deux éditions presque contemporaines de celle de Paris eurent lieu à la fois : la première, sous la rubrique de Prague, la seconde, sous celle de Padoue. Cette dernière est imprimée sur parchemin et fait suite aux Constitutions de la Société de Jésus. »
En voici quelques extraits :
I. Comment les Pères de la Société pourront acquérir et conserver la familiarité des princes, des grands et des personnes les plus considérables.
1° Pour s'emparer de l'esprit des princes, les nôtres feront bien de s'insinuer adroitement, par tierces personnes faisant pour eux des ambassades d'honneur favorables, chez les autres princes et rois, mais surtout auprès du pape et des plus grands monarques. De la sorte, ils pourront se recommander, eux-mêmes et la Société. C'est pourquoi l'on ne doit destiner à cela que des personnes fort zélées et très au courant de ce qui se tient à nôtre Institut.
2° On gagnera facilement les princesses par leurs femmes de chambre. Or, dans ce but, il faut entretenir leur amitié, car, avec elles, on aura partout l'entrée, et jusque dans les choses les plus secrètes des familles.
II. Sur les biens.
Que les nôtres, au début, se gardent bien d'acheter des fonds ; mais, s'ils en ont acheté quelques-uns bien situés, que ce soit sous les noms empruntés d'amis fidèles gardant le secret, pour que notre pauvreté paraisse davantage, et que les biens-fonds, voisins des lieux où nous avons des collèges, soient assignés à des collèges éloignés. De cette façon, les princes et les magistrats ne pourront jamais savoir au juste à quoi se montent les revenus de la Société.
III. De la façon de gagner les veuves riches.
1° Que l'on choisisse, à cet effet, des Pères avancés en âge, d'une complexion vive et d'agréable conversation. Qu'ils visitent ces veuves, et, dès qu'ils leur verront de l'affection pour la Société, qu'on leur en offre alors les œuvres et les mérites. Si ces veuves les acceptent et commencent à visiter nos églises, qu'on leur donne un confesseur par lequel elles soient bien dirigées, de manière à ce qu'elles persévèrent dans l'état de viduité, dont il louera les avantages et le bonheur, leur promettant et les assurant que, de la sorte, elles auront un mérite éternel, outre un moyen certain d'éviter le purgatoire.
2° Que le même confesseur les amène à vouloir embellir un oratoire ou chapelle en leur maison, pour y vaquer à la méditation, à des exercices spirituels, afin d'éviter la conversation et les visites de ceux qui pourraient les rechercher. Bien qu'elles aient un chapelain, que les nôtres ne laissent pas d'y aller célébrer la messe, et leur faire à propos des exhortations ; puis, qu'ils tâchent de tenir le chapelain sous eux.
3° Il faut, avec prudence, et, pour ainsi dire, insensiblement, changer ce qui touche à la direction de la maison, de façon que l'on ait égard à la personne, à ses affections, à sa dévotion, puis au lieu même,
4° Il faut surtout éloigner les domestiques (mais peu à peu) qui n'ont point de commerce avec la Société. S'il en faut substituer d'autres, l'on doit recommander alors des gens qui dépendent ou veulent dépendre à l'avenir des nôtres ; car, de la sorte, on nous fera volontiers part de tout ce qui se passe au sein de la famille.
5° Que le but du confesseur soit d'amener tout doucement la veuve à dépendre absolument en tout de ses conseils, à n'en jamais chercher d'autres, et, à l'occasion, qu'il lui fasse bien comprendre et sentir vivement qu'en cela gît l'unique ou seul vrai fondement de son progrès spirituel.
6° On lui fera des remontrances relatives aux avantages de l'état de veuve, aux incommodités du mariage, alors surtout qu'on le réitère, ainsi que les dangers auxquels l'on s'expose, et ce qui la concerne en particulier.
7° Il faut aussi provoquer avec adresse, et de temps en temps, des partis pour lesquels on sait bien que la veuve a de la répugnance ; et, si l'on croit que certains lui plaisent, qu'on lui représente leurs mauvaises mœurs, afin de lui susciter du dégoût, en général, pour les secondes noces.
8° Il faut, sous prétexte de l'unir plus étroitement à Dieu, l'empêcher de fréquenter les hommes, et de se divertir même avec ses parents et alliés. Quant aux ecclésiastiques par lesquels la veuve sera visitée, ou qu'elle ira voir, si l'on ne peut les exclure, au moins qu'ils soient de ceux recommandés par les nôtres ou dépendent d'eux.
9° Quand on en sera venu là, l'on devra porter insensiblement la veuve à des bonnes œuvres, surtout aux aumônes, qu'elle ne fera néanmoins que sous la direction de son père spirituel ; car il est important de mettre à profit, avec discrétion, le talent spirituel, montrant que les aumônes mal employées sont souvent la cause ou l'entretien de divers péchés.
Qu'on ne s'étonne pas qu'avec de pareils principes la jeunesse élevée par les Jésuites soit tombée dans une si grande dépravation.
Un des leurs, le cardinal Robert Bellarmin, savant théologien de l'Ordre des Jésuites, neveu du pape Marcel II, et bibliothécaire du Vatican en 1605, a dit : « Il n'y eut plus ni sévérité dans les tribunaux ecclésiastiques, ni discipline dans les mœurs du clergé, ni connaissance des choses sacrées, ni respect des choses divines ; il ne resta enfin presque plus de religion. »

LES JANSÉNISTES
Jansénius, théologien hollandais (1585-1638), évêque d'Ypres, émit une doctrine sur la grâce qui prit son nom.
L'impuissance de la raison masculine à concilier dans une formule intelligible le libre arbitre de l'homme et la toute-puissance divine tourmentait les philosophes, comme toutes les questions devenues surnaturelles par suite du changement de sexe de la Divinité.
Un double courant d'opinion s'était manifesté comme en toutes les discussions de ce genre, l'un en faveur de l'omnipotence divine, l'autre en faveur de la liberté de l'homme. La question de la grâce est le point de contact et de rencontre des deux théories, en apparence inconciliables.
Cette question a été, à toutes les époques, le champ clos des plus ardentes disputes théologiques.
Comment comprendre la grâce divine conférée à l'homme, si la Divinité n'est plus la Déesse, si cette grâce, qui élève et sanctifie l'homme, n'est plus octroyée par la Femme aimée, divine ?
Les théologiens, qui avaient supprimé la Femme de la religion, discutaient gravement sur un de ses attributs sans rien comprendre eux-mêmes de ce qu'ils disaient, la question devenant incompréhensible.
Le Jansénisme ajoutait à sa doctrine un régime de vie, une discipline morale et, ajoutons à sa louange, une protestation contre les mœurs de la cour et de certains membres du haut clergé, et non des moins influents.
Cette discipline émanait d'une femme, la Mère Angélique, qui, comme tant d'autres de ses devancières, apporta sa contribution à la moralisation du Christianisme. Elle imposa une règle laborieuse et sévère qui était en opposition avec la licence scandaleuse de beaucoup de couvents d'alors. Autour d'elle se groupa à Port-Royal des Champs une phalange d'élite, parmi laquelle se trouvaient Pascal, Arnauld, Lemaistre, Nicole, Mme de Longueville. C'est là que fut élevé Racine.
Le Jansénisme, condamné en 1659 par Innocent X, n'a survécu aux persécutions que parce qu'il avait des racines profondes dans l'âme humaine. En effet, dans ces deux mots : la grâce et la prédestination, on retrouve tout le dogme antique.
L'homme reçoit la grâce féminine (divine), mais tous les hommes n'en sont pas favorisés ; il y en a parmi eux qui y sont prédestinés, c'est-à-dire qui possèdent en eux les qualités morales et intellectuelles qui les font aimer.
Cette doctrine se rapprochait trop des sentiments de la Nature pour ne pas être empreinte d'une extrême prudence, d'une défiante réserve, car ce que l'homme craint le plus, c'est la Vérité absolue, la Nature dévoilée.
Cependant, les familles qui adoptèrent la doctrine janséniste comme un lambeau de la vérité antique, la transmirent des pères aux enfants, tel un patrimoine inaliénable et sacré, d'autant plus sacré même que les ancêtres avaient souffert pour elle ; elle créait des habitudes de vie, une éducation supérieure qui procédaient de scrupules de conscience et de règles de conduite que la Vérité fait renaître, et qui, une fois acquises, ne s'altèrent pas facilement, se fortifient plutôt dans les âmes repliées sur elles-mêmes dans les temps de persécution.
Pour comprendre la façon dont les Jansénistes étaient considérés, il suffit de comprendre ce mot dit en 1752 par les Jésuites de Trévoux : « Janséniste, se dit de ceux qui affectent une grande sévérité dans leur manière de vivre et une grande austérité dans leurs mœurs et dans leur doctrine. » Et les Pères de Trévoux ajoutaient : « Se dit encore d'un homme opposé aux Jésuites. Dans ces deux sens, le mot de Janséniste n'est point un terme propre ni sérieux. »
C'est parce qu'ils étaient ainsi considérés que Messieurs de Port-Royal imposaient « le silence respectueux » à leurs religieuses. Toujours la Vérité se tait en face du mensonge qui tonne, et c'est ainsi que triomphe le Mal.
Cependant, l'illustre pléiade de Port-Royal fit naître un courant de sympathie intellectuelle et morale, qui dura longtemps, qui dure encore parmi leurs descendants et leurs continuateurs, qui cependant ont fait dévier l'idée primitive de la doctrine au point de ne plus même la connaître.

LA RÉFORME EN AMÉRIQUE
L'idée de transporter la Réforme en Amérique fut conçue par l'amiral de Coligny qui, sous le règne d'Henri II, avait fait une tentative sur le Brésil. Un chevalier de Villegagnon y fut envoyé. Calvin lui-même s'intéressa à l'entreprise, mais les pasteurs qu'il y fit passer l'empêchèrent de réussir. Ils divisèrent, par leurs controverses, la colonie naissante, qui fut détruite par les Portugais.
Une autre colonie envoyée par Coligny fut détruite par les Espagnols, en 1564.
Ce sont les Luthériens qui réussirent à propager la Réforme dans le Nouveau Monde, et les Anabaptistes qui changèrent tout à coup d'attitude, devenant aussi doux qu'ils avaient été furieux, et, cédant à un nouvel esprit, devinrent les plus pacifiques des hommes.
Les hommes passent toujours d'un extrême à l'autre, parce que, leur conduite amenant des critiques et des reproches, ils se jettent dans l'opposé de ce qui les a fait critiquer. C'est ainsi que leur conduite ultime, et définitive, n'est souvent qu'une réaction contre des accusations méritées ; c'est avec ces réactions qu'on fait marcher le monde.
Des Anabaptistes sont sortis les Hernutes ou Frères Moraves et les Quakers ou Frères unis, établis surtout en Angleterre, mais qui s'en allèrent par essaims en Amérique.

LA RÉFORME SOUS CHARLES Ier
Les Anabaptistes transformés reparurent sous le nom de Puritains. On les trouve en Irlande ; mais les Catholiques s'arment ouvertement contre eux et les massacrent ; ils en assassinent 40.000. Ce forfait souleva l'Angleterre. On accusa le roi Charles Ier d'avoir provoqué ces meurtres, le peuple aveugle et furieux se souleva contre lui. Le Parlement força le roi à sortir de Londres. Cromwell alors se montre, s'empare de l'opinion et de l'armée et les dirige. Les troupes du roi sont battues ou paralysées. Il fait au roi un procès inique, et ce malheureux monte sur l'échafaud. C'est une première tentative d'oppression démocratique : la royauté immolée à la souveraineté du peuple. Ce n'est plus un roi qui gouverne, c'est une multitude inconsciente et irresponsable, comme toutes les multitudes.
Lorsque Cromwell fit massacrer à Drogheda des femmes et des enfants sans défense, il était tout aussi dangereux, quel que soit le motif de son fanatisme, que le monarque le plus despote.
Mais Cromwell, qui se disait le protecteur des trois royaumes, vit s'élever contre lui un autre homme, plus bas que lui. Quand on escalade les échelons de l'échelle sociale, on ne sait jamais où cela s'arrêtera. Georges Fox, un cordonnier sans aucune instruction, se mit à prêcher des doctrines qui semblaient subversives ; il enseignait au peuple la liberté et l'égalité de tous les hommes, en montrant qu'ils doivent être chacun leur propre pontife et leur propre magistrat. Ni Pasteur, ni Maître, disait-il. Ce n'est pas encore la Divinité qu'on attaque, mais les ministres. Ces doctrines ébranlent l'Angleterre ; Cromwell fit arrêter Fox et défendit à ses sectateurs de tenir aucune assemblée. Cependant, au nombre de ses disciples se trouvait un homme distingué et méditatif, William Penn, qui résolut d'établir ces idées démocratiques et égalitaires. Il voyagea avec Fox en Angleterre, en Allemagne, en Hollande, pour faire des prosélytes. Quand il en eut suffisamment, il obtint de Charles II une province de l'Amérique du Nord, qu'on appela Pennsylvanie, de son nom Penn et des forêts qui l'environnaient (1).
Au moment où le bateau qui portait les premiers émigrants accostait la terre d'Amérique, Penn dit à une jeune fille qui était parmi eux : « Descendez la première, afin que ce soit le pied d'une femme qui le premier se pose sur la terre nouvelle, cela lui portera bonheur. »
Il y envoya plusieurs colonies de Quakers et y fonda la ville de Philadelphie (ville américaine baptisée d’après la Philadelphie d’Asie Mineure, devenue Aman en Jordanie, qui est aussi la Philadelphie de l’Apocalypse de Jean), à laquelle il donna ses lois vers 1680.
Vingt ans après, en 1699, plus de 30.000 familles allemandes s'y installèrent. Et ce fut le germe de la grande prospérité matérielle de ce pays : la liberté et l'indépendance.
L'établissement des Jésuites au Paraguay, qui eut lieu à la même époque, est le résultat de l'instinct d'imitation qui règne chez les pauvres d'esprit. Voyant les Réformés gagner l'Amérique, les Jésuites voulurent en faire autant. Ils établirent parmi les peuplades de l'Amérique du Sud des missions qui portaient dans ce pays des idées et des lois qui étaient l'opposé de celles que Fox et Penn avaient portées dans le Nord de l'Amérique. Les deux esprits opposés se trouvèrent là représentés, et l'avenir nous a montré quels sont les fruits que chacun peut produire.
(1) Dans son avant propos à la réédition de la thèse de doctorat d’État, soutenue en 1935 par le professeur d’histoire Pierre Bredin, et portant sur les Quakers en Amérique du Nord du XVIIe siècle au début du XVIIIe siècle, Henriette Louis (*) observe que « les quakers qui émigrèrent en Amérique du Nord au XVIIe siècle voulaient créer un Nouveau Monde Spirituel dans le Nouveau Monde géographique. Ils furent combattus, voire persécutés par les autres colons britanniques. Ils sont restés minoritaires. Leur histoire aurait pu constituer une épopée. Elle a été en partie gommée ». C’est bien parce que cette histoire « a été en partie gommée » que des erreurs d’appréciation ont été commises dont la plus flagrante fut bien d’avaliser l’imposture de B. Franklin pris… pour un quaker par les Français : « Au XVIIIe siècle les Français commirent la double erreur d’idéaliser les quakers en imaginant qu’ils étaient parfaits et de les « banaliser » en croyant confusément que tous les colons britanniques d'Amérique du Nord étaient Quakers » (Pierre Bredin, Les Quakers en Amérique du Nord du XVIIè siècle au début du XVIIIè siècle, préface de Henriette Louis)
C’est en partant de cette confusion qu’on a vu en Benjamin Franklin un quaker ami de la France, alors que le véritable ami de la monarchie française là-bas était bien un authentique et prestigieux quaker : William Penn, fondateur de la Pennsylvanie, mais éclipsé justement par B. Franklin. Comme le reconnaît encore Henriette Louis : « les Français ne savent guère que la Pennsylvanie a mené pendant trois quart de siècle une politique de co-existence pacifique avec l’Amérique française, sa voisine, en dépit des fortes pressions exercées sur elle par les autres colonies britanniques de la Côte Atlantique et par le gouvernement britannique ». 
La fondation de la Pennsylvanie comme colonie de la couronne britannique remonte à l’année 1682, où William Penn a débarqué pour la première fois sur cette Terre nouvelle qui lui avait été octroyée par Charles II. Or 1682 est également l’année où la Louisiane française fut fondée par Robert Cavelier de la Salle (né en 1643 alors que William Penn est né en 1644). On peut établir un parallélisme intéressant entre la Louisiane française et la « Sainte Expérience » de Pennsylvanie. Dans l’un et l’autre territoire, les relations entre colons et Indiens furent exemplaires, si on les compare à ce qui se passait dans les autres colonies britanniques. Il s’agissait, dans l’un et l’autre cas, d’une colonisation pacifique. William Penn et Robert Cavelier de la Salle avaient tous les deux pris la peine d’apprendre la langue des Indiens avec lesquels ils étaient en relation, et ils avaient gagné leur confiance. Mais ce qui est tout aussi intéressant, et bien mal connu, c’est la nature exceptionnelle des relations entre la Pennsylvanie et l’Amérique française tout au long des guerres franco-britanniques… Les Français ignorent à quel point leur propre histoire a été mêlée à celle des Quakers, la « Société des Amis », en Amérique du Nord. Ils ont adopté les mêmes « grands hommes » que les Anglo Américains : Georges Washington et Benjamin Franklin, tous deux francophobes actifs pendant la guerre de sept ans, et ils ont oublié William Penn, partisan d’une co-existence pacifique entre Indiens, Anglais et Français en Amérique du Nord.
William Penn était l’exemple même d’un chef de grande droiture, épris de bienveillance et d’amour universel chrétien. B. Franklin, au contraire, et malgré les discours « moralisants » en est plutôt le reflet inversé et sa duplicité montre assez qu'il fut peut être, comme le pressentait Guénon, l’agent de « forces obscures ». Et puisque nous évoquons l’action des « forces obscures », que René Guénon définissait comme celles de la « Contre Initiation » , nous voudrions attirer l'attention du lecteur sur le fait que la Tradition met en relation le « pouvoir de la Foudre » avec « l’Initiation ». Or, n’est-il pas étrange que B. Franklin ait dû, précisément, sa réputation au « détournement de la foudre » ? (Jean Tourniac, VLT, René Guénon Les Quakers, Benjamin Franklin et la Couronne de France)
Dans le bulletin de la « société religieuse des Amis (Quakers) assemblée de France et Centre Quaker International », Henriette Louis écrit : « Au XVIIème siècle, et au début du XVIIIème, la Pennsylvanie, fondée par William Penn et d’autres Quakers, tenait tête à la Grande-Bretagne et refusait de participer aux guerres contre la France en Amérique du Nord. C’était la Révolution (non violente) américaine du XVIIIème siècle dont les livres d’histoire font si peu état. Au milieu du XVIIIème siècle, Benjamin Franklin, qui n'était pas Quaker mais qui siégeait au gouvernement de la Pennsylvanie, a beaucoup contribué à arracher la colonie à son pacifisme et à lui faire déclarer la guerre à la France (2). Au XVIIIème siècle il y avait en France une véritable vogue en faveur des Quakers, en particulier des Quakers de Pennsylvanie. A cette époque on rêvait d’une révolution, mais on manquait tragiquement de discernement pour établir une distinction entre révolution violente et révolution non-violente. Lorsque Benjamin Franklin, devenu francophile par opportunisme, vint en France au début de la guerre d'indépendance pour chercher une alliance contre la Grande-Bretagne, les Français l’ont pris pour un Quaker (ce qu'il n’a guère démenti, voyant tout l’avantage qu'il pouvait tirer de cette confusion) et se sont ruinés pour participer à cette guerre, pendant que les Quakers américains refusaient pour la plupart d'y participer. La Fayette devint un héros aux États-Unis. Lorsque la révolution française (violente) éclata en 1789 les révolutionnaires se réclamèrent de la « révolution américaine », prenant comme modèle la guerre d’Indépendance. Cependant, le 10 février 1791, trois Quakers (deux Américains et un Français) présentèrent à l'Assemblée Nationale une pétition qui donnait les bases d’une révolution non-violente. Ils ne furent pas vraiment compris ».
(*) docteur es-lettres, Maître de Conférences à l’Université d’Orléans, par ailleurs, membre elle-même de la « Société des Amis » (ainsi se désignent les Quakers) en France, et attachée à l’histoire de ces adeptes du pur amour, de la voix intérieure et de la tolérance universelle.
(2) René Guénon dans le tome 1 des « Etudes sur la Franc-Maçonnerie et le Compagnonnage », précise : « Il y a un point qui nous paraît présenter un certain intérêt : c’est ce qui concerne le rôle étrange de Franklin, qui, tout en étant Maçon était fort probablement aussi tout autre chose, et qui semble bien avoir été surtout, dans la Maçonnerie et en dehors d’elle, l’agent de certaines influences extrêmement suspectes. » Précisons que Washington, de même que La Fayette, était assurément un honnête « Maçon orthodoxe ». Aussi, sa divergence même avec Franklin n'indiquerait-elle pas déjà, alors, que celui-ci était tout autre chose ? »

LA ROYAUTÉ CONTRE LE PROTESTANTISME
Lorsque François 1er et les rois ses successeurs persécutaient les Protestants, ils ne les poursuivaient pas tant comme sectateurs de Luther et de Calvin que comme sujets rebelles à leurs lois. Ces lois avaient été promulguées contre eux, et ils s'exposaient, en les enfreignant, aux peines qu'elles infligeaient. Ces monarques agissaient ainsi dans leurs attributions, et ne sortaient pas des droits de leur couronne. Mais, lorsqu'une guerre civile eut éclaté, que les deux partis se furent légalement reconnus, d'abord en se combattant à armes égales et ensuite en stipulant des conditions de paix, ces conditions, librement acceptées de part et d'autre, lièrent autant les rois que les sujets, et il ne fut plus permis à aucun d'eux de les rompre sans commettre un parjure. Voilà la raison, assez peu connue, qui met une grande différence entre des actions qui paraissent les mêmes. C'est pour ne l'avoir pas observée que des écrivains, d'ailleurs estimables, n'ont pas conçu pour le massacre de la Saint-Barthélémy toute l'horreur que ce massacre doit inspirer. Ils l'ont vu du même œil que ceux dont François 1er fut coupable ; mais la position n'était pas la même. François n'avait rien promis ; au contraire, il avait menacé ; tandis que Charles IX, ayant reconnu le parti protestant en signant avec lui un traité de paix, devenait un parjure en le violant comme il fit. Le massacre de la Saint-Barthélémy ne fut donc pas un acte royal purement criminel, un coup d'État ; ce fut un exécrable assassinat.

LOUIS XIV (règne de Mme de Maintenon)
Ce roi n'avait ni but, ni plan, ni connaissances étendues. Pas non plus un ministre capable de le seconder. Il faisait la guerre par goût et ses conquêtes par vanité. Il avait des ministres adulateurs ou faibles de conceptions : Louvois, Colbert, qu'on cite, étaient des médiocres, « ils auraient pu, tout au plus, servir de secrétaires à un premier ministre ».
Mme de Maintenon domina son âme, fit naître une atmosphère de moralité, et des formes élégantes dans une cour voluptueuse. Le roi suivait ses inspirations parce qu'il les savait solides et prudentes.
Sa vie fut partagée en deux parties : l'une ténébreuse et misérable pendant laquelle il fait des sottises, telle la révocation de l'Édit de Nantes, l'autre choisie et brillante, celle pendant laquelle il écoute les conseils de la raison froide d'Une femme intelligente.
Après la mort de Mme de Maintenon, qui pendant sa vie avait comprimé les abus, empêché les excès, forcé la cour et la ville à s'envelopper d'une haute moralité, tout cela s'évanouit et le monde fut envahi par une licence audacieuse qui bientôt ne connut plus de bornes. Le duc d'Orléans, régent de France, pressé par des besoins de finance, adopta le système de Law sur le papier-monnaie ; les billets de banque se multiplièrent au delà de toute imagination, ce fut un bouleversement financier et des ruines formidables.

LES GUERRES DE LA FRONDE
La Fronde, guerre civile, sous la minorité de Louis XIV et le gouvernement de Mazarin, se termina par le triomphe de la royauté (1648-1653), juste deux siècles avant la révolution de 1848.
La cour fit arrêter, le 25 août 1648, le conseiller Broussel, qui avait poussé le Parlement à « déchirer le voile qui couvre le mystère de l'État » et à refuser les nouveaux impôts. C'est là que commença l'émeute qui ébranla le trône du jeune Louis XIV. L'insurrection éclate, les barricades hérissent les rues ; la cour, prise de peur, cède ; Broussel revient, « porté jusqu'à son domicile sur la tête du peuple avec des acclamations incroyables, aux cris de : Vive la République et la Réunion du Parlement ! »
On sait comme le mouvement populaire de la Fronde, si grave dans son origine, où les Parisiens avaient montré tant d'ardeur et de dévouement, dégénéra, grâce à l'immixtion de la noblesse cupide et ambitieuse, en une mutinerie dérisoire, où il n'y eut de sérieux que les placards « qui ne parlaient pas moins que de se défendre du roi et d'établir une république comme celle d'Angleterre ».

RÉVOCATION DE L'ÉDIT DE NANTES (22 octobre 1685)
L'Édit de Nantes était la conséquence d'un traité de paix conclu en 1575 ; il avait été renouvelé en 1598. Louis XIV s'arrogea le pouvoir de le révoquer, alors que cette révocation ne dépendait pas de lui. C'était déclarer la guerre à ses sujets, et par conséquent autoriser leur rébellion.
Ce fut, dit-on, la dévote Mme de Maintenon qui suggéra au roi l'idée de cette révocation. Les femmes, en effet, étaient tout acquises à l'Église depuis que les agissements jésuitiques dont nous avons parlé s'étaient infiltrés dans la haute société. La reine Anne d'Autriche, du reste, se distinguait entre toutes pour son dévouement au Catholicisme (1).
Quoi d'étonnant que Louis XIV, vivant dans ce milieu, en subît l'influence ? C'est pour apaiser sa conscience catholique, dit-on, qu'il employa au commencement de son règne un système de persécution qui n'allait pas, il est vrai, jusqu'à la violence, mais qui cependant avait pour but de mortifier les Protestants de mille manières. Cependant, cette modération apparente se changea peu à peu en une véritable persécution, qui finit par devenir aussi cruelle que l'avaient été celles des siècles précédents, et qui aboutit finalement à cette révocation de l'Édit de tolérance, signée à Fontainebleau le 22 octobre 1685. Cet acte était aussi criminel que la Saint-Barthélémy. Il eut des suites analogues. La Saint-Barthélémy anéantit la maison de Valois, la révocation de l'Édit de Nantes obscurcit la gloire de Louis XIV et eut une influence considérable sur la prospérité de sa famille, qui à partir de ce moment déclina.
Les hérétiques persécutés quittèrent la France, et presque tous s'en allèrent en Suisse. C'était une élite intellectuelle ; ils portaient avec eux, dans le pays qu'ils allaient rénover, leur amour pour le travail, leur respect pour le pouvoir civil, leurs habitudes d'ordre et d'économie, leur esprit d'initiative commerciale et industrielle, et, il faut bien le dire aussi, un détachement résigné de leur patrie tant aimée qui les préparait à devenir bien vite citoyens de celle qui les accueillait.
C'est là, en effet, une chose digne de remarque : en Suisse, ces nobles hôtes français, si facilement acceptés, devinrent, comme l'a dit un de leurs historiens, « os de nos os, chair de notre chair » ; dans la Suisse française, la communauté de langue devait rendre cette fusion plus rapide, et, tandis que, aujourd'hui encore, il existe en Allemagne des colonies françaises, fort germanisées, il est vrai, à Genève, à Lausanne, à Neuchâtel, les réfugiés furent en très peu de temps complètement assimilés aux indigènes, si bien qu'on ne les distingua bientôt plus des autres et qu'ils formèrent une même famille.
Au moment de la révocation, Genève comptait environ 16.000 habitants ; elle reçut et logea 4.000 fugitifs. « Comme des naufragés, dit l'éloquent Michelet, ou comme l'enfant qui vient de naître, ils abordaient nus à Genève, n'apportant que leur corps mal vêtu, affamé, souvent martyrisé... C'était un torrent de fantômes... » Dans les années de la grande émigration, le nombre des réfugiés en Suisse s'éleva jusqu'à 60.000 ! Lausanne en vit arriver 2.000 en une seule semaine ; à la fin de cette terrible année 1685, il y avait 1.500 familles françaises réfugiées à Berne, 500 à Zurich ; Neuchâtel en reçut en deux ans près de 300.
(1) A l'occasion de la Fête-Dieu, le 12 juin 1648, Anne d'Autriche fit construire un reposoir dans la première cour du palais royal. Il fut paré des tapisseries du roi et des plus riches ornements. La reine avait fait de ses propres mains une couronne fermée tout éclatante de pierreries et qui fut mise sur l'autel à la place du Saint-Sacrement. Elle conduisit à pied, avec le jeune roi et Monsieur, la procession à Saint-Eustache.

LES THÉORIES DE JACOB BŒHME
Résumer en quelques lignes une doctrine philosophique aussi complexe, aussi vaste que celle du célèbre théosophe, est chose impossible. L'étude de M. Boutroux est, nous croyons, le livre que l'on peut le plus efficacement consulter à ce sujet. Le passage suivant, tiré du Philosophe Inconnu, Claude de Saint-Martin, traducteur de Bœhme, donne une idée d'ensemble sur cette doctrine :
« La nature physique et élémentaire actuelle n'est qu'un résidu et une altération d'une nature antérieure ; cette nature actuelle formait autrefois dans toute sa circonscription l'empire et le trône d'un des princes angéliques, nommé Lucifer ; ce prince, ne voulant régner que par le pouvoir du fer et de la colère et mettre de côté le règne de l'amour et de la lumière qui aurait dû être son seul flambeau, enflamma toute la circonscription de son empire ; la sagesse divine opposa à cet incendie une puissance tempérante et réfrigérante qui contient cet incendie sans l'éteindre, ce qui fait le mélange du bien et du mal que l'on remarque aujourd'hui dans la nature : l'homme, formé à la fois du principe du feu, du principe de la lumière et du principe quintessentiel de la nature physique ou élémentaire, fut placé dans ce monde pour contenir le roi coupable et détrôné ; cet homme, quoiqu'il eût en soi le principe quintessentiel de la nature élémentaire, devait le tenir absorbé dans l'élément pur qui composait alors sa force corporelle, mais, se laissant plus attirer par le principe temporel de la nature que par les autres principes, il en a été dominé au point de tomber dans le sommeil ; et se trouvant bientôt surmonté par la région matérielle de ce monde, il a laissé au contraire son élément pur s'engloutir et s'absorber dans la forme grossière qui nous enveloppe aujourd'hui : par là il est devenu le sujet et la victime de son ennemi. Mais l'amour divin, qui se contemple éternellement dans le miroir de la sagesse ou la vierge Sophie, a aperçu dans ce miroir, dans qui toutes les formes sont renfermées, le modèle et la forme spirituelle de l'homme ; il s'est revêtu de cette forme spirituelle et ensuite de la forme élémentaire elle-même afin de représenter à l'homme l'image de ce qu'il était devenu et de ce qu'il aurait dû être.
« Ainsi, l'objet actuel de l'homme sur la terre est de recouvrer au physique et au moral sa ressemblance avec son modèle primitif.
« Nous sommes libres par nos efforts de rendre à notre être spirituel notre première image divine comme de lui laisser prendre des images inférieures désordonnées, irrégulières, et ce sont ces diverses images qui feront notre manière d'être, c'est-à-dire notre gloire ou notre honte dans l'avenir.
« Si tu vois une étoile, dit Bœhme, un animal, une plante ou toute autre créature, garde-toi de penser que le créateur de ces choses habite loin d'elles. II est dans la créature même. Quand tu regardes les étoiles, la terre, alors tu vois ton Dieu, et toi-même tu as en lui l'être et la vie. »
Toute chose dans la création est de nature septénaire, car la création ou nature visible naturée est une émanation, une image de la nature créatrice ou naturante qui contient elle-même sept essences, aspects divers de l'Essence divine. Telles sont, en quelques mots, dans leurs grandes lignes, quelques-unes des théories de Jacob Bœhme.
Celui-ci, naquit en 1575, dans le village d'Alt-Seidenberg, près de Gorlitz, où il mourut en 1625.
Cordonnier de son état, il s'éleva, par un génie particulier, aux plus hautes conceptions théosophiques. Ses opinions exercèrent en Europe leur empire sur un grand nombre de disciples qui, sans former une secte réunie en corps, sont disséminés parmi les autres. Il avait le goût des choses religieuses, et se crut de bonne heure appelé à une mission extraordinaire. Il entendit un jour, pendant qu'il était en apprentissage, une voix mystérieuse l'appeler par son nom et lui adresser des paroles d'encouragement. Dans son enthousiasme ardent, il prit ces paroles pour un avertissement d'en haut, pour un signe certain de sa vocation, et redoubla de ferveur dans ses prières. Quelque temps après, il commença son tour de compagnonnage, et, malgré l'agitation vulgaire de cette vie errante et vagabonde, au milieu des influences malsaines qui l'assiégeaient, il resta toujours recueilli et pieux.
De retour dans sa patrie, Jacob Bœhme se maria et s'établit à Gorlitz, mais, absorbé dans ses idées mystiques, il n'en continua pas moins à méditer les problèmes jusqu'ici insolubles de la nature et de l'homme. En même temps, il cherchait les formules qui pourraient expliquer les idées étranges qui agitaient son cerveau.
Un matin que, plus appliqué qu'à l'ordinaire, il fixait son regard sur un vase en étain poli, qui resplendissait vivement à la lumière du soleil, il se sentit tout d'un coup comme transporté hors de lui, convaincu qu'il avait trouvé dans ce symbole visible la solution du problème qui le préoccupait. Malgré sa conviction, il passa encore plus de dix ans avant d'essayer de formuler en paroles les idées qui remplissaient son âme et de donner une consistance réelle aux spéculations métaphysiques de son imagination enchantée.
Ce ne fut qu'en 1612 qu'il commença à rédiger ses vues sur Dieu et le monde, dans un écrit qu'il nomma L'Aurore naissante. En 1618, il donna ses Lettres théosophiques ; l'année suivante, il composa son Traité des trois Principes, et, dès lors, ses écrits se succédèrent rapidement. Ses vues sur l'Univers sont surtout consignées dans les ouvrages intitulés Traité de l'origine et de la signification de toutes choses, Table des trois principes de la Révélation divine, Clef des points essentiels, dans lesquels se trouvent développées ses intuitions sur le monde mystérieux, insaisissable et sans bornes vers lequel le poussait la tendance innée de son esprit. Le point de départ de toute sa doctrine est l'idée qu'il se forme de la substance et de l'action de Dieu.
Ce théosophe éminent distingue en Dieu l'esprit, dont la propriété est de vouloir, et la nature, dont le sens est le désir. L'éternelle nature se manifeste en sept périodes subordonnées les unes aux autres, et qu'il nomme les formes, les qualités ou les esprits primordiaux de la nature, et ce développement lui-même dépend d'un triple principe, savoir : le feu qui correspond directement à la nature, la lumière qui correspond à l'esprit, et la vie qui procède des deux premiers.
Dieu le Père est latent dans le principe du feu, le Fils se manifeste dans le principe de la lumière, et le Saint-Esprit se révèle dans le principe de vie. La volonté arrive par le désir à la vie et acquiert ainsi conscience d'elle-même ; la conscience est le désir éveillé et non satisfait ; c'est la première forme de la nature, symboliquement nommée aussi le sel. Le désir détermine un mouvement d'où naît la multiplicité, et, en elle et par elle, la seconde forme de la nature, le vif argent, le mercure. Mais l'esprit aspire à revenir à l'unité, et de cette contradiction du désir, créant la multiplicité et voulant rentrer dans l'unité, naît la troisième forme de la nature, l'angoisse ou le soufre. Alors seulement apparaît l'objet du désir et naît la quatrième forme de la nature, le feu de l'éclair, produit par la combustion des trois premières, puis la cinquième forme, l'amour ou l'esprit limpide de l'eau. Les forces divines, unies dans la cinquième forme, se divisent et se font entendre, et alors éclate la sixième forme de la nature, la vie intelligible ; l'air et ses vibrations sont enfin la septième forme, le sel de l'esprit divin, qui rend toutes les autres perfectibles.
Bœhme admet comme Manès deux principes : dans sa lutte contre le principe du mal, Dieu n'a pas détruit son adversaire parce que, dit-il, Dieu combattait alors contre Dieu ; c'était une lutte d'une portion de la Divinité contre l'autre. Il conclut de là que le diable ne peut pas voir le soleil, c'est-à-dire la lumière, le vrai, le beau et le bien. Il ne peut voir que dans les ténèbres, c'est-à-dire qu'il ne peut opérer que le mal, la destruction et la mort.
Cette théorie théosophique est peut-être vraie ; dans tous les cas, elle pourrait expliquer pourquoi dans ce monde le mal a presque toujours le triomphe assuré sur le bien. Les idées profondes, du Juif platonisant et allégorisant, Philon, les travaux des savants allemands Van Helmont, Kircher, du Suisse Paracelse, devinrent la source de la théosophie qui atteignit son apogée avec J. Bœhme, chez lequel on retrouve les trois Sephiroth supérieures et les sept Sephiroth inférieures, comme la triple manifestation de la volonté du principe primordial et les sept qualités et les sept esprits originaires de la nature éternelle de Dieu. Il y a un peu plus d'un siècle, les savants allemands ont fait remarquer l'étonnante analogie des principales doctrines de Bœhme et des idées de la Kabbale (1). Schelling et Hegel ont admis les théories et les spéculations abstraites de J. Bœhme. Novalis et Frédéric Schlegel donnent la préférence à Bœhme sur Platon.
(1) « L’anneau de planétoïdes entre les orbites de Mars et de Jupiter, nous indique le trône vide d’Abel, que Caïn (Mars) tua dans Sa fureur. Un jour viendra  enfin où cet orbe sera reconstitué, et où Abel ressuscitera des morts.  Jusqu’à ce temps l’âme manquante cherchera en vain sa compagne physique, sauf dans de rares cas. Quand ce jour viendra, l’Utopie  de Neptune et le Millénium de Saint-Jean commenceront sur terre. Puisse cette heure arriver bientôt ! Chaque chaîne planétaire consiste en sept orbes actifs et trois orbes latents. Lorsque l’un d’eux devient actif, un autre devient latent. Qu’on se rappelle cette vérité : LES ORBES CORRESPONDENT  AUX DIX SEPHIROTH DE LA KABBALAH. » (Henry Burgoyne, La lumière d'Egypte, 1895)

LES GRANDES ÉPOPÉES - MILTON ET LE PARADIS PERDU (1608-1674)
On sait que le Paradise Lost, cette composition sublime dont le pendant est la grande œuvre de Dante Alighieri, la Divina Commedia, a pour sujet la chute de l'homme et pour théâtre l'Éden, le ciel et les enfers. Les félicités primitives y sont peintes avec une fraîcheur que les idylles et les églogues n'ont point égalée ; les merveilles de la création, la puissance du Créateur y sont chantées avec un enthousiasme qui ne faiblit jamais. Enfin, l'orgueil indomptable de Satan et la superbe révolte des anges déchus y sont retracés sous des couleurs d'une sauvage énergie.
À la suite de ses troubles religieux et civils, a dit Lamennais, après une révolution qui conduisit un de ses rois à l'échafaud, l'Angleterre enfanta une épopée analogue au génie du Protestantisme et à la sombre exaltation du fanatisme puritain. De son côté, l'un des critiques modernes les plus éminents, M. Villemain, a résumé en quelques lignes son jugement sur la grande épopée anglaise : « Le sujet du Paradis Perdu est le plus grand que l'imagination ait jamais eu à choisir ; il s'agit, non d'une famille ou d'un peuple, comme dans l'Iliade et l'Enéide, mais de l'humanité tout entière. Tandis que les autres poèmes sont fondés sur le mélange du merveilleux et de l'historique, celui de Milton ne sort pas un moment des vastes limites du merveilleux chrétien ; la marche du poète, au milieu de ce monde idéal, ressemble au vol fantastique de Satan à travers les espaces du vide. »
Le chantre de l'homme tombé était lui-même un génie déchu... déchu de ce privilège que Dieu a libéralement accordé à tous les êtres animés. Frappé de cécité dans toute la force de l'âge, il regrettait la lumière, cet Éden de l'œil humain, aussi vivement qu'Adam soupirait après ce Paradis, dont il avait jadis contemplé les splendeurs. Son Paradis perdu, à lui, c'était tout ce monde extérieur à jamais fermé, que son regard éteint ne pouvait point embrasser, et qui ne se représentait à sa pensée que dans l'ombre de ses souvenirs et dans l'amertume de ses regrets. Rien de plus touchant, dans la bouche de ce génie aveugle, que l'invocation à la lumière, par laquelle s'ouvre le troisième chant du poème :
« Salut, ô lumière sacrée, née la première du rayon coéternel à Dieu ! Puisque Dieu est lumière, il habita donc en toi, brillante effusion d'une essence incréée. Qui dira ta source ? Avant le soleil, avant les cieux, tu étais, et, à la voix de Dieu, tu couvris, comme d'un manteau, le monde s'élevant des eaux ténébreuses et profondes et sortant du vide infini. Je sens ta lampe vitale et ton feu vivifiant ; mais, hélas ! tu ne reviens point visiter mes yeux qui roulent en vain dans leur orbite pour rencontrer ton rayon, et qui ne trouvent plus d'aurore, parce qu'une goutte sereine les a éteints ou qu'un sombre tissu les a voilés.
« J'erre, par la pensée, le long des claires fontaines, à travers les bocages ombreux, sur les flancs des coteaux dorés par le soleil ; dans ma nuit, je vois tes ruisseaux sacrés et tes torrents bénis, ô Sion ! Je songe au chantre aveugle de l'Iliade, et je chante moi-même, comme l'oiseau qui, caché dans l'obscurité soupire sous le plus épais ombrage ses nocturnes complaintes.. Avec l'année reviennent les saisons ; mais le jour ne revient pas pour moi ; je ne vois ni les douces approches du matin et du soir, ni la violette du printemps, ni la rose de l'été, ni les gais troupeaux, ni la face divine de l'homme. Environné d'éternelles ténèbres, retranché du reste des humains, je ne puis lire au grand livre de la science, dont toutes les pages sont rayées et effacées pour moi. Brille donc intérieurement, ô céleste lumière, puisqu'il n'en est plus d'autre pour mon regard. Que toutes les puissances de mon âme soient pénétrées de tes rayons ! Mets des yeux à mon intelligence ; disperse loin d'elle tous les brouillards, dissipe tous les nuages, afin que je puisse voir et dire des choses invisibles à l'œil mortel. »
C'est dans cet admirable passage que se révèle la grande douleur de Milton. Qui dira jamais combien a souffert ce génie incompris, presque dédaigné, isolé de tout et ne vivant que dans sa pensée ? Peut-être n'a-t-il si bien vu et si bien décrit ce monde invisible que parce que ses yeux étaient fermés au monde extérieur. L'idéal, le merveilleux, l'infini avaient remplacé, pour lui, le réel, le positif, le créé ; il a été sublime parce qu'il était aveugle !
Il est cruel sans doute de s'arrêter à cette hypothèse, et l'égoïsme du lecteur n'ira jamais jusqu'à bénir cette horrible cécité à laquelle nous devons peut-être un chef-d'œuvre. Un artiste hongrois, que son talent a depuis longtemps naturalisé en France, M. Munkaczy, proteste, dans une page émouvante, contre cette pensée égoïste. Le poète, qu'il nous montre avec ses yeux éteints comme ceux d'Homère, dicte à ses filles cette sublime et navrante invocation que nous venons de traduire. Sa noble physionomie porte l'empreinte, d'une souffrance intime, tempérée par les ardeurs de l'inspiration. Absorbé dans ses visions célestes, Milton oublie qu'il est aveugle, qu'il est pauvre, qu'il peut être proscrit, comme fidèle à la cause des Stuarts ; il ne songe pas que son chef-d'œuvre aura peine à trouver un imprimeur ; il souffre, mais il voit au-dedans de lui-même et il chante, tandis que les filles du moderne Œdipe, aussi dévouées que le furent jadis Antigone et Ismène, recueillent les paroles qui tombent de cette bouche harmonieuse.
M. Munkaczy a fait plus qu'une belle peinture ; son tableau est une bonne action.
D'après Milton, Raphaël répond à Adam : « La raison discursive ou intuitive est l'essence de l'âme ; la raison discursive vous appartient le plus souvent, l'intuitive appartient surtout à nous ; ne différant qu'en degrés, en espèce elles sont les mêmes. »
L'homme, placé sur la terre, voit le monde autrement que l'ange qui regarderait du zénith.
La raison intuitive dont parle Milton est la vue d'en haut, comme pour celui qui occuperait le sommet d'un triangle.
La raison discursive est la vue de ceux qui occupent un des plans médians.
Milton énonce ainsi les trois puissances célestes :
1° Le Père ou l'essence éthérée, au haut du ciel empyrée, au-dessus de toute hauteur ;
2° Le Fils unique, assis à la droite du Père : son Verbe, sa sagesse et effectuelle puissance ;
3° L'Esprit substantifié avec l'éternel rayon.
Milton invoque d'abord celui-ci en ces termes : « O Esprit, qui préfères à tous les temples un cœur droit et pur, instruis-moi. » Puis il le définit : « Salut, lumière sacrée, fille du ciel, née la première de l'éternel rayon coéternel ! Ne puis-je donc pas te nommer ainsi, puisque Dieu est lumière et que, de toute éternité, il n'habita jamais que dans une lumière inaccessible ? Il habita donc en toi, brillante effusion d'une brillante essence éthérée. Ou préfères-tu t'entendre appeler ruisseau du pur Éther ? Qui dira ta source ? Avant le soleil, avant les cieux tu étais, et, à la voix de Dieu, tu couvris comme un manteau le monde s'élevant des eaux ténébreuses et profondes : conquête faite sur l'infini vide et sans forme... Maintenant je sens ta lampe vitale et souveraine. Brille donc d'autant plus intérieurement, ô céleste lumière ! »
Voici ce que Satan dit de lui-même : « Faire le bien ne sera jamais notre tâche ; faire le mal toujours notre seul délice, comme étant le contraire de la haute volonté de celui auquel nous résistons. »
Satan n'accepte pas la vice-royauté du Fils, c'est pourquoi il est rejeté de la vision béatifique et tombe profondément abîmé dans les ténèbres extérieures, sa place ordonnée, sans rémission et sans fin.
Satan est l'ennemi du Très-Haut. Il est l'antagoniste du Christ dont il détruit les œuvres ; c'est l'esprit désapprouvé et maudit, contrastant avec l'Esprit saint, c'est-à-dire sanctionné par le Père.
Satan représente la défectuosité en quoi que ce soit. Il personnifie l'envie de nuire, la ruse, le mensonge, l'imposture, la négation, l'inactivité de l'esprit, avec la monomanie de l'orgueil, et, dans le monde extérieur, les divers degrés de la mort, qui sont les ténèbres, le silence, l'inertie.
Le poète nous fait assister à la naissance du monde, à l'un des retours de la grande année, qui a lieu tous les 760.000 ans, lorsque les planètes reviennent occuper les mêmes positions.
Dans cet état chaotique, il y a seulement des atomes se groupant ensemble pendant quelques instants autour d'un point principal comme centre d'attraction. Il n'y a pas encore de soleil, ni d'astres, mais seulement deux lumières : l'une rayonnante, l'autre magnétique. A mesure qu'elles se spécialisent en fonctions, Milton se sert de plusieurs canevas. Tantôt il place la première dans l'hémisphère boréal et la seconde dans l'hémisphère austral, tantôt sur la seule ligne du zodiaque (voie de la vie). En dernier lieu, il considère le soleil et les deux planètes Mercure et Vénus qui font leurs révolutions apparentes dans le même temps, et enfin il distingue les deux positions de celle-ci avant et après le soleil : le matin, c'est l'étoile du Berger ; le soir, c'est Lucifer qui amène les lueurs de la nuit.
Satan veut enlever la toute-puissance au Très-Haut ; entouré des esprits déchus, « formes d'anges fanées » (ainsi sont désignés les esprits dégénérés de leurs qualités premières), il livre au Très-Haut la première bataille, indécise pendant trois jours, puis enfin il est repoussé par le Fils.
Après avoir perdu la première bataille sur le plan cosmogonique, Satan entreprend la seconde lutte sur le plan humain en séduisant Eve. La feuille du figuier, par sa forme phallique, désigne l'arbre de la connaissance du bien et du mal, à cause de l'état d'éréthisme nerveux qu'elle suppose pour l'acquisition de cette science. Le genre humain est perdu jusqu'à la venue du Rédempteur, qui nous délivre du péché originel en fortifiant le cœur et en réprimant l'excès de la sensibilité nerveuse.
Les influences des deux planètes circumsolaires ont été remarquées de tout temps. Nous les trouvons exprimées dans l'astronomie de Manilius. Mercure inspire la science, et Vénus l'amour. Mercure et Vénus mal placés donnent l'orgueil, provenant du faux savoir, la pratique des sciences maudites, la luxure et tous les vices à sa suite, l'envie…

RETOUR À LA FEMME
L'ascension de la Femme continue... lentement ; par l'action laïque surtout, c'est-à-dire en dehors de la religion, et malgré elle, ce qui veut dire en se mettant en opposition avec ses dogmes, avec sa morale surtout... Après la Renaissance, on vit les femmes se jeter avec ardeur dans l'étude des lettres et se montrer plus savantes clercs que les chevaliers qui s'honoraient de ne savoir pas écrire, par privilège de noblesse. Les sciences n'ont pas alors de plus fervents adeptes ; les Clotilde de Surville, les Marguerite d'Angoulême, les Scudéry et les Sévigné polissent et fixent la langue française.
Celles que les historiens nous représentent comme les plus élégantes, les plus influentes, les plus galantes, sont en même temps les plus lettrées.
C'est avec un grand étonnement que nous avons appris, par l'énumération des livres que possédait Mme de Pompadour, combien cette femme, que l'on croyait une élégante courtisane, s'occupait de choses intellectuelles. Le catalogue de sa Bibliothèque, que possède le Musée Carnavalet, comprend 266 ouvrages de théologie, 76 de droit, et 511 traitant de sujets scientifiques et artistiques ; les romans et les vers sont représentés par 3.434 titres ; mais le fonds principal est celui des livres d'histoire : 4.892 ouvrages.
Du reste, la divine marquise est représentée par La Tour au milieu des livres et des attributs des arts.
Parmi les Déesses modernes, il ne faut pas oublier de citer Ninon de Lenclos.
Mais, si Ninon était si belle qu'on ne pouvait la voir sans l'aimer, à tous ses charmes physiques elle en ajoutait d'autres plus irrésistibles : les charmes de son esprit, d'un esprit charmant et vif par nature, et, de plus, développé par une éducation raffinée.
Ninon possédait les talents de société les plus goûtés de l'époque. Son père lui apprit à jouer du luth ; elle y devint fort habile, s'accompagnant pour chanter avec une grâce et un goût exquis ; on dit qu'elle dansait à ravir et parlait couramment plusieurs langues. Mais l'imagination prime sautière de son esprit, la vivacité de sa conversation l'emportaient sur ces talents acquis ; et tous convenaient que chez elle l'esprit dépassait la beauté.
On devine les passions que dut inspirer la femme, si délicieusement femme, que fut Ninon. L'amante la plus tendre, la maîtresse la plus ardente et la plus passionnée qu'elle était, ne le cédait en rien, en distinction et en finesse, aux femmes les mieux cotées dans la haute société de l'époque ; aussi Ninon fut-elle aimée, choyée et adorée. Son salon réunit l'élite de la société parisienne ; même on y menait les jeunes gens des plus grandes familles françaises pour qu'ils y prissent le bon ton et les belles manières que Ninon y déployait à l'envi. Ce n'était pas Ninon de Lenclos la courtisane, mais Ninon de Lenclos « femme célèbre par son intelligence et sa beauté. »
Son salon rivalisait du reste avec l'hôtel de Rambouillet.
Ninon de Lenclos ! Que de charme et d'attrait, que de beauté, de grâce et de séduction ce nom caressant éveille !
Jean de Tinan dit : « Ninon ne fut pas une fille galante, ni ce qu'on appelle aujourd'hui une demi-mondaine. Ninon fut une amoureuse. Ninon eut des faiblesses. »
Ninon fut l'enfant gâtée de l'amour, qui ne lui ménagea ni les succès ni les triomphes.
Si Ninon reçut beaucoup, elle ne donna pas moins, consacrant toute sa vie à l'amour, et mettant à son service toutes ses qualités naturelles et acquises. Depuis l'âge de dix-sept ans, jusqu'à l'âge de quatre-vingts, Ninon, toujours belle et toujours jeune, « l'amour s'était retiré jusque dans les rides de son front », disait l'abbé de Châteauneuf, traîna tous les cœurs après elle, les charmant et les captivant, les façonnant à son gré et plaisir avec ses petites mains blanches, qui étaient, paraît-il, les plus belles mains du monde. Sa vie, sa longue vie folle et rieuse, ne fut qu'une suite de plaisirs ininterrompus, de désirs et de caprices toujours nouveaux et toujours satisfaits.
« Ninon était parfaitement belle et elle le fut toujours. Une taille élégante, un teint d'une blancheur éblouissante, de grands yeux noirs qui faisaient pattes de velours, des dents admirables, la bouche frémissante, le sourire délicieux ; sa physionomie était ouverte, tendre et nonchalante ; ses bras étaient beaux et ses mains plus belles, le son de sa voix était intéressant. Rien ne peut exprimer la souplesse gracieuse de tous ses mouvements ; l'ovale parfait du visage entouré de boucles de cheveux, retenues par un réseau d'or ; aux oreilles, des parures longues en brillants ; au cou, un collier de perles, soutenant quelque bijou d'émeraude ; la robe simple et serrée à la taille par des torsades et des fermoirs en rubis. »
Passons l'Atlantique.
C'est une femme qui révéla la poésie nationale aux Anglo-Américains des États-Unis : Anne Bradshef fut, au milieu du XVIIème siècle, leur premier poète.
Dans le genre philosophique, une femme fut célèbre au XVIIème siècle : Mme Guyon (1648-1717), qui prêcha une doctrine mystique, dite Quiétisme, qui fut défendue par Fénelon et combattue par Bossuet.
Les Catholiques suivaient donc le mouvement féministe du siècle, mais la plupart d'entre eux résumaient dans le symbole de la Vierge Marie tout ce qui était féminin. C'est ainsi que Louis XIII voua son royaume à la Vierge, et non à Jésus, le Dieu mâle, qui reste adoré des femmes, non des hommes. La Déesse remonte, le Dieu descend, à ce point que Louis XIII institua la fête de l'Assomption.
Aucun texte authentique n'en fixait le jour, aucun document des premiers siècles ne parlait de cette légende, bien postérieure, de l'enlèvement de la Vierge au Ciel, pas plus du reste que de son « Immaculée Conception », qui, la supposant affranchie dès le sein de sa mère de la tache du péché originel, avait pour but d'expliquer que cette créature exceptionnelle avait bien pu aussi concevoir d'une façon toute spéciale par l'opération du Saint-Esprit.
Au fond de tout cela, c'est la Vérité scientifique qui recommence à luire : l'amour immaculé de la femme, de toute femme.
Depuis saint Bernard, la question se discutait ; les Dominicains y étaient revenus et y avaient mis leur ignorance, condamnant ce dogme sur lequel le Concile de Trente avait refusé de se prononcer. Et, chose étrange, ce sont les Jésuites, ces pères de la ruse et du mensonge, qui sauvent l'idée de l'Immaculée Conception, et la ravivent même, si bien que c'est à eux que nous devons d'avoir vu ce grand dogme, qui remplit toute l'antiquité, arriver jusqu'à nous.
Le dogme de l'Immaculée Conception, c'est la parthénogenèse glorifiée. C'est pour cela qu'il est personnifié par une femme vierge et mère.
Plusieurs Jésuites soutinrent que Marie était le centre caché de toute l'Écriture, et même qu'Elle avait eu plus de part encore que le Saint-Esprit à l'inspiration du Nouveau Testament.
Cependant, au XVIème siècle, le Jésuite Maldonnat avait combattu avec vivacité la doctrine de l'Immaculée Conception, qui est la base scientifique de la Divinité féminine. Mais les prêtres sont bien loin de comprendre cela. Un d'eux, un chanoine régulier de Saint-Victor, nommé Gautier, auteur célèbre de plusieurs ouvrages, s'éleva avec violence contre Pierre Lombard, qui avait posé la question : Dieu, en s'incarnant, aurait pu prendre le sexe féminin ?
« Il faudrait, répond-il, broyer à ces gens-là de mille marteaux la bouche infecte dont ils blasphèment Dieu, en faisant de lui une femme, s'il n'y avait trop de honte même à les entendre » (Contra quatuor Franciæ labyrinthos).
Clément VI, Eugène IV et plusieurs autres papes avaient déclaré que la mère de Jésus avait été tachée du péché originel.
Comme on le voit, l'orgueil mâle battait son plein dans le monde clérical. C'est l'homme seul qui est Dieu, non pas seulement l'homme qu'ils ont mis dans le Ciel, mais l'homme sur la Terre. Dans la déclaration des évêques réunis au Vème Concile de Latran, il est dit « qu'ils déposent humblement les droits des Conciles aux pieds du Pape, prince du Monde entier, et l'autre Dieu sur la Terre » (Lable, Conciles, XIX, p. 109).
Et Bossuet, dans la Politique tirée de l'Écriture Sainte, dit : « Le trône royal n'est pas le trône d'un homme, mais le trône de Dieu même... Les Princes sont des Dieux et participent en quelque façon à l'indépendance divine. »
Ceci prouve que les prêtres n'avaient aucune notion scientifique touchant l'essence du Principe Féminin que l'antiquité avait déifié, que pour eux ce Principe est descendu aux proportions morales d'un homme ; c'est l'apothéose de la puissance du mâle, que ce mâle soit une brute criminelle comme les empereurs romains, un empoisonneur comme les Borgia, ou un incapable comme la plupart des rois.

L'INTUITION DE BLAISE PASCAL
C'est au milieu de cet athéisme général qu'une intuition extraordinaire vint secouer le cerveau de Pascal et lui rendre la connaissance antique de l'essence divine. Voici dans quelles circonstances :
Un jour qu'il se promenait à Neuilly, ses chevaux s'emportèrent et l'entraînèrent vers la Seine où ils se précipitèrent, et ils l'y auraient fait tomber lui-même si, heureusement, le timon de sa voiture ne se fût brisé contre le pont. Pascal échappa à la mort, mais la secousse qu'il reçut mit en activité la région intuitive de son cerveau ; une grande vérité lui apparut et, à partir de ce jour, une vie nouvelle commença pour lui. Il renonça aux études profanes, au monde, et ne s'occupa plus que de la pensée. Pendant toute sa vie, il garda le plus grand secret sur la nature de la Vérité qui lui fut révélée à la suite de l'accident qui secoua son cerveau, mais, à sa mort, sa famille trouva cousu à la doublure de son pourpoint un papier énigmatique, enveloppé dans un parchemin, qui, d'après sa date, devait être là depuis huit ans. Ce papier porte les lignes suivantes, séparées d'une façon tout à fait arbitraire :
« L'an de grâce 1654.
« Lundi 23 novembre, jour de saint Clément, pape et martyr.
« Depuis environ 10 heures et demie du soir, jusqu'à environ minuit et demi, Feu.
« Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, nom des philosophes et des savants, certitude, certitude, sentiment, joie, paix, oubli du monde et de tout hormis Dieu.
« Joie, joie, joie, pleurs de joie, renonciation totale et douce. »
Dès ce moment, Pascal rompit totalement ses relations avec la société, il se retira à Port-Royal des Champs et craignit tellement tout contact avec l'humanité ignorante qu'il alla jusqu'à malmener sa sœur, Mme Périer, qui l'obsédait de soins maternels.
Pourquoi Pascal garda-t-il un si grand secret au sujet de ce qui lui fut révélé avec certitude dans cette nuit mémorable ?
Parce que le sexe de la Divinité des anciens Israélites, qu'il comprit subitement, était le grand mystère qui avait été caché dans l'antiquité par les Juifs, qui ne prononçaient plus son nom. Cette Divinité, Hévah, était tout à fait dissimulée sous le nom de Jéhovah que les modernes exégètes venaient de lui donner (à ce sujet, voir l'article intitulé De l'Israélisme au Judaïsme). Pascal, en arrivant spontanément à la découverte que la première Divinité des Hébreux était une Déesse, fut épouvanté de la distance que cette certitude allait créer entre lui et les autres hommes ; il se condamna au silence plutôt que de livrer au scepticisme, aux sarcasmes une aussi grande vérité. Il sentait l'impossibilité de faire comprendre à ses contemporains l'origine théogonique des religions, sentant que, s'il parlait, toutes les foudres de l'Église allaient tomber sur lui.
Quant aux noms des philosophes et des savants, c'était, pour lui, une révélation du même genre que celle qui lui faisait connaître le nom de la Divinité. Il comprit que les Homère, les Pythagore, les Isaïe, les Jérémie, etc., sont les grandes femmes de l'antiquité qui ont été masculinisées.
C'est toute la Vérité historique qui fut révélée à Pascal par intuition. Et cela lui donna un tel éloignement pour le monde de mensonge dans lequel il avait vécu jusque-là, qu'il voulut vivre désormais dans la solitude et dans le silence, afin de ne pas altérer la grande joie intérieure que donne la possession d'une certitude. Quant à cette phrase: « renonciation totale et douce », elle s'explique facilement. C'est à l'orgueil mâle qui crée l'erreur qu'il renonça.
Il publia les Provinciales en 1656-1657 ; ses Pensées ne furent publiées qu'après sa mort.

L'ÉDUCATION DES HOMMES
Le Catholicisme avait tellement avili les femmes que les hommes ne savaient plus comment ils devaient se comporter vis-à-vis d'elles. En voici un exemple :
Vers la fin du XVIIème siècle, le duc et la duchesse de Norfolk devant comparaître, en 1692, devant les Lords pour plaider leur instance en divorce, il fut examiné si le lord-chancelier, siégeant comme président, manquerait à sa dignité en saluant la duchesse et en lui parlant le chapeau à la main.
Cette question occupa la noble assemblée pendant plusieurs jours, les uns invoquant les règles de politesse qui obligent tout homme bien élevé à se découvrir devant une dame, les autres faisant valoir la supériorité du juge sur le justiciable. La discussion fut orageuse et donna lieu à quelques duels.
Finalement, il fut arrêté que le lord-chancelier recevrait d'abord les saluts et révérences du duc et de la duchesse et qu'il retirerait son tricorne pour y répondre ; que le président et les plaideurs échangeraient quatre saluts par audience ; qu'enfin, pendant toute la durée du procès, les ducs resteraient couverts, tandis que les marquis, comtes, vicomtes et barons garderaient leur chapeau à la main.

LA CHIMIE AU XVIIÈME SIÈCLE
L'école chimique était combattue à outrance par la Faculté. Les chimistes étaient des médecins spagyristes. Louis XIV en avait un dans son personnel médical.
Vers 1600, on fabriquait un médicament appelé la Thériaque, dite tyriacle ou triacle ; ceux qui l'appliquaient s'appelaient thériacleurs (Rabelais, Gargantua, L. I, chap. xxv).
C'était une panacée universelle, il y entrait une multitude de substances hétérogènes (Nicolas, Traité de la Thériaque, 1573, p. 16). Hanel en énumère 64. Dans l'eau thériacale, spécifique contre la syphilis, il entrait 31 substances.
Pierre Pomet y mettait 61 substances (Histoire des drogues, 1694, 2e partie, p. 65) ; Moïse Charras, 62 (Pharmacopée royale, 1691, p. 195).
Voici un aperçu des substances employées : des pilules de vipères, des rognons de castors, de l'opoponax, du bitume de Judée, de la myrrhe, de l'encens, de la réglisse, du safran, de la térébenthine, de la terre sigillée, etc., etc. Suivant Ambroise Paré, elle ne devient efficace que 4 ans après sa composition et cesse de l'être au bout de 12 ans.
Foucher de Chartres, écrivain français mort en 1127, mentionne la Thériaque. En 1606, on la fit en public à Montpellier. L'apothicaire Laurens Catelan la fit en plusieurs journées « en assemblée honorable de Messieurs de la Justice et professeurs en l'Université de cette ville » (Discours et démonstration des ingrédiens de la thériaque, 1614, p. 3).
En 1682, le doyen de la Faculté, docteur Dieuxivoye, « présida à la thériaque qui se fit avec une grande solennité ».
On comprend que le public préférait la médecine des femmes, qui, elles, ne fabriquaient pas de Thériaque. Ce médicament servait à tout. Suivant le médecin Jacques Fontaine (Traité de la Thériaque, 1601, p. 183), son emploi rendait « le corps inexpugnable contre les venins, sans corrompre le naturel du corps ».
Hugues Metel, vers 1150, écrivait à saint Thierry que ce médicament était dangereux et fort susceptible de sa nature, car une fois introduit dans l'organisme, s'il n'y trouvait pas de poisons à chasser, il ne voulait pas avoir été dérangé pour rien et tuait le malade (Epistola 18, dans C. L. Hugo, Sacræ antiquitatis monumenta, t.II, p. 351).
L'Orviétan est un autre médicament mis à la mode par un Italien, Cristoforo Contugi, natif d'Orviéto, qui se vit d'abord appeler Lorviétano, puis Lorviétan, ou l'Orviétan.
L'apothicaire Pierre Pomet écrivait en 1694 dans son Histoire des Drogues (2e partie, p. 67) : « L'Orviétan était connu à Rome depuis longtemps, et c'est de là que le faisaient venir les épiciers avant que le sieur Contugi eût obtenu du Roi la permission de le débiter publiquement. »
L'Orviétan se composait de 27 substances, dont les plus utiles paraissaient être la thériaque vieillie et « des vipères sèches garnies de leur cœur et de leur foie. »
Molière a immortalisé l'Orviétan en le faisant connaître dans L'Amour médecin, acte II, sc. 7 :
Sganarelle :
Monsieur , je vous prie de me donner une boîte de votre orviétan, que je m'en vais vous payer.
L'Opérateur :
L'or de tous les climats qu'entoure l'Océan
Peut-il jamais payer ce secret d'importance ?
Mon remède guérit par sa rare excellence
Plus de maux qu'on n'en peut nombrer en tout un an !
La gale,
La rogne,
La teigne,
La fièvre,
La peste
La goutte,
Vérole,
Descente,
Rougeole,
O grande puissance de l'Orviétan !

En 1647, ce magnifique remède fut approuvé par la Faculté et obtint la signature de douze docteurs. Mais cela n'alla pas sans difficulté. Le doyen, appelé Jean Piètre, crétin qui laissa son nom à tous les médecins mauvais, se fâcha, et chassa de la compagnie les 12 docteurs qui avaient agi sans son ordre. Plus tard, ils furent rappelés. Dans tout cela, il n'y avait qu'une question d'argent et une jalousie de ceux qui n'avaient pas su tirer un assez bon parti du charlatanisme de l'Italien.
Le docteur Thomas Sonnet, sieur de Courval, publia en 1610 un volume intitulé Satyre contre les charlatans et pseudo-médecins empyriques, « en laquelle sont amplement découvertes les ruses et tromperies de tous thériacleurs, alchimistes, chimistes, paracelsistes, distillateurs, extracteurs de quintessence, fondeurs d'or potable, maistres de l'élixir et telle pernicieuse engeance d'imposteurs ».
Ce médecin dénonçait lui-même ses confrères. Cet auteur nous cite un certain « Signor Hieronimo », une grosse chaîne d'or au cou, installé sur un superbe théâtre et y trônant au milieu de quatre joueurs de violon. Je cite : « Et pour expérimenter les vertus divines et admirables d'un ungant qu'il se vantoit avoir pour les bruslures, il se brusloit publiquement les mains avec un flambeau allumé, jusques à se les rendre toutes ampoulées ; puis se faisoit appliquer son ungant qui les guérissoit en deux heures. Chose qui sembloit miraculeuse aux assistans, qui n'avoient sondé et découvert l'artifice et la ruze dont il se servoit. Car avant de monter sur son théâtre, il se lavoit secrètement les mains de certaine eauë artificielle, laquelle étoit douée de cette vertu particulière que le feu ne peut brusler la partie qui en est fraîchement lavée, de façon que l'on endure superficiellement la flamme sans sentir de douleur, etc. Laquelle ruze et tromperie j'avois veu pratiquer lorsque j'étois en Languedoc à un brave et expert charlatan. Artifice qui n'est pas de difficile créance, si on considère seulement la qualité et propriété de l'eau-de-vie, laquelle se brusle et consomme sur un mouchoir qui en aura été lavé, sans que le feu le puisse endommager. »
Le mot charlatan vient du nom que l'on donnait à un Italien : Ciarlatano (de ciarlare, babiller, charlan en espagnol), ou Scarlatano à cause de son habit écarlate : il se nommait en réalité Desiderio des Combes.
Dancourt consacra une comédie à un autre personnage de l'époque non moins célèbre : l'opérateur Barry. Dans le prologue Barry se présente lui-même au spectateur et dit :
« Je suis, Messieurs et Mesdames, ce fameux Melchissédec Barry. Comme il n'y a qu'un soleil dans le ciel, il n'y a aussi qu'un Barry sur la terre.
« Il y a 93 ans que je faisais un bruit du diable à Paris. N'y a-t-il personne ici qui se souvienne de m'y avoir vu ? En quel lieu de l'Univers n'ai-je pas été depuis ? Quelles cures n'ai-je point faites ? Informez-vous de moi à Siam, on vous dira que j'ai guéri l'éléphant blanc d'une colique néfritique. Que l'on écrive en Italie, on saura que j'ai délivré la République de Raguse d'un cancer qu'elle avait à la mamelle gauche. Que l'on demande au grand Mogol qui l'a sauvé de sa dernière petite vérole ? c'est Barry. Qui est-ce qui a arraché onze dents machelières et quinze cors aux pieds à l'infante Atabalipa ? Quel autre pourrait-ce être que le fameux Barry ?
« Je porte avec moi un baume du Japon qui noircit les cheveux gris et dément les extraits baptistaires ; une pommade du Pérou qui rend le teint uni comme un miroir et rétrécit les trous de la petite vérole ; une quintessence de la Chine qui agrandit les yeux et rapproche les coins de la bouche, fait sortir le nez à celles qui n'en ont guère, et le fait rentrer à celles qui en ont trop ; enfin, un élixir spécifique que je puisse appeler le supplément de la beauté des visages et l'abrégé universel de toutes les chances qui ont été refusées par la Nature. »
(Prologue, pièce représentée pour la première fois le 11 octobre 1702.)
En 1697, le frère de l'abbé Rousseau publia un volume intitulé Secrets et remèdes éprouvez dont les préparations ont été faites au Louvre, de l'ordre du Roy, par défunt l'abbé Rousseau, cy-devant capucin et médecin de Sa Majesté.
Voici l'une de ces merveilleuses recettes : Essence de Vipère.
« Les faire sécher à un feu très doux ou au soleil, jusqu'à ce qu'elles puissent se mettre en poudre facile à passer par le tamis. Mêler la poudre avec trois fois son poids de miel et faire bouillir. Les vipères employées devaient avoir été nourries exclusivement de miel et de rosée. »
Il y avait aussi une Véritable eau de la reine de Hongrie, dans le même genre.
Sur la fin de sa vie, le Père Rousseau méditait la préparation d'un élixir merveilleux, mélangé de miel et de manne, dans lequel on mêlait des coraux et des perles pilées. La manne devait être récoltée en Arabie. Il mourut sans avoir eu le temps d'assister au succès de son miraculeux remède.

L'AURORE DE LA SCIENCE MODERNE EN RUSSIE
Le roi Gustave-Adolphe de Suède ordonna, en 1632, l'ouverture d'une Université à Dorpat ; elle exista 24 ans, et fut fermée lorsque la ville fut conquise par les Russes.
Charles XI créa en 1690 une nouvelle Université, qui passa, en 1699, à Pernau. La Livonie ayant été conquise par les Russes en 1710, l'Université cessa d'exister. C'est en 1798 que la noblesse des provinces baltiques reçut de l'empereur Paul 1er l'autorisation de créer une Université. Le projet de loi concernant la création d'une Université protestante à Dorpat fut approuvé le 4 mai 1799. Une commission de la noblesse se réunit le 12 juillet 1800 à Dorpat, et l'on se proposait déjà d'ouvrir les cours universitaires pour le 15 janvier 1801, lorsque l'empereur Paul 1er ordonna de transférer l'Université à Milan. L'empereur Alexandre 1er, par un oukase en date du 12 avril 1801, rétablit le projet primitif, et l'Université de Dorpat fut solennellement ouverte le 21 avril 1802.

LE BONHEUR PAR LA SCIENCE OU LA SCIENCE DU BONHEUR
Leibnitz, le grand philosophe, l'illustre mathématicien qui, simultanément avec Newton, a créé le calcul infinitésimal, le grand Leibnitz n'était pas un vrai Allemand. Il était d'origine slave. Sa famille s'appelait autrefois Lubenietz et était venue de Pologne s'établir en Saxe.
À la bibliothèque de Hanovre, il est de curieux manuscrits de Leibnitz qui n'étaient pas encore publiés en 1928. Dans l'un d'eux, le grand philosophe explique que le seul moyen de rendre les hommes plus heureux et meilleurs, c'est de travailler au progrès des sciences. Le bonheur, d'après lui, en effet, consiste en trois choses : la perfection de l'âme, la santé du corps et les commodités de la vie. Or la perfection de l'âme s'obtient par la science, qui nous enseigne ce que nous sommes et ce que nous devons faire ; la santé du corps s'obtient aussi par la science, puisque la médecine, est basée sur la connaissance de la nature ; enfin, les commodités de la vie sont encore fournies par la science, qui perfectionne tous les arts et métiers et rend l'homme presque maître de la nature.
Inutile d'ajouter que cette étude de la science fut le mobile constant de l'activité de Leibnitz.
On remarquera qu'il n'est pas ici question du bonheur dans l'autre monde. Leibnitz parlait sérieusement (1646-1716).
Kepler lui-même dotait d'une vie animale tous les corps de la Nature. Le globe terrestre était pour lui un gros animal sensible aux configurations astrales, effrayé de l'approche des autres planètes et manifestant sa terreur par les tempêtes, les ouragans et les tremblements de terre ; le flux et reflux de l'océan était sa respiration. La Terre avait son sang, sa transpiration, ses excrétions ; elle avait aussi ses aliments, parmi lesquels l'eau marine qu'elle absorbait par de nombreux canaux.
Kepler s'est rétracté à la fin de sa vie.
Montesquieu (1689-1755) fut menacé d'être exclu de l'Académie française pour son Esprit des Lois. Les Jansénistes le déclarèrent athée, déiste, séditieux ; enfin la Sorbonne, par un jugement solennel, condamna 18 propositions (reconnues vraies aujourd'hui) que le Père Rouot se vanta de lui avoir fait rétracter à son lit de mort.

DIX-HUITIÈME SIÈCLE
C'est pendant les trois derniers siècles du millénaire actuel qu'on a commencé à étudier les conditions sociales des peuples dégénérés. L'antiquité ne connut pas cet état.
Un intérêt capital s'attache à l'étude des lois qui régissent l'évolution des sociétés humaines. Il faut donc nous y arrêter et, au moment où nous allons aborder l'étude des temps actuels, jeter un regard sur le passé, chercher d'abord comment les caractères physiques de l'homme se sont modifiés en franchissant les étapes de son évolution, comment sa vie mentale et morale s'est modifiée d'un âge à l'autre, et ce qu'il est devenu dans les diverses régions du globe.

PIERRE BAYLE (1647-1706)
Bayle, le plus savant et le plus redoutable des sceptiques modernes, auteur du Dictionnaire historique et critique, dit : « Le mal existe, l'homme est méchant et malheureux, tout prouve cette triste vérité. L'histoire n'est, à proprement parler, qu'un recueil des crimes et des infortunes du genre humain. Cependant, on voit briller par intervalles des exemples de vertu et de bonheur. Il y a donc un mélange de maux et de biens moraux et physiques… Or, si l'homme est l'ouvrage d'un seul principe souverainement bon, souverainement sain, souverainement puissant, comment est-il exposé aux maladies, au chaud, à la faim, à la soif, à la douleur, au chagrin ? Comment a-t-il tant de mauvaises inclinations ? Comment commet-il tant de crimes ? La souveraine sainteté peut-elle produire une créature criminelle ? La souveraine bonté peut-elle produire une créature malheureuse ?
Origène prétend que le mal est venu du mauvais usage du franc arbitre. Et pourquoi Dieu a-t-il laissé à l'homme un franc arbitre aussi pernicieux ? Parce qu'une créature intelligente qui n'eût pas joui de franc arbitre, répond Origène, aurait été immuable et immortelle comme Dieu. Quelle pitoyable raison ! Est-ce que les âmes glorifiées, les saints sont semblables à Dieu pour être déterminés au bien et privés de ce qu'on appelle le franc arbitre, lequel, selon saint Augustin, n'est que la possibilité du mal lorsque la grâce divine n'incline pas l'homme vers le bien ?
»

LA DÉCADENCE INDIENNE AU DIX-HUITIÈME SIÈCLE
Les Hindous actuels sont arrivés à l'impuissance morale ; c'est une masse inerte et, dans la majeure partie des populations de l'Inde, sans initiative et sans énergie. Le peuple est devenu superstitieux, adonné aux pèlerinages et demandant à des Dieux imaginaires le bonheur et la prospérité que les primitives Dêvas lui donnaient. Comme ses Dieux ne lui répondent pas et que le malaise social s'accentue, ils ont recours au suicide qu'ils considèrent comme l'acte suprême de la religion.
Les femmes sont tristes et découragées.
Diderot, dans ses Mélanges, nous a fait connaître la plainte d'une femme indienne à un missionnaire jésuite. Elle dit (Mélanges de Littérature, p. 644) :
« Plût à Dieu qu'au moment où ma mère me mit au monde, elle eût eu assez d'amour et de compassion pour épargner à son enfant tout ce que j'ai enduré et tout ce que j'endurerai jusqu'à la fin de mes jours ! Si ma mère m'eût étouffée en naissant, je serais morte ; mais je n'aurais pas senti la mort, et j'aurais échappé à la plus malheureuse des conditions. Combien j'ai souffert ! Et qui sait ce qui me reste à souffrir jusqu'à ce que je meure ?
« Représente-toi bien, Père, les peines qui sont réservées à une Indienne parmi ces Indiens. Ils nous accompagnent dans les champs, avec leur arc et leurs flèches. Nous y allons, nous, chargées d'un enfant qui pend à nos mamelles, et d'un autre que nous portons dans une corbeille. Ils vont tuer un oiseau ou un poisson. Nous bêchons la terre, nous, et, après avoir supporté toute la fatigue de la culture, nous supportons toute celle de la moisson. Ils reviennent le soir, sans aucun fardeau ; nous, nous leur apportons des racines pour leur nourriture, et du maïs pour leur boisson. De retour chez eux, ils vont s'entretenir avec leurs amis ; nous, nous allons chercher du bois et de l'eau pour préparer leur souper. Ont-ils mangé, ils s'endorment ; nous, nous passons toute la nuit à moudre le maïs et à leur faire la chicha, et quelle est la récompense de nos veilles ? Ils boivent leur chicha, ils s'enivrent ; et quand ils sont ivres, ils nous traînent par les cheveux, et nous foulent aux pieds. Ah ! Père, plût à Dieu que ma mère m'eût étouffée en naissant ! Tu sais toi-même si nos plaintes sont justes. Ce que je te dis, tu le vois tous les jours. Mais notre plus grand malheur, tu ne saurais le connaître. Il est triste pour la pauvre Indienne de servir son mari comme une esclave, aux champs accablée de sueurs, et au logis privée de repos ; mais il est affreux de le voir, au bout de vingt ans, prendre une autre femme, plus jeune, qui n'a point de jugement. Il s'attache à elle. Elle nous frappe, elle frappe nos enfants, elle nous commande, elle nous traite comme ses servantes ; et au moindre murmure qui nous échapperait, une branche d'arbre levée !... Ah ! Père, comment veux-tu que nous supportions cet état ? Qu'a de mieux à faire une Indienne, que de soustraire son enfant à une servitude mille fois pire que la mort ? Plût à Dieu, Père, je te le répète, que ma mère m'eût assez aimée pour m'enterrer lorsque je naquis ! Mon cœur n'aurait pas tant à souffrir, ni mes yeux à pleurer ! »
Il ne faut pas croire que, dans un pays où la Femme souffre tant, l'homme est heureux, loin de là. Les prêtres ont, du reste, érigé la douleur en dogme, ils enseignent que la souffrance est méritoire parce que c'est le contraire du plaisir et que, pour l'homme, le plaisir est attaché au péché, qui mène à la mort de l'âme. On sait jusqu'où va la folie des Bouddhistes qui croient à la sainteté de la douleur.
« Pour s'épargner les souffrances d'une autre vie, dit Fabre d'Olivet (L'État social, p. 331), les Bouddhistes résolus à ne plus revivre sur la terre ont outré les préceptes moraux de leur Prophète et, par un esprit de pénitence, porté l'abnégation de soi à un excès presque incroyable. Il n'est pas rare, aujourd'hui même, de voir des fanatiques de ce culte devenir leurs propres bourreaux et se dévouer à une mort plus ou moins douloureuse ou violente ; les uns se précipitent dans l'eau une pierre au cou ; les autres s'ensevelissent vivants ; ceux-ci vont se sacrifier à la bouche des volcans ; ceux-là s'exposent à une mort plus lente sur des rochers arides et brûlés par le soleil ; les moins fervents se condamnent à recevoir au cœur de l'hiver, sur leur corps entièrement nu, cent cruches d'eau glacée ; ils se prosternent contre terre mille fois par jour, en frappant chaque fois le pavé de leur front ; ils entreprennent, nu-pieds, des voyages périlleux sur des cailloux aigus parmi des ronces, dans des routes semées de précipices ; ils se font suspendre dans des balances sur des abîmes affreux, ils se font écraser sous les roues d'un chariot ou sous les pieds des chevaux… »
Mais les Femmes, quoi qu'on ait dit, ne comprennent pas ces théories qui n'ont de réalité que pour le sexe masculin, et Elles cherchent à réagir, provoquant dans les idées un mouvement inverse qui mène à une autre erreur.
Quand la Femme affirme la légitimité du bonheur, l'homme, appliquant à sa nature ce qu'Elle dit de la sienne, se jette dans toutes les joies malsaines qui le dégradent.
Nul doute, tout le désordre moral de l'Inde moderne est le résultat de sa religion, de cette inversion qui fit, durant tant de siècles, mettre le Dieu mâle à la place de l'antique Déesse, la Matière-force à la place de l'Esprit.
Quand le Bouddhisme, chassé de l'Inde, se répandit en Chine, et que Fo-hi vint de l'Occident apporter sa religion, sa science, ses arts, les Chinois le représentèrent sous la forme du serpent à tête humaine (l'esprit du mal) ; d'autres placèrent sur son front les deux cornes de Ram ; du reste, la doctrine masculiniste de Fo-hi n'avait été qu'une sorte de corollaire de celle de Ram avec laquelle elle s'était amalgamée. C'est ainsi que presque tous les anciens lamas étaient devenus bouddhistes.
Fo-hi voulait dire « Père vivant » (1) ; il venait remplacer la « Mère vivante » qu'on opposait toujours aux Dieux sans vie des prêtres. Ce réformateur s'était fait appeler Bouddha, qui veut dire « Sagesse éternelle », alors qu'il n'avait apporté au monde qu'une des formes de la folie ; on l'appelait aussi Çakya, « l'être toujours existant », cachant dans ces expressions, devenues incompréhensibles, les anciennes croyances relatives aux Dêvas, ces anciennes Déesses, douées d'une vie sans déchéance. Toutes les anciennes vérités, couvertes de mille légendes, sont restées le fond symbolique des croyances ; les récits greffés sur ces faits se multiplièrent à l'infini et sont arrivés jusqu'à nous sous des formes multiples qui n'ont qu'un caractère commun ; c'est qu'elles donnent toutes le sexe masculin aux anciennes Déesses, la Femme ayant été supprimée du monde intellectuel par l'homme pervers qui a pris sa place.
(1) « Il importe de dire dès maintenant que Fohi n’est ni un homme ni un mythe, mais la désignation d’un agrégat intellectuel, comme fut ailleurs Hermès. » (Matgioi, La Voie Métaphysique, p.10)
« « Fohi » est la raison sociale d’une école métaphysique, et de quelques siècles de la pensée humaine. » (Ibid., p.13)

DÉCADENCE DE LA PERSE
Dans ce pays qui vit fleurir l'Avesta, qui eut une longue et splendide prospérité aux époques lointaines antérieures à la réforme de Zoroastre, combien la décadence de la race est profonde aujourd'hui !
C'est depuis la défaite des Ismaéliens, cette secte dont nous avons parlé, que la Perse perdit peu à peu son antique splendeur.
La Perse, après mille vicissitudes, qu'il serait trop long de narrer, tomba au XIVème siècle dans un état d'anarchie abominable. Une horde de Tartares, commandés par Timour-Leng, envahit le pays, qui ne put lui opposer qu'une vaine, et inutile résistance. Du moment où la force triomphe, elle doit triompher jusqu'au bout, et mettre au sommet le plus fort qui est le moins respectueux des droits d'autrui.
Les horreurs dont Timour se rendit coupable dépassent l'imagination. Il suffit, pour en donner une idée, de rappeler qu'ayant résolu de se venger des habitants d'Ispahan, en 1387, il ordonna à ses soldats de lui apporter un tribut de têtes humaines, et que, soixante-dix mille crânes sanglants ayant été ainsi déposés à ses pieds, il les fit entasser en pyramide comme un trophée de guerre.

LES SOPHIS
Un siècle s'écoula encore pendant lequel la Perse resta sous la domination des descendants du farouche conquérant mongol. Puis, en 1502, une race nouvelle, la race des Sophis, qui se disait héritière des anciens Ismaéliens, réussit enfin, avec son chef Ismaël, à reconstituer le vieil empire de Darius sous une dynastie nationale.
C'est à partir de ce moment, ou, pour mieux dire, c'est à partir du règne d'Abhas-Shah, le plus célèbre des princes de cette dynastie, que l'Europe occidentale commença à entrer en relations avec la Perse.
Abbas-Shah, qui occupa le trône de 1585 à 1628, eut, en effet, l'idée de charger deux gentilshommes anglais, sir Antony et sir Robert Sherley, de réorganiser son armée et de nouer en son nom des alliances avec la Chrétienté. Tous deux réussirent dans leur tâche, et peu après les Français, les Hollandais et les Anglais vinrent en assez grand nombre fonder des comptoirs à Gombroom.
Mais, un peu plus tard, le roi, craignant que les Portugais, qui étaient établis depuis longtemps déjà à Ormuz, ne devinssent pour lui des rivaux redoutables, résolut de les chasser de l'île, et, grâce à la complicité de la Compagnie britannique des Indes orientales, à qui il promit la moitié du butin et l'exonération de tout droit de douane pour ses importations, il put obtenir des vaisseaux et des canons en assez grande quantité pour mener à bien ses projets.
Malheureusement, sa conquête lui fut peu profitable, et Ormuz, auparavant si florissante, ne tarda pas à être désertée par le commerce.
Bref, après des événements plus ou moins malheureux, la Perse, qui avait retrouvé un moment son ancienne splendeur, fut encore une fois envahie par des hordes étrangères venant de l'Afghanistan et dont elle ne fut délivrée que vers 1730 par un aventurier de talent, Nadir-Kouli, qui, proclamé roi, porta ses armes victorieuses jusque dans l'Inde, où il s'empara de Delhi et des immenses trésors qu'il renfermait.
Mais les Persans n'étaient pas au bout de leurs peines, et, Nadir-Kouli ayant été assassiné en 1747, plusieurs années de sombre anarchie s'écoulèrent encore pour eux.

LA DYNASTIE KHAJAR
Enfin, en 1794, un chef de la tribu des Khajars, d'origine turque, Agha-Mohammed-Khan, réussit à s'emparer de la couronne et à fonder la dynastie qui régna jusqu'en 1925.
Son neveu Futhet-Ali-Shah lui succéda en 1797, et, malgré des revers assez considérables qui permirent aux Russes d'incorporer à l'empire moscovite plusieurs provinces de son royaume, à commencer par la Géorgie, il conserva le sceptre jusqu'à sa mort, en 1836, sans qu'aucun trouble intérieur se produisît. Revenons en Occident et voyons comment les deux Principes du Bien et du Mal, de la Vérité et de l'Erreur, vont continuer à se disputer le monde.

LE CHRIST MODERNE
Nous avons vu, en suivant les phases de l'évolution religieuse, que la Déesse disparaît peu à peu, que la haine qu'inspire la Femme supérieure à l'homme déchu va en augmentant pendant sa dégénérescence.
D'autre part, l'altruisme de la Femme, son admiration naïve pour l'homme, sa crédulité robuste, lui font admettre tout ce qu'on veut lui enseigner.
Or, voici ce qui se produisit sous l'impulsion de ces divers facteurs.
Le Dieu du Catholicisme, Jésus, avait été jusque-là, dans le couple divin « Jésus et Christ », la personnification mâle, l'antique Hésus, Dieu de la guerre, l'Homme qui avait triomphé de la Déesse, mais à qui cependant on avait appliqué toute l'histoire de la Femme « souffrant pour les iniquités des hommes », de la Femme vaincue et jetée dans une vie de douleurs, ce qu'on représentait par la descente aux enfers, c'est-à-dire la vie dans un état d'esclavage infernal, mais arrivant à la résurrection, ce qui voulait dire qu'elle devait revenir à la vie sociale dans un avenir lointain.
On avait doté ce Dieu-homme de toutes les perfections morales de la Femme, faisant de lui la copie grossière de l'antique Déesse.
Les Protestants, entraînés par leur esprit de réforme, mirent Jésus au second plan et remirent à la première place « Christ », l'ancien Christos, qui dans le couple divin représentait l'entité féminine, mais qui devint masculine pour eux ; ils lui laissèrent le sexe de l'homme, mais lui rendirent tous les attributs de la Femme.
Le Protestantisme, qui est la dernière forme religieuse apparue, est donc la plus éloignée de l'ancienne Religion naturelle, qui est le culte de la Femme-Déesse ; non seulement il a masculinisé « Christ », mais il a supprimé Marie, la dernière lueur de poésie du Catholicisme.
C'est le travail de la mentalité féminine qui arriva à ce résultat. La forme nouvelle de la Divinité reflétait la conception de l'esprit de certaines femmes ; pour le comprendre, il faut savoir que le sentiment qui règne, en général, chez la Femme repose sur le désir d'admirer, d'exalter, les facultés supérieures de l'homme, qu'Elle veut aimer et, pour cela, qu'Elle veut élever jusqu'au niveau de son admiration subjective.
Ce sentiment est la cause réelle de la facilité avec laquelle Elle a toujours adopté les formes masculines données à la Divinité. La Femme met, dans le symbole qu'on lui offre, le reflet de ce qu'Elle est elle-même, son élévation de pensée, sa profondeur de sentiment. Elle habille l'idole de son propre idéal, puis, ainsi parée, lui rend un culte, croyant adorer une réalité, quand la Vérité est que ce qu'Elle adore n'est que l'image de sa propre pensée.
Nulle légende religieuse n'a causé plus d'adorations féminines que la légende chrétienne. La Femme, qui a une admiration exaltée pour les grandes qualités humaines, a voulu voir dans « Christ » l'idéal de toutes les perfections qu'elle rêve. Que la réalité réponde ou ne réponde pas à son aspiration, peu lui importe. Elle veut adorer l'homme idéal, l'homme qui n'existe pas, mais que son imagination crée. Malheur à celui qui viendra lui montrer brutalement que la réalité ne répond pas à sa conception poétique !
Les Protestants donnent donc une forme nouvelle au type divin, qui, du reste, fut toujours le type du système qu'on voulait faire prévaloir. D'abord thaumaturge avec les magiciens, il fut rationaliste avec les philosophes et devint socialiste avec les démocrates au XIXème siècle.
Le Protestantisme, en donnant à « Christ » une forme nouvelle, consolida la légende, lui redonna de la vie et créa un nouveau fanatisme. C'est sous l'influence de ces idées nouvelles que nous voyons la littérature religieuse se modifier et mettre dans la vie de « Christ » des choses qui n'ont jamais existé dans l'Évangile.
Rousseau, entraîné par ce courant d'idées, glorifie le Christ imaginaire de son époque et dit de lui : « Quelle douceur, quelle pureté dans ses mœurs ! Quelle grâce touchante dans ses instructions ! Quelle élévation dans ses maximes ! Quelle profonde sagesse, quelle présence d'esprit, quelle finesse et quelle justesse dans ses discours ! Quel empire sur ses passions ! Où est l'homme, où est le sage qui sait agir comme lui, souffrir et mourir sans faiblesse et sans ostentation ? Où Jésus avait-il pris, chez les siens, cette morale élevée et pure dont lui seul a donné les leçons et l'exemple ? Du sein du plus furieux fanatisme, la plus haute sagesse se fait entendre. »
Cette confusion dans les idées venait de ce que l'Église avait affirmé que l'Évangile était venu sauver le monde de la barbarie du Paganisme, et, comme la réalité montrait un monde corrompu et non sauvé, on en concluait que la vraie doctrine évangélique était perdue, que la parole de Jésus était oubliée, alors que c'est justement parce qu'elle était mise en action par les prêtres que cette doctrine avait perdu le monde.
Mais les espérances qui s'attachent à l'idée d'un Rédempteur sont tenaces. On voulait, quand même, les mettre en « Christ », sans penser que tout le mal venait de Jésus ; on s'imagina que « Christ » avait prêché la grande Religion naturelle, alors que c'est Jésus qui l'avait fait sombrer dans le surnaturel ; qu'il parlait au nom de la raison, alors que l'Évangile nous montre Jésus parlant au nom de la folie ; qu'il s'élevait contre les sectes mensongères, alors qu'il venait lui-même en fonder une. Et, comme l'œuvre chrétienne ne ressemble en rien à l'idéal religieux qu'on cherchait, on affirmait que Jésus était mort sans avoir soupçonné le parti qu'on allait tirer de son enseignement. Et alors on expliquait qu'en étudiant les origines du Christianisme et en suivant son développement et ses progrès, on voyait comment une œuvre excellente au début avait fini par devenir détestable, et comment, au lieu d'apporter la paix, elle avait apporté la guerre. On faisait du Christianisme primitif une œuvre d'amour, de charité, de bonté, répétant les lieux communs de tous les prêtres, sans les examiner ; on croyait que l'Évangile se basait sur une morale d'une pureté indiscutable qui avait dû pénétrer tous les cœurs. On croyait sincèrement que les premiers Chrétiens étaient dégoûtés de leur ancienne religion, qui, tombée dans la décadence, ne pouvait plus satisfaire le moindre sentiment idéal, et que c'est pour cela qu'on s'était tourné vers l'admirable figure de Jésus, si pleine de douceur et de bonté qu'on ne pouvait le voir et l'entendre sans l'adorer. Dans ce Jésus-là, on ne voulait rien voir des imposteurs qui abusent de la bonne foi des peuples ignorants et s'arrogent une supériorité qu'ils n'ont pas ; on lui donnait toutes les vertus ; aussi, disait-on, ses contemporains n'étaient pas en état de comprendre la sublimité de sa nature, leur éducation étant à faire.
Telles sont les idées nouvelles, et fausses, que le Protestantisme va jeter dans le monde et qui vont restaurer la croyance dans le Christianisme, si discrédité à l'aurore de la Réforme que, sans ce renouveau, il aurait sombré deux ou trois siècles plus tôt.
Si le grand mouvement de la Réforme donna à l'Église un coup mortel, semant la ruine dans le camp de ses défenseurs, il créa une nouvelle religion qui devait, comme celle qu'il venait ravager, sombrer dans le fanatisme.
Mais il avait fait naître l'esprit d'examen, les femmes surent en profiter pour marcher vers leur idéal de liberté. Elles firent du Protestantisme le premier échelon de leur émancipation.

La secte des Quakers se montra toujours très favorable au féminisme. Ils s'attachaient à donner aux jeunes filles la meilleure et la plus complète éducation.
Bien avant que l'enseignement public féminin fût organisé, les écoles des Quakers étaient de véritables modèles dans toutes les branches de la pédagogie ; aussi les femmes Quakers ont-elles encore une proverbiale réputation de distinction, de dignité, de grâce, en même temps que « d'activité régénératrice dans tous les ressorts de la vie sociale ».
Le rôle de ces femmes dans le mouvement féministe anglais fut considérable. C'est à l'une d'elles, Mrs. Fry, que doit être attribué le mérite d'avoir ouvert aux femmes la profession médicale. Elles allèrent plus loin et obtinrent de hautes fonctions dans l'État ; c'est ainsi qu'elles furent souvent gouverneurs de l'île de Wight.
(De 1896 à 1944, c'est la princesse Henri de Battemberg, nommée par la reine Victoria, qui occupa cette haute situation.)

LES PROTESTANTS FRANÇAIS AU XVIIIème SIÈCLE
Louis XV, au milieu d'une cour incrédule et dépravée, rendit un édit sévère contre les Protestants et dirigea contre eux de nouvelles persécutions. L'Europe étonnée se demandait en vain la raison de ces excès de zèle.
La Suède et la Prusse, profitant de cette faute, attirèrent chez elles les meilleurs manufacturiers français.
La plupart des Protestants étaient obligés de s'enfuir, de se cacher, pour échapper aux supplices.
« Nous ne pouvons pas, disaient-ils, nous livrer aux plus innocentes affections de la nature sans craindre l'infamie et les supplices. Contraints, pour servir l'Être suprême, de fuir les lieux qu'habitent nos semblables, d'errer dans les déserts, de nous exposer aux chaleurs brûlantes de l'été, aux froids rigoureux de l'hiver, notre obéissance aux lois de Dieu est une désobéissance à celles du souverain. »
Vers la fin du XVIIIème siècle, un débat s'éleva entre Bossuet et plusieurs autres évêques, pour savoir s'il fallait forcer les nouveaux convertis, de par les dragonnades, à assister à la messe. Bossuet soutenait la négative « par respect pour la messe », non pour les droits de la conscience auxquels il ne songeait guère ; les autres prélats étaient d'un avis opposé. L'évêque de Montauban fit remarquer que c'est toujours par les persécutions qu'on a ramené les hérétiques, et il cita l'exemple des dragonnades.
Enfin, à l'Assemblée constituante, le 21 août 1789, on proclama, dans la déclaration des « Droits de l'homme », que « tous les hommes naissent et demeurent égaux en droits », et deux jours après, le 23 août, que « nul ne doit être poursuivi pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble point l'ordre public établi par la loi » (article 8).
Durant tout le XVIIIème siècle, l'influence de l'Église romaine fut de plus en plus en déclin ; l'incrédulité gagnait tous les esprits et arriva dans certaines villes à prendre une influence prépondérante. Alors la papauté descendit si bas qu'elle devint la dérision des incrédules, en même temps que l'objet de la pitié des Protestants trop bienveillants pour aller jusqu'à la haine.

LES MŒURS DES PRÊTRES AU XVIIIème SIÈCLE
Sous le pontificat de Pie VI, l'évêque de Pistoïa, Scipion Bicci, voulant mettre un terme aux scandaleuses relations des religieuses de son diocèse, et notamment des Dominicaines, avec leurs confesseurs, constata que, à chaque promotion d'un provincial, le nouvel élu se rendait dans leur couvent, faisait ranger sur deux files toutes les nonnes, complètement dépouillées de leurs vêtements, et, après les avoir bien examinées, mettait son chapeau sur la tête de celle qui lui plaisait le plus, pour indiquer qu'il en faisait sa maîtresse favorite.

LEUR FOLIE
Au XVIIIème siècle, un chanoine Duret s'occupait spécialement de magie noire. Il pratiquait la nécromancie, évoquait le diable ; il finit par être exécuté comme sorcier en 1718. Un abbé Beccarelli institua dans la Lombardie 12 apôtres et 12 apostolines chargés de prêcher son culte. Cet abbé abusait des deux sexes et disait la messe « sans s'être confessé de ses luxures ».
Il distribuait aux assistants de ses offices des pastilles aphrodisiaques qui avaient, disait-on, cette particularité bizarre, qu'après les avoir avalées les hommes se croyaient changés en femmes et les femmes en hommes.
Cet abbé, poursuivi pour ses abominations, fut condamné en 1708 à ramer sur les galères pendant sept ans.

LEUR ÉRUDITION
- En 1755, les Récollets d'Anvers donnèrent à leur jardinier 1.500 volumes, pour se débarrasser de tout ce fatras. Les manuscrits qui étaient mêlés à tous ces livres furent vendus 24.000 francs à un Anglais érudit. Ils ne savaient même pas ce qu'ils avaient.
- Dom Martin, visitant en 1708 la Bibliothèque de la Sainte-Chapelle de Bourges, la trouva dans un état pitoyable, la clef ayant été confiée au receveur du chapitre qui en avait fait un poulailler. Les poules avaient couvert d'ordures les livres ouverts sur les pupitres.
- En 1784, à la mort du président Bouhier, de Dijon, l'abbé de Clairvaux (un Bénédictin) avait acheté sa collection de manuscrits pour la somme de 135.000 francs.
En 1799, lorsque la Bibliothèque de Clairvaux fut saisie par les commissaires du gouvernement, on trouva cette collection dans les mêmes caisses qui avaient servi à la transporter de Dijon à Clairvaux, et comme on les avait déposés dans un lieu humide, les plus beaux manuscrits étaient entièrement gâtés.
- Les Oratoriens de Troyes, ayant hérité d'une partie des manuscrits du célèbre Pithou et voulant les faire relier économiquement, en réunirent ensemble le plus grand nombre possible, sans même chercher l'égalité du format, puis les firent rogner de manière à donner à toutes les parties de ces volumes hétérogènes une dimension uniforme.
Ces manuscrits de Pithou étaient, pour la plupart, des palimpsestes, c'est-à-dire des parchemins ayant primitivement servi pour des ouvrages d'auteurs anciens et que les moines avaient grattés pour y substituer des vies de saints ou autres produits de leur littérature spéciale.
Tel est le mérite littéraire des Bénédictins et des Oratoriens, tant renommés pour leurs savants travaux !
On se demande, en face de ces preuves de leur peu d'intellectualité, si ce sont eux qui ont écrit les ouvrages qu'on leur attribue, tels que les Acta Sanctorum et la Gallia Christiana, ou si ce ne seraient pas plutôt les femmes enfermées dans les couvents et qui, elles, avaient toujours l'activité intellectuelle du cerveau féminin, puisque la sexualité féminine est exempte de déchéance.
Evidemment, ces femmes ont dû produire quelque chose dans les longues heures de repos et de solitude que le couvent leur donnait, elles ont dû travailler pour les moines, c'est dans l'ordre des choses, c'est dans les lois psychologiques, donc cela a dû être, et il est aussi dans la nature de l'homme de s'approprier le travail de la femme et de le donner comme sien.
Les moines étaient trop avides de plaisirs pour avoir rien pu produire.

LEURS GRANDS HOMMES
L'Église, cependant, à travers tant de passions, de fièvres et de fiel, avait encore assez de lucidité pour comprendre que sa faiblesse venait de son infériorité intellectuelle. C'est pour cela qu'elle surveillait avec tant de soins tous les efforts tentés pour élever les esprits, pour éclairer les consciences, attentive au moindre bruit pour l'étouffer, surveillant les idées qu'elle voyait germer, étouffant toute voix qui voulait s'élever, bannissant toute liberté, hors la sienne, enfin, employant avec une habileté incroyable le système de lâcheté qui consiste à opprimer les faibles.
Les souverains demi-barbares se soumettaient aux prêtres, parce qu'ils savaient au besoin se faire soutenir par eux.
Le peuple, bêtement docile, se laissait mener sans même songer à protester. Incapable de penser par lui-même, il abdiquait en faveur de ses tyrans toutes ses facultés intellectuelles ; paresseux, indolent et lâche, il supporta la tyrannie pendant des siècles, courbant la tête et baisant la main qui le souffletait, et ne se releva que quand on lui montra ses oppresseurs vaincus eux-mêmes par une puissance supérieure qui venait de naître. Alors le peuple, libéré des entraves du devoir, se jeta dans une révolution sans savoir à quels principes il obéissait. La réforme religieuse avait préparé la réforme politiques.

LA PERVERSITÉ DES HOMMES, LA LITTÉRATURE LICENCIEUSE AU XVIIIème SIÈCLE, LES MŒURS DU TEMPS
A défaut d'œuvres vraiment littéraires, le marquis de Sade, né en 1740 et mort fou, à Charenton, le 2 décembre 1814, a laissé dans la langue française deux mots que l'Académie aura définitivement adoptés : les mots sadisme et sadique.
Le sadique est l'individu dont les plaisirs sensuels sont provoqués par la vue ou plus généralement par la perception de certaines souffrances qu'il occasionne à autrui.
D'après les Mémoires de Mme du Deffand, le marquis de Sade, enfermé à la Bastille pour « débauches outrées », avait ainsi commencé ses exploits :
« Un soir, il emmena une fille dans le grenier de sa maison. Arrivé là, il s'enferma avec elle, lui ordonna, le pistolet sur la gorge, de se mettre toute nue, lui lia les mains et la fustigea cruellement. Quand elle fut tout en sang, il tira un pot d'onguent de sa poche, pansa les plaies et la laissa ainsi attachée. »
Après cet apéritif, le marquis, tout guilleret, rejoignit des amies qui l'attendaient et acheva la nuit dans l'orgie.
Le marquis de Sade, au cours de sa longue existence, ne se borna pas à agir : il écrivit. Il écrivit des romans, des nouvelles, des pièces de théâtre, qui constituent en quelque sorte l'exposé de ses théories. Ces œuvres, a-t-on dit un peu pompeusement, mais justement toutefois, sont le vice et le crime réunis en un corps de doctrine. Ce sont les folies humaines dans ce qu'elles ont de plus monstrueux.
« Voulez-vous, écrit Jules Janin, que je vous fasse l'analyse d'un livre du marquis de Sade ? Ce ne sont que cadavres sanglants, enfants arrachés aux bras de leurs mères, jeunes femmes qu'on égorge à la fin d'une orgie, coupes remplies de sang et de vin, tortures inouïes. On allume des réchauds, on dresse des chevalets, on brise des crânes, on dépouille des hommes de leur peau fumante, on crie, on jure, on blasphème, on se mord, on s'arrache le cœur de la poitrine, et cela à chaque page, à chaque ligne, toujours... »
Mis à Charenton en 1798, le marquis conserva dans et asile, jusqu'à sa mort, ses goûts et ses habitudes ignobles. « Se promenait dans la cour, il traçait sur le sable des figures obscènes. Venait-on le visiter, sa première parole était une ordure, et cela, avec une voix très douce, avec des cheveux blancs très beaux, avec l'air le plus aimable, avec une admirable politesse. C'était un vieillard robuste et sans infirmité. ».


LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
Mini glossaire de la Révolution Française
Convention : assemblée qui siégea du 27 septembre 1792 au 4 brumaire an IV (26 octobre 1795).
Girondins : républicains.
Jacobins : démocrates exaltés.
Montagnards : révolutionnaires outrés.

LA RÉVOLUTION FRANÇAISE
A peine les États Généraux se sont-ils réunis à Versailles au commencement de mai 1789, que, dès le mois de juin, les députés des communes, alors appelés Tiers-État, y ont pris la domination sur la noblesse et le clergé. L'autorité royale, qui a voulu s'y opposer, n'a fait que donner au torrent plus d'impétuosité, et précipiter la fameuse déclaration des Droits de l'homme qui, à l'imitation de celle des États-Unis d'Amérique, consacre l'insurrection. Au mois de juillet, l'insurrection éclate. Paris se soulève ; le château de la Bastille est enlevé en un moment et son gouverneur égorgé. On massacre plusieurs magistrats du peuple qui voulaient s'opposer au tumulte. La France imite Paris. A la voix de Mirabeau, elle se hérisse de gardes nationales. On s'arme de toutes parts. Trois millions de soldats paraissent sortir de terre ; au mois d'août, la faible barrière qui enveloppait encore le trône est renversée. La noblesse déchire elle-même ses titres et les foule aux pieds. Vainement, au mois de septembre, l'Assemblée nationale, effrayée du précipice où elle se sent jetée, veut revenir sur ses pas en décrétant l'inviolabilité de la personne du roi. Cette inviolabilité illusoire est violée le 6 octobre. Une multitude de femmes furieuses inonde le palais de Versailles. Quelques brigands qui les suivent en égorgent les gardes et portent leurs mains teintes de sang sur le monarque et sur sa famille. On l'entraîne à Paris.
En 1789, les femmes de Paris jettent enfin un cri de révolte ; elles s'éveillent de leur torpeur, demandent du pain et marchent sur Versailles (le 5 octobre 1789). Ce cri retentit jusqu'aux confins du monde civilisé.
« L'année 1790 s'ouvre par la persécution des prêtres qui refusent de prêter serment à une constitution nouvelle et que le Pape ne reconnaît pas, et par l'institution du fameux club des Jacobins.
« Le 14 juillet, plus de cent mille Français, réunis à Paris de tous les points de la France, se lient des mêmes serments. Ce jour était grand dans son inconcevable nullité ! Si la Providence (la Femme) (1) y eût été présente, je ne crois pas que rien dans l'Univers en eût égalé la magnificence.
« En 1791, les persécutions contre les prêtres réfractaires acquièrent plus d'intensité ; la noblesse émigre ; les puissances étrangères commencent à jeter les yeux sur la France, et paraissent s'inquiéter des suites de la lutte qu'elles y voient établir. Ces suites n'étaient plus douteuses. L'Assemblée nationale, toute-puissante dans l'opinion, déclare qu'à elle seule appartient le droit de se renouveler et que le roi n'a pas celui de la dissoudre.
« Le roi, auquel cet acte arrache la Couronne, essaie, mais trop tard, de la conserver en fuyant ; on l'arrête avant sa sortie du royaume, on le ramène en triomphe à Paris où il se voit contraint d'accepter l'ombre de puissance qu'on veut bien lui laisser, dans une Constitution que ses fondateurs croyaient immortelle et qui ne vécut que dix mois. Le trône s'écroule le 10 août 1792 sous les coups d'une poignée de factieux » (État social, p. 324).
« D'abord, la Convention, partagée entre la Gironde et la Montagne, se heurte et se brise. La Gironde est sacrifiée, et ses partisans meurent sur l'échafaud. Alors commence, au 31 mai 1793, l'époque formidable qu'on appelle le règne de la Terreur. Robespierre en est le chef. Le sang coule par torrents dans l'intérieur, la famine la plus affreuse y dévore les habitants, et cependant la Victoire pousse en avant le colosse républicain. La guerre est générale. L'Europe est ravagée par les armées les plus nombreuses qu'elle ait encore rassemblées. Celle de la France seule dépasse 800.000 hommes. Tout cède à leurs efforts, la France se couvre d'une gloire immense, qui malheureusement, privée de principes, ne doit amener aucun résultat. La Convention, déjà divisée, se divise encore. La faction de la Montagne, triomphante depuis 15 mois, se renverse sur elle-même en 1794.
« Une nouvelle division amène l'abolition du club des Jacobins et la suppression du Tribunal révolutionnaire. La violence du mouvement diminue sensiblement ; plusieurs traités de paix sont conclus. Le gouvernement français, jusqu'à ce moment sans force, en prend une. Les législateurs populaires, encore divisés entre eux, divisent le peuple. Paris prend parti contre eux. Les 48 sections de cette capitale s'insurgent et lancent contre la Convention plus de 50.000 hommes déterminés à la détruire. Alors paraît sur la scène du monde un homme fatidique (fatal), Napoléon Bonaparte, qui sauve la Convention perdue sans lui » (État social, p. 328).
Le 3 Ventôse an III (1795), sur la proposition de Boissy d'Anglas, les hommes de la Révolution résolurent équitablement la question des rapports des Églises et de l'État en supprimant le budget des cultes.
A ce moment, il n'est point question de compensations ni d'obligations nationales envers le clergé. Les religions durent vivre de leurs propres ressources, sans obstacles et sans faveur d'aucune influence administrative.
Aucune secte n'était protégée au détriment des autres. Tous ceux qui voulaient établir un culte pouvaient s'intituler prophètes et même dieux. Les libres-penseurs n'avaient pas le droit de se prétendre opprimés ou lésés comme aujourd'hui, puisqu'ils n'entretenaient pas de leurs deniers la religion des croyants. Cette ère de justice devait finir le 18 Brumaire. Elle avait duré cinq années.
(1) Voir l'article du blog intitulé « La révolution française c'est la résurrection de la Femme »

LES ENCYCLOPÉDISTES ET LES SAVANTS
On fit une guerre acharnée aux Encyclopédistes, surtout à Diderot et d'Alembert.
Le Bélisaire de Marmontel excita une tempête.
On reprocha à Buffon d'avoir émis sur la formation de la terre et son ancienneté une opinion contraire à la Bible. La Sorbonne allait lancer ses foudres à propos de 4 propositions reconnues coupables quand elle fut distraite par les Encyclopédistes, bien plus redoutables.
Mais Diderot, ce penseur génial, méconnu de ses contemporains, fut l'esprit le plus hardi de son temps. Il substitua à la Bible chrétienne la Bible nouvelle, l'Encyclopédie ; au livre divin, le livre humain, résumé des vérités découvertes par l'effort de la pensée humaine ; c'est l'œuvre d'une pensée qui ne s'arrête pas.
Diderot éducateur fut le dépositaire de l'idée laïque, opposant la cité terrestre à la cité céleste. L'Église, en effet, a trouvé une solution simpliste de la question sociale : heureux ceux qui pleurent, dit-elle, heureux ceux qui souffrent, le paradis est à eux. Mais pourquoi donc les riches ne se dépossèdent-ils pas de leurs biens terrestres pour acquérir ce bien céleste ? Le Paradis appartiendra aux pauvres le jour où les riches seront dégoûtés de ces biens de la terre.
Diderot a dit : « Avez-vous oublié tous les maux que les moines ont faits à notre nation : les horreurs de la Ligue, que leurs cris fanatiques ont excitées, le massacre de la Saint-Barthélemy, dont ils ont été les instigateurs, et tous les torrents de sang qu'ils ont fait répandre en France pendant deux cents ans de guerre de religion ?
« Ils en feraient répandre encore, si les mêmes circonstances revenaient ; ils n'ont pas changé d'esprit ; ils gémissent de voir le siècle éclairé. Que les temps d'ignorance reparaissent, vous les verrez sortir encore des ténèbres pour gouverner et bouleverser les États. »

Emmanuel Kant (1724-1804) eut un bon mot : « Traiter les autres comme une fin, non comme un moyen. »
« On a vu la raison la plus extraordinaire dans Kant manquer son but faute d'intelligence ; on avait vu l'intelligence la plus exaltée dans Bœhme s'écrouler faute de raison. Il y a eu dans tous les temps et parmi toutes les nations des hommes semblables à Kant et à Bœhme ; ces hommes ont erré faute de se connaître » (Fabre d'Olivet, Vers dorés, p.341).
« Je m'enthousiasme pour ces savantes, patientes, extraordinaires, abracadabrantes folies, ces raisonnements, ces déductions si serrées, si savantes... Il n'y a qu'une chose qui me désole, c'est que je sens que c'est faux et que je n'ai pas le temps ni la volonté de trouver pourquoi » (Marie Bashkirtseff, Mémoires, t. II, p. 84, à propos de Kant).

Cependant, on n'en avait pas fini encore avec le monstre aux cent bras. Son dogme était jeté par terre, ses biens confisqués, cela lui donna le prestige de la persécution et la lutte s'engagea. De 1792 à 1793, on discuta très âprement sur la question de la liberté des cultes et la séparation de l'Église et de l'État. Cette discussion divisa les hommes en deux fractions. Dans l'une, les Girondins et Cambon, continuateurs de l'esprit de l'Encyclopédie. Dans l'autre, Robespierre et Danton, qui restent croyants, malgré tout. Voici comment parlaient les premiers :
Lorsque, le 23 avril 1792, le ministre de l'Intérieur vint annoncer à la Convention les troubles provoqués par les prêtres réfractaires, Vergniaud s'écria : « Il faut examiner si, lorsque la nation emploie toutes ses ressources pour combattre ses ennemis extérieurs, elle doit entretenir à sa solde ceux qui, à l'intérieur conspirent contre elle. »
Les Girondins veulent une République exempte de toute confession religieuse et basée sur la science.
Lorsque, en 1792, Cambon, député de Montpellier, vint, au nom du comité des finances, présenter un projet de loi tendant à laisser à chaque secte religieuse le soin de payer les ministres de son culte, Robespierre indigné déclara « qu'attaquer le Catholicisme, c'était attenter à la moralité du peuple ». Il avait découvert « que la religion nous présente une morale analogue aux principes de la Révolution ». Si la déclaration des Droits était déchirée, il assurait qu'on la trouverait encore dans l'Évangile.
Cette idée absurde devait faire son chemin, et, depuis la Révolution, il est une foule de gens qui trouvent tous ses principes dans l'Évangile ; évidemment, ils y mettent de la bonne volonté, car alors comment ces principes auraient-ils produit tout le contraire de ce que promet la Révolution ?
Et Robespierre concluait : « Qu'y a-t-il de plus funeste à la tranquillité publique que de réaliser la théorie du culte individuel ? » Il faut donc une religion reconnue et patentée ; et il en persuada si bien la Convention que, en juin 1793, elle décréta « que le traitement ecclésiastique faisait partie de la Dette publique ». Les prêtres ne sont même pas des salariés ou des fonctionnaires ; ils sont bien plus : ce sont des créanciers de l'Etat. Proposer de ne plus les payer, c'est proposer quelque chose comme une banqueroute.
L'Église romaine eut alors à subir un quatrième choc, mais bien plus formidable que les précédents. Jusque là, on n'avait attaqué qu'une partie de sa doctrine ; la nouvelle école philosophique qui s'élevait la rejeta tout entière. Elle fut symbolisée par une négation libératrice.
Malgré les efforts des oppresseurs pour étouffer ce cri de liberté, les nouvelles idées se répandirent rapidement dans toute l'Europe. L'esprit public était partout préparé à les recevoir, et les accepta sans hésitation ; les gouvernements, même les plus arbitraires, les accueillirent avec sympathie. Les souverains de la Prusse, de la Russie, de l'Autriche, comptèrent parmi les partisans des idées libérales. Partout, la conscience et la dignité humaine, rendues à elles-mêmes, réclamaient leurs droits, quelquefois avec modération, souvent avec violence. La conscience fut secouée, le réveil fut terrible. L'Église de Rome était encore ostensiblement aussi splendide et aussi solide, mais ses fondements étaient minés ; depuis que tout le monde pensait, lisait, écrivait, le niveau intellectuel des nations avait sensiblement monté, et, comme les peuples ont le gouvernement qu'ils méritent, partout on annonçait par la révolte qu'on ne voulait plus être gouverné par la stupidité, l'ignorance, la folie.
Le premier événement qui signala cette situation fut la chute de la Société de Jésus, qui avait pris un tel accroissement que, en 1710, elle comptait 20.000 maisons d'éducation (d'après le Père Jouvency).
Sur ses ruines, le mouvement philosophique déborda avec une effrayante rapidité, et enfin, quand la Révolution éclata, la vieille Église de France tomba avec sa pompe et ses richesses.
Ayant à écrire au Pape au sujet de quelques persécutions qu'avaient éprouvées à Rome les artistes français, le gouvernement de la République ne lui donna que le titre d'Évêque de Rome (en 1792).

RÉVOLUTION
Au moment où les premiers symptômes de la Révolution se manifestaient en Amérique, les Jésuites n'étaient plus. Cette institution formidable, rongée par le mouvement du siècle, s'était écroulée presque sans résistance. Ceci est un des plus grands phénomènes qui se soient montrés sur l'horizon religieux et politique. Qui l'eût cru ? Le Parlement de Paris se déclara contre eux. La France, l'Espagne, le Portugal, le Pape ! le Pape lui-même les proscrivit.
Le clergé disposait d'immenses ressources qui le rendaient propriétaire d'une partie considérable du sol.
Il les tenait de la piété des fidèles, souvent aussi des terreurs tardives du lit de mort. Les rois de France avaient largement disposé de leurs domaines en sa faveur, et, s'il fallait évaluer le nombre et l'importance de leurs péchés par celui de leurs donations, la liste de leurs méfaits serait effrayante. Le clergé avait à sa tête 11 archevêques, 116 évêques, 11 chapitres de chanoines nobles, 520 collèges ou petits chapitres, 715 abbayes, 3 ou 4.000 Ordres de religieux et religieuses. Le revenu du clergé était de plus de 250 millions, sans compter les dîmes prélevées sur les récoltes des particuliers, le casuel. La loi de l'aliénation des biens du clergé fut votée le 2 novembre 1789.
Le 12 décembre 1792, Jacob Dupont tente à la Convention la glorification de la Science, et il la voit déjà remplacer la religion : « En vain, dit-il, Danton nous dit que le peuple a besoin d'un prêtre pour rendre le dernier soupir. Je lui montrerai Condorcet fermant les yeux à d'Alembert. »
Robespierre ne pardonna jamais aux Girondins leurs doutes sur l'immortalité de l'âme.
La même année, Guadet, parlant après Robespierre, lui répond : « J'ai entendu souvent, en cette enceinte, répéter le mot de Providence. Je crois même que la Providence nous a sauvés malgré nous. J'avoue que, ne voyant aucun sens à ces idées, je n'aurais jamais pensé qu'un homme qui a travaillé avec tant de courage pendant trois ans, pour tirer le peuple de l'esclavage, pût concourir à le remettre ensuite sous l'esclavage de la superstition. »
« Gardons-nous des abstractions métaphysiques, réplique à son tour Vergniaud, le 2 novembre 1792 ; la nature a donné aux hommes des passions : c'est par les passions qu'il faut les gouverner, et les rendre heureux. »
« Je ne sais pas si nous devons être très reconnaissant à l'Incorruptible de cette conception, et si les « partisans du bloc » estiment que nous devons l'accepter dans cet héritage de la Révolution, qu'ils veulent nous imposer, sans bénéfice d'inventaire !
« Quant aux Girondins, le crime d'avoir contristé l'âme sensible de Robespierre et les mânes de Jean-Jacques, par leur audacieuse négation de Dieu et de l'immortalité de l'âme, ne fut pas la moins grave des accusations qu'ils expièrent sur l'échafaud. Le même crime, quelque temps après, valut la même peine aux Hébertistes et à Danton lui-même. Décidément, les opinions métaphysiques relevaient du Comité de salut public. Le tribunal du Saint-Office était, au nom de la Révolution, restauré contre les hérétiques qui refusaient de se soumettre à l'orthodoxie jacobine.
« Les Girondins ont eu, en cette question, incontestablement la vraie conception de la société civile selon l'esprit de la Révolution. Ce qui ne veut pas dire qu'à nos yeux ils renfermaient toute la Révolution. Il faut les compléter par Danton quelquefois et par les Hébertistes. Ce qu'il y a de certain, c'est que ces derniers ont continué l'œuvre philosophique des Girondins, en l'étendant et en la popularisant.
« Les Girondins avaient rêvé de décléricaliser la France, de la laïciser par en haut, c'est-à-dire par la loi. Les Hébertistes, juste au moment où les Girondins montent à la guillotine, rêvent de la déchristianiser à fond, et ils tentent de le faire par en bas, par l'initiative surexcitée du peuple.
« Et ils tâchent d'instaurer le culte de la déesse Raison.
« Cette tentative païenne a été jugée avec différentes passions ! Elle a paru, naturellement, aux Catholiques et même à certains formalistes du déisme et de la théophilanthropie, une abominable mascarade. D'autres, et parmi eux Edgard Quinet, y ont deviné un mouvement réellement populaire qui eût complété et affermi, par une radicale révolution religieuse, la révolution civile et politique.
« L'ardeur des iconoclastes, écrit Quinet, fut peut-être le seul mouvement où le peuple ait pris l'initiative. » C'est aussi celui qui fut le mieux écrasé par l'autorité jacobine, à laquelle on ne s'est jamais vainement adressé
» (Xavier de Ricard, Journal du Peuple, 13 mai 1899).
Et c'est cette réaction catholique de Robespierre et de ceux qui, comme lui, ne pouvaient pas s'élever jusqu'à une conception nouvelle de la vie sociale, qui arrêta le magnifique essor de la Révolution.
Edgard Quinet le constate quand il dit : « II n'est pas sans utilité de remarquer combien, dans ses discussions les plus extrêmes, en matières religieuses, la Révolution française a été timide en Comparaison des empereurs catholiques, Constantin, Théodose, Arcadius, Honorius, Valentinien, etc., qui ont fait passer l'âme de Rome impériale dans le génie de l'Église. Ces empereurs ont osé proclamer la chute de l'ancienne religion, et finir par là l'ère ancienne, ce que n'a jamais osé la Révolution française, et je ne doute guère que ce manque d'audace d'esprit n'ait été pour quelque chose dans sa défaite, car, tandis qu'elle se donnait toute l'apparence de la persécution religieuse, et qu'elle déchaînait contre elle tout le passé, elle n'osait pourtant frapper le passé religieux et y mettre légalement un terme.
« En sorte qu'elle n'ôtait pas à ses ennemis l'espoir de renaître, quoiqu'elle fît tout pour se les rendre irréconciliables. Situation qui est la pire de toutes et qui contenait infailliblement ces retours, ces revers que nous avons vus et que nous voyons encore. Les temps qui ont suivi ont enseigné ceci : il fallait, ou laisser de côté la religion ancienne, ou, si la nécessité obligeait de déchaîner cette religion contre soi, il fallait en finir. »

La Révolution française de 1789 supprima la tradition antique en même temps qu'elle supprima la religion moderne.
Comment aurait-elle pu faire autrement ? Elles étaient tellement enchevêtrées qu'il n'était plus possible de les séparer. Mais où elle s'est trompée, c'est en voulant faire représenter la raison féminine par une femme vulgaire qui, en fait de raison, n'avait que la beauté ; ce fut-là un véritable outrage à l'Esprit féminin, une profanation dont les hommes ne se rendaient pas compte.
On supprima les niches des petites Madones rustiques des champs et des bois ; on aurait pu les garder comme souvenirs archéologiques en expliquant l'évolution de l'Idée qu'elles représentaient, mais les hommes de la Révolution, n'étaient pas instruits, et faisaient confusion entre La tradition et le Catholicisme.
« Je ferai abattre vos clochers, disait Jean Bon-Saint-André au maire d'un village, afin que vous n'ayez plus d'objets qui vous rappellent vos superstitions d'autrefois. »
« Vous serez toujours obligé de nous laisser les étoiles, lui répondit le paysan, et on les voit de plus loin que notre clocher » (Orsini, t.II, p. 120).



À suivre : LA CHEVALERIE, LA TABLE RONDE ET LE GRAAL